Paul McCartney a déclaré qu’il serait prêt à retirer son nom des crédits de « Give Peace A Chance », hymne écrit par John Lennon en 1969, pour que l’attribution reflète la réalité. En contrepartie, il souhaite que « Blackbird », dont il est l’auteur intégral du texte, soit crédité à son seul nom dans les publications poétiques. Une mise au point sur le pacte Lennon–McCartney et l’éthique de la clarté dans les crédits.
La petite phrase a fait florès : Paul McCartney aurait dit, à propos de « Give Peace A Chance », « enlevez mon nom ». Placée telle quelle, elle promet un règlement de comptes posthume entre les deux piliers des Beatles. Remise dans son contexte, elle dit autre chose : la volonté de McCartney de réattribuer plus fidèlement certaines œuvres nées sous la bannière « Lennon–McCartney », sans réécrire l’histoire ni minorer l’alliance fondatrice. Au cœur de cette nuance, deux titres emblématiques : « Give Peace A Chance », hymne de John Lennon né durant les Bed‑Ins de 1969, que Paul serait prêt à laisser au nom de John seul, et « Blackbird », chanson intimiste de 1968 dont il revendique, à juste titre, la paternité intégrale du texte.
Ce papier revient sur ce double mouvement : pourquoi Lennon et McCartney ont‑ils signé, si souvent, ensemble ? Comment le pacte d’auteur a‑t‑il façonné la perception des œuvres ? Qu’est‑ce qui explique, des décennies plus tard, les ajustements de crédit ? Et, surtout, qu’entend Paul McCartney lorsqu’il dit, en substance : « “Give Peace A Chance” ? Enlevez mon nom. “Blackbird” ? Remettez‑le. »
Sommaire
- Le pacte fondateur Lennon–McCartney : un marqueur autant qu’un contrat
- Comprendre la phrase de Paul : « Take my name off it »
- 1969 : « Give Peace A Chance », un hymne de John que la marque a d’abord recouvert
- 1968 : « Blackbird », une miniature maccartnienne et un texte à son nom
- Entre marque et vérité : le long après‑match des crédits
- Ob‑La‑Di, Ob‑La‑Da, Because, Your Mother Should Know : le jeu des marqueurs stylistiques
- Yoko Ono dans l’équation : du concept aux crédits
- Northern Songs, éditions, ordre des noms : pourquoi tout cela « prend » autant
- L’exemple des concerts : que vaut la marque sur scène ?
- « Insensiblement simple » : les compliments croisés qui relativisent les querelles
- Ce que révèle l’affaire des crédits : une éthique de la clarté
- Conclusion : un reniement ? Non, une mise au point
- Repères de contexte : de la marque à la mémoire, un fil chronologique
Le pacte fondateur Lennon–McCartney : un marqueur autant qu’un contrat
Avant d’être un totem sur les étiquettes, « Lennon–McCartney » fut un pacte. Deux adolescents de Liverpool décident que leurs chansons, écrites ensemble ou séparément, seront créditées ensemble. Le nom devient marque : un label de qualité reconnaissable sur 45 tours, pochettes, partitions. La signature unifiée a des effets artistiques et commerciaux : elle soude l’identité des Beatles, sécurise leurs revenus via Northern Songs, et masque les proportions exactes de contribution – parfois à 50/50, souvent majoritairement Lennon ou McCartney.
Ce pacte explique qu’un standard aussi maccartnien que « Yesterday » porte la co‑signature, comme un morceau aussi lennonien que « Strawberry Fields Forever ». Il explique aussi des cas plus conflits : « In My Life », que John tenait pour lui, tandis que Paul a, très tôt, défendu son apport melodique et harmonique. Mais la règle reste la règle : jusqu’à la fin des Beatles, et bien après, la plupart des éditions alignent Lennon–McCartney ou John Lennon–Paul McCartney.
Comprendre la phrase de Paul : « Take my name off it »
La formule attribuée à Paul McCartney intervient lorsqu’il s’agace de voir « Blackbird » – son texte, ses images, sa rythmique de guitare – reproduit dans des anthologies de poésie sous la double signature Lennon–McCartney. Il fait valoir un point simple : quand on détache les paroles de la musique et qu’on les publie en tant que poème, autant attribuer justement le texte à celui qui l’a écrit. Et, pour équilibrer la logique, il propose l’inverse pour « Give Peace A Chance » : « c’était John – mettez‑le sous John. » Derrière cette fermeté, aucune animosité envers Lennon : seulement le souci d’une information exacts pour le lecteur et l’auditeur.
Il y a, là, deux éthiques qui cohabitent. La première, historique, dit : le pacte Lennon–McCartney a compté ; respectons‑le comme marque d’un temps. La seconde, documentaire, ajoute : la transparence sur les apports individuels est légitime, surtout quand on éditeur des paroles en tant que telles. C’est dans cette cohérence que la phrase « enlevez mon nom » prend sens : elle ne souvient pas la marque, elle corrige un libellé.
1969 : « Give Peace A Chance », un hymne de John que la marque a d’abord recouvert
Née dans la chambre de l’hôtel Queen Elizabeth à Montréal, durant le Bed‑In for Peace, la chanson « Give Peace A Chance » est la première sortie solo de John Lennon sous l’étendard Plastic Ono Band. Paul McCartney ne contribue ni au texte ni à la musique. Pourtant, le 45 tours de 1969 paraît crédité « Lennon–McCartney ». Pourquoi ? Par inertie de marque, d’abord : la double signature est devenue un réflexe éditorial. Par élégance, aussi : John a dit, plus tard, qu’il n’avait pas été « assez homme » pour créditer Yoko Ono qui, idées, cadre, procédés, a nourri la pièce. Par remerciement, enfin : certains biographes ont avancé que John avait voulu remercier Paul de l’avoir assisté en urgence sur « The Ballad of John and Yoko » quelques semaines plus tôt.
Les rééditions ultérieures ont rectifié : sur de nombreux supports des années 1990–2000, « Give Peace A Chance » est attribué à John Lennon seul, parfois assorti de la mention de Yoko Ono selon les contextes éditoriaux. Quoi qu’il en soit, le sens est clair : c’est la chanson de John, née d’un geste politique dont il fut le visage, et que Paul se dit prêt à laisser au nom de John seul.
1968 : « Blackbird », une miniature maccartnienne et un texte à son nom
À l’autre pôle, « Blackbird » est l’exemple type d’une chanson que la marque Lennon–McCartney recouvre formalement mais dont la substance appartient à Paul seul. Composée sur un picking de guitare classique, enregistrée quasi seul aux Abbey Road Studios, elle tient en deux minutes la force d’une image : un merle qui invite à « prendre ton envol ». McCartney a souvent expliqué que le texte s’était cristallisé à l’écoute des nouvelles venues des États‑Unis : le combat des droits civiques, la résilience des femmes noires américaines, et l’intuition que le mot « bird », en argot britannique, nommant une femme, ouvrait une métaphore juste.
Dans une anthologie poétique, où les paroles de chansons sont extraites de leur musique, McCartney juge normal d’attribuer ce poème à Paul McCartney seul. Le pacte Lennon–McCartney n’est pas renié ; il est resitué. Paul ne conteste ni l’histoire ni l’apport de John dans d’innombrables cas ; il demande que l’édition de paroles reflète la réalité de l’écriture, quand elle est unanime.
Entre marque et vérité : le long après‑match des crédits
La question des crédits n’a jamais cessé de travailler l’héritage Beatles. Il y a eu les débats sur « In My Life », arbitrés par des souvenirs discordants et, plus récemment, par des méthodes d’analyse musicologique ou statistique. Il y a eu la querelle, au début des années 2000, autour de l’ordre des noms : McCartney a un temps renversé le crédit en « McCartney–Lennon » sur certains live ou rééditions, avant de revenir au standard historique. Il y a eu, dans un autre registre, la reconnaissance tardive du rôle de Yoko Ono sur « Imagine » : John lui‑même avait reconnu le poids de sa pensée, et la co‑signature a fini par être actée sur certains documents officiels.
Ces ajustements ne réécrivent pas la musique. Ils réécrivent des lignes de crédits, c’est‑à‑dire des informations à la fois juridiques et symboliques. Pour McCartney, l’enjeu est moins pécuniaire qu’éthique : nommer juste. Si « Give Peace A Chance » a été initialement « Lennon–McCartney » par usage, alors qu’elle est l’œuvre de John, il est cohérent de dire : « Retirez mon nom. » Si « Blackbird » est son texte, il est cohérent de rétablir son nom quand la musique est écartée au profit d’une publication poétique.
Ob‑La‑Di, Ob‑La‑Da, Because, Your Mother Should Know : le jeu des marqueurs stylistiques
La discussion sur « à qui est quoi » a souvent, chez les fans, des raccourcis efficaces : « Ob‑La‑Di, Ob‑La‑Da » serait le Paul le plus léger ; « Because » le John le plus hypnotique ; « Your Mother Should Know » une pastille music‑hall réclamant la patte de McCartney seul. Ces marqueurs ont une part de vrai : on reconnaît des tics d’écriture, des signatures harmoniques, des obsessions rythmiques. Ils ont aussi leur limite : Lennon peut composer une berceuse d’une douceur maccartnienne, McCartney peut tirer la pop vers la distorsion. La vérité de l’atelier Beatles est plus perméable que les étiquettes.
Ce rappel importe ici : lorsque Paul réclame son nom pour « Blackbird » et retire son nom pour « Give Peace A Chance », il ne distribue pas des brevets de valeur. Il rétablit des faits d’écriture sur deux cas limpides. Pour le reste, la marque Lennon–McCartney continue de tenir comme un signe d’alliance et une promesse de qualité.
Yoko Ono dans l’équation : du concept aux crédits
Impossible d’évoquer « Give Peace A Chance » sans Yoko Ono. L’idée du Bed‑In, l’usage du média comme œuvre, la poétique de la répétition – autant de dimensions où la pensée d’Ono infuse la chanson. Lennon l’a reconnu : il aurait dû, dès l’origine, la créditer au côté de son nom. Qu’on discute aujourd’hui l’endroit exact où placer Ono dans la chaîne – idée, structure, texte – ne change pas le constat : la pièce appartient à un moment où John et Yoko travaillent ensemble à confon dre art et vie.
Ce rappel n’ôte rien à la cohérence de la position de McCartney. Dire « enlevez mon nom » pour « Give Peace A Chance » n’est pas une stratégie contre Ono ; c’est exactement l’inverse. C’est laisser l’œuvre à son auteur principal et, selon les éditions, à sa co‑conceptrice. C’est aussi, en creux, réaffirmer que le label Lennon–McCartney n’a pas vocation à dévorer tout ce que John et Paul ont touché.
Northern Songs, éditions, ordre des noms : pourquoi tout cela « prend » autant
Si ces crédits suscitent des passions, c’est parce qu’ils condensent trois niveaux. Le niveau juridique : la répartition de droits et de revenus d’édition, gérée à l’époque par Northern Songs puis, après les ventes et rachats, par différents catalogues. Le niveau symbolique : la narration de la grande œuvre Beatles, où la double signature est un totem. Le niveau pédagogique : la manière dont on apprend aux nouvelles générations qui a fait quoi, et pourquoi.
Quand McCartney s’est battu, au tournant des années 2000, pour inverser l’ordre des noms sur certains albums live, il portait une frustration compréhensible : l’ordre « Lennon–McCartney » avait été figé par l’usage, alors même que, sur un titre comme « Yesterday », l’équité voudrait un McCartney–Lennon. Quand il a renoncé, c’est pour préserver le signe historique. Mais la cohérence de sa logique demeure : sur la page d’un recueil de paroles, là où la marque n’est plus en jeu, nommer l’auteur réel n’a rien d’une querelle d’ego.
L’exemple des concerts : que vaut la marque sur scène ?
Autre terrain où la marque et la vérité s’entrechoquent : la scène. Dans ses spectacles post‑Beatles, McCartney joue des chansons Lennon–McCartney que chacun associe, intuitivement, à l’un ou l’autre. Il présente parfois « Blackbird » avec un mot sur son origine, il dédie souvent « Give Peace A Chance » à la mémoire de John. La marque demeure en affiche, mais la conduite scénique corrige par le récit ce que le libellé légal ne peut plier au cas par cas.
Cette pratique dit bien le cœur du sujet : la musique vit ailleurs que sur le papier. L’auditeur « sait » que « Blackbird » est une voix seule avec sa guitare, que « Give Peace A Chance » naît dans une chambre avec des amis et des microphones téméraires. Les crédits ont leur raison, mais ils ne dirigent pas l’émotion.
« Insensiblement simple » : les compliments croisés qui relativisent les querelles
On a souvent opposé un Lennon qui voudrait choquer et un McCartney qui voudrait plaire. La réalité est mouvante. John a célébré des morceaux de Paul qu’il jugeait irréprochables de forme. Paul n’a cessé d’admirer la franchise des textes de John. Dans ce jeu de miroirs, « Blackbird » et « Give Peace A Chance » s’éclairent l’une l’autre : une miniature poétique d’un côté, un slogan habité de l’autre. Deux formes qui paraissent simples parce qu’elles sont justes, et qui supportent d’autant mieux un rétablissement de crédit transparent.
Ce que révèle l’affaire des crédits : une éthique de la clarté
Il serait facile de lire, dans le « enlevez mon nom » de McCartney, un ressentiment tardif. On y lit plutôt une éthique de la clarté. Reconnaître l’auteur d’un texte lorsqu’il est imprimé seul ne défait pas la fraternité qui a produit des centaines de pages Lennon–McCartney. Laisser à John la propriété symbolique de « Give Peace A Chance » ne découpe pas l’hymne en parts plus petites ; cela rappelle qu’il est né d’un moment où Lennon porte la voix publique du couple.
Ajoutons que ces rectifications servent aussi la mémoire. Une génération qui découvre les Beatles aujourd’hui n’a plus le réflexe des étiquettes d’époque. Elle lit un livre, lance une playlist, parcourt un site. Pour elle, la transparence est un service : elle apprend plus vite qui a écrit quoi, pourquoi, comment. Et elle mesure mieux la valeur d’une alliance qui n’a pas besoin d’effacer les signatures individuelles pour exister.
Conclusion : un reniement ? Non, une mise au point
Revenons à la question : « la chanson de John Lennon que Paul McCartney renierait volontiers ». La réponse tient en une phrase : McCartney ne « renie » pas « Give Peace A Chance » ; il souhaite que cette chanson soit attribuée à son auteur, John Lennon, et, selon les éditions, Yoko Ono. En échange – le mot est trop commercial, disons : par symétrie –, il demande que « Blackbird », quand il est imprimé comme poème, porte son nom, puisque c’est son texte.
Entre marque et vérité, le pacte Lennon–McCartney continue de vivre. Et si l’on veut entendre ce que cette mise au point nous dit du fond, il suffit de remettre les deux titres sur la platine. « Give Peace A Chance » est la voix de John qui scande un choix de vie devant le monde. « Blackbird » est la voix de Paul qui chuchote une espérance à hauteur de main. Les noms sur la ligne de crédit n’enlèvent rien à ce que les chansons font à ceux qui les écoutent ; ils aident seulement à nommer juste ce que, au fond, on entend déjà.
Repères de contexte : de la marque à la mémoire, un fil chronologique
Pour mesurer combien ces ajustements s’inscrivent dans un temps long, rappelons quelques jalons. En 1969, « Give Peace A Chance » sort crédité « Lennon–McCartney » par usage et politique d’édition. Dans les années 1990–2000, nombre de rééditions alignent John Lennon seul au générique – certaines éditions indiquent également Yoko Ono selon la nature du support et les droits en cause. Au début des années 2000, Paul McCartney expérimente l’inversion de l’ordre des noms sur quelques sorties live avant de revenir au standard historique, tout en réaffirmant en interview la logique de transparence auteuriale pour des paroles publiées séparément. En 2017, la reconnaissance officielle de Yoko Ono comme co‑autrice d’« Imagine » entérine, sur un autre chant, la cohérence des crédits avec la réalité de la genèse.
Dans ce parcours, la phrase « enlevez mon nom » n’a rien d’une déclaration de guerre. C’est une note en marge, écrite par un compositeur qui protège autant la mémoire de son ami que la justesse des mots. Et si l’on doit lui trouver un sens ultime, il tient dans une éthique simple : dire vrai sur la paternité des chansons n’ôte rien à la fraternité qui les a faites.
