L’annonce d’Anthology 4, prévue pour novembre 2025, ravive l’intérêt autour des Beatles tout en divisant leur communauté. Entre titres inédits, remixes controversés de Free as a Bird et Real Love, restauration vidéo signée Peter Jackson et réédition du livre Anthology, ce projet commémoratif mêle mémoire, innovation et débat. Un coffret ambitieux qui réunit musique, images et récits pour prolonger la légende des Fab Four auprès de toutes les générations.
Le monde des Beatles s’est embrasé le 21 août 2025 lorsque Apple Corps a officialisé ce que la rumeur laissait entendre depuis des mois : Anthology 4 paraîtra en novembre au sein d’un coffret 8 CD / 12 LP réunissant une version remasterisée des trois Anthology d’origine et un quatrième volume inédit. Sur le papier, l’annonce a tout d’un moment d’histoire : un prolongement tardif mais attendu de la trilogie culte des années 1995-1996, devenue au fil du temps un pilier de la mémoire officielle du groupe. Dans les faits, l’enthousiasme débordant a vite croisé une forme de lassitude : entre célébration et soupçon de « cash‑grab », la communauté se divise.
Au programme, Giles Martin remasterise les albums Anthology 1‑3, un lot de 13 titres inédits rejoint la sélection, les classiques Free as a Bird et Real Love bénéficient de nouveaux mixes 2025, et l’on retrouve Now and Then (2023) présenté comme le chant du cygne commun du quatuor. En parallèle, la série télé The Beatles Anthology (1995) revient dans une restauration pilotée par l’équipe de Peter Jackson, enrichie d’un neuvième épisode composé d’images encore inédites ; la mise en ligne sur Disney+ est annoncée pour le 26 novembre. Enfin, le livre The Beatles Anthology reparaît en octobre dans une édition 25e anniversaire fort de plus de 1 300 photographies. Un « tout‑en‑un » pensé pour fédérer plusieurs générations de fans… et, forcément, pour relancer la discussion.
Sommaire
- Pourquoi un quatrième Anthology maintenant ?
- L’empreinte de Giles Martin : promesses et controverses sonores
- Ce que contient Anthology 4 : des coulisses de l’invention aux sommets psychédéliques
- L’argument des sceptiques : redites, exclusivité, prix
- La série restaurée : mémoire vive sur Disney+
- Le livre : l’autobiographie collective, version 2025
- Where do we go from here ? Ce que raconte réellement ce coffret
- L’objet‑collector : entre désir et spéculation
- Entre archives et invention : la technique au service de l’émotion
- Une mémoire toujours vivante
- Épilogue : un cercle qui se referme, sans se clore
Pourquoi un quatrième Anthology maintenant ?
Trente ans après la diffusion initiale de la série télévisée et la parution des trois doubles albums compilant démos, prises alternatives et archives de concerts, Anthology reste la porte d’entrée la plus officielle sur l’histoire du groupe. La perspective d’un quatrième volume s’inscrit dans cette logique mémorielle : combler des angles morts, mettre à jour des bandes dont la technologie actuelle révèle des détails autrefois enfouis, et resserrer le récit autour d’un arc désormais clos par Now and Then. Le calendrier n’est pas anodin : 2025 marque le trentième anniversaire du projet audiovisuel de 1995, et intervient après plusieurs années de rééditions majeures (les albums Sgt. Pepper, The White Album, Abbey Road, Revolver) qui ont familiarisé le public à des reconstructions sonores d’un niveau inédit.
Il y a aussi une dimension générationnelle. Les auditeurs qui ont découvert Anthology à l’adolescence à la fin des années 1990 sont devenus, pour beaucoup, des collectionneurs aguerris ; une nouvelle vague, plus jeune, est arrivée par la série Get Back de Peter Jackson et par la sortie de Now and Then. Anthology 4 prétend réconcilier ces attentes : offrir du neuf à qui a tout, et un récit cohérent à qui commence.
L’empreinte de Giles Martin : promesses et controverses sonores
Dans l’atelier, on retrouve Giles Martin, déjà à la manœuvre sur la plupart des mixes et rééditions parus depuis 2017. Son approche est connue : démixage des bandes, réalignement des sources, restauration fine des voix et des instruments, spatialisation modernisée sans trahir l’intention d’origine. L’objectif : rendre l’écoute plus lisible tout en respectant le grain analogique qui fait l’ADN des enregistrements d’Abbey Road.
Là où la curiosité se tend, c’est autour des versions 2025 de Free as a Bird et Real Love. Parues en 1995 et 1996, produites avec Jeff Lynne à partir de démos de John Lennon, ces chansons avaient la beauté imparfaite des retrouvailles techniques. Les voix étaient voilées, les arrangements prudents. Trente ans plus tard, les outils de séparation de sources et de reconstruction des timbres promettent un Lennon plus net, moins enfoui sous le bruit de la cassette. Les premiers retours de fans, au fil des extraits promotionnels, parlent d’un timbre réchauffé, d’une proximité nouvelle – effet saisissant pour certains, trop « propre » pour d’autres, attachés au fantomatique des mixes de 1995. C’est toute la tension de cette restauration : éclairer sans aseptiser.
Ce que contient Anthology 4 : des coulisses de l’invention aux sommets psychédéliques
Le cœur de Anthology 4 propose un survol dense des années 1963‑1970 via des prises alternatives, des versions instrumentales, des répétitions et des fragments de sessions qui complètent le puzzle sans chercher à le rebattre. Il ne s’agit pas de reconstituer un album « perdu », mais d’ouvrir des fenêtres sur la fabrique des chansons. Plusieurs jalons retiennent l’attention.
On croise d’abord la vivacité juvénile d’I Saw Her Standing There (Take 2), où l’énergie brut campe un groupe qui trouve déjà sa pulse. Money (That’s What I Want) en mix RM7 dépouillé rappelle combien les reprises, loin d’être de simples pastiches, étaient des laboratoires de son. Les voix en harmonies de This Boy (Takes 12 et 13) ou If I Fell (Take 11) font entendre les ajustements infimes qui bâtissent la justesse émotionnelle.
À partir de 1965‑1966, les portes du studio‑laboratoire s’ouvrent grand. Every Little Thing (Takes 6 et 7) laisse deviner les hésitations rythmiques derrière un titre souvent sous‑estimé. In My Life (Take 1), encore dépouillé, avance sans le célèbre solo de piano accéléré ; l’écoute attentive mesure la poésie nue de la mélodie. L’ébauche Nowhere Man (First version – Take 2) rappelle qu’une évidence mélodique aura parfois demandé plusieurs voies avant de se fixar.
Le virage psychédélique affleure avec Got to Get You Into My Life dans une seconde version où les cuivres ne sont pas encore figés, et surtout avec Love You To (Take 7), document précieux pour saisir la manière dont George Harrison a inscrit la musique indienne au cœur du vocabulaire du groupe. Au rayon des grands chantiers, Strawberry Fields Forever (Take 26) fait partie de ces captures qui, sans démoder les prises déjà connues, ajoutent du grain au mythe : une façon de suivre la chanson dans ses bifurcations, vers la version composite qui allait marquer 1967.
Toujours côté 1967, She’s Leaving Home (Take 1 – instrumental) délivre un éclairage orchestral rare, offrant les cordes à nu, hors du récit vocal ; Baby, You’re a Rich Man (Takes 11 et 12) et All You Need Is Love (répétition pour la BBC) replacent l’été de l’amour dans l’atelier, avec ses réglages de dernière minute. Quant à I Am the Walrus (Take 19 – overdubs de cordes, cuivres et clarinettes), il met en évidence l’architecture des ajouts orchestraux qui donnent au titre son épaisseur surréaliste.
La période White Album et Let It Be s’invite avec de nouveaux angles. Hey Bulldog (Take 4 – instrumental) rappelle la puissance riffique du tandem Lennon/McCartney dans un contexte de studio ; While My Guitar Gently Weeps (Third Version – Take 27) prolonge l’exploration entamée avec les démos d’Esher, et montre la patience de Harrison dans la quête du ton juste. Helter Skelter (Second version – Take 17) cadre le morceau avant qu’il ne gagne sa furie définitive. Autour de la ballade, les multiples prises de I Will ou les ébauches de Can You Take Me Back? et Julia tracent une géographie plus intime.
La séquence 1969‑1970 apporte d’autres fragments significatifs : Get Back (Take 8) et Don’t Let Me Down (première performance sur le toit) donnent à revivre l’élan du projet Get Back, dans sa nervosité et ses trouvailles à ciel ouvert. You Never Give Me Your Money (Take 36) dévoile la charpente d’un medley appelé à faire date, tandis que Here Comes the Sun (Take 9) enregistre l’éclaircissement progressif qui irrigue la version connue. Something (Take 39 – cordes seules), enfin, est un point d’orgue : la ligne mélodique de Harrison portée par l’orchestre, sans la voix, dévoile une architecture émotionnelle d’une précision presque classique.
L’argument des sceptiques : redites, exclusivité, prix
Face à cet inventaire, un pan de la communauté exprime des réserves. D’abord sur la rareté réelle du contenu : plusieurs inédits annoncés ou proches s’apparentent, selon eux, à des proches cousins de prises déjà parues dans les coffrets deluxe de Revolver, Sgt. Pepper, The White Album ou Abbey Road. Autrement dit, Anthology 4 rassemblerait des doubles pour qui a suivi de près la vague de rééditions des années 2017‑2023. À cette critique s’ajoute la question de la distribution : le volume ne serait pas proposé séparément, ce qui obligerait les fans à acheter un coffret complet pour accéder à 13 nouveaux titres. Dans une période où les tarifs des éditions super‑deluxe atteignent des sommes élevées, l’argument du « paywall » revient souvent : pourquoi ne pas offrir une parution à l’unité, comme ce fut le cas pour Anthology 1‑3 ?
Reste le débat esthétique. Les partisans des mixes d’origine de 1995 défendent l’auréole spectrale qui entourait la voix de Lennon sur Free as a Bird, considérant que la mise au net actuelle lisse un peu trop les aspérités. À l’inverse, d’autres saluent le respect accru de la justesse harmonique, l’équilibre retrouvé entre voix et instruments, et l’émotion de pouvoir entendre John sans voile. Cette dialectique n’est pas nouvelle : elle traverse l’ensemble des remixes parus ces dernières années.
La série restaurée : mémoire vive sur Disney+
Au‑delà du son, l’autre pilier du retour est audiovisuel. Avec la restauration de la série The Beatles Anthology, supervisée par les équipes de Peter Jackson (qui avaient frappé fort avec Get Back), Apple propose une image et un son rehaussés, débarrassés des artefacts propres aux masters vidéo de 1995‑1996. La structure demeure : le récit autobiographique du groupe, mené par McCartney, Harrison, Starr et les archives de Lennon, ponctué d’entretiens avec George Martin, Neil Aspinall ou Derek Taylor. La nouveauté tient à ce neuvième épisode : un montage de rushes et de coulisses autour des retrouvailles des années 1990, enrichi d’entretiens plus récents. La série arrivera sur Disney+ le 26 novembre, marquant une transition symbolique : d’ITV et ABC à l’ère des plateformes.
Ce geste s’inscrit dans un continuum technique. Depuis Get Back, les technologies de séparation de sources et de restauration ont fait faire un bond à la perception des documents historiques. À l’écran comme à l’oreille, la lisibilité s’est accrue ; l’immersion aussi. C’est cette philosophie qui irrigue Anthology 4 : donner à voir et à entendre de plus près, sans réécrire l’histoire, mais en en affinant le relief.
Le livre : l’autobiographie collective, version 2025
Paru en 2000, le livre The Beatles Anthology demeure la seule autobiographie autorisée du groupe, réalisée à partir d’entretiens croisés, de souvenirs archivés et d’une iconographie abondante. Sa réédition « 25e anniversaire » annoncée pour octobre reprend et élargit cet album‑mémoire avec plus de 1 300 images et une mise en page modernisée. L’intérêt est double : d’une part, remettre à disposition un titre épuisé ou devenu coûteux sur le marché de l’occasion ; d’autre part, arrimer le retour discographique et audiovisuel à un corpus écrit qui reste, pour beaucoup, la porte d’entrée la plus pédagogique vers l’histoire des Fab Four.
Where do we go from here ? Ce que raconte réellement ce coffret
À la question « Fallait‑il un Anthology 4 ? », les réponses divergent selon la biographie de chacun avec les Beatles. Pour le collectionneur qui possède déjà les boxsets récents, l’argument de la redondance peut peser ; pour l’auditeur curieux qui a découvert le groupe via Get Back ou Now and Then, la synthèse proposée par le coffret a des airs de porte grande ouverte. Entre les deux, demeure la promesse d’une écoute rééclairée : ces prises et répétitions racontent le travail derrière la magie, montrent des essais qui n’aboutissent pas toujours, des solutions qui se cherchent, des arrangements qui respirent avant de se figer sur bande. Pour qui aime comprendre autant qu’aimer, le matériau reste précieux.
Il faut aussi replacer cette sortie dans un temps long. L’arc qui va de Free as a Bird (1995) à Now and Then (2023) dessine un cadre : celui d’un groupe séparé depuis 1970 mais capable, à distance, d’ajouter des épilogues touchants à son histoire. La présence de Now and Then ici n’est pas qu’un bonus : c’est une clé de voûte symbolique. Qu’un dernier titre commun ait atteint la première place des classements britanniques plus d’un demi‑siècle après The Ballad of John and Yoko raconte quelque chose de l’insistance culturelle des Beatles ; c’est aussi le signe d’un public transgénérationnel qui continue de se reconnaître dans ces voix.
L’objet‑collector : entre désir et spéculation
La dimension objet n’est pas anecdotique. Avec ses douze vinyles en pochettes ouvrantes et un artwork élargi, le coffret 12 LP ambitionne une place de choix sur les étagères, à côté des coffrets Mono et Stereo que beaucoup considèrent déjà comme des totems. La fascination pour la matière – le carton, le livret, la photographie pleine page – se conjugue à la volonté de fixer des versions « définitives ». Reste à savoir si Anthology 4 rejoindra, dans l’imaginaire des fans, ces pièces‑maîtresses ou si la perception d’un repackaging trop appuyé l’empêchera de faire corps avec la trilogie.
Sur le terrain économique, le débat sur le prix et l’accès ne s’éteindra pas de sitôt. Le verrouillage des inédits dans un coffret complet est perçu par certains comme une injustice ; d’autres, plus pragmatiques, notent que la cohérence éditoriale prime et que l’expérience proposée – musique remasterisée, documentaire restauré, livre enrichi – justifie l’option « tout‑en‑un ». On touche ici à une question devenue centrale dans l’industrie : comment financer des restaurations coûteuses tout en respectant des publics aux moyens et aux attentes hétérogènes ?
Entre archives et invention : la technique au service de l’émotion
Ce qui change fondamentalement en 2025, au‑delà des choix éditoriaux, c’est le niveau technique. Les progrès des algorithmes de séparation et des outils de restauration audio ont libéré des couches autrefois inatteignables : on peut extraire une voix, rééquilibrer une batterie noyée, réparer une prise sans réenregistrer. L’effet sur l’auditeur est ambigu mais souvent fascinant : c’est la même musique, et pourtant on y entend autre chose. On découvre, par exemple, combien la basse de McCartney raconte déjà une histoire parallèle, comment les chœurs se calent par respirations, ou comment un arrangement de cordes porte la chanson sans jamais l’alourdir. Anthology 4 capitalise sur ce gain de lisibilité.
Là où le risque guette, c’est dans la sur‑définition. Les Beatles ont été enregistrés dans des conditions historiques – studios, consoles, bandes – qui impriment une texture. Trop nettoyer, c’est parfois décontextualiser. On guette donc la main légère : rendre audible, oui ; réécrire, non. À l’écoute des avant‑goûts de Free as a Bird et Real Love, on mesure d’ailleurs la prudence du travail : la clarté accrue ne gomme pas totalement l’ombre d’une cassette tardive chez Lennon ; elle la replace.
Une mémoire toujours vivante
Au bout du compte, la scission des réactions dit moins une fracture qu’une vitalité. Plus d’un demi‑siècle après la séparation du groupe, le nom Beatles suffit encore à faire débat, à mobiliser des affects et des arguments contradictoires. C’est peut‑être la meilleure nouvelle cachée dans Anthology 4 : le répertoire n’est pas muséifié. Il reste habité. Qu’on s’en réjouisse ou que l’on s’en lasse, l’annonce a suffi à replacer le groupe au centre de la conversation culturelle mondiale. Peu d’artistes, en 2025, peuvent prétendre à une telle puissance d’actualité.
Pour Yellow‑Sub.net, l’enjeu dans les mois à venir sera de documenter l’objet au plus près : écouter comment les mixes se comportent sur des systèmes variés, comparer les prises avec les parutions antérieures, mesurer ce que la restauration vidéo change à la perception du récit. Et, peut‑être surtout, écouter ce que chacun y projette. Anthology 4 ne s’adresse pas à une abstraction nommée « fan », mais à une constellation de trajectoires personnelles. C’est sa force… et l’origine de ses frictions.
Épilogue : un cercle qui se referme, sans se clore
Que restera‑t‑il de cette séquence ? Probablement l’idée d’un cercle qui se referme – de Free as a Bird à Now and Then – et, dans le même mouvement, d’une histoire qui refuse de se clore totalement. Anthology 4 ne réécrit pas la légende, il la met au net, il en éclaircit quelques zones, il en assume d’autres angles morts. On peut contester les choix, regretter des absences espérées, débattre des priorités éditoriales. On peut aussi y voir ce que les Beatles ont toujours été : un atelier où s’inventent des façons d’entendre et de regarder.
Entre hommage et travail d’archives, l’automne 2025 s’annonce donc très Beatles. Et si l’on devait trancher, ce serait peut‑être ainsi : pas un verdict, mais un constat ; pas une clôture, mais un dernier chapitre qui n’empêche pas les relectures. Pour un groupe qui a appris au monde à écouter autrement, c’est déjà beaucoup.
