En 1968, Lennon avoue n’avoir pas encore égalé ses modèles du rock : Elvis, Little Richard, Gene Vincent… Un aveu révélateur de ses influences, entre hommage et transformation. Cet article explore la quête esthétique de Lennon, de la Cavern aux studios d’Abbey Road.
Avec Paul McCartney, John Lennon a propulsé les Beatles bien au‑delà du simple groupe de reprises de rhythm and blues qu’ils furent à leurs débuts. Des hits au romantisme direct à la flamboyance du rock psychédélique, leur trajectoire a coloré l’horizon gris de l’après‑guerre britannique. Et pourtant, en 1968, à l’heure où le monde les tient déjà pour des révolutionnaires, Lennon avoue qu’il n’a pas encore gravé une chanson qui lui procure le même sentiment de perfection que certains de ses héros américains : « Some Other Guy » de Richie Barrett, « Be‑Bop‑A‑Lula » de Gene Vincent, « Heartbreak Hotel » d’Elvis Presley, « Good Golly, Miss Molly » de Little Richard et « Whole Lot of Shakin’ Going On » de Jerry Lee Lewis. Loin de la fausse modestie, cette confession trace une carte : celle des sources qui ont nourri Lennon et qu’il n’a cessé de poursuivre.
Sommaire
- Avant les Beatles : le temps du skiffle, des Quarrymen et des premières idoles
- Le choc Little Richard : la clameur qui bouscule les allégeances
- Jerry Lee Lewis : la tornade du boogie‑woogie et la contagion du piano
- Gene Vincent : l’ombre aristocratique du rockabilly
- Richie Barrett et « Some Other Guy » : l’obsession Cavern
- Du copier‑aimer au transfigurer : comment Lennon a digéré ses influences
- « Heartbreak Hotel » : l’esthétique du vide et l’obsession de la présence
- « Good Golly, Miss Molly » et la dialectique Lennon/McCartney
- « Some Other Guy » : pourquoi Lennon le cite, encore et encore
- Les années 1966‑1969 : de « Revolver » à « Abbey Road », la poursuite de l’intensité
- Après les Beatles : l’hommage assumé de « Rock ’n’ Roll » et l’invention d’un autre classicisme
- Technique et voix : ce que Lennon a pris et ce qu’il a retourné
- Un regard sur la liste : pourquoi ces cinq titres, et pas d’autres ?
- Ce que cela nous apprend sur Lennon compositeur
- L’ombre d’Elvis jusqu’au bout
- Et McCartney dans tout ça ?
- Ce que retiennent les oreilles d’aujourd’hui
- Le bonheur de ne jamais « atteindre »
Avant les Beatles : le temps du skiffle, des Quarrymen et des premières idoles
Quand le jeune John Lennon fonde les Quarrymen au milieu des années 1950, la vague skiffle submerge la jeunesse britannique. Guitares bon marché, washboards, contrebasses bricolées : cette musique « fait‑le‑toi‑même » autorise toutes les audaces. Lennon y apprend la scène, le chant projeté et le goût de la transgression. Dans son panthéon intime se bousculent déjà Elvis Presley, Buddy Holly, Chuck Berry et, bientôt, Little Richard. Le nom même des Beatles – clin d’œil aux Crickets de Buddy Holly – inscrit la filiation : la bande de Liverpool veut s’aligner sur ses aînés américains, tout en inventant sa propre langue.
Parmi ces révélations, Elvis est un séisme. Lennon dira un jour que le King avait été « plus important que la religion » dans sa vie. Il raconte ces après‑midi d’adolescent passés à écouter « Heartbreak Hotel », « Hound Dog » ou « Mystery Train » sur des 78 tours, une poignée de cigarettes et des chips pour toute provision. Ce n’est pas seulement une voix qu’il découvre : c’est un son, celui du slapback echo, cette réverbération courte et nerveuse popularisée de Sun à RCA, et une attitude, mélange de défi, de sensualité et de fragilité.
Le choc Little Richard : la clameur qui bouscule les allégeances
Si Elvis ouvre la porte, Little Richard renverse la maison. En entendant « Long Tall Sally » puis « Good Golly, Miss Molly », Lennon reste sidéré par la clameur du piano martelé, la vélocité des glissandos, la stridence des trilles et ce cri de gorge qui tutoie la transe. Il avoue avoir été tenté de « quitter Elvis », tant la puissance de Richard Penniman lui semble alors « meilleure ». Chez les Beatles, c’est Paul McCartney qui reprendra le plus souvent le flambeau vocal de Little Richard – on pense à l’EP « Long Tall Sally » ou à « I’m Down » – mais le choc esthétique traverse aussi Lennon. On le sent dans sa manière d’attaquer certaines consonnes, dans ses montées en saturation maîtrisée, dans sa capacité à tenir une note à la limite de la rupture sans jamais perdre le rythme.
Jerry Lee Lewis : la tornade du boogie‑woogie et la contagion du piano
Autre pilier du temple, Jerry Lee Lewis et son « Whole Lot of Shakin’ Going On » enseignent à Lennon la force d’un pulsar rythmique simple que le chanteur chevauche comme un fauve. Derrière la flamboyance de la performance, il y a une science des douze mesures, des accents déplacés, des breaks placés juste avant la reprise du motif. Même s’il est d’abord guitariste, Lennon écoute le piano de Jerry Lee comme on observe un moteur : il comprend que l’énergie d’une chanson tient parfois à un balancier, un aller‑retour obsédant entre main gauche boogie et main droite en rafales. Sur scène, dans les clubs de Hambourg puis à la Cavern, cette énergie deviendra leur carburant.
Gene Vincent : l’ombre aristocratique du rockabilly
Avec « Be‑Bop‑A‑Lula », Gene Vincent propose à Lennon un autre modèle : moins l’exubérance que le cool tendu, le swing retenu d’un rockabilly qui n’a pas besoin de crier pour imposer sa loi. La guitare lead à la Cliff Gallup, ses traits en volutes, ses double stops précis, dessinent une élégance qui marque Lennon durablement. Il conservera toujours, y compris dans ses années les plus abrasives, le goût de ces lignes mélodiques qui semblent parler autant qu’elles chantent. On en retrouve l’écho dans ses propres interprétations de standards, de « Baby, Let’s Play House » à « Be‑Bop‑A‑Lula » sur l’album « Rock ’n’ Roll » de 1975 : hommage appuyé, certes, mais aussi déclaration de dette.
Richie Barrett et « Some Other Guy » : l’obsession Cavern
La présence de « Some Other Guy » dans la liste de Lennon surprend parfois les non initiés. Pour les Beatles, ce titre de Richie Barrett fut pourtant un étalon. Écumant la Cavern en 1961‑1962, ils en font un morceau fétiche : groove shuffle, guitare tranchante, chœurs en relance, tout respire l’urgence. Un célèbre document filmé à la Cavern montre Lennon au chant, frontal, presque agressif, tandis que la section rythmique pousse le tempo sans le précipiter. Ce que Lennon admire, c’est la mise au point parfaite d’un format court : deux minutes nerveuses où tout tombe juste – l’entrée, la guillotine du refrain, le pont qui remonte la tension. Faire « un disque comme ça », c’est réussir l’évidence.
Du copier‑aimer au transfigurer : comment Lennon a digéré ses influences
Les premières années Beatles sont évidemment criblées de reprises : « Money (That’s What I Want) », « Slow Down », « Dizzy Miss Lizzy », « Bad Boy », « Long Tall Sally », « Rock and Roll Music ». Chacune est un exercice d’admiration et une leçon de rythmique. Mais très vite, Lennon passe du copier‑aimer au transfigurer. « I Feel Fine » bâtit un riff autour d’un feedback contrôlé, clin d’œil aux saturations accidentelles des scènes de R’n’R américaines, mais désormais intégré comme signe musical. « Ticket to Ride » ralentit la battue, enfonce des clous là où le rock traditionnel aurait allégé ; « Day Tripper » tire le riff sur un axe plus bluesy. Dans « Twist and Shout », empruntée aux Isley Brothers, Lennon arrache sa voix jusqu’au rauque, renouant avec le cri Little Richard mais en le teintant d’un grain britannique, moins solaire, plus métallique.
Le tournant psychédélique n’efface pas ces héritages ; il les recontextualise. « Strawberry Fields Forever » superpose la fragilité d’un chant presque murmuré à des architectures orchestrales mouvantes ; « A Day in the Life » juxtapose le reportage et l’onirisme. Le Lennon qui avouait courir derrière Elvis, Little Richard ou Jerry Lee ne renonce pas à l’électricité du rock ’n’ roll ; il la distille autrement, en l’amenant au seuil de l’expérimental.
« Heartbreak Hotel » : l’esthétique du vide et l’obsession de la présence
Dans la liste de Lennon, « Heartbreak Hotel » occupe une place à part. Au‑delà de la voix d’Elvis, c’est une poétique du son qui le hante : la réverbération qui creuse l’espace, la contre‑basse qui claque, l’économie d’arrangements qui laisse le silence faire partie de la musique. Lennon cherchera souvent ce sentiment de présence presque fantomatique : on l’entend dans « Yer Blues », volontairement lo‑fi, clos, humide ; dans « Julia », dépouillée jusqu’au cœur ; plus tard, en solo, dans « Mother », où la répétition des appels et la rugosité du traitement vocal cherchent la vérité à vif.
Cette obsession du vide fécond va de pair avec une conscience du studio comme instrument. De George Martin à Phil Spector, Lennon s’entoure de producteurs capables d’inscrire la voix dans un paysage : tantôt proche et sèche, tantôt enveloppée et réverbérée. C’est une autre manière de traduire l’éthique d’Elvis : ne jamais laisser le son contredire le sens.
« Good Golly, Miss Molly » et la dialectique Lennon/McCartney
Là où Little Richard déclenche la transe, Paul McCartney excelle à en canaliser l’onde. Ses interprétations de « Long Tall Sally » ou « Kansas City/Hey‑Hey‑Hey‑Hey » ont marqué l’ADN scénique du groupe. Mais contrairement à l’opposition parfois caricaturale entre un McCartney « mélodiste » et un Lennon « brut », la réalité est plus subtile. Lennon sait crier quand il le faut ; McCartney sait sortir un grain acide. La dialectique se nourrit de ces échanges : la basse souple de Paul stabilise le drive de Lennon ; le chant râpeux de John empêche certains écrins harmoniques de Paul de virer à la sucrosité. En ce sens, la fascination de Lennon pour « Good Golly, Miss Molly » n’est pas qu’une préférence : c’est l’acceptation d’un pôle essentiel que son partenaire incarne souvent au micro.
« Some Other Guy » : pourquoi Lennon le cite, encore et encore
Rien n’est plus parlant que l’amour de Lennon pour « Some Other Guy ». Le titre n’a pas la postérité planétaire d’« Heartbreak Hotel » ou de « Be‑Bop‑A‑Lula », mais il concentre ce que Lennon recherche : une attaque franche, un groove qui mugit, une prosodie en piqué où chaque syllabe cogne. Il voudrait faire « un disque comme ça », non pour imiter, mais pour capter ce feu premier. On comprend mieux, dès lors, l’économie de « Come Together » en 1969 : lente, visqueuse, sculptée autour de la basse et du souffle du chanteur, elle vise une hypnose primitive plutôt qu’une virtuosité affichée. C’est une autre façon d’atteindre l’évidence de Barrett : supprimer le superflu, laisser le pulsar.
Les années 1966‑1969 : de « Revolver » à « Abbey Road », la poursuite de l’intensité
La période Revolver‑Abbey Road montre un Lennon en constante réécriture de ses modèles. « She Said She Said » tend les nerfs et tronçonne le mètre ; « I’m Only Sleeping » renverse les bandes pour faire du temps un matériau ; « Happiness Is a Warm Gun » enchaîne les tableaux comme un petit opéra rock ; « Revolution » se décline en deux états – 1 « overdrive » et 9 acousmatique – qui exposent l’obsession de dire une même intuition sous plusieurs formes. À chaque fois, on devine, sous l’audace, le même horizon : atteindre ce point d’incandescence que ses héros touchaient en trois accords et deux cris, mais dans un langage que 1966‑1969 a complexifié.
Cette ambition culmine paradoxalement sur des titres d’apparence simple : « Don’t Let Me Down » revient au blues comme à une maison, conjuguant supplication et charnel ; « Across the Universe » choisit la lévitation et, par contraste, montre combien l’intensité peut naître d’un allègement extrême. L’ombre d’Elvis et de Little Richard n’est jamais loin : il ne s’agit plus de leur ressembler, mais de partager leur nécessité.
Après les Beatles : l’hommage assumé de « Rock ’n’ Roll » et l’invention d’un autre classicisme
Au milieu des années 1970, John Lennon signe avec « Rock ’n’ Roll » un retour aux sources. « Be‑Bop‑A‑Lula », « Rip It Up/Ready Teddy », « Peggy Sue », « You Can’t Catch Me » : l’album reconvoque les patrons de l’adolescence, sous la houlette tumultueuse de Phil Spector. Certains y voient un geste nostalgique ; c’est surtout une manière de solder une dette et de rappeler qu’au cœur de ses recherches, Lennon restait un rocker. Mais ses classiques solo – « Instant Karma! », « Imagine », « Jealous Guy », « Watching the Wheels » – tracent un autre classicisme : plus lyrique, plus introspectif, où l’intensité ne passe plus par l’attaque mais par la nudité.
Le paradoxe devient limpide : Lennon n’a peut‑être jamais « fait » son « Some Other Guy », au sens littéral, mais il a trouvé une autre manière d’atteindre le sommet : dire une vérité avec une voix qui n’a besoin ni d’esbroufe ni de vitesse. « Imagine » n’a pas le swing d’un Jerry Lee ; elle a la solennité qui cloue le temps.
Technique et voix : ce que Lennon a pris et ce qu’il a retourné
On a souvent commenté le grain de voix de Lennon : nasal mais arrondi, capable de souffle proche du micro autant que de grenaille à plein volume. Des Isley Brothers à Little Richard, en passant par Larry Williams, il a tiré une grammaire de la projection : pousser sans hurler, fendre la consonne, surfer sur une voyelle jusqu’à la casse et se rétablir. Cette palette, il la marie à une conscience rythmique rare : placement en arrière du temps quand il veut l’hypnose (« Come Together »), avant du temps quand il veut l’attaque (« Revolution » single).
À cela s’ajoute la culture du studio. Lennon aime doubler sa voix, parfois tripler, pour lui donner du corps. Il utilise la réverbération comme un espace où marcher, non comme un voile où se cacher. Il sait quand coller la bouche au micro pour obtenir ce chuinté intime, et quand reculer pour laisser la salle parler. Sur ce terrain, ses modèles américains lui ont offert des intuitions que l’Angleterre a transformées en science.
Un regard sur la liste : pourquoi ces cinq titres, et pas d’autres ?
Que Lennon ne cite pas « Tutti Frutti », « Blue Suede Shoes » ou « Johnny B. Goode » n’a rien d’un déni. Ces chansons irriguent sa pratique au quotidien. Mais les cinq sélectionnées disent quelque chose de plus précis. « Heartbreak Hotel » : l’esthétique du vide et le pouvoir de l’écho. « Good Golly, Miss Molly » : la fureur contrôlée, l’élan qui soulève tout. « Whole Lot of Shakin’ Going On » : la transe organisée par un piano moteur. « Be‑Bop‑A‑Lula » : l’élégance rockabilly, entre nonchalance et poinçonnage exact. « Some Other Guy » : la mise au point miraculeuse du single de club, fait pour la sueur et la syncope. En creux, on lit la matrice de Lennon : présence, fureur, moteur, élégance, mise au point.
Ce que cela nous apprend sur Lennon compositeur
L’aveu de 1968 peut se lire comme un complexe. Il est, à mieux y regarder, un programme. Lennon se refuse au contentement. Il se mesure à des standards qu’il sait indépassables sur leur propre terrain, non pour se juger, mais pour garder le cap : chercher la formule simple qui emporte tout. Certains de ses titres s’en approchent frontalement : « I Saw Her Standing There » (co‑signé), « I Feel Fine », « Day Tripper », « Revolution ». D’autres choisissent la diagonale : « Come Together » atteint l’évidence par le ralenti et le phrasé ; « A Hard Day’s Night » (co‑signé) condense l’énergie en une architecture modale lumineuse.
Cette quête dit un tempérament : Lennon est un synthétiseur. Il ne fait pas « son » Jerry Lee ni « son » Little Richard ; il invente un Lennon où ces forces cohabitent avec d’autres : l’ironie britannique, la mélancolie lennonienne, le goût de la cassure. C’est ainsi qu’il fabrique, non des copies, mais des classiques d’une autre nature.
L’ombre d’Elvis jusqu’au bout
Des débuts à la fin, l’ombre d’Elvis plane. Quand Lennon retourne au rock ’n’ roll en 1975, il rejoue cette relation filiale ; quand il chante « (Just Like) Starting Over » en 1980, la réverbération et certaines inflexions rendent un salut discret à la décennie 50. Mais l’enfant rebelle de l’après‑guerre est devenu un adulte qui sait que l’on ne refait pas « Heartbreak Hotel ». On peut, en revanche, en reconduire l’éthique : dire vrai, enregistrer vite, ne pas surcharger, laisser la voix porter.
Et McCartney dans tout ça ?
Parce que rien, chez les Beatles, ne s’écrit sans la dialectique Lennon/McCartney, il faut rappeler que ces influences furent partagées. Paul adore Little Richard, révère Elvis, joue Buddy Holly en solo avec une joie intacte. La basse mélodique de McCartney, sa science des ponts et des conclusions, a souvent été la charpente sur laquelle Lennon a pu projeter sa voix. Les chansons que Lennon rêvait d’égaler ont parfois trouvé leurs équivalents Beatle grâce à cette alliance : une rythmique tenue, des harmonies impeccables, un son qui frappe sans bavardage.
Ce que retiennent les oreilles d’aujourd’hui
À l’ère du streaming, ces références ne sont plus des noms dans une interview ; ce sont des parcours d’écoute à portée de clic. Entendre, à la suite, « Be‑Bop‑A‑Lula », « Some Other Guy », « Heartbreak Hotel », « Good Golly, Miss Molly » et « Whole Lot of Shakin’ Going On », puis enchaîner sur « Twist and Shout », « I Feel Fine », « Revolution » et « Come Together », permet de mesurer la continuité. Ce que Lennon appelait « essayer encore », les auditeurs peuvent désormais le cartographier : repérer les cadences, les timbres, les tics glorieux hérités des années 50, et la façon dont les Beatles les ont magnifiés.
Le bonheur de ne jamais « atteindre »
La grandeur de John Lennon tient peut‑être à ceci : il n’a jamais considéré la réussite comme un acquis. En 1968, il se mesurait à ses dieux et constatait qu’il était « encore en train d’essayer ». Il n’a, au fond, jamais arrêté d’essayer. Les cinq chansons qu’il citait forment un miroir où l’on voit se refléter tout ce qu’il aimait : l’attaque primitive, l’élan irrésistible, la mise au point parfaite, l’élégance minimaliste, l’art d’un silence bien placé. Sa propre œuvre, des Beatles au solo, n’a pas cherché à les répliquer ; elle a appris d’elles comment rester vivante.
C’est en cela que l’aveu de Lennon ne diminue pas sa légende ; il l’augmente. Il nous rappelle que les Beatles, loin d’avoir surplombé leur époque, l’ont écoutée. Ils en ont retenu le meilleur, l’ont compressé, distordu, éclairci, jusqu’à produire autre chose : non la copie, mais la source pour les générations suivantes. À l’endroit où Elvis, Little Richard, Jerry Lee Lewis, Gene Vincent et Richie Barrett allumaient des feux, Lennon a choisi d’entretenir un brasier. Il a compris que le plus bel hommage n’est pas de refaire la flamme, mais de l’alimenter pour qu’elle se voit de plus loin.
