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L’album des Traveling Wilburys que George Harrison jugeait « le meilleur » : « plus intégré »

Publié le 14 août 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

En 1990, George Harrison retrouve Bob Dylan, Tom Petty et Jeff Lynne pour Traveling Wilburys Vol. 3, dédié à Roy Orbison. Harrison le considère comme « plus intégré » que le premier, saluant une cohésion musicale et humaine accrue. Plus nerveux, plus soudé, cet album capture la maturité d’un supergroupe légendaire.


À l’automne 1988, l’idée d’un « supergroupe » composé de George Harrison, Bob Dylan, Roy Orbison, Tom Petty et Jeff Lynne aurait pu paraître un fantasme de fan. Elle naît pourtant d’un hasard d’atelier : Harrison a besoin d’une face B pour prolonger le succès de « Cloud Nine », passe un coup de fil à Dylan, croise Petty, sollicite Lynne qui travaille avec Orbison… et, en une soirée à Malibu, le noyau de « Handle With Care » prend forme. Le morceau est jugé trop bon pour une simple face B ; il déclenche l’écriture d’un album complet, « Traveling Wilburys Vol. 1 », enregistré au pas de charge au printemps 1988. Les cinq prennent des pseudonymes fraternisés — Nelson, Otis, Lefty, Lucky, Charlie T. Jr. —, partagent les crédits, s’amusent à brouiller les ego derrière des lunettes noires. La magie opère : « Vol. 1 » s’impose dans les charts, décroche un GRAMMY, installe deux classiques immédiats, « Handle With Care » et « End of the Line », et redonne une visibilité mondiale à des artistes déjà légendaires.

L’euphorie est pourtant fauchée par la disparition de Roy Orbison, emporté le 6 décembre 1988. Les Traveling Wilburys perdent leur ténor et l’un de leurs cœurs. La fraternité, elle, demeure ; et c’est dans ce vide, avec la pudeur propre au groupe, que naît, deux ans plus tard, « Traveling Wilburys Vol. 3 ». Entre les deux disques, une question taraude les chroniqueurs : comment prolonger une alchimie née de l’imprévu ? La réponse de George Harrison sera nette : si « Vol. 1 » est l’étincelle, « Vol. 3 » est la flamme — « plus intégré », dira‑t‑il, plus soudé parce que le groupe a appris à respirer ensemble.

Sommaire

  • Pourquoi « Vol. 3 » selon Harrison ? Une affaire de cohésion
  • Un disque né d’un deuil, mais porté par le jeu
  • Le son « Vol. 3 » : plus sec, plus nerveux, plus « garage »
  • Les chansons‑phares : de « She’s My Baby » à « Wilbury Twist »
  • Le « meilleur » selon Harrison : l’argument de l’intégration
  • Dylan plus présent : un rééquilibrage assumé
  • « Vol. 3 » face à « Vol. 1 » : la fraîcheur contre la tenue
  • Le clin d’œil des titres : pourquoi « Vol. 3 » ?
  • Clips, vidéos, apparitions : une « danse » populaire
  • Accueil et postérité : une réussite moins spectaculaire, mais durable
  • Ce que « Vol. 3 » raconte de George Harrison
  • « She’s My Baby », Gary Moore et les invités : la bonne porte d’entrée
  • Une affaire de temps : pourquoi l’élan s’est dissipé
  • Verdict : le sourire de l’intégration

Pourquoi « Vol. 3 » selon Harrison ? Une affaire de cohésion

Lorsque George Harrison revient sur l’expérience Wilburys, il ne cache ni son attachement à la spontanéité du premier disque ni sa fierté plus profonde pour le second. Sa formule — « Je pense que, d’une certaine manière, c’est un disque plus solide. Il est plus intégré » — résume un sentiment partagé en studio à l’printemps 1990 : cette fois, l’écriture collective ne se contente pas de faire jaillir des étincelles, elle s’assemble. On entend des voix qui se placent mieux, une section rythmique qui respire avec Jim Keltner, des rôles qui se stabilisent sans se figer.

Le groupe reprend du service à Los Angeles puis à Friar Park, la maison‑studio de Harrison, sous la production « codée » de Spike et Clayton Wilbury — alias Harrison et Lynne. L’absence de Lefty (Orbison) ne donne pas lieu à une substitution ; elle reconfigure les échanges. Bob Dylan pousse davantage sa présence vocale, Tom Petty prend des ponts, Jeff Lynne assure des liaisons harmoniques et texturales, Harrison aligne des guitares et des chœurs à la fois discrets et décisifs. À l’écoute, la cohésion ne tient pas qu’à la bonne humeur : elle se traduit par des enchaînements souples, des refrains portés à plusieurs, des couplets qui se répondent.

Un disque né d’un deuil, mais porté par le jeu

Le deuil de Roy Orbison pèse évidemment sur la genèse de « Vol. 3 ». Le groupe lui dédie l’album et adopte de nouveaux aliasSpike pour Harrison, Clayton pour Lynne, Muddy pour Petty, Boo pour Dylan — comme pour marquer une période deux, différente sans être dénaturée. Plutôt que de compenser l’absence de la voix céleste de Lefty, les Wilburys misent sur la circulation des timbres. L’énergie dominante du disque est celle d’un atelier où l’on s’échange les guitares, où l’on dépose des riffs, où l’on essaie des harmonies, parfois en retenant une première idée quand elle a le bon sourire.

Cette sensation de jeu affleure dès « She’s My Baby », ouverture roborative où un invité inattendu, Gary Moore, cisaille le lead de sa guitare féroce. On y entend des strophes dites à tour de rôle, un couplet épais de claviers, des répliques de guitares, et une section qui pousse sans forcer. Plus loin, « Inside Out » fait office de charnière : le titre place Dylan juste devant, sur un texte mi‑goguenard, mi‑inquiet, Harrison et Petty en contre‑chants, Lynne à la colle harmonique. L’ensemble sonne moins « collection de morceaux » que bande qui pense ensemble le tempo, la dynamique, l’équilibre.

Le son « Vol. 3 » : plus sec, plus nerveux, plus « garage »

L’une des surprises de « Vol. 3 » tient à son grain. Là où « Vol. 1 » portait la rondeur lumineuse des productions Jeff Lynne de la fin des années 80, le second album préfère, par endroits, un son plus sec, presque garage, comme si la mise en scène s’effaçait au profit de la prise. « The Devil’s Been Busy » illustre bien ce basculement : un cadre bluesy, des réponses de guitares, un refrain collectif qui rit en coin, une ironie sociale portée par une bande qui n’a plus rien à prouver. « If You Belonged To Me » et « Where Were You Last Night » jouent, eux, sur des codes plus pop, mais conservent ce rebond rythmique qui refuse le lissé.

La main de Jeff Lynne reste présente — cette façon d’aérer les médiums, d’aligner des chœurs au millimètre, de tenir la basse en ligne claire —, mais elle se met au service d’un jeu plus collectif. Harrison n’érige pas ses guitares en signature soliste : il soude. Dylan ne déclare pas son autorité par un monologue : il donne le la. Petty se glisse entre les deux, fait tourner la mécanique sans travestir sa couleur.

Les chansons‑phares : de « She’s My Baby » à « Wilbury Twist »

Chaque auditeur aura son panier. Mais s’il faut prendre le pouls, quelques titres dessinent la physique de « Vol. 3 ». « She’s My Baby » ouvre le bal avec sa guitare de Gary Moore, une attaque franche et une écriture « Wilbury » jusqu’au bout des virgules : tout le monde chante, tout le monde mime le sourire. « Inside Out » impose un aller‑retour mélodique qui sert de colonne à l’album ; « The Devil’s Been Busy » en donne la clef ironique. « New Blue Moon », plus flottant, assume une nonchalance qui, selon les oreilles, séduira ou frustrera. « You Took My Breath Away » retient le souffle, « Poor House » fait gronder le boogie. Et « Wilbury Twist » clôt le disque par une pirouette qui condense l’esprit du groupe : pas besoin de grand geste quand on a le mouv’.

Autour de ces axes, le disque s’autorise des clins d’œil. Un délire rockabilly par‑ci, une sarabande doo‑wop par‑là, des incises de saxophones et des chœurs à la papa qui, mis bout à bout, racontent une amitié. On n’y traque ni la virtuosité pour elle‑même ni la confession à nu : l’objectif est de jouer, bien et vite, et d’arrêter quand la prise a le bon grain.

Le « meilleur » selon Harrison : l’argument de l’intégration

Qu’entend George Harrison par « plus intégré » ? Dans sa bouche, le terme renvoie à trois niveaux. D’abord, l’intégration humaine : après le choc de la disparition de Lefty, le noyau trouve une maniére d’être quatre sans se démentir. Ensuite, l’intégration musicale : les voix se couchent mieux les unes sur les autres, les écritures se reconnaissent de loin et s’emboîtent sans friction. Enfin, l’intégration sonore : la production sert moins à signer qu’à assembler — un son global qui fait tenir la diversité des miniatures.

À rebours des lectures qui voudraient faire de « Vol. 3 » un disque mineur parce qu’il n’a pas le récit romanesque du premier, Harrison défend donc un critère plus sobre : la qualité d’un groupe se mesure aussi à sa capacité d’intégration. De ce point de vue, « Vol. 3 » a quelque chose d’exemplaire : on y entend quatre immenses tempéraments trouver une ligne commune sans renier leurs grains propres.

Dylan plus présent : un rééquilibrage assumé

La réception de « Vol. 3 » a souvent insisté sur la plus grande visibilité de Bob Dylan. C’est vrai, et c’est logique. Dans l’équation à quatre, sa tessiture, sa diction, sa manière de porter un couplet et de lacer une métaphore forment une colonne. Des titres comme « If You Belonged To Me » ou « 7 Deadly Sins » en jouent à plein, sans écraser pour autant les couleurs de Petty ou de Harrison. Ce rééquilibrage ne signe pas une prise de pouvoir ; il répond à l’économie interne d’un groupe qui a perdu sa voix la plus aérienne et qui renforce en retour sa charpente médiane.

Dans ce cadre, la présence texturante de Jeff Lynne est déterminante. On la reconnaît sans peine — un choix de réverbération, un placement de basse, une écriture de chœurs —, mais elle ne prime pas sur le partage. Lynne joue Wilbury, pas producteur‑auteur ; et c’est ce qui permet aux quatre de sonner comme un groupe qui a, justement, intégré ses différences.

« Vol. 3 » face à « Vol. 1 » : la fraîcheur contre la tenue

Comparer « Vol. 1 » et « Vol. 3 » revient à mettre en balance deux vertus. Le premier est une explosion de fraîcheur : tout surprend, tout semble possible, et le simple fait d’entendre ces voix s’entrelacer suffit à fournir son ivresse. Le second privilégie la tenue : il arrange les pièces, resserre les jeux, évite le gadget et assume des morceaux mineurs à côté de pièces plus inspirées.

Au classement, « Vol. 1 » restera le phare. Dans la mémoire, « Vol. 3 » gagne à l’écoute longue : il vieillit bien parce qu’il n’épuise rien, qu’il refuse les effets qui datent, et qu’il préserve la dynamique d’un groupe heureux d’être là. C’est ce critère — la tenue — qui explique, sans doute, pourquoi Harrison le préférait.

Le clin d’œil des titres : pourquoi « Vol. 3 » ?

L’humour Wilbury aime les routes qui bifurquent. Intituler le deuxième album « Vol. 3 » revient à déjouer les attentes, à sourire aux collectionneurs, à déplacer la chronologie comme on déplace une rime. Le gag a été attribué à Harrison : mieux qu’un canular, c’est une déclaration d’esprit. Les Wilburys ne sont ni une marque ni un concept lourd ; ils sont une amitié qui s’invente ses propres règles.

Ce clin d’œil s’incarne jusque dans les pseudonymes. Aux Nelson, Otis, Lefty, Lucky, Charlie T. Jr. de 1988 succèdent Spike, Clayton, Muddy, Boo. Le message est transparent : la famille demeure, le casting a changé, la blague continue.

Clips, vidéos, apparitions : une « danse » populaire

La vie de « Vol. 3 » se joue aussi en images. Le clip « Wilbury Twist » déploie une galerie d’invités improbable — John Candy, Whoopi Goldberg, Woody Harrelson, Eric Idle, Milli Vanilli, Cheech Marin, des visages de la télévision et du cinéma de la fin des années 80. On y voit les Wilburys faire la démonstration d’un pas volontairement désuet, presque parodique, qui résume l’autodérision du projet. « Inside Out » reçoit, lui, un clip de scène sobre où l’on perçoit la cohésion du groupe sans effets de montage flamboyants.

Ces images n’ont pas propulsé le disque comme l’avaient fait « Handle With Care » ou « End of the Line ». Mais elles ont fixé un imaginaire — celui d’une bande qui, à contre‑courant d’un rock gravement ambitieux, revendique le jeu comme programme esthétique.

Accueil et postérité : une réussite moins spectaculaire, mais durable

Sur le plan commercial, « Vol. 3 » ne répète pas le coup du premier disque. Il grimpe haut — Top 15 au Royaume‑Uni, Top 15 aux États‑Unis, Top 10 dans plusieurs pays —, mais laisse moins de traces dans les classements de singles. La réception critique note un album plus rapide, plus taquin, parfois plus rugueux. Les fans, eux, se divisent entre celles et ceux qui regrettent l’éclat de Lefty et celles et ceux qui saluent le réflexe du groupe : jouer d’abord, pleurer ensuite, mais jouer quand même.

La postérité validera cet équilibre. En 2007, la réédition remasterisée en coffret, « The Traveling Wilburys Collection », remet les deux albums sur le devant de la scène, DVD et bonus à l’appui, et grimpe en tête des charts britanniques. À l’écoute, « Vol. 3 » apparaît comme un chaînon solide, ni épilogue mineur, ni appendice anecdotique, mais comme un album cohérent qui assume sa fonction : documenter une saison d’une amitié musicale.

Ce que « Vol. 3 » raconte de George Harrison

Si l’on regarde « Vol. 3 » « par George », on y lit une philosophie. Harrison ne cherche ni à dominer ni à s’effacer. Il règle des balances, fait sonner des guitares, place des contre‑chants, dépose des accords de douze cordes qui collent la bande. Il entend la musique comme une communauté d’écoutes. Son jugement — « plus intégré » — n’est pas qu’un avis de producteur ; c’est l’éthique d’un homme qui, depuis les Beatles, sait que la pop peut être une addition plutôt qu’une compétition.

Dans « Vol. 3 », Harrison retrouve aussi une joie de jouer qui court de « Cloud Nine » à ses collaborations avec Lynne. L’humour, la copinerie, les clins d’œil au rockabilly de ses jeunes années, l’écriture partagée : tout cela dessine une éthique du travail qui privilégie l’impulsion à la démonstration. Le disque montre un musicien au service d’un son collectif — et c’est peut‑être la raison profonde pour laquelle il s’y reconnaissait davantage.

« She’s My Baby », Gary Moore et les invités : la bonne porte d’entrée

Dans la mémoire, « She’s My Baby » fait souvent office de clé d’entrée. On y entend Gary Moore, figure hard‑blues britannique, venir tracer des lignes de guitare qui arment le morceau sans le dévier de sa légèreté. L’invitation dit la liberté de l’atelier : les Wilburys ne sont pas un club fermé. Ils ajoutent des pièces quand cela sert le mouvement, sans graver l’invité au centre du tableau.

La section « Inside Out »/« If You Belonged To Me »/« The Devil’s Been Busy » montre l’autre versant : des chansons taillées pour l’échange des voix, une rythmique qui préfère le rebond à la lourdeur, une écriture qui ne cherche pas l’effet mais la tenue. Même les pièces plus mineures« New Blue Moon » par exemple — participent de cette palette en pastel qui achève de désigner l’album pour ce qu’il est : une collection cohérente plutôt qu’un best‑of de solistes.

Une affaire de temps : pourquoi l’élan s’est dissipé

Le seul reproche structurel adressé à « Vol. 3 » tient moins à la musique qu’à la logistique. À peine le disque sorti, chacun des quatre reprend sa route. Tom Petty prépare « Wildflowers », Bob Dylan repart en tournée, Jeff Lynne enchaîne les productions, George Harrison protège ses jardins. Le projet ne reçoit pas le temps de mûrir sur scène ou en promo longue. Dans un marché déjà saturé par les retours de gloire, la courbe d’élan n’a pas la durée qui avait porté « Vol. 1 ».

Ce contexte n’enlève rien à la matière du disque. Il explique, en revanche, la perception rétrospective : « Vol. 3 » reste, pour beaucoup, un plaisir à redécouvrir plus qu’un souvenir de l’époque. C’est un album qui gagne à être réécouté, précisément parce qu’il refuse les coups de force et préfère la tenue — ce mot qui revient, parce qu’il est au cœur de l’idée d’« intégration » chez Harrison.

Verdict : le sourire de l’intégration

Dans l’histoire des Traveling Wilburys, « Vol. 1 » et « Vol. 3 » ne s’opposent pas ; ils se complètent. Le premier grave l’émerveillement, le second capture la maturité. Si George Harrison a pu préférer « Vol. 3 », c’est parce qu’il y entendait ce qu’il recherchait depuis toujours : une musique de groupe où chacun ajoute sans éclipser, où l’amitié fabrique de la forme, où la sim- plicité apparente cache une discipline d’atelier. « Plus intégré » : la formule est simple, le programme immense.

Revenu à l’oreille, l’album confirme cette intuition. « Vol. 3 » n’est pas un sommet tape‑à‑l’œil ; c’est une ligne tenue, une conversation musicale où des géants acceptent de sonner comme un groupe. À l’heure où l’on confond souvent la virtuosité avec la densité, ce sourire Wilbury vaut leçon. Et il explique pourquoi, au moment de trancher, George Harrison a désigné ce disque comme le meilleur : non parce qu’il crie plus fort, mais parce qu’il tient mieux ensemble.


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