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Lennon dévoile « Instant Karma! » : le One to One ressuscité

Publié le 01 septembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

A l’occasion du 53e anniversaire du One to One Benefit Concert du 30 août 1972 au Madison Square Garden, la succession de John Lennon a publié, le 30 août 2025 à 19 h BST, une vidéo inédite d’« Instant Karma! », captée lors de la représentation de l’après-midi. Restaurée à partir des bandes multipistes analogiques et remixée sous la houlette de Sean Ono Lennon, la performance révèle une version plus brute du hit de 1970, portée par la Plastic Ono Band, Elephant’s Memory et Jim Keltner. Cette sortie prélude au coffret « POWER TO THE PEOPLE (The Ultimate Collection) » attendu le 10 octobre 2025, un ensemble de 12 disques, 123 titres – dont 90 inédits – retraçant l’activisme new-yorkais de John & Yoko et offrant les deux concerts complets du One to One.


Cinquante-trois ans jour pour jour après le One to One Benefit Concert du 30 août 1972 au Madison Square Garden de New York, la succession de John Lennon a rendu public – à l’heure exacte où s’ouvrait le concert de l’après‑midi – un film inédit de « Instant Karma! (We All Shine On) ». Cette publication, synchronisée à 14 h (EDT) / 19 h (BST) le 30 août 2025, vient couronner les célébrations d’un événement devenu légende et qui, au‑delà de son aura musicale, demeure un jalon de la mobilisation politique non violente du couple John & Yoko.

L’extrait provient de la performance de l’après‑midi et restitue, avec une précision technique nouvelle, la fulgurance d’un titre qui fut, en 1970, l’un des premiers succès solos de Lennon. La restauration et le remixage intégral à partir des bandes analogiques originales redonnent sa dynamique à une interprétation plus rêche, plus directe que la version studio, portée par la Plastic Ono Band épaulée par Elephant’s Memory et le batteur Jim Keltner. Pour les fans des Beatles comme pour les passionnés d’histoire culturelle, c’est un document de première importance.

Sommaire

  • Un concert-bénéfice devenu historique
  • « Instant Karma! » : un manifeste fulgurant
  • Un travail technique d’orfèvre
  • Un avant‑goût d’un coffret monumental
  • De « Come Together » à « Well Well Well » : un triptyque vidéo
  • New York, laboratoire politique et artistique de John & Yoko
  • Setlist et dramaturgie : le récit d’un moment
  • Héritages : de « Live in New York City » aux archives remises à neuf
  • La place de Yoko Ono : co‑autrice, performeuse, archiviste
  • Éléments de style : entre urgence et précision
  • Un jalon dans la chronologie Lennon
  • Ce que cette « nouvelle » archive change pour les fans
  • Conclusion : l’instant qui dure

Un concert-bénéfice devenu historique

Organisé en soutien aux enfants de la Willowbrook State School et, plus largement, aux jeunes vivant avec des handicaps intellectuels et développementaux, le One to One se composait de deux représentations, l’une l’après‑midi, l’autre en soirée, réunissant au total près de 40 000 spectateurs. En amont des concerts, l’animateur et journaliste Geraldo Rivera, dont l’enquête télévisée sur Willowbrook avait suscité une onde d’indignation, avait convaincu Lennon et Yoko Ono de mettre leur notoriété au service d’une cause humanitaire. Le résultat financier fut à la hauteur : plus d’1,5 million de dollars levés, une somme colossale pour l’époque, réévaluée aujourd’hui à l’équivalent d’environ 11,5 millions.

Mais le One to One fut aussi un moment charnière artistique. Il s’agissait des seuls concerts de pleine durée donnés par Lennon après la dissolution des Beatles. L’artiste, alors installé à Greenwich Village et pleinement engagé contre la guerre du Vietnam et pour les droits civiques, donnait ici la pleine mesure de son idéal : un rock de proximité, au service d’un message et d’une communauté. La présence, lors du final de « Give Peace A Chance », de figures comme Stevie Wonder, Roberta Flack, Melanie ou Sha Na Na symbolisait cette volonté d’alliances artistiques et citoyennes.

« Instant Karma! » : un manifeste fulgurant

Paru en février 1970, enregistré et mixé en une seule journée dans l’élan d’une inspiration matinale, « Instant Karma! (We All Shine On) » demeure l’un des singles les plus emblématiques de la période post‑Beatles de John Lennon. Produit par Phil Spector, enrichi de chœurs impulsés par Yoko Ono et Billy Preston, le morceau se hisse rapidement dans les classements internationaux (n°3 au Billboard Hot 100, n°5 au Royaume‑Uni). Son énergie, ses paroles à la fois spirituelles et percutantes, sa batterie au martèlement implacable en font un hymne qui épouse parfaitement le ton du One to One.

Sur scène, en août 1972, la chanson retrouve une rugosité qui rappelle les racines rock’n’roll de Lennon. La vidéo dévoilée aujourd’hui permet de saisir le grain des guitares, la puissance du saxophone de Stan Bronstein, la liaison rythmique de Gary Van Scyoc (basse) et Adam Ippolito (claviers), l’attaque précise de Keltner en batterie, épaulant Rick Frank Jr. au poste de batteur d’Elephant’s Memory. Lennon, en rythmique et au chant, place sa voix dans une zone où l’urgence du propos l’emporte sur l’ornement. L’ensemble traduit l’esthétique volontairement frontale de la période Some Time in New York City.

Un travail technique d’orfèvre

La mise en ligne de « Instant Karma! (We All Shine On) » s’inscrit dans une vaste opération de restauration audiovisuelle. Les bandes multipistes originales ont fait l’objet de transferts HD signés Rob Stevens, avant d’être remixées et ré‑ingénierées par une équipe de cinq fois lauréate des Grammy Awards réunie autour du producteur Sean Ono Lennon, avec Paul Hicks, Sam Gannon et Simon Hilton. Le mastering a été réalisé par Alex Wharton aux Abbey Road Studios. Sur le plan visuel, les images ont été restaurées et ré‑éditées pour restituer les couleurs, le contraste et la cadence d’origine, tout en assurant une stabilité qui permet d’apprécier pleinement la performance.

Ce travail n’est pas qu’un embellissement. Il s’agit d’une recontextualisation audiophile et documentaire : la scène est replacée dans sa stéréo originelle, les chœurs gagnent en lisibilité, la section rythmique retrouve une assise qui éclaire différemment l’écriture de Lennon. Pour celles et ceux qui connaissent par cœur l’album posthume « Live in New York City » (paru en 1986), majoritairement assemblé à partir du concert du soir, le contraste est frappant. La matinée révèle une tension presque punk, une forme de dépouillement qui sied à la veine pamphlétaire de l’époque.

Un avant‑goût d’un coffret monumental

La parution de la vidéo constitue également un teasing pour le coffret « POWER TO THE PEOPLE (The Ultimate Collection) », un ensemble 12 disques attendu pour le 10 octobre 2025 via Capitol/UMe, soit le lendemain du 85e anniversaire qu’aurait fêté John Lennon. Le projet entend explorer et célébrer l’activisme politique non violent de John & Yoko, leurs anthems pacifistes et l’installation du couple dans le New York du début des années 1970.

Ce coffret, conçu sous la houlette de Sean Ono Lennon, réunit 9 CD et 3 Blu‑ray audio avec des mixages stéréo et immersifs en 5.1 et Dolby Atmos. Il rassemble 123 titres, dont environ 90 inédits, mêlant démos, enregistrements domestiques, sessions de studio, reprises spontanées et bien sûr les deux concerts du One to One – proposés séparément en versions « Afternoon » et « Evening », mais aussi en configuration « Hybrid », qui sélectionne le meilleur de chaque show. Un livre cartonné de 204 pages conçu et édité par Simon Hilton accompagne l’ensemble, rassemblant photos inédites, documents d’archives, lyriques, croquis et témoignages.

La dimension éditoriale est cruciale : chaque chanson fait l’objet d’une Evolution Documentary, un montage audio détaillant l’itinéraire du demo au master, ainsi que d’Elements Mixes isolant des couches instrumentales pour en révéler les textures. On y retrouve aussi des volets Live Jam qui élargissent la perspective des concerts déjà connus – du Lyceum Ballroom de 1969 aux sessions avec Frank Zappa au Fillmore East en 1971 –, et un Home Jam riche d’ébauches captées à l’hôtel St. Regis ou à Ann Arbor.

De « Come Together » à « Well Well Well » : un triptyque vidéo

Avant « Instant Karma! » (tiré de l’après‑midi), l’estate avait déjà mis en ligne deux extraits issus du concert du soir : « Come Together » et « Well Well Well ». Ensemble, ces trois vidéos esquissent un triptyque qui dit beaucoup de la scène new‑yorkaise de Lennon en 1972. D’une part, la relecture d’un classique des Beatles tel que « Come Together » souligne la capacité du chanteur à réinvestir son catalogue avec des arrangements plus nerveux, transposés et resserrés autour d’un groove plus âpre. D’autre part, « Well Well Well » et « Instant Karma! » incarnent la veine personnelle de Lennon, tiraillée entre le cri primal et la déclamation politique.

La cohérence visuelle des trois clips tient au fil rouge de la restauration et à l’option de montage qui privilégie les plans rapprochés, les contre‑champs vers Yoko et les focales sur les instruments. On perçoit distinctement l’écoute mutuelle entre Lennon et Wayne « Tex » Gabriel à la guitare solo, l’attaque du sax de Stan Bronstein, la rondeur de la basse de Gary Van Scyoc, la présence polyrythmique de Keltner.

New York, laboratoire politique et artistique de John & Yoko

L’arrivée de Lennon et Ono à New York, fin 1971, marque une bifurcation. Leur appartement du 105 Bank Street, en plein Greenwich Village, devient un centre névralgique de rencontres avec les militants et l’avant‑garde artistique. Les années 1971‑1972 sont traversées par des engagements multiples : soutien aux prisonniers politiques (l’affaire John Sinclair), féminisme, droits civiques, fin de la guerre du Vietnam. Cette visibilité attire également l’hostilité de l’administration Nixon, qui tentera d’organiser leur expulsion.

Dans ce contexte, le One to One résonne comme une mise en pratique du slogan « Power to the People ». À l’inverse d’un concert de superstar déconnecté de sa base, Lennon cherche la proximité. Les interventions parlées, la multiplication des signaux à destination du public et l’invitation de Stevie Wonder sur « Give Peace A Chance » témoignent d’une volonté de construire une communauté temporaire le temps d’une soirée, mais dont les effets se prolongent par la levée de fonds et la médiatisation de la cause.

Setlist et dramaturgie : le récit d’un moment

La trame des deux concerts, avec des variations entre l’après‑midi et le soir, s’articule autour d’un bloc de titres issus de John Lennon/Plastic Ono Band, Imagine et Some Time in New York City. On y croise « Mother », « It’s So Hard », « New York City », « Cold Turkey », « Come Together », « Imagine », des titres de Yoko Ono comme « We’re All Water », « Born in a Prison », « Move On Fast », et des reprises emblématiques comme « Hound Dog ». « Instant Karma! », positionné au cœur du set, agit comme une charnière dramatique : la proclamation de l’instant, le chœur martelé, la pulsation compacte fixent le tempo émotionnel de la soirée.

Au sein de cette dramaturgie, l’entrée de « Give Peace A Chance » en final – avec ses chantres et invités – prolonge la fonction rituelle du concert. Il ne s’agit pas seulement de jouer des titres, mais de rassembler une foule autour d’un répertoire qui épouse la réalité politique de l’époque. C’est aussi ce que rappelle la vidéo d’« Instant Karma! » : une musique qui n’« illustre » pas un discours mais qui est le discours.

Héritages : de « Live in New York City » aux archives remises à neuf

Pendant des décennies, l’accès « officiel » aux concerts de 1972 passait par « Live in New York City », album et vidéo sortis en 1986, bientôt indisponibles. Le mixage d’origine, plus sec et parfois inégal, avait ses défenseurs comme ses détracteurs. La campagne d’archives menée aujourd’hui propose un regard neuf, dans la lignée des Ultimate Mixes initiées ces dernières années pour la discographie de Lennon. Mieux : en présentant les shows dans leur intégralité (matinée et soirée) et en les hybridant pour une troisième version « best of », les curateurs donnent aux auditeurs des angles d’écoute multiples.

Le son y gagne une cohérence contemporaine sans sacrifier le grain de la captation analogique. Les Blu‑ray offrent des mixages immersifs qui replacent l’auditeur au centre du Madison Square Garden, tout en conservant une image stéréo fidèle. Sur le plan iconographique, les films restaurés, attendus l’année prochaine sous le titre « Power To The People », promettent de revisiter notre mémoire visuelle des concerts en corrigeant problèmes de génération, dérives de cadence et altérations de couleur.

La place de Yoko Ono : co‑autrice, performeuse, archiviste

On ne saurait comprendre le One to One ni, plus largement, la période 1971‑1972 sans mesurer la place centrale de Yoko Ono. Co‑autrice de nombreux titres de Some Time in New York City, performeuse à la voix et aux claviers sur scène, elle est également gardienne de l’archive. Dans la préface du livre inclus au coffret, Yoko rappelle que le concert incarnait leur croyance profonde en un « Rock for Peace and Enlightenment ». Son regard irrigue la narration du projet éditorial, qu’il s’agisse des choix iconographiques, des témoignages recueillis ou de la cohérence idéologique de l’ensemble.

Cette perspective permet de recontextualiser des morceaux parfois mal compris à leur sortie. Les titres les plus polémiques de l’album Some Time in New York City retrouvent un cadre d’écoute : celui d’un rock pamphlétaire, frontal et parfois rugueux, mais traversé d’un humanisme têtu. Les Elements Mixes et Evolution Documentaries dévoilent d’ailleurs des strates d’écriture et d’arrangement qui soulignent la complémentarité artistique du couple.

Éléments de style : entre urgence et précision

Le plaisir de la vidéo d’« Instant Karma! » tient aussi à la réalisation. Les cadres resserrés sur le visage de Lennon, le travelling sur la section rythmique, la manière de capter le feedback de la guitare de Tex Gabriel, créent un champ de tension qui rend tangible la transpiration du live. La montée du chœur « We all shine on » est traitée visuellement comme une incantation, avec des coupes nettes qui répondent aux accents de batterie.

Le remix audio, lui, se distingue par un équilibre qui restitue la masse des guitares sans écraser la voix. Les réverbérations sont maîtrisées, le registre grave de la basse est contenu et lisible, les aigus du sax ne crèvent pas l’image sonore. Il en résulte une expérience d’écoute dense mais aérée, à même de séduire ceux qui, jusque‑là, préféraient le timbre ascétique de l’album de 1986.

Un jalon dans la chronologie Lennon

Pour remettre la vidéo dans son continuum, rappelons quelques repères. « Instant Karma! », enregistré le 27 janvier 1970, sort au Royaume‑Uni le 6 février 1970 et aux États‑Unis le 20 février. Il s’impose immédiatement comme un standard du répertoire solo de Lennon. Deux ans plus tard, le 30 août 1972, le titre trouve au Madison Square Garden un écrin à sa mesure. En 1986, l’album « Live in New York City » immortalise surtout la soirée, laissant la matinée dans une relative pénombre. En 2025, la remobilisation des archives corrige cette asymétrie et livre, pour la première fois de façon cohérente, la totalité des performances dans des versions restaurées.

Dans le même mouvement, l’année 2025 est marquée par le documentaire « One To One: John & Yoko » (sorti en salles plus tôt dans l’année et promis à une exploitation streaming à l’automne), qui resitue politiquement et humainement l’événement. L’ensemble dessine un portrait du couple à la fois intime et public, où l’exigence esthétique se conjugue à une éthique de l’engagement.

Ce que cette « nouvelle » archive change pour les fans

Pour les fidèles de longue date de Yellow-Sub.net et plus largement de la communauté Beatles, la vidéo d’« Instant Karma! » répond à une double attente. D’un côté, elle comble une lacune dans la documentation du One to One, en rendant accessible une prise encore jamais diffusée officiellement. De l’autre, elle réactive la conversation autour des performances de Lennon hors du cadre Beatles, rappelant l’audace d’un musicien qui ne s’est jamais contenté d’illustrer ses positions politiques mais a cherché à les incarner musicalement.

La cohérence du chantier éditorial mené par l’équipe Sean Ono Lennon / Paul Hicks / Sam Gannon / Simon Hilton, avec le mastering d’Alex Wharton à Abbey Road, garantit que cette redécouverte ne soit pas une simple vitrine marketing. À l’approche de la sortie de « Power To The People (The Ultimate Collection) », on perçoit une logique : proposer un panorama complet, documenté et exigeant de la période new‑yorkaise, sans crainte de revisiter des albums controversés ni d’ouvrir les archives domestiques.

Conclusion : l’instant qui dure

Il y a une part de paradoxe à voir un titre baptisé « Instant Karma! » devenir, cinq décennies plus tard, le vecteur d’une mémoire renouvelée. L’instant a duré, parce qu’il a été capté, conservé, puis réanimé avec le souci d’en préserver la vitalité. Ce que révèle la vidéo présentée pour le 53e anniversaire du One to One, c’est la modernité intacte d’un John Lennon en lutte, d’une Yoko Ono en action, d’un groupe tendu vers un objectif clair : faire du concert un outil de transformation.

À l’heure où l’actualité ressuscite périodiquement les débats autour de l’engagement des artistes, cette archive rappelle une évidence : la musique peut rassembler, dénoncer, réparer. Et si « We all shine on », c’est aussi parce qu’un travail patient sur les archives nous donne, aujourd’hui, les moyens d’en voir et d’en entendre l’éclat. Le One to One n’est pas seulement un souvenir ; c’est une expérience toujours disponible, à laquelle cette vidéo d’« Instant Karma! » redonne son tempérament et sa nécessité.


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