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Johary Ravaloson : Tribunal des cailloux

Par Gangoueus @lareus
Johary Ravaloson, Tribunal des cailloux (éd. Dodo vole)

Johary Ravaloson nous embarque de nouveau dans un univers que j’aime beaucoup  dans son travail d’écriture : celui de la modernité et des croyances traditionnelles  qui pilotent l’arrière-pays...


À la base, ce roman nous parle d’une famille bourgeoise malgache habitant les beaux coins d’Antananarivo. Le père est un homme puissant oeuvrant dans le domaine de la culture, le cinéma. Il est reconnu, il est puissant. Un second élément important est qu’il est un membre important du clergé protestant. Bref, un homme bien et bon sous tous les angles, dans ce microcosme, à l’instar d’Étienne, ce père terrifiant dans le premier roman de Chimamanda Ngozi Adichie, L’hibiscus pourpre. Ici, nous sommes dans quelque chose de plus trash. L’homme, Léon Ramora, viole sa fille depuis des années. Et lorsque, par un concours de circonstances, elle réagit et trouve une écoute, une attention plus saine d’une autre jeune femme, cette dernière est arrêtée et Lila est livrée à un groupuscule revivaliste qui compte la “désenvoûter”.


On a dans cette séquence décrite, toute la puissance du patriarcat qui se déploie.  Léon Ramora maîtrise tout excepté l’entêtement de sa fille qui va être finalement envoyée dans l’arrière pays malgache. 


Il y a dans cette séquence, un autre monde incarné par un personnage magnifique, énigmatique, à savoir Lys. Elle est plus jeune que Lila. Une douzaine d’années maximum. Elle reçoit sa cousine avec beaucoup de bienveillance et de sagesse, même si cette dernière débarque avec la condescendance naturelle d’une citadine. Lila est marquée par les conséquences de la dénonciation faite à l’endroit de son père, par les représailles de celui-ci. Lys est fascinée par sa cousine, ce qu’elle incarne, une forme de nouveauté, de liberté et l’attrait que les milieux urbains peuvent exercer sur le monde rural en Afrique et plus singulièrement à Madagascar. Les deux cousines s’apprivoisent. Lys est sensible à la douleur de sa cousine. C’est un prolongement d’une première sororité autour de Lila, sans jugement, avec distance et sagesse.


Johary Ravaloson nous décrit un prédateur sexuel au travers du regard de ses victimes, mais aussi tout l’environnement qui permet d’ignorer le cri de Lila. Au fil du roman, de manière détournée, on saisit par bribe l’étendue de l’emprise sur sa famille nucléaire, mais également sur la famille élargie. Il faut alors parler de la forme élaborée avec laquelle Johary Ravaloson. La voix de Lys porte celle de la tradition. Elle est faite de proverbes, de métaphores, de contes qui disent la suprématie du patriarcat comme celui donne le nom de la rivière qui jouxte la bourgade.. Elle passe aussi par des objets comme ces cailloux qui finissent par constituer un tribunal. Elle nous dit une autre forme d’oppression, celle du temps de covid 19 avec son confinement et ses masques. 


Le final de ce roman qui se recentre sur “l’incestueur” - pour reprendre cette expression de l’écrivain dans l’émission Les lectures de Gangoueus et au festival Rive Noire littérature -  nous montre le refus de Johary Ravaloson de faire dans la simplicité.


Johary Ravaloson, Tribunal des cailloux Éditions Dodo vole, 2024

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