Le coffret « Power To The People (Super Deluxe Edition) », disponible le 10 octobre 2025, explore la période militante de John Lennon et Yoko Ono entre 1969 et 1972. Sur 12 disques et avec 90 inédits, il retrace leur engagement artistique et politique à New York, entre concerts, happenings, et enregistrements intimes. Supervision de Sean Ono Lennon, remixes soignés, documents rares et un livre de 204 pages renforcent l’immersion dans cette phase essentielle et controversée du duo.
Annoncé pour le 10 octobre 2025, le coffret « Power To The People (Super Deluxe Edition) » réunit, sur 12 disques — 9 CD et 3 Blu‑ray — 123 titres dont 90 inédits ou jamais entendus dans ces versions. Pensé comme une plongée exhaustive dans les années 1969‑1972, ce projet éclaire la dimension politique et artistique du partenariat entre John Lennon et Yoko Ono à New York, au moment où le couple transforme son engagement pour la paix en œuvre musicale. Un livre relié de 204 pages, conçu et édité par Simon Hilton, propose une histoire orale des enregistrements et replace chaque piste dans son contexte, au croisement de la création, des happenings et des urgences du moment.
Le coffret a été supervisé par Sean Ono Lennon — lauréat d’un GRAMMY 2025 avec Simon Hilton pour le design du coffret « Mind Games – The Ultimate Collection » —, avec le concours de l’ingénieur‑mixeur Paul Hicks et du spécialiste de la restauration Sam Gannon. Les maîtres mots : archives dépoussiérées, mixages contemporains respectueux des sources, et une vision curatoriale qui relie les chansons, les concerts et les prises domestiques à l’idéalisme d’un couple sous surveillance mais déterminé à faire de la musique un vecteur d’action.
Sommaire
- Ce que contient « Power To The People » : un triptyque studio, scène et intimité
- De « Give Peace A Chance » au « Bed‑In » : quand le geste politique devient chanson
- New York, 1971 : Elephant’s Memory et l’énergie de la rue
- « Sometime In New York City » : polémique d’hier, relecture d’aujourd’hui
- Les One To One Concerts : un sommet scénique enfin restitué
- De Zappa à David Peel : les « Live Jam » en haute définition
- Les bandes maison du St. Regis : Lennon au chevet de ses racines
- Un livre de 204 pages : l’histoire orale comme colonne vertébrale
- Une équipe aguerrie : Sean Ono Lennon, Paul Hicks, Simon Hilton, Sam Gannon
- Le hors‑champ politique : l’ombre du FBI et la bataille de l’immigration
- Un coffret pensé pour l’écoute moderne, sans renier la rugosité
- Un lien naturel avec le film « One To One: John & Yoko »
- Ce que ce coffret change dans la compréhension de Lennon et d’Ono
- Détails éditoriaux et formats : une offre ample et lisible
- Une écoute recommandée : par où commencer ?
- Une musique pour aujourd’hui
- Repères chronologiques : du St. Regis à Madison Square Garden
- Comparaisons et filiations : où placer « Power To The People » dans la galaxie des coffrets Lennon ?
- Technique et prises de son : ce que révèlent les nouveaux mixages
- Héritage et débats : la réception critique, alors et maintenant
Ce que contient « Power To The People » : un triptyque studio, scène et intimité
La matière du coffret se structure autour de trois axes complémentaires. D’abord, une nouvelle exploration de l’album « Sometime In New York City » — publié en 1972 et ici remixé de fond en comble — replace les chansons déclenchées par l’actualité de l’époque : « Attica State », « Angela », « Sunday Bloody Sunday », « The Luck of the Irish », « John Sinclair », mais aussi « We’re All Water » ou « Sisters, O Sisters ». Ensuite, la scène : les One To One Concerts du 30 août 1972 au Madison Square Garden — deux prestations, après‑midi et soirée —, qui restent les seuls concerts intégralement donnés par Lennon après les Beatles et la dernière apparition conjointe de John et Yoko. Enfin, l’intime : des démos, maquettes domestiques, jam‑sessions et enregistrements maison captés notamment à l’hôtel St. Regis à l’automne 1971, quand Lennon rejoue, pour le plaisir et la mémoire, des classiques des Everly Brothers, de Buddy Holly ou d’Eddie Cochran.
Au fil des disques, on croise également les sessions live avec Frank Zappa & The Mothers au Fillmore East en juin 1971, l’apparition avec David Peel & The Lower East Side, la participation au John Sinclair Freedom Rally en décembre 1971 à Ann Arbor, le benefit de l’Apollo Theater pour les familles des victimes d’Attica, l’intervention télévisée dans The David Frost Show, ou encore le passage au Jerry Lewis Telethon en septembre 1972. L’ensemble donne corps à une cartographie très précise du réseau militant de John & Yoko et de la manière dont ces artistes mêlent performance, manifestes et enregistrements.
De « Give Peace A Chance » au « Bed‑In » : quand le geste politique devient chanson
En 1969, au cœur du Bed‑In de Montréal, John Lennon et Yoko Ono enregistrent « Give Peace A Chance » sous l’étendard du Plastic Ono Band. Cette pièce‑manifeste, reprise dans le coffret, marque la première pierre d’un art qui ne se contente plus d’illustrer des idées mais agit dans l’espace public. À l’époque, la guerre du Vietnam ravive partout des résistances, et la chanson devient un chant de ralliement entonné lors des marches et meetings. À partir de 1971, le mot d’ordre « War Is Over! (If You Want It) » envahit les panneaux d’affichage et la presse — un art total mêlant slogan, happening et mélodie.
Cette dynamique va se déplacer à New York, où le couple s’installe à la fin de l’été 1971. Dans Greenwich Village, ils se mêlent à l’underground politique et artistico‑musical : happenings improvisés, collaborations avec David Peel, participation à des rassemblements et causes très identifiés. C’est dans ce bain que se fabriquent les morceaux et que se rencontre l’orchestre qui va compter pour cette période : Elephant’s Memory.
New York, 1971 : Elephant’s Memory et l’énergie de la rue
Le groupe Elephant’s Memory — Stan Bronstein, Gary Van Scyoc, Adam Ippolito, Wayne « Tex » Gabriel, John Ward, Rick Frank —, rejoint par le batteur Jim Keltner, porte sur scène et en studio une électricité urbaine qui colle à l’esthétique de « Sometime In New York City ». Musiciens de Greenwich Village, nourris de soul, de rock psychédélique et de free, ils offrent à Lennon et Ono une section rythmique et des textures plus rugueuses que celles de l’Angleterre. Le coffret restitue cette matière sonore : on y entend les répétitions, les prises alternatives et les jams où l’ADN fifties de Lennon se frotte aux slogans et aux pamphlets des années 70.
Au passage, Elephant’s Memory n’est pas le seul prolongement de cette effervescence. On retrouve Frank Zappa au Fillmore East pour un dialogue improbable entre le Plastic Ono Band et les Mothers. On retrouve aussi David Peel, figure du folk‑agit‑prop new‑yorkais, croisé dans Washington Square Park, dont l’énergie brute influence temporairement l’écriture de John & Yoko. Ces liaisons expliquent l’hétérogénéité revendiquée d’un corpus où cohabitent rock and roll, expérimentation, parole militante et clin d’œil dada.
« Sometime In New York City » : polémique d’hier, relecture d’aujourd’hui
À sa sortie en 1972, « Sometime In New York City » choque une partie de la critique et du public. Conçu graphiquement comme un journal qui met en une les luttes du moment — d’Attica à l’Irlande du Nord, d’Angela Davis au féminisme —, l’album est accusé de simplisme et de didactisme. Le single « Woman Is The N*** Of The World »** — au titre violent emprunté à une formule de Yoko Ono pour dénoncer la hiérarchie de sexe — suscite la controverse et réduit l’exposition radio de John aux États‑Unis. Pour autant, c’est un disque clé : il documente un tournant où Lennon choisit de s’aligner sur des causes plutôt que de cultiver exclusivement son aura de star.
Le remix et l’ingénierie récents révèlent l’arrangement, les guitares et les chœurs avec une définition nouvelle, sans dénaturer l’objet. Les sections « Evolution Documentary » embarquées sur le coffret offrent un pas à pas des chansons, des premières esquisses aux matrices finales. On y capte un couple qui trie, amincit et renforce ses textes au gré de l’actualité, mais aussi un Lennon qui réaffirme sa dette au rhythm and blues et aux standards des années 50.
Les One To One Concerts : un sommet scénique enfin restitué
Le 30 août 1972, John Lennon et Yoko Ono, flanqués d’Elephant’s Memory, montent deux fois sur la scène du Madison Square Garden pour des concerts caritatifs en faveur de la Willowbrook State School à l’invitation du journaliste Geraldo Rivera. Cet événement, déclaré « One To One Day » par le maire John Lindsay, a déjà fait l’objet d’un album et d’une vidéo en 1986 (« Live In New York City »). Mais « Power To The People » propose une restitution inédite : mixages revus, équilibres retravaillés, et un sens du spectacle live renforcé par une dynamique plus fidèle à la salle.
Au programme, un panorama qui embrasse les grands repères de Lennon : « Instant Karma! (We All Shine On) », « Mother », « Imagine », « Cold Turkey », « Come Together » relu en frontale avec Elephant’s Memory, « Hound Dog » en clin d’œil à Elvis, et un chant collectif sur « Give Peace A Chance ». Les interventions de Yoko Ono — « Open Your Box », « Don’t Worry Kyoko (Mummy’s Only Looking For A Hand In The Snow) », « We’re All Water », « Born In A Prison » —, replacées avec clarté dans la narration, éclairent la part performative et féministe du programme.
Le coffret juxtapose un montage hybride dit « best of show » et, pour les complétistes, les intégrales de l’après‑midi et du soir, afin que l’on mesure les variations d’interprétation, la respiration de John entre gravité et humour, et l’interaction vive avec le public new‑yorkais. Le traitement audio assume une part de « movie magic » — selon Sean Ono Lennon — pour concilier rugosité scénique et lisibilité moderne.
De Zappa à David Peel : les « Live Jam » en haute définition
Au cœur du coffret, deux volets « Live Jam » revisitent des moments parfois connus mais rarement rassemblés avec une telle cohérence. On y retrouve, à Londres en décembre 1969, le Plastic Ono Band jouant « Cold Turkey » et « Don’t Worry Kyoko » pour l’UNICEF. On y entend, en juin 1971, le dialogue avec Frank Zappa & The Mothers au Fillmore East — un épisode longtemps discuté, ici présenté avec des mixages qui remettent en perspective la matière improvisée. Et l’on bascule dans l’Amérique agitée de décembre 1971 avec le John Sinclair Freedom Rally à Ann Arbor, l’apparition à l’Apollo Theater pour Attica, et l’incrustation télévisée chez David Frost.
Ce regard rétrospectif sur les jams n’a rien du fourre‑tout : il montre comment Lennon et Ono s’adossent à des communautés — mouvements étudiants, milieux artistiques, médias — pour déployer un répertoire où la chanson s’éprouve comme outil d’éducation populaire.
Les bandes maison du St. Regis : Lennon au chevet de ses racines
L’autre révélation pour les fans tient dans le CD « Home Jam » dédié aux enregistrements domestiques. En septembre et octobre 1971, John Lennon s’installe face au magnétophone et enchaîne covers et esquisses : « Wake Up Little Susie », « Peggy Sue », « Slippin’ And Slidin’ », « Mailman, Bring Me No More Blues », « Rave On! »… On entend l’amusement, la fragilité des prises, et, parfois, le grain d’une voix qui cherche le timing idéal. Ces moments volés donnent à « Power To The People » sa dimension la plus humaine : derrière le héraut des slogans, un amoureux du rock and roll qui se ressource dans les standards.
Un livre de 204 pages : l’histoire orale comme colonne vertébrale
Le livre relié conçu par Simon Hilton ne s’ajoute pas en simple bonus. Sa construction par témoignages — musiciens, techniciens, témoins, amis — sert de fil narratif pour l’ensemble du coffret. Il documente l’esthétique visuelle du couple, la communication autour des slogans « Peace Is Power » ou « Power To The People », et replace la New York des années 70 comme personnage principal : de Greenwich Village à Madison Square Garden, en passant par les studios du Record Plant, on comprend comment ville, médias et militantisme s’emmêlent pour devenir musique.
Une équipe aguerrie : Sean Ono Lennon, Paul Hicks, Simon Hilton, Sam Gannon
Le son et l’image de ce coffret portent la signature d’une équipe rodée par les grands chantiers récents du catalogue Lennon. Sean Ono Lennon endosse le rôle de producteur et directeur créatif, exigeant sur les choix artistiques comme sur l’expérience d’écoute globale. Paul Hicks, triple lauréat des GRAMMY, prolonge son travail initié sur « Imagine – The Ultimate Collection », « Plastic Ono Band – The Ultimate Collection » et « Mind Games – The Ultimate Collection », avec des mixages détaillés et aérés. Sam Gannon pilote des restaurations audio qui décrassent les bandes sans polir à l’excès, et Simon Hilton orchestre l’éditorial comme le design, dans une continuité esthétique désormais reconnaissable.
Cette constance se voit d’ailleurs récompensée : le coffret « Mind Games » a décroché, en 2025, le GRAMMY du « Best Boxed or Special Limited Edition Package », preuve que la vision curatoriale de la maison John Lennon a su convaincre autant les fans que les professionnels.
Le hors‑champ politique : l’ombre du FBI et la bataille de l’immigration
Revenir sur les années 1971‑1972, c’est aussi rappeler la pression politique qui s’exerce sur le couple. John Lennon et Yoko Ono, installés à New York en août 1971, s’immergent dans les mouvements anti‑guerre et les réseaux radicaux. Leur visibilité attire l’attention de l’administration Nixon et du FBI, qui surveille, archive et instrumentalise une tentative de déportation contre John, fondée sur une ancienne condamnation pour possession de cannabis en 1968 à Londres. La résistance juridique menée par l’avocat Leon Wildes aboutira, en 1975, à une victoire qui permettra à Lennon de rester aux États‑Unis.
Si « Power To The People » demeure un objet musical, il résonne avec cette trame politique : on saisit mieux pourquoi la voix de Lennon se fait tour à tour pédagogique, sarcastique ou martiale, et comment la performance d’Ono — chants, cris, mantras — pousse l’auditoire hors des formats rassurants pour l’emmener sur un terrain de conscience.
Un coffret pensé pour l’écoute moderne, sans renier la rugosité
Le défi d’un tel projet est double : respecter la rugosité des sources — lives nerveux, prises rapides, improvisations — et garantir une lisibilité qui parle à l’oreille d’aujourd’hui. Les Blu‑ray livrent des mixages haute définition et des montages destinés à restituer la dynamique des salles et l’espace des instruments. Les CD rassemblent, de manière cohérente, l’intégralité des concerts et des sessions, tout en proposant des synthèses pour celles et ceux qui voudraient survoler la matière avant de plonger.
La philosophie demeure la même que sur les grands coffrets Lennon de ces dernières années : ouvrir les coulisses, montrer l’atelier, entendre les hésitations comme les éclairs. C’est une pédagogie de la création qui convient bien à cette période combattante : on comprend comment naît une chanson‑tract, comment elle évolue entre démo, répétition, pratique scénique et débat public.
Un lien naturel avec le film « One To One: John & Yoko »
Le calendrier n’est pas anodin. Après la sortie, au printemps 2025, du documentaire « One To One: John & Yoko » de Kevin Macdonald, qui revisite l’installation du couple à Greenwich Village et culmine avec les One To One Concerts au Madison Square Garden, le coffret « Power To The People » apporte la matière sonore que le film convoque en images. On y retrouve l’énergie des concerts, le foisonnement des réseaux new‑yorkais, et le travail de restauration et de remixage piloté par Sean Ono Lennon. Le dialogue film/coffret ancre définitivement cette période comme un moment charnière de la carrière solo de John et du parcours artistique de Yoko.
Ce que ce coffret change dans la compréhension de Lennon et d’Ono
Pour les fans des Beatles et de leurs carrières solo, « Power To The People » a deux vertus. D’abord, il corrige une distorsion : parce qu’elle fut clivante, la période politique de John & Yoko a parfois été réduite à la polémique, sans qu’on écoute vraiment la musique. Or, les inédits et les nouvelles versions révèlent des trouvailles d’écriture, une rithmique souvent inventive, des surprises harmoniques et un chant de Lennon à la fois ferme et vulnérable. Ensuite, il replace Yoko Ono au cœur du dispositif : ses morceaux, ses textes, ses interventions rythment la dramaturgie des concerts et forment, avec les titres de John, un diptyque cohérent — féminisme, pacifisme, libertés civiles.
On mesure aussi la cohésion d’un Plastic Ono Band élargi. Elephant’s Memory n’est pas qu’un backing‑band : c’est un personnage musical qui répond à la ville, un corps sonore qui permet à John d’accepter la rugosité de l’époque tout en gardant son sens de la mélodie. Les séquences avec Zappa ou Peel montrent enfin la porosité d’un Lennon prêt à sortir de sa zone de confort et à frayer avec l’improvisation, l’ironie ou l’absurde.
Détails éditoriaux et formats : une offre ample et lisible
Au‑delà du Super Deluxe 12‑disques, « Power To The People » se décline en éditions vinyles et CD plus compactes, afin d’offrir plusieurs portes d’entrée. Le noyau porte toujours la même promesse : une chronologie claire allant de décembre 1969 à août 1972, les One To One Concerts en intégralité, la relecture de « Sometime In New York City » et un choix d’archives qui racontent New York à hauteur d’artiste. L’iconographie — affiches, flyers, coupures de presse, documents de travail — donne au livre une valeur documentaire propre, utile aux chercheurs, journalistes et historiens de la culture.
Une écoute recommandée : par où commencer ?
Pour celles et ceux qui découvriront cette période, un parcours s’esquisse naturellement. Plonger d’abord dans le montage hybride du concert pour retrouver la voix scénique de Lennon et entraîner l’oreille aux pièces d’Ono. Enchaîner avec le remix de « Sometime In New York City » pour refermer le dossier « studio ». Puis garder un moment à part pour le CD « Home Jam » du St. Regis, qui humanise tout : on comprend alors comment le fan des années 50 se mue en acteur des années 70. Enfin, revenir aux « Live Jam » pour saisir la circulation constante entre concert, meeting et happening.
Une musique pour aujourd’hui
En 2025, l’envoi de slogans pourrait sembler anachronique. Pourtant, écouter « Power To The People » rappelle que la chanson reste un médium d’énergie collective, qu’elle peut transmettre des idées et rassembler des audiences sans perdre sa force musicale. Chez Lennon, l’impératif politique n’étouffe pas la mélodie ; chez Ono, l’expérimentation n’empêche pas l’émotion. C’est dans cette tension que le coffret puise sa modernité : une œuvre‑monde où l’on peut entrer par la guitare crue d’« Cold Turkey », par les mantras d’Ono, par l’émotion collective de « Give Peace A Chance », ou par la relecture patiente des archives.
Au‑delà de l’actualité des titres, la portée du coffret tient à son architecture. Les « Elements Mixes » — ces montages qui isolent voix, batteries, cordes ou claviers — permettent d’entendre autrement des chansons parfois saturées d’informations. Les « Evolution Documentary », déjà prisés sur les précédents coffrets, offrent une pédagogie de l’écriture : on suit l’embryon d’une idée, la première ligne, l’affûtage du couplet, les essais de tempos et d’arrangements. Pour l’auditeur ou l’auditrice d’aujourd’hui, habitué·e aux podcasts et aux formats longs, cette mise à nu de la fabrique de la chanson est une valeur ajoutée majeure.
On y lit aussi la gratitude d’un fils. Sean Ono Lennon le dit dans le livret : découvrir des fragments inédits de son père — une blague, un compte à rebours, une consigne glissée au talk‑back —, c’est comme gagner du temps. Cette dimension intime irrigue l’ensemble sans jamais confisquer le récit. Elle rappelle que l’héritage Lennon/Ono n’est pas un musée, mais un chantier vivant où se croisent devoir de mémoire, exigence artistique et transmission.
Repères chronologiques : du St. Regis à Madison Square Garden
Pour mieux saisir le périmètre exact du coffret, quelques jalons. Septembre 1971 : arrivée à New York, installation à l’hôtel St. Regis puis à Greenwich Village. Décembre 1971 : déplacement à Ann Arbor pour le John Sinclair Freedom Rally, puis Apollo Theater et David Frost à New York, avec une série de prises live et télévisées. Juin 1971 avait vu la rencontre avec Frank Zappa au Fillmore East — un témoin inclus ici dans une version rééclairée. Août 1972 : apothéose scénique avec les deux One To One Concerts au Madison Square Garden. Septembre 1972 : apparition au Jerry Lewis Telethon. 1972 est aussi l’année de « Sometime In New York City », dont le remix redonne aujourd’hui ampleur et lisibilité.
L’implication de la ville est constante. New York fonctionne comme une banque de sons et d’images : sirènes, cafés, radios, plateaux télé, manifestations. Dans ce bruit fertile, Lennon et Ono cherchent un cadre. Les jams et les reprises captées au St. Regis documentent cette reconstruction par le jeu : on revient aux fondamentaux pour mieux écrire le présent.
Comparaisons et filiations : où placer « Power To The People » dans la galaxie des coffrets Lennon ?
Depuis « Gimme Some Truth. The Ultimate Mixes » en 2020, puis « Plastic Ono Band – The Ultimate Collection » en 2021 et « Mind Games – The Ultimate Collection » en 2024/2025, les projets Lennon ont adopté un format éditorial qui associe rigueur musicologique et générosité. « Power To The People » s’y rattache par sa méthode — restauration méticuleuse, mixages aérés, documentation abondante — mais s’en démarque par son angle : au lieu de célébrer un album précis, il cerne une période, un territoire et une éthique. C’est un portrait de l’artiste en citoyen — et de la citoyenne‑artiste Ono — plutôt qu’un monument discographique isolé.
On notera aussi l’attention portée aux liaisons. L’axe Elephant’s Memory/Record Plant/Greenwich Village, les télévisions et les benefits, la compagnonnage avec Zappa, les connexions avec l’avant‑garde et la street‑culture : tout circulera ici. Pour l’historien comme pour l’auditeur, cette cartographie servira dans la durée, au‑delà même du plaisir d’écoute.
Technique et prises de son : ce que révèlent les nouveaux mixages
Sans dévoiler les procédés, on perçoit la philosophie acoustique : préserver l’attaque des batteries, clarifier les basses, désenchevêtrer guitares et claviers, aérer les chœurs, redonner de la profondeur au champ stéréo. Les prises live gagnent en présence, les voix de John et Yoko sont replacées au centre sans gommer les accidents qui font la vérité d’un concert. Les archives télé et les captations d’époque s’intègrent avec une cohérence sonore qui rend l’écoute fluide malgré la diversité des sources.
Héritage et débats : la réception critique, alors et maintenant
On se souvient des réceptions abrasives essuyées par « Sometime In New York City » en 1972. Cinquante ans plus tard, l’écoute comparée — entre originaux, remix et éléments isolés — permet une réévaluation. Les arrangements d’« Angela » ou « The Luck of the Irish », la pulsion d’« Attica State », l’éloquence de « John Sinclair » gagnent en intelligibilité. Côté scène, la voix de Yoko, longtemps caricaturée, apparaît pour ce qu’elle est : un vecteur d’urgence et de liberté, un instrument à part entière qui tire le groupe vers des zones moins convenues.
Avec « Power To The People (Super Deluxe Edition) », la période new‑yorkaise de John Lennon et Yoko Ono gagne un panorama à sa mesure : ample, contradictoire, vibrant. Le coffret ne cherche pas à lisser le passé ; il assume les aspérités, les mises en cause, les élans parfois naïfs et souvent courageux d’un couple qui a voulu vivre et créer à la première personne du pluriel. Pour le public francophone, c’est une porte d’accès idéale : on y trouve de quoi réécouter l’évidence des classiques, redécouvrir des recoins méconnus, et repenser la place de la musique dans la cité.
Rendez‑vous le 10 octobre 2025 : qu’on soit collectionneur, historien du rock, curieux de l’avant‑garde ou simple auditeur, ce coffret a tous les atouts pour devenir une référence dans la discographie solo de John Lennon et dans l’œuvre de Yoko Ono — un chapitre à part entière de l’histoire de la musique populaire du XXe siècle dont les échos continuent, aujourd’hui, de résonner.
