Nourrices

de Séverine Cressan

Roman - 260 pages

Editions Dalva - 21 août 2025

Dans ce village, à l’écart des villes, les femmes font souvent le métier de nourrice. Dès qu’elles accouchent, et même lorsqu’elles sont enceintes, elles étudient déjà la possibilité de toucher un revenu en allaitant l’enfant d’autrui. Alors oui, leurs maris s’octroieront le salaire pour aller boire les soirs, le meneur-intermédiaire se prendra une belle commission, les enfants Trouvés de l’hospice seront peu cotés, mais si on arrive à décrocher  le contrat pour un enfant d’une famille bourgeoise de la Ville , ça paiera mieux, même s’il faudra confier pendant ce temps son propre enfant à une autre nourrice moins payée…. Une fois son garçon Jehan sevré, Sylvaine s’occupe d’une petite de la Ville. Une nuit, en pleine forêt elle découvre un bébé abandonné au pied d’un arbre avec un cahier près de lui. Elle recueille cette petite, fille de la lune, contre l’avis de son mari Andoche à qui ça ne rapporte rien… Mais quand la petite fille de la Ville, pour laquelle son lait maternel est rémunéré, meurt, alors Sylvaine décide de substituer dans le secret la jeune défunte avec l’enfant de la lune qui reprend le prénom de Gladie….

La lune, le sang, la terre, la forêt, le lait, le vent. Le roman de Severine Cressan est réellement organique, dès le début, il soumet le lecteur aux éléments les plus primitifs, les plus sauvages. Au milieu d’une nature, qu’il faut savoir dompter combattre, supporter, il est des femmes qui font partie de ce tout et qui, au milieu de la société des hommes vendent leur production primaire. Ce roman met en lumière une époque passée pendant laquelle toute une économie, tournée autour du lait maternel, - avant que les laits infantiles ne fassent leur apparition, se développait en profitant parfois des vulnérabilités. Je pense que je me remémorai longtemps ce roman à la seule évocation du mot « nourrice ». Il y a dans ce livre également une forte puissance féministe, de sororité, où les femmes parfois ne font plus qu’un, un corps en lutte, en protestation, car Sylvaine n’est pas la seule, de nombreuses héroïnes jalonnent le roman (mères, veuves sèches, guérisseuses..). Il y a principalement deux voix : les chapitres alternent en donnant la parole à Sylvaine, mais aussi à une autre femme qui auparavant a subi le pire, a cherché à éliminer ce qui germa, a donné vie, puis a abandonné.

Extrait :

"Elle s’assied à côté du berceau, place l’enfant de lune à sa droite et s’étonne encore une fois de la vigueur avec laquelle cette nouvelle née tête. Dès que le lait jaillit, elle installe la petite de la Ville à sa gauche, et celle-ci n’a plus qu’à déglutir pour avaler le lait qui coule facilement, grâce à l’effort de succion de sa sœur de lait. Sylvaine se félicite d’avoir trouvé ce stratagème qui permet à Gladie de boire sans effort. Contrairement à ce que son homme croit, l’enfant de la nuit ne met pas en péril la petite de la Ville. Les deux bébés qui lui ont été confiés, l’un par la loi des hommes et l’autre par la lune rousse, sont maintenant repus. Leurs paupières se ferment doucement, tandis que leurs doigts fins se délient et s’étirent comme pour attraper un objet imaginaire.

Sylvaine nourrit ensuite Jehan. Elle coupe une tranche de pain, remplit une écuelle de lait de chèvre, s’assoit à la table en installant Jehan sur ses genoux. Elle mâche des morceaux de pain, les trempe dans le lait puis les donne à son fils. Cette technique qu’elle a apprise de la vieille Margot permet à l’enfant de digérer convenablement."

Dans ce roman puissant, il y a bien sûr la poésie omniprésente, il y a tous nos sens en éveil, et il y a cette immense compassion que Séverine Cressan arrive à faire naître pour toutes ces jeunes filles perdues mais infiniment courageuses, qui naviguent entre les tétées pour leurs enfants désirés ou non, ou pour ceux qui leur sont confiés.

Un roman éblouissant !

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