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Paul McCartney et l’egg and chips : souvenirs, cuisine et convictions

Publié le 26 août 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Paul McCartney révèle son plat préféré : l’egg and chips. Derrière cette assiette simple d’œuf et de frites se cache une mémoire d’enfance à Liverpool, une éthique culinaire, et une fidélité aux plaisirs simples, adaptés au fil du temps à son végétarisme.


Il y a dans la trajectoire de Paul McCartney une constante que les décennies n’ont pas vraiment émoussée : un goût désarmant pour la simplicité. Alors que l’on prête volontiers aux célébrités des habitudes alimentaires sophistiquées, l’ancien Beatle a longtemps répété qu’un de ses plats favoris restait un classique de la table anglaise : l’egg and chips, autrement dit œuf et frites. Deux ingrédients, pas davantage. « Je sais bien que ce n’est pas un plat de Cordon Bleu, mais c’est vraiment mon préféré », confiait-il au milieu des années 1970 dans un recueil consacré aux goûts culinaires des artistes. L’aveu surprend moins qu’il n’éclaire : derrière l’icône planétaire se dessine l’enfant de Liverpool, élevé pendant et juste après la guerre, pour qui la cuisine du quotidien fut d’abord une affaire de ressources comptées, de plaisir immédiat et de réconfort.

L’attrait de McCartney pour ce plat ne tient pas à l’exotisme : il vient de l’ordinaire, et c’est précisément ce qui lui confère sa force évocatrice. L’œuf pour la douceur, les frites pour le croustillant et la chaleur : un duo qui a traversé les années et que l’artiste a décrit avec un soin presque scolaire, en détaillant les étapes clés, de la découpe des pommes de terre à la double friture. Plus qu’une préférence gustative, c’est un souvenir et une manière de se relier à une enfance qu’il revendique volontiers, loin des apparats de la célébrité.

Sommaire

  • Liverpool, années 1940-1950 : le contexte qui façonne un palais
  • « Egg and chips », mode d’emploi selon McCartney
  • Simplicité assumée : une contre-image de la célébrité
  • Une vie de végétarien : de Linda à « Meat Free Monday »
  • Le « sugar butty » : une bouchée de Nord anglais
  • La technique derrière la modestie : frites et œufs, l’art de la rencontre
  • Mémoire musicale, mémoire gustative : quand « Scrambled Eggs » croise « Yesterday »
  • Entre hier et aujourd’hui : un goût qui s’adapte
  • Pourquoi « œuf et frites » nous parle encore
  • De l’assiette au message : un fil rouge éthique
  • Portrait en creux : l’homme, la scène, la cuisine
  • « Egg and chips » aujourd’hui : réinventer sans trahir
  • L’assiette comme autobiographie

Liverpool, années 1940-1950 : le contexte qui façonne un palais

Pour comprendre l’attachement de Paul McCartney à l’egg and chips, il faut revenir à Liverpool dans les années 1940 et 1950. La ville, port d’entrée du monde et cible stratégique pendant la Seconde Guerre mondiale, vit au rythme des restrictions et d’une économie de l’après-guerre qui pousse les familles à privilégier l’essentiel. La rationnement ne s’achève qu’au milieu des années 1950, et beaucoup d’enfants grandissent avec une cuisine faite de produits simples, bon marché et roboratifs. Les fish and chips du coin, la purée, les œufs, le pain beurré : un répertoire court, mais qui nourrit l’imaginaire et les routines.

Dans cet environnement, l’œuf et frites n’est pas un plat de fête ; c’est un pilier. Les pommes de terre, abondantes et peu coûteuses, offrent une base rassasiante. L’œuf, longtemps contingenté, redevient progressivement accessible et apporte une touche de richesse, une brillance au-dessus du tas doré. Les “chippies” (échoppes de frites) sont partout, et le parfum d’huile chaude se mêle aux bruits de la rue. Pour un adolescent qui découvre les skiffle clubs et les premiers rock’n’rolls importés d’Amérique, ce plat-là est la bande-son culinaire d’une époque où l’on court entre l’école, la maison et les répétitions.

« Egg and chips », mode d’emploi selon McCartney

Lorsqu’il détaille la préparation, Paul McCartney ne s’égare pas dans les colifichets. Son protocole tient en quelques principes : environ une livre (450 g) de pommes de terre et deux œufs par personne, des tranches épaisses, un trempage dans l’eau froide, puis l’essuyage soigneux avant de les plonger dans la graisse ou l’huile bien chaude. La clé ? Une double cuisson : une première friture pour attendrir, une seconde plus vive pour fixer le croustillant. On n’est pas si loin des fiches techniques de l’école hôtelière, et l’on devine derrière la modestie du propos une exigence de texture et de rythme.

Ce qui frappe, c’est la précision : peau retirée, tranches épaisses pour garder le cœur fondant, emploi d’un panier ou d’une écumoire pour manipuler les bâtonnets. Puis vient le moment de l’œuf, saisi à la poêle, blanc bien pris, jaune encore coulant. On dépose, on sale, on mord. Tout se joue dans la rencontre : le jaune, qui s’épanche et vient enrober la fritte, fait office de sauce instantanée. C’est cette alchimie élémentaire que McCartney célèbre implicitement : pas de détour, pas d’esbroufe, mais une efficacité qui parle à la mémoire autant qu’au palais.

Simplicité assumée : une contre-image de la célébrité

La confession d’un plat favori aussi démuni qu’un œuf et frites coche à rebours ce que l’on imagine de la table des stars. Dans les magazines, la discipline alimentaire des célébrités se raconte en régimes calibrés, superaliments et coachs nutritionnels. Paul McCartney, lui, rappelle que la cuisine n’est pas uniquement affaire d’optimisation : elle est affaire de repères. À l’heure des menus dégustation à rallonge, le musicien reconnaît sans détour sa fidélité à un duo d’ingrédients qui rassure. Cette transparence nourrit une proximité particulière avec le public : on ne partage pas une liste de superaliments, on partage un souvenir.

Ce n’est pas une posture de nostalgie creuse. Chez lui, la simplicité va de pair avec une éthique et une conscience aiguë du vivant. L’œuf et frites de l’enfance raconte un monde, celui d’avant les métropoles globalisées, avant les cartes cosmopolites à portée de clic. Et cela ne l’empêche pas d’avoir fait évoluer ses habitudes avec son temps et ses convictions.

Une vie de végétarien : de Linda à « Meat Free Monday »

On ne peut évoquer la table de Paul McCartney sans parler de son végétarisme. Dès le milieu des années 1970, dans l’élan d’une vie partagée avec Linda McCartney, photographe et pionnière d’une cuisine sans viande, l’artiste change de cap. Il s’éloigne de la viande, défend le bien-être animal, et prête sa voix à des campagnes qui cherchent à modifier en douceur le rapport à l’alimentation. Ce virage n’a rien d’un caprice : c’est une ligne tenue, nourrie de lectures, d’observations et d’un goût sincère pour une cuisine familiale et végétarienne.

Ce chemin prend une forme très concrète avec Linda McCartney Foods, gamme lancée au tournant des années 1990, qui démocratise des alternatives végétariennes en grande distribution au Royaume-Uni. Plus tard, en 2009, Paul, Mary et Stella McCartney cofondent Meat Free Monday, initiative incitant à réduire la consommation de viande au moins un jour par semaine. L’idée n’est pas de prêcher, mais d’accompagner : montrer que les habitudes se transforment par petits gestes, recettes plaisantes et esprit de communauté. Dans ce contexte, le plat fétiche d’antan se relit autrement : on peut en garder l’esprit tout en l’adaptant — frites croustillantes au four, œufs plein air, et, pour ceux qui le souhaitent, alternatives 100 % végétales à l’œuf qui fleurissent aujourd’hui.

Il arrive que McCartney se décrive comme végétarien « depuis toujours », avec un penchant actuel pour le végétal le plus large possible. On a pu l’entendre rappeler qu’il ne s’agissait pas d’une religion mais d’un choix raisonné, tenu dans la durée, compatible avec les tournées, les studios et la vie familiale. S’il confie volontiers son affection pour l’egg and chips de sa jeunesse, il ne le brandit pas comme un étendard de consommation quotidienne. Il en parle comme on parle d’un air qui vous accompagne, même quand la playlist a changé.

Le « sugar butty » : une bouchée de Nord anglais

Autre madeleine, plus inattendue : le sugar butty, le sandwich au sucre des enfances du Nord de l’Angleterre. Le principe tiendrait presque de la blague : deux tranches de pain généreusement beurrées, saupoudrées de sucre. Un plaisir simple, bon marché, calorique, que des générations d’écoliers ont connu dans les années 1950 et 1960. Paul McCartney en a reparlé récemment, avec un sourire complice : ce n’était ni raisonnable ni très bon pour la santé, mais c’était délicieux à l’instant où on le croquait. Loin des normes contemporaines, l’évocation du sugar butty sert moins à recommander un menu qu’à rappeler un climat : celui des goûters improvisés, du beurre salé qui craque sous le sucre, de la cuisine familiale où l’on trouve une solution avec ce qu’il y a.

Le sandwich au sucre dit aussi la géographie intime de McCartney. À Liverpool, comme dans d’autres villes du Merseyside et du Lancashire, ce petit plaisir a longtemps fait partie du quotidien. On l’associe volontiers aux boissons chaudes, au thé bien fort, aux après-midis de pluie. Il s’inscrit dans une économie domestique où l’on compte les sou, où l’on mise sur la densité énergétique autant que sur le goût sucré. Raconter le sugar butty, pour McCartney, c’est faire entrer dans l’interview l’odeur de la cuisine, l’épaisseur du beurre, l’enfance qui n’en finit pas de clignoter sous la surface des souvenirs.

La technique derrière la modestie : frites et œufs, l’art de la rencontre

Si l’on suit la méthode McCartney, l’egg and chips n’a rien de bâclé. La double friture suppose de maîtriser la température : une première cuisson plus douce pour cuire le cœur sans colorer, une seconde plus chaude pour obtenir la caramélisation et le craquant. Cette approche croise les practiques des friteries britanniques et certaines méthodes françaises. Le trempage des pommes de terre dans l’eau froide permet d’ôter l’excès d’amidon, assurant des frites plus sèches et croustillantes. L’essuyage soigneux évite les projections et la baisse de température de la friteuse.

Côté œufs, la cuisson à la poêle exige une chaleur raisonnable : assez pour saisir le blanc, pas trop pour conserver un jaune qui reste nappant. On sait McCartney adepte du côté sauce du jaune coulant : il donne au plat son moelleux, une dimension presque gourmande qui vient équilibrer le sel et la matière grasse des frites. Dans la logique d’un plat aussi bref en ingrédients, ce sont les gestes qui font la différence. Et l’on comprend pourquoi, des années plus tard, il décrit cette rencontre avec autant d’application.

Mémoire musicale, mémoire gustative : quand « Scrambled Eggs » croise « Yesterday »

La relation de Paul McCartney à l’œuf court aussi dans la légende des Beatles. Au moment de composer ce qui deviendra « Yesterday », le musicien chante d’abord une mélodie en fredonnant des paroles provisoires : « Scrambled Eggs », œufs brouillés, avant que ne s’impose le texte que l’on connaît. L’anecdote est célèbre et dit quelque chose d’essentiel : chez McCartney, l’intuition et le quotidien font bon ménage. De l’assiette au studio, il y a un même goût pour la justesse simple, pour le rythme exact.

On pourrait sourire du hasard : des œufs dans la chanson, des œufs dans le plat favori. Mais ce croisement n’est pas anodin si l’on considère le rôle de la mémoire sensorielle. Un mot, une odeur, une texture peuvent rappeler une mélodie ou un moment de création. L’egg and chips devient ainsi une sorte de leitmotiv discret, une note de cuisine qui résonne avec l’écriture et la scène.

Entre hier et aujourd’hui : un goût qui s’adapte

Qu’il se produise devant des foules gigantesques — Glastonbury en 2022, ou l’étape parisienne de la tournée Got Back en décembre 2024 — ou qu’il réponde à des questions de famille posées par sa fille Mary, Paul McCartney ne se défait pas de ce regard tendre sur les plats de son enfance. Pourtant, le présent n’est pas un musée : le végétarisme qu’il a adopté de longue date a modifié sa façon d’envisager l’assiette. Les œufs sont aujourd’hui soigneusement choisis par ceux qui en consomment — plein air, élevage respectueux —, et l’on voit fleurir des options végétales qui miment le comportement de l’œuf au jaune coulant. Quant aux frites, elles s’accommodent très bien d’une cuisson au four ou à l’air chaud, tandis que certains préfèrent encore la friteuse pour retrouver le goût des chippies de quartier.

Ce va-et-vient témoigne d’une souplesse : rester fidèle à l’esprit d’un plat, sans s’arc-bouter sur la lettre. C’est aussi la philosophie de Meat Free Monday : la modération, l’expérimentation, la joie de cuisiner autrement. Un jour sans viande sur sept n’a rien d’un renoncement si l’on sait l’habiter — et c’est précisément le genre de message qui, dans la bouche d’un Beatle, trouve un écho mondial.

Pourquoi « œuf et frites » nous parle encore

Si l’egg and chips continue de fasciner, ce n’est pas parce qu’il serait en lui-même un chef-d’œuvre gastronomique. C’est parce qu’il condense une histoire sociale, une géographie et un parcours personnel. En un coup de fourchette, on traverse l’après-guerre, l’Angleterre du Nord, les cuisines familiales, les premières répétitions d’un groupe appelé à devenir le phénomène Beatles. On comprend mieux McCartney en le regardant à table, comme on comprend Liverpool en parlant de ses chippies.

Il y a aussi une dimension démocratique à ce plat. Dans un monde où l’on parle volontiers d’inégalités et de distinction, l’œuf et frites fait figure de terrain commun. On peut l’aimer dans un pub, chez soi, ou le retrouver, par la pensée, à Woolton ou à Allerton. Les recettes élaborées rassemblent ceux qui savent les lire ; les recettes simples rassemblent ceux qui les ont vécues. Et il est assez beau qu’un artiste dont les chansons ont accompagné les siècles cite comme plat préféré une assiette que n’importe qui peut se préparer.

De l’assiette au message : un fil rouge éthique

Que dit, en creux, ce choix culinaire ? D’abord une certaine idée de la sincérité. Paul McCartney n’a pas besoin d’afficher une carte de restaurant étoilé pour signifier sa réussite ; il rappelle au contraire qu’une vie se mesure autant à ses fidélités qu’à ses découvertes. Ensuite, une conviction : les gestes modestes ne sont pas contradictoires avec les grands engagements. On peut aimer les frites bien faites et militer pour une alimentation durable. On peut se souvenir des sugar butties d’hier et soutenir aujourd’hui des initiatives qui promeuvent une consommation plus responsable.

L’héritage de Linda McCartney, la créativité de Stella McCartney dans la mode éthique, la voix de Paul dans le débat public sur le bien-être animal : tout cela compose un paysage où l’assiette n’est jamais loin des convictions. Et au centre, il y a ce souvenir lumineux d’œufs encore chauds posés sur des frites dorées.

Portrait en creux : l’homme, la scène, la cuisine

On imagine volontiers McCartney dans une loge, une guitare posée dans un coin, un thé fumant, et ce sourire tranquille que tant de photographes ont capté. On le sait discipliné, attaché à sa voix, à son souffle, à la longévité de son art. On le sait aussi curieux, prompte à explorer les studios et les technologies, à reprendre la route pour une tournée Got Back qui l’a ramené dans les stades. Au milieu de ces arcs, il reste un fil à la fois discret et solide : l’amour des simples plaisirs.

Peu de choses résistent à un egg and chips bien fait, si ce n’est une mauvaise huile ou une cuisson bâclée. Et peu de choses racontent mieux une biographie que ces détails posés dans une interview au détour des années 1970 : les proportions, le trempage, la double friture, puis l’œuf déposé comme une signature. C’est une leçon, presque : le goût est une affaire de mémoire, et la mémoire aime les rituels.

« Egg and chips » aujourd’hui : réinventer sans trahir

À l’heure où la cuisine britannique a opéré sa révolution — Gordon Ramsay, Nigella Lawson, Yotam Ottolenghi et tant d’autres —, le récit de McCartney ne sonne pas comme une résistance. Il ouvre au contraire un espace de jeu : comment réinventer un classique avec les exigences actuelles ? Les pommes de terre supportent très bien un bain dans l’eau puis un passage au four pour minimiser l’huile, ou une friteuse à air qui recrée un croustillant convaincant. Les œufs peuvent se décliner en version pochée, en soleil ou en mollet selon les préférences, et les alternatives végétales d’aujourd’hui proposent des textures surprenantes. L’important, dirait-on dans l’esprit de Paul, n’est pas de copier à l’identique, mais de retrouver la sensation : la morsure de la frite, la nappe du jaune, le sel qui réveille.

Les sugar butties, eux, sont restés à leur place : une souvenir que l’on raconte avec tendresse, plus qu’une suggestion du jour. Ils rappellent que l’Angleterre culinaire fut longtemps une économie de moyens, capable pourtant d’engendrer des mythes. Comme la musique : trois accords, une mélodie claire, et l’on touche le cœur.

L’assiette comme autobiographie

On ne résume pas Paul McCartney à un egg and chips ni à un sugar butty. Mais on écoute autrement ses chansons quand on connaît ces ancrages. L’enfance n’est pas un chapitre clos ; c’est une trame qui continue de nourrir l’adulte. Dans le cas de McCartney, l’assiette dit la fidélité, l’éthique, et la joie d’un plaisir simple qui résiste aux décennies.

Ce qui émeut, au fond, c’est l’absence d’esbroufe. L’homme qui a écrit « Yesterday », porté des stades et traversé la culture populaire comme peu d’artistes, revendique un plat où la technique s’efface devant l’évidence. C’est une manière de rappeler que les choses essentielles sont parfois les plus dénuées. Deux ingrédients, une mémoire, un sourire : et l’on comprend pourquoi, à Liverpool comme à Paris, l’œuf et frites a toute sa place dans la légende de Paul McCartney.


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