En 2025, Eric Idle rend hommage à George Harrison, son ami de longue date, en évoquant leur complicité artistique et spirituelle, de Life of Brian aux derniers instants du Beatle. Une histoire d’amitié, d’audace et d’humour qui traverse les décennies et révèle un autre visage de George.
À l’occasion de la présentation de son spectacle Always Look on the Bright Side of Life, LIVE!, programmé au Liverpool Empire le 14 septembre 2025, le comédien Eric Idle a confié à la presse locale la profondeur de sa relation avec George Harrison. Il a rappelé avoir été présent au chevet du musicien lors de ses derniers instants en novembre 2001, évoquant la sérénité de George face à la mort et sa foi hindoue. Au‑delà de l’émotion, cette confidence remet en lumière une amitié de près de trois décennies, faite de création, d’entraide et d’un humour qui, jusqu’au bout, a servi de boussole aux deux hommes.
Sommaire
- Los Angeles, milieu des années 1970 : un premier contact décisif
- Le levier Harrison : quand un Beatle relance un film condamné
- Caméos croisés : Harrison chez les Pythons, Idle chez les Beatles (par procuration)
- HandMade Films : de l’acte de foi au studio culte
- Idle et Harrison : deux « quatrièmes hommes » face aux duos dominants
- « Toujours regarder le bon côté » : une chanson, un mantra, une philosophie
- 2001 : le chevet, la foi et la paix
- « Tu vas mourir » : la provocation tendre comme antidote à la déprime
- L’enfance, la Mersey et une hypothèse charmante
- Après 1979 : une amitié qui dure, des apparitions et des clins d’œil
- Les Rutles : le miroir déformant que George adorait
- Le regard de George sur Python : une idée de la liberté
- Idle, 2019–2025 : survivre, remonter sur scène, remercier
- Le rapport à la mort : Harrison, du sitar aux cendres
- Liverpool 2025 : une scène, des images, une ville
- Harrison, Idle et les Beatles : ce que l’un a dit aux autres
- De l’anecdote à la leçon : ce que retiennent les fans
- Épilogue : l’humour comme fidélité
- Repères chronologiques
- Fiche repère – George Harrison et Eric Idle
Los Angeles, milieu des années 1970 : un premier contact décisif
Leur rencontre remonte aux années 1970 à Los Angeles. Monty Python explose alors aux États‑Unis, et George Harrison, mélomane curieux et fan déclaré de la troupe, croise Eric Idle lors d’une soirée liée à l’orbite Python. L’entente est immédiate. Idle, qui a grandi en Merseyside et garde un attachement viscéral à Liverpool, aime raconter qu’ils se sont reconnus avec la familiarité de deux gens du Nord, partagés entre malice et réserve. De ce soir‑là naît une connivence qui ne cessera plus de se traduire en gestes concrets.
Le levier Harrison : quand un Beatle relance un film condamné
En 1978, un épisode fondateur scelle l’amitié : l’équipe de Monty Python s’apprête à tourner Life of Brian, satire biblique écrite par Graham Chapman, John Cleese, Terry Gilliam, Eric Idle, Terry Jones et Michael Palin. À la dernière minute, le financeur se retire. Sans garantie, le tournage est menacé. George Harrison s’en mêle : il met en place, avec son associé Denis O’Brien, une structure qui deviendra HandMade Films, et hypothèque sa propriété de Friar Park afin de financer le film à hauteur de plusieurs millions. Eric Idle résumera plus tard l’audace du geste par une formule restée célèbre : George aurait payé « le ticket de cinéma le plus cher de l’histoire » – simplement parce qu’il voulait voir le film.
Ce soutien n’est ni un caprice ni un coup de tête : il témoigne du goût de Harrison pour la liberté artistique et de sa confiance dans le talent de ses amis. Le succès qui suivra validera l’intuition. Mais au présent de 1978, le geste relève du pari pur. Il grève l’assise financière d’un ex‑Beatle riche, certes, mais prudent ; il engage sa réputation dans une satire religieuse potentiellement controversée. George l’assume, avec le sourire.
Caméos croisés : Harrison chez les Pythons, Idle chez les Beatles (par procuration)
En remerciement, George Harrison décroche un caméo discret dans Life of Brian : il apparaît sous les traits de Mr. Papadopoulos, le propriétaire de « la monture », clin d’œil qui amuse l’équipe et scelle sa présence à l’écran. Quelques années plus tôt (et à nouveau en 1978), il s’était déjà amusé à jouer les journalistes dans The Rutles: All You Need Is Cash, faux documentaire conçu par Eric Idle et Neil Innes qui pastiche la saga Beatles de manière aussi affectueuse qu’irrévérencieuse. Dans ce film, George joue un reporter goguenard devant les bureaux de la parodie d’Apple Corps – un miroir comique tendu à sa propre histoire.
Cette circulation ludique entre les univers n’a rien d’anecdotique. Elle dit un respect réciproque : les Beatles avaient salué l’impertinence Python dès les années 1970, et les Pythons, de leur côté, n’ont jamais cessé d’honorer la musicalité et l’audace des Beatles. Avec Idle et Harrison, le courant passe parce que chacun reconnaît chez l’autre la même éthique : oser et rire, parfois en déjouant l’attente.
HandMade Films : de l’acte de foi au studio culte
Le coup de main donné à Life of Brian ne restera pas isolé. HandMade Films, cofondée par George Harrison et Denis O’Brien, devient rapidement un acteur majeur du cinéma britannique de la fin des années 1970 et des années 1980. Le studio accompagne des œuvres devenues classiques, de Time Bandits à Mona Lisa, de Withnail & I à The Long Good Friday. Il abrite aussi des projets portés par l’esprit Python ou son entourage, confirmant le rôle de Harrison comme mécène moderne, autant attiré par la marginalité brillante que par les succès.
On a parfois réduit le geste inaugural à une anecdote : un ex‑Beatle qui « paye pour rire ». C’est méconnaître le travail et la vision qui suivront. Harrison ne se contente pas d’un chèque : il accompagne, conseille, apparaît ponctuellement à l’écran, et laisse à O’Brien la gestion quotidienne pour mieux garder un regard d’artiste. Cette dialectique (distance et implication) donnera au catalogue HandMade sa singularité.
Idle et Harrison : deux « quatrièmes hommes » face aux duos dominants
Dans ses souvenirs, Eric Idle pointe souvent un point commun avec George : chacun a dû exister au milieu de duos dominants. Chez les Beatles, le tandem Lennon–McCartney aimante l’attention ; chez Monty Python, le couple Cleese–Chapman ou, selon les périodes, la polarité Cleese–Gilliam, occupe l’avant‑scène. Harrison et Idle partagent cette place singulière du contributeur essentiel dont la voix n’est pas toujours perçue comme la plus forte. De là naît un lien : une complicité de « numéros quatre » qui savent attendre leur tour, proposer des angles, tenir une ambition artistique propre.
Pour George, cette ambition se traduit par des pièces comme « All Things Must Pass », « Something » ou « Here Comes the Sun », qui imposent son écriture et son son. Pour Idle, par le souci du texte, du rythme, de la chanson comique (« Always Look on the Bright Side of Life », « Galaxy Song »), et par une capacité à raconter l’époque par le décalage.
« Toujours regarder le bon côté » : une chanson, un mantra, une philosophie
Le spectacle 2025 d’Eric Idle porte le titre de la chanson la plus emblématique de sa carrière. « Always Look on the Bright Side of Life », écrite pour Life of Brian, a dépassé le cadre du cinéma pour devenir chant participatif, hymne d’optimisme ironique, et – selon les études britanniques – l’un des airs les plus joués lors de funérailles au Royaume‑Uni. Qu’Idle annonce y dédier un moment à George Harrison, avec images d’archives à l’appui, n’a rien du gadget : c’est boucler une boucle. La chanson qui a existé grâce à l’audace de George sert désormais à lui rendre hommage, devant un public liverpuldien qui sait d’où vient l’histoire.
2001 : le chevet, la foi et la paix
Quand George Harrison s’éteint le 29 novembre 2001 à Los Angeles, des amis proches se relayent à ses côtés. Eric Idle a raconté la douceur et la clarté de ces heures, la certitude tranquille d’un homme qui croit à la renaissance et au cycle des vies. Loin de toute frayeur, Harrison aurait plaisanté jusqu’au bout, fidèle à cette lumière intérieure dont sa musique témoigne si souvent. Olivia et Dhani Harrison souligneront, dans les communications officielles, un message de quête spirituelle et d’amour. Pour Idle, ces mots – et cette attitude – restent une leçon existentielle : l’humour et la conscience ne sont pas des refuges opposés, mais deux voies parallèles qui aident à tenir la route.
« Tu vas mourir » : la provocation tendre comme antidote à la déprime
Parmi les souvenirs d’Idle, il y a cette phrase attribuée à George : lui répéter, à un moment de déprime, une évidence brutale – « tu vas mourir » –, non pour l’enfoncer, mais pour lui rendre la perspective. C’est du Harrison pur jus : une formule désarmante, presque zen, qui déboulonne l’ego et recentrent l’esprit sur ce qui compte. Ramené au présent, l’effet est double : un électrochoc qui coupe court à l’anxiété, et un sourire qui invite à prendre la vie comme elle vient. Dans la bouche d’un homme dont la spiritualité irrigue chaque geste, la petite phrasede rien devient un mantra.
L’enfance, la Mersey et une hypothèse charmante
Idle aime aussi glisser une anecdote plus légère : enfant, ayant vécu un temps dans la région, il aurait joué à New Brighton avec un certain George, sur les Red Noses, ces avancées rocheuses si typiques du littoral. Était‑ce déjà Harrison ? Impossible à prouver, facile à imaginer. L’histoire plaît parce qu’elle poétise la coïncidence : deux destins qui se frôlent dans la Merseyside d’après‑guerre et se retrouvent à Hollywood vingt‑cinq ans plus tard, l’un chanteur‑guitariste d’un groupe devenu mythe, l’autre auteur‑acteur d’une troupe devenue légende.
Après 1979 : une amitié qui dure, des apparitions et des clins d’œil
Loin de se figer après Life of Brian, la relation Idle–Harrison se poursuit à travers des projets et des signes. George fait encore surface ponctuellement dans l’orbite Python, Idle rend des services et improvise des apparitions dans les cercles Beatles et post‑Beatles. L’époque voit aussi HandMade Films multiplier les coups d’éclat cinématographiques, tandis que Harrison reprend un rythme musical qui conduira, entre autres, à Cloud Nine (1987) et aux Traveling Wilburys. Idle, de son côté, décline sa chanson fétiche sous toutes les coutures, jusqu’à la transformer en oratorio (Not the Messiah (He’s a Very Naughty Boy)), prolongeant l’esprit de Brian.
Les Rutles : le miroir déformant que George adorait
Créés sur Rutland Weekend Television puis étoffés dans All You Need Is Cash en 1978, les Rutles sont à la fois un hommage et une charge contre le mythe Beatles. Neil Innes y pastiche avec génie les tics mélodiques du Lennon–McCartney des sixties, pendant qu’Eric Idle met en scène l’ascension et la chute du groupe fictif Dirk, Nasty, Stig et Barry. George Harrison, loin d’être ombrageux, est l’un des premiers soutiens : il y voit une preuve de la solidité du mythe Beatles, suffisamment riche pour absorber la parodie et en ressortir grandi. Le caméo de George reporter devant « Rutle Corps » — où l’on voit des employés piller les lieux comme lors des heures sombres de l’Apple Boutique — est un gag qui dit la lucidité cruelle de l’époque, mais aussi l’auto‑dérision dont George n’a jamais manqué.
Le regard de George sur Python : une idée de la liberté
Harrison a souvent expliqué que Monty Python l’avait réconforté dans les années post‑Beatles. Le non‑sens assumé, la poésie de l’absurde et la franchise de la satire lui offraient une sortie par l’humour quand le monde noir et blanc des années 1970 se tendait. Qu’il ait voulu remercier ses amis en mettant sa fortune au service d’un film incertain dit ce que représentait, pour lui, la liberté artistique : une priorité.
Idle, 2019–2025 : survivre, remonter sur scène, remercier
Ces dernières années, Eric Idle a traversé une épreuve majeure : un cancer diagnostiqué en 2019, dont il s’est remis. Il en parle comme d’une clarification : l’urgence de créer, le désir de faire rire « sans blesser », la volonté de ranger ses souvenirs et d’en faire des histoires à chanter. Sa tournée 2024–2025 et la date liverpuldienne de septembre s’inscrivent dans cet élan. Dans ce spectacle, il promet des images et un morceau dédiés à George, preuve que le mantra de l’ami — prendre la vie comme elle vient, sans oublier qu’elle finit — continue de guider son humour.
Le rapport à la mort : Harrison, du sitar aux cendres
La spiritualité de George Harrison ne tient pas du slogan. Depuis les années 1966–1968, on la lit dans ses chansons, des ragas apprivoisés aux mantras chuchotés. Quand vient l’ultime moment en 2001, la cohérence est totale : cérémonie privée, crémation, vœu de simpleté, cendres dispersées dans des lieux en accord avec sa foi. Les amis présents — Idle en fait partie — décrivent un homme sans crainte, d’une douceur intacte. Ce souvenir irrigue la mémoire partagée : chez ceux qui l’ont connu, le mot « grâce » revient souvent.
Liverpool 2025 : une scène, des images, une ville
Que Liverpool accueille cette déclaration d’amitié n’est pas un hasard. La ville a vu naître les Beatles, mais elle a aussi formé le goût d’Idle, enfant, à quelques kilomètres à peine. Le Liverpool Empire offre un cadre solennel et populaire à la fois, idéal pour projeter des archives, mêler chanson et récit, et faire communauté autour de George Harrison et de la culture qui l’a produit. Dans une époque friande de nostalgie, la soirée promet autre chose : une transmission vivante, active, qui regarde le passé pour mieux peser le présent.
Harrison, Idle et les Beatles : ce que l’un a dit aux autres
À travers l’itinéraire Idle–Harrison, c’est une certaine idée des Beatles qui se redessine : un groupe dont l’héritage ne se limite pas aux albums, mais irrigue des arts voisins — le cinéma, la télévision, le sketch, la comédie musicale — via des passeurs. George est l’un d’eux. Il a compris tôt que la musique et l’humour appartiennent à la même famille : celle du rythme, du contretemps, de l’attente déjouée. Idle le sait également. Leur alliance donne Life of Brian, The Rutles, des traces, des coup de mains, des présences qui, ensemble, racontent une esthétique de la liberté.
De l’anecdote à la leçon : ce que retiennent les fans
L’histoire qu’Idle raconte — l’ami serein face à la mort, l’entrepreneur artistique qui risque tout pour un film, le comparse qui apparaît à l’écran pour un clin d’œil — compose le portrait d’un George Harrison plus complexe qu’un simple « Beatle silencieux ». C’est un créateur dont la curiosité a prolongé l’épopée Beatles sur d’autres terrains. Pour les fans, la leçon est double : d’une part, la culture Beatles est un réseau vivant, traversé de rencontres qui comptent ; d’autre part, certaines chansons et films que nous chérissons doivent leur existence à des gestes d’amitié.
Épilogue : l’humour comme fidélité
Quand Eric Idle monte sur scène et entonne « Always Look on the Bright Side of Life », il ne célèbre pas seulement une scène culte. Il entretient une fidélité : à Graham Chapman, à Robin Williams, à George Harrison, à cet art de vivre qui prend appui sur la blague pour affronter le tragique sans le dénier. Dire « je l’aimais » n’est pas assez ; chanter encore, montrer des images, raconter une phrase qui vous a sauvé d’une journée mauvaise, voilà qui transmet réellement. Et si Idle insiste pour se produire à Liverpool, c’est peut‑être parce que la ville sait écouter ce genre d’histoire — la sienne, en somme, et celle d’un Beatle dont la lumière continue de nous atteindre.
Repères chronologiques
Années 1970 : rencontre Idle–Harrison à Los Angeles.
1975 : Rutland Weekend Television fait naître les Rutles.
1978 : tournage de Life of Brian ; retrait du financeur ; George Harrison engage ses biens pour sauver le projet ; caméo de Harrison en Mr. Papadopoulos ; diffusion de The Rutles: All You Need Is Cash avec caméo de George en reporter.
1979 : sortie de Life of Brian ; création confirmée de HandMade Films avec Denis O’Brien.
Années 1980 : essor du catalogue HandMade ; activités musicales de Harrison (jusqu’aux Traveling Wilburys).
29 novembre 2001 : décès de George Harrison à Los Angeles.
2019 : Eric Idle annonce avoir vaincu un cancer.
2024–2025 : tournée Always Look on the Bright Side of Life, LIVE! ; Liverpool Empire le 14 septembre 2025.
Fiche repère – George Harrison et Eric Idle
George Harrison : guitariste des Beatles, auteur de « Something », « Here Comes the Sun », « All Things Must Pass », cofondateur de HandMade Films, spirituel et discret.
Eric Idle : membre de Monty Python, auteur‑compositeur de « Always Look on the Bright Side of Life », créateur des Rutles, acteur, écrivain, chroniqueur d’un humour tendre et acide.
