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Paul McCartney : l’histoire de « Hi, Hi, Hi », chanson bannie par la BBC

Publié le 26 août 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

En 1972, Paul McCartney et Wings sortent « Hi, Hi, Hi », rapidement interdit par la BBC pour ses allusions jugées sexuelles et liées aux drogues. Mais la censure n’empêche pas le titre de devenir un succès mondial et un classique des concerts, symbole de liberté rock et de malice pop.


On prête souvent à Paul McCartney l’image du mélodiste aimable, auteur de ballades qui ont traversé les décennies. L’histoire de « Hi, Hi, Hi » rappelle une autre facette : celle d’un musicien qui, au tournant des années 1970, n’hésite pas à bousculer les lignes. Parue à la fin de 1972 et enregistrée avec Wings, la chanson est rapidement interdite d’antenne par la BBC, soupçonnée d’allusions à la sexualité et aux drogues. L’épisode ne freine pas pour autant sa trajectoire : portée par un riff immédiat et une énergie de scène contagieuse, la chanson grimpe dans les classements et s’impose comme un moment attendu des concerts. McCartney lui-même le reconnaîtra avec malice : annoncer au public qu’« elle a été bannie » suffit à déclencher une ovation.

À l’échelle de la carrière d’un Beatle, ce n’est pas un incident anecdotique. L’interdiction de « Hi, Hi, Hi » éclaire le dialogue constant entre culture pop et normes de diffusion dans la Grande-Bretagne de l’époque. Elle prolonge, aussi, une relation déjà ancienne entre les Beatles et la censure. L’affirmation de John Lennon en 1966 — « plus populaires que Jésus » — a déclenché des manifestations, des autodafés de disques et, surtout, une vigilance accrue autour des paroles et des symboles portés par le groupe. Deux ans plus tard, certaines chansons des Beatles se heurtent aux standards de la BBC : « A Day in the Life », pour ses allusions présumées aux stupéfiants, ou « I Am the Walrus », pour son surréalisme et des passages considérés comme équivoques, se voient refuser une diffusion normale.

Dans cette histoire longue, « Hi, Hi, Hi » fait office de jalon : celui de l’ère post-Beatles, quand les carrières solo et les nouveaux projets des quatre musiciens continuent d’entrer en friction avec les codes et les conventions d’antenne.

Sommaire

  • 1972 : naissance d’un tube qui ne demande qu’à vivre sur scène
  • Pourquoi la BBC a tiré le frein : sexe, drogues et ambiguïtés
  • L’effet boomerang : « Cette prochaine chanson a été bannie »
  • Classements et réception : un succès contrarié… mais réel
  • Dans la discographie de Wings : un trait d’union entre prises de position et pop musclée
  • Les Beatles et la censure : un fil rouge qui dépasse la séparation du groupe
  • La BBC, la morale et la musique : une époque de crispations
  • Une lecture musicale : énergie, économie et appel du live
  • Des paroles à double détente : l’art de dire sans tout dire
  • Le regard de McCartney : « Tout le monde est un peu anti-censure »
  • Héritage et postérité : la chanson interdite devenue classique de setlist
  • Entre prudence et panache : ce que « Hi, Hi, Hi » raconte de McCartney
  • Une interdiction devenue signe de ralliement

1972 : naissance d’un tube qui ne demande qu’à vivre sur scène

En 1972, Wings a deux ans d’existence. Le groupe, fondé par Paul avec Linda McCartney, cherche encore son son et son équilibre scénique. Les premiers singles ont posé des bases contrastées : « Give Ireland Back to the Irish », titre politique publié au printemps 1972 en réaction aux événements d’Irlande du Nord, a été immédiatement banni par la BBC ; pour contrebalancer l’image, McCartney enchaîne avec « Mary Had a Little Lamb », comptine volontairement inoffensive. À l’automne, « Hi, Hi, Hi » remet l’aiguille dans le rouge.

Composée avec Linda, la chanson assume une veine rock plus directe. Tempo appuyé, guitare électrique incisive, chœur qui accroche d’emblée : tout indique une écriture pensée pour la scène. Les sessions d’enregistrement se déroulent dans la foulée des tournées européennes du groupe ; l’équipe est rodée, la section rythmique avance tête baissée. Sur 45 tours, la face B est confiée à « C Moon », morceau chaloupé et malicieusement langagier dont le titre renvoie, en contrepoint ironique, à l’expression « L7 » (le « carré »), popularisée dans l’argot : on dirait, en somme, le cool contre le ringard.

Dès sa sortie, « Hi, Hi, Hi » trouve son public. Les concerts la transforment en exutoire de fin de set : le refrain scandé fait lever les salles, et la voix de McCartney, portée haut, installe le morceau parmi ces titres que l’on retient dès la première écoute. La trajectoire commerciale est solide : top 5 au Royaume-Uni, top 10 aux États-Unis, numéro 1 en Espagne. Malgré la censure britannique, ou peut-être à cause d’elle, l’élan n’est pas brisé.

Pourquoi la BBC a tiré le frein : sexe, drogues et ambiguïtés

Pour comprendre l’interdiction, il faut revenir aux critères de la BBC au début des années 1970. La radio-télévision publique veille jalousement à une morale de l’antenne héritée de l’après-guerre : pas de promotion des stupéfiants, pas d’obscénités ni d’allusions sexuelles trop explicites, prudence sur la politique et la religion. Or, « Hi, Hi, Hi » coche plusieurs cases sensibles : son titre et son refrain peuvent se lire comme un clin d’œil à l’ivresse ou à l’élévation artificielle, et plusieurs lignes de texte jouent avec des métaphores physiques et des images suggestives.

McCartney a souvent revendiqué l’humour et le double sens comme outils d’écriture. Ici, le choix d’une langue franche, moins filtrée que les ballades dont il a le secret, attire l’attention des programmes de la BBC. L’organisme de diffusion juge certains passages incompatibles avec la programmation généraliste et prononce une interdiction qui, concrètement, prive la chanson d’une part considérable de diffusion radio au Royaume-Uni. Quelques stations indépendantes jouent le morceau, mais la couverture nationale reste limitée.

Dans le même temps, la face B, « C Moon », plus innocente dans son imagerie, se fraye un chemin sur les ondes. Les ventes du single agrègent les deux faces, et l’ensemble progresse malgré l’absence de soutien massif de la BBC. Il arrive ainsi qu’une censure transforme un titre en objet de curiosité et renforce sa visibilité dans la presse musicale.

L’effet boomerang : « Cette prochaine chanson a été bannie »

La censure procède rarement comme l’imaginent ceux qui la décrètent. Sur scène, Paul McCartney comprend vite la dynamique paradoxale qui s’installe. Présenter « Hi, Hi, Hi » au public comme une chanson interdite déclenche un réflexe de solidarité et d’enthousiasme. De Newcastle à Londres, de l’Europe à l’Amérique du Nord, la phrase de lancement suffit : le public acclame, les premières mesures partent, et l’énergie du morceau fait le reste.

Ce phénomène dit quelque chose de l’époque. En 1972-1973, la jeunesse britannique a grandi avec la contre-culture des Sixties, les mouvements pour les droits civiques, la libéralisation des mœurs et l’explosion du rock comme langage planétaire. L’idée d’une autorité qui interdit un morceau pour des motifs moraux suscite plus de défiance que d’adhésion. McCartney en a l’intuition et en joue avec légèreté : la censure devient, ironie de l’histoire, un argument de spectacle.

Classements et réception : un succès contrarié… mais réel

La trajectoire de « Hi, Hi, Hi » illustre une réalité du marché musical de l’époque : on peut vendre et marquer les mémoires sans bénéficier d’un relais majeur de diffusion. Au Royaume-Uni, malgré l’absence de la BBC, le 45 tours atteint le top 5. Aux États-Unis, il s’installe dans le top 10 du Billboard Hot 100, preuve qu’une interdiction locale ne suffit pas à le gripper quand l’Amérique adhère. En Espagne, il décroche la première place, témoignant de l’universalité de son refrain et de sa pulsation.

La réception critique est plus partagée. Une partie de la presse britannique s’agace du clin d’œil appuyé aux sujets qui fâchent, d’autres saluent un single efficace, calibré pour la route et les stades. Le public, lui, adopte la chanson et la classe, au fil des années, parmi les incontournables du répertoire Wings. Il arrive même que « C Moon » et « Hi, Hi, Hi » soient jouées dos à dos en concert, l’une en contrepoint de l’autre, comme pour rejouer en direct la dualité d’un 45 tours né sous la contradiction.

Dans la discographie de Wings : un trait d’union entre prises de position et pop musclée

L’année 1972 est charnière pour Wings. Après l’épisode « Give Ireland Back to the Irish », clairement politisé, Paul McCartney réaffirme avec « Hi, Hi, Hi » un goût pour la pop au nerf rock, prête à assumer le suggestif et la transgression contrôlée. Le morceau prépare, d’une certaine manière, la suite : « Live and Let Die » en 1973, bande originale à grand spectacle et sommet de puissance orchestrale, ou, dans un autre registre, les fulgurances de « Jet » et « Band on the Run » qui assoiront définitivement la mue du musicien en leader d’un groupe capable de tenir l’ère des stades.

Dans ce puzzle, « Hi, Hi, Hi » tient sa place de pièce vive, moins complexe qu’une grande ballade mais plus provocatrice qu’un simple exercice de style. On y entend le plaisir de jouer fort, de chanter haut, de faire lever une salle au premier refrain. On y lit aussi le savoir-faire d’un auteur qui connaît le radio format et sait, s’il le faut, en déborder les lignes.

Les Beatles et la censure : un fil rouge qui dépasse la séparation du groupe

Dire que « Hi, Hi, Hi » a été interdite par la BBC ne revient pas à isoler un cas. Les Beatles ont, dès la seconde moitié des années 1960, expérimenté les frottements avec la moralité de l’époque. « A Day in the Life » a longtemps été cité comme un exemple de chanson mise à l’écart pour des références jugées ambiguës aux drogues. « I Am the Walrus » a ajouté une couche de surréalisme qui a, selon les programmateurs, franchi certaines lignes. « The Ballad of John and Yoko » s’est heurtée, en 1969, à des réserves liées à l’usage d’un mot religieux en contexte profane.

Après la séparation, le fil rouge ne se rompt pas. John Lennon publie « Working Class Hero », dont la franchise lexicale pose problème à plusieurs radios ; George Harrison ne goûte guère, lui, aux querelles d’antenne, mais ses prises de position sur la spiritualité et l’establishment suscitent des réactions. Paul McCartney, de son côté, inscrit « Give Ireland Back to the Irish » dans un moment politique où la BBC préfère éviter l’embrasement : le morceau est interdit, les micros se ferment, mais la contestation circule autrement, et les fans s’échangent les 45 tours.

L’épisode « Hi, Hi, Hi » apparaît ainsi comme la version plus hédoniste et rock d’un même affrontement. On ne parle plus de politique frontale, mais d’un langage corporel et d’une imagerie qui bousculent les garde-fous de la BBC. L’axe reste identique : entre la création pop et la morale de service public, le dialogue passe autant par l’interdit que par l’autorisation.

La BBC, la morale et la musique : une époque de crispations

Pour situer l’épisode, il faut rappeler la configuration médiatique du Royaume-Uni au début des années 1970. La BBC concentre encore l’essentiel du pouvoir de diffusion radiophonique. Sa charte et ses commissions de contrôle définissent ce qui peut être joué : elles guettent les incitations à la consommation de drogues, les insinuations sexuelles trop crues, les attaques politiques explicites. Dans ce cadre, le rock britannique négocie au quotidien sa liberté expressive. Des groupes comme The Who, The Kinks ou The Rolling Stones connaissent aussi des frictions : un nom de marque prononcé à l’antenne, une métaphore interprétée de travers, et la diffusion se trouve retirée.

Cette période de crispations n’empêche pas l’innovation. Elle l’alimente parfois, en offrant aux artistes un contre-champ à défi. « Hi, Hi, Hi » fonctionne précisément sur ce territoire : un morceau ramassé, efficace, nourri de double sens, et qui, par sa vitalité, transforme l’interdit en tremplin d’imaginaire. À long terme, la BBC fera évoluer ses standards, le paysage des radios se diversifiera, et les chansons autrefois proscrites intégreront compilations et programmes sans provoquer de scandale.

Une lecture musicale : énergie, économie et appel du live

Affranchissons-nous un instant de l’affiche et de ses polémiques. Musicalement, « Hi, Hi, Hi » dit beaucoup du savoir-faire de McCartney. La structure est économique : introduction qui plante le riff, couplet en poussée, pont qui relance et refrain qui cogne. Le tout s’appuie sur une batterie frontale, une basse en avant, des guitares qui mordent, un chant volontairement haut et légèrement rugueux. Pas de fioritures : l’écriture privilégie l’impact, la tension immédiate, cette impression de morceau pensé pour être chanté par des milliers de voix réunies.

Dans l’ADN de Wings, c’est une pièce clé. Elle complète l’axe mélodique de McCartney par une face plus physique, qui annonce les grands moments de rock de « Band on the Run » et les charges orchestrales à venir. En concert, sa plasticité est un atout : elle peut ouvrir un rappel, dynamiter un milieu de set, ou clore une soirée sur un déferlement de chœurs.

Des paroles à double détente : l’art de dire sans tout dire

On l’a dit, ce sont les paroles qui ont mis le feu aux poudres. L’écriture joue sur l’ellipse, aligne des images sensuelles, introduit des métaphores que la BBC a jugées trop appuyées. Loin d’être un cas isolé, cette ambivalence appartient à une tradition pop : dire, suggérer, se réfugier dans le second degré si besoin. Chez McCartney, le procédé n’est pas un accident : il accompagne une pratique d’auteur qui, de « Drive My Car » à des titres plus tardifs, goûte la malice des doubles lectures.

Reste que la réception dépend du cadre. Dans les radios américains, la chanson passe avec moins d’entraves. En Espagne, le rythme et l’accroche priment. Au Royaume-Uni, la BBC impose sa grille : l’interdiction tombe, et « Hi, Hi, Hi » se retrouve au cœur d’un débat ancien : faut-il protéger l’auditeur de tout sous-entendu ? Ou bien reconnaître à la pop sa part de jeu ?

Le regard de McCartney : « Tout le monde est un peu anti-censure »

Interrogé sur ces interdictions, Paul McCartney résume souvent l’état d’esprit de sa génération. Les artistes issus du rock et de la contre-culture ne goûtent guère les bans et les coups de ciseaux. Il y a là, dit-il en substance, une méfiance vis-à-vis de la censure : on la juge paternaliste, contre-productive, peu compatible avec une jeunesse qui a grandi dans l’idée d’exprimer ce qu’elle ressent. La phrase — « Everyone’s a bit anti-all-that-banning, all that censorship » — concentre ce malaise. Mais elle dit aussi la pragmatique de McCartney : plutôt que de livrer un brûlot, il transforme l’obstacle en carburant de scène.

Dans ses souvenirs, il raconte combien l’annonce — « Cette prochaine a été bannie » — déclenche immédiatement l’adhésion. Le public ne réclame pas une controverse abstraite ; il veut l’électricité d’un morceau joué à fond. Et « Hi, Hi, Hi » lui donne exactement cela.

Héritage et postérité : la chanson interdite devenue classique de setlist

Cinquant ans plus tard, « Hi, Hi, Hi » a troqué sa mauvaise réputation contre un statut de classique. On la retrouve dans les compilations, dans des captations de concerts, et elle refait surface à l’occasion, suivant les tournées et les humeurs. Elle est devenue l’un de ces signaux que les fans identifient immédiatement : dès les premières mesures, on sait que la vitesse va monter.

Son héritage dépasse toutefois le répertoire. La chanson reste un cas d’école sur la censure musicale et ses effets paradoxaux. Elle montre comment une interdiction peut se transformer en label de transgression inoffensive, en clin d’œil partagé entre l’artiste et son public. Elle rappelle aussi que la BBC d’alors, tout en incarnant une exigence de service public, a parfois heurté l’évolution des goûts et du langage pop.

Entre prudence et panache : ce que « Hi, Hi, Hi » raconte de McCartney

Il serait facile de réduire « Hi, Hi, Hi » à un coup de provocation. Ce serait ignorer la cohérence de Paul McCartney sur la durée. Chez lui, les accents les plus punchy coexistent avec une écriture mélodique d’une finesse extrême. L’époque Wings embrasse cette dualité : la joie un peu frondeuse de « Hi, Hi, Hi », la grâce orchestrale de « Live and Let Die », les architectures pop de « Band on the Run » appartiennent à la même main.

Face à la censure, McCartney n’adopte pas la posture du martyr. Il constate, sourit, continue. Il sait que la force d’un morceau ne se mesure pas uniquement à son sort sur les ondes, mais à sa capacité à vivre dans les corps — ceux qui dansent, chantent, crient — et dans les mémoires. De ce point de vue, « Hi, Hi, Hi » a gagné le match depuis longtemps.

Une interdiction devenue signe de ralliement

L’interdiction de « Hi, Hi, Hi » par la BBC raconte une époque, mais aussi un mécanisme toujours d’actualité : ce que l’on bannit devient parfois plus désirable, surtout quand l’artiste sait en faire un moment de partage. Dans la biographie de Paul McCartney, c’est un chapitre significatif, une scène où l’institution tente de borner la pop pendant que le public réclame, au contraire, qu’on lui laisse toute sa latitude.

La chanson en sort renforcée. Elle a éprouvé la morale de son temps, vérifié l’attachement du public à la liberté de ton, et scellé, au passage, la réputation d’un auteur qui sait transformer une contrainte en avantage. À l’heure où les débat sur la censure et la modération des contenus refont surface sous d’autres formes, « Hi, Hi, Hi » demeure un rappel utile : une chanson peut être simple, directe, légèrement insolente, et trouver malgré tout — ou peut-être pour cela — le chemin le plus court vers la foule.


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