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Run For Your Life : la face sombre de John Lennon

Publié le 19 août 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Sommaire

Une ouverture menaçante pour Rubber Soul

En 1965, alors que les Beatles amorcent un tournant décisif dans leur carrière, ils entament les sessions d’enregistrement de Rubber Soul avec un titre aussi surprenant que troublant : « Run For Your Life ». Ce morceau, principalement composé par John Lennon, reflète une facette plus obscure de son auteur, marquée par la jalousie et la possessivité.

Rubber Soul, paru le 3 décembre 1965 au Royaume-Uni et trois jours plus tard aux États-Unis, marque une évolution artistique pour les Beatles. L’album abandonne en partie les sonorités pop innocentes des précédents opus pour s’aventurer vers des compositions plus matures et introspectives. Pourtant, « Run For Your Life » détonne par son texte glaçant et son origine singulière.

Une inspiration puisée chez Elvis Presley

John Lennon a souvent cité Elvis Presley comme l’une de ses influences majeures. « Run For Your Life » ne fait pas exception, puisque Lennon s’inspire d’une ligne issue du morceau « Baby, Let’s Play House », enregistré par Presley en 1955. Cette chanson, écrite par Arthur Gunter un an plus tôt, contient une phrase qui marquera Lennon :

« I’d rather see you dead, little girl, than to be with another man. »

Cette simple ligne, qui pouvait être perçue comme une hyperbole classique du blues et du rock’n’roll, devient chez Lennon le socle d’une chanson entière. Mais là où Arthur Gunter et Elvis s’en tiennent à une déclaration passionnée, Lennon pousse la logique plus loin, transformant cette menace en une revendication explicite de possessivité.

Lennon et sa relation conflictuelle aux femmes

John Lennon lui-même n’a jamais caché son rapport complexe avec les femmes. Dans plusieurs interviews, il a admis que la jalousie et la violence faisaient partie de son passé :

« J’ai toujours détesté ‘Run For Your Life’. C’est une chanson que j’ai écrite rapidement, en m’inspirant d’un passage de ‘Baby, Let’s Play House’. Mais elle ne comptait pas vraiment pour moi. »
— John Lennon, Rolling Stone, 1970

Lennon ira encore plus loin en 1973, qualifiant « Run For Your Life » de sa « pire chanson des Beatles », bien qu’il reconnaisse qu’elle était appréciée par George Harrison. Cette chanson n’est d’ailleurs pas la première à trahir une vision quelque peu macho de Lennon :

  • « You Can’t Do That » (A Hard Day’s Night, 1964) met en scène un narrateur interdisant à sa petite amie de parler à un autre homme.
  • « I’ll Cry Instead », sur le même album, dépeint un protagoniste frustré et revanchard.

Paul McCartney, quant à lui, s’est distancié de cette mentalité :

« John était toujours en fuite, courant pour sa vie. Il était marié, alors que moi, je ne l’étais pas. Cette idée de ‘je vais t’attraper si tu es avec un autre homme’ ne me concernait pas du tout. J’avais une petite amie et je pouvais voir d’autres filles. C’était une relation ouverte, donc je n’avais pas ces inquiétudes. »
— Paul McCartney, Many Years From Now, Barry Miles

Une session d’enregistrement expéditive

L’enregistrement de « Run For Your Life » se déroule le 12 octobre 1965, lors de la première session de Rubber Soul. Après quatre tentatives incomplètes, les Beatles capturent la version finale en cinq prises.

Le personnel impliqué dans la session est le suivant :

  • John Lennon : chant principal, guitare acoustique, guitare électrique
  • Paul McCartney : harmonies vocales, basse
  • George Harrison : harmonies vocales, guitare solo
  • Ringo Starr : batterie, tambourin

Une fois la base instrumentale posée, le groupe ajoute des overdubs de tambourin, guitares acoustiques et électriques, ainsi que des chœurs. L’ensemble de l’enregistrement ne prend que quatre heures et demie, preuve du caractère spontanné du titre, mais aussi de la relative indifférence que Lennon lui porte.

Une chanson controversée

Avec le recul, « Run For Your Life » est devenue l’une des chansons les plus débattues du répertoire des Beatles. Si certains la considèrent comme une simple réminiscence du rock’n’roll des années 1950, d’autres y voient un témoignage d’une misogynie latente chez Lennon, du moins à cette époque de sa vie.

Avec le temps, Lennon a radicalement changé. Dans les années 1970, il s’engage pleinement pour la paix et les droits des femmes, notamment sous l’influence de Yoko Ono. Lorsqu’on lui demande de revenir sur certains de ses textes précédents, il exprime des regrets sincères.

Aujourd’hui, « Run For Your Life » reste une curiosité au sein de Rubber Soul, un album souvent encensé pour sa maturité artistique. Elle illustre à la fois l’influence du rock classique sur Lennon et les complexités de sa personnalité. Malgré sa place de choix sur le disque, elle demeure un morceau que son propre auteur aurait préféré voir disparaître du catalogue des Beatles.


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