Le documentaire Man on the Run, réalisé par Morgan Neville, retrace la renaissance de Paul McCartney dans les années 1970. À travers des archives inédites, des entretiens exclusifs et les journaux de l’artiste, le film explore la création de Wings, les défis post-Beatles et l’émergence d’un son nouveau. Une plongée sensible dans une décennie décisive, entre doutes, triomphes et réinvention artistique.
Avec « Man on the Run », Morgan Neville signe un long métrage documentaire consacré aux années où Paul McCartney s’est réinventé après la séparation des Beatles. Ce n’est pas une hagiographie de plus ni une compilation d’images d’archives : le film promet une plongée intime dans la décennie 1970, quand l’auteur de « Maybe I’m Amazed » doit prouver qu’il peut exister sans le carcan du groupe le plus célèbre du monde. À l’écran, l’arc narratif suit la mise en place de Wings avec Linda McCartney, les hésitations des débuts, les coups d’audace, les tournées à taille humaine puis les triomphes internationaux, au fil d’images inédites, de journaux personnels et d’entretiens tournés pour l’occasion. Le résultat, annoncé comme « une trajectoire personnelle et artistique » plutôt que comme un relevé de dates, s’intéresse autant au laboratoire qu’au résultat, aux contextes autant qu’aux chansons.
Sommaire
- Telluride d’abord, Prime Video demain
- Une équipe de haut vol et un accès rarement accordé
- Le pari éditorial : raconter l’après-Beatles sans la béquille du mythe
- Wings, un laboratoire conjugal et collectif
- Des routes secondaires à la conquête des stades
- Lagos, la peur, et la course contre la montre de « Band on the Run »
- Le cinéma et la commande : « Live and Let Die » et l’art du standard instantané
- La victoire patiente : de la moisson de hits à la reconnaissance critique
- Linda McCartney, partenaire et boussole
- Le regard Neville : de la légende au hors-champ
- Une chronologie clarifiée, des controverses replacées
- Un partenariat qui dépasse le film
- De la salle au salon : pourquoi la sortie en deux temps compte
- Un récit pour les fans des Beatles, mais pas seulement
- Ce qu’on y verra sans doute, ce qu’on y espère
- La place de Ringo, l’ombre des autres Beatles
- Pourquoi c’est important maintenant
- La grammaire McCartney relue par Wings
- Un récit d’auteur autant que d’interprète
- Un dernier mot sur la stratégie de diffusion
- Informations pratiques et repères clés
- Ce que « Man on the Run » change dans l’héritage McCartney
Telluride d’abord, Prime Video demain
Le documentaire a fait ses débuts le week-end dernier au Telluride Film Festival (29 août–1er septembre 2025), l’un des rendez-vous les plus prescripteurs du calendrier. Ce choix n’est pas anodin : Telluride accompagne souvent des œuvres façonnées pour durer, qui s’installent dans le temps long de la discussion critique. Dans la foulée, Amazon MGM Studios a officialisé l’acquisition du film, avec une sortie en salles sélectionnées avant une mise en ligne mondiale sur Prime Video le 25 février 2026 (plus de 240 pays et territoires). Le parcours épouse ainsi une double logique : projeter en cinéma pour la beauté du grand écran et la qualité sonore, puis offrir une diffusion planétaire à la maison.
Une équipe de haut vol et un accès rarement accordé
On ne confie pas n’importe quelles archives à n’importe qui. Morgan Neville, Oscar du meilleur documentaire pour « 20 Feet from Stardom », s’est imposé depuis plus d’une décennie comme l’un des grands portraitistes de la culture populaire. Pour « Man on the Run », il a pu consulter des carnets inédits, travailler à partir des photographies de Linda McCartney et dialoguer longuement avec Paul – sept entretiens ont été menés, selon la présentation officielle. La production est assurée par Tremolo, en association avec MPL (la société de McCartney) et Polygram Entertainment, avec Paul McCartney lui-même à la production exécutive. À la manœuvre figurent aussi Caitrin Rogers (productrice ou productrice exécutive sur plusieurs films de Neville), Chloe Simmons, Meghan Walsh, Scott Rodger, Ben Chappell, Michele Anthony et David Blackman. Autrement dit : un attelage capable d’allier exigence éditoriale, rigueur d’archives et savoir-faire industriel.
Le pari éditorial : raconter l’après-Beatles sans la béquille du mythe
Depuis plus de cinquante ans, une idée tenace colle à McCartney : celle d’un créateur dont la carrière post-Beatles serait une longue annexe. « Man on the Run » attaque ce préjugé à la racine en se concentrant sur la fabrique d’un répertoire neuf. Les premières années sont rugueuses : l’album « McCartney » (1970) est bricolé en famille ; « Ram » (1971) désarçonne une partie de la critique ; « Wild Life » (1971) décontenance encore. Mais, dans le même temps, se dessine une méthode : épurer, tester en petit comité, oser le banal pour retrouver l’exceptionnel. L’intuition de Paul – repartir de presque rien – ouvre, paradoxalement, vers le tout. C’est cette zone grise que le film documente : le moment où l’artiste réapprend à être auteur-interprète hors du système Beatles, avec des moyens plus modestes, au prix de doutes autant que d’éclaircies.
Wings, un laboratoire conjugal et collectif
La formation de Wings avec Linda McCartney n’est pas un simple geste domestique ; c’est un manifeste. En intégrant son épouse aux claviers et aux chœurs, McCartney revendique une cellule créative et affective indissociable. Autour d’eux, une ossature évolutive – Denny Laine comme lieutenant fidèle, Denny Seiwell puis d’autres musiciens – façonne un son qui n’est pas celui des Beatles, même si l’oreille reconnaît la patte mélodique. Le film s’attarde sur ces équilibres humains, sur les tensions inhérentes à un groupe dont le nom dit tout : Paul n’y cache pas sa centralité mais refuse l’idée d’un backing band. Wings n’est pas un pseudonyme ; c’est une proposition de groupe, mise à l’épreuve sur la route, dans les studios et au salon.
Des routes secondaires à la conquête des stades
Avant les salles combles, il y a l’audace des petites tournées. Au début de 1972, McCartney s’embarque dans des concerts improvisés dans des universités britanniques, annonce le show au dernier moment, arrive en camionnette, branche, joue. Le geste est humble et radical à la fois : se confronter au public comme au temps des Quarrymen, éprouver la matière des chansons, se réhabituer à la fragilité. De ces expériences naît un groupe endurci, prêt à viser plus grand. Quatre ans plus tard, Wings Over America réalise l’improbable synthèse : un son ample, un groupe serré et une setlist qui refuse la facilité du tout-Beatles, au profit d’un présent artistique assumé.
Lagos, la peur, et la course contre la montre de « Band on the Run »
Toute grande histoire a son roman d’aventures. Pour « Band on the Run » (1973), l’aventure a pour nom Lagos. McCartney, Linda et Denny Laine partent enregistrer au Nigeria après les départs de Seiwell et Henry McCullough. Sur place, les sessions sont mouvementées : chaleur, problèmes techniques, agression dans la rue qui fait disparaître des démo-tapes, suspicion d’artistes locaux inquiets qu’on « vienne piller le son ». Le couple persiste, retourne compléter l’album à Londres, et accouche d’un disque charnière, à la fois tendre et nerveux, porté par une chanson-titre en trois tableaux et par « Jet ». Le film donne à voir et à entendre ce mélange de fragilité et de détermination : on compose sous pression, on assemble avec les moyens du bord, et l’on signe, au final, un classique durable.
Le cinéma et la commande : « Live and Let Die » et l’art du standard instantané
L’après-Beatles, c’est aussi le dialogue avec d’autres industries culturelles. La chanson de James Bond, « Live and Let Die » (1973), compose en quelques minutes une architecture devenue canonique, fanfare explosive et couplets feutrés. L’évidence de la mélodie camoufle un artisanat savamment structuré : McCartney, héritier des traditions de la comédie musicale autant que du rock’n’roll, sait écrire pour la commande sans sacrifier sa signature. Man on the Run replace ces gestes – souvent traités comme des parenthèses – au cœur du récit d’une réinvention méthodique.
La victoire patiente : de la moisson de hits à la reconnaissance critique
Ce que les singles racontent, le temps long l’avalise. Après des débuts chahutés par les commentateurs, la décennie voit s’aligner « My Love », « Band on the Run », « Jet », « Silly Love Songs », « Let ’Em In », « With a Little Luck », jusqu’au phénomène « Mull of Kintyre » (1977) qui, au Royaume-Uni, devient un séisme populaire hors norme. L’album-live « Wings over America » installera l’aisance scénique d’un groupe désormais maître de son format. La critique, longtemps partagée, réévalue cette production à l’aune de sa cohérence : loin d’une succession de tubes opportunistes, elle apparaît comme un champ d’exploration où McCartney teste toutes les latitudes de son écriture.
Linda McCartney, partenaire et boussole
Le documentaire accorde une place égale à la musicienne, photographe et partenaire de route qu’est Linda McCartney. Au clavier et aux chœurs, elle ne se substitue pas à des virtuoses ; elle stabilise un cadre, ancre un son où la chaleur prime la démonstration. Surtout, ses images – instantanés de studio, scènes de famille, coulisses – offrent au film une matière sensible unique, ni posée ni volée, où l’on voit le travail et la vie se mêler. Dans l’économie de Wings, Linda est tour à tour ressort émotionnel, gardienne de l’intimité et co-pilote artistique.
Le regard Neville : de la légende au hors-champ
Ce qui distingue le cinéma de Morgan Neville, c’est sa manière d’approcher des icônes par le hors-champ. Qu’il filme des choristes (« 20 Feet from Stardom »), un pédagogue de la télévision (« Won’t You Be My Neighbor? ») ou un chef globe-trotter (« Roadrunner »), il s’intéresse à la charpente humaine derrière l’aura. « Man on the Run » poursuit ce fil : en scrutant le processus plutôt que la seule vitrine, le film laisse entrer la fragilité, les doutes, l’épuisement parfois – autant d’éléments que le récit triomphal a tendance à raser. S’y ajoute un art de l’archive vivante, où le document ne fige pas mais relance le présent, où la voix off éclaire sans asséner.
Une chronologie clarifiée, des controverses replacées
Le film s’attache à reordonner les faits sans dramatisation. La bataille juridique de la dissolution des Beatles, la recomposition des équipes, la gestion d’une notoriété qui ne faiblit pas, tout cela est montré non comme des obstacles narratifs commodes mais comme des contraintes avec lesquelles on apprend à composer. Les départs dans Wings, les entrées successives, les disques qui divisent puis convainquent, la mécanique des tournées et des médias : « Man on the Run » dessine une décennie habitée, jamais réduite à un tableau de chasse.
Un partenariat qui dépasse le film
Au-delà de la seule sortie, « Man on the Run » s’inscrit dans un partenariat plus large entre Paul McCartney, Universal Music Group et Amazon, pensé sur un an. Ce dispositif comprend des sorties musicales et des drops exclusifs via Amazon Music, des contenus éditoriaux originaux, et coïncide avec la parution du livre « Wings: The Story of a Band on the Run », annoncé pour le 4 novembre 2025 sur Amazon et Audible. En parallèle, la nouvelle étape nord-américaine de la tournée Got Back doit servir de caisse de résonance live à cette chronique des années 1970. L’ensemble esquisse un écosystème cohérent, où l’image, le texte, le son et la scène se répondent
De la salle au salon : pourquoi la sortie en deux temps compte
Expérimenter « Man on the Run » en cinéma puis en streaming ne relève pas du simple marketing. Le matériau sonore – bandes et multis d’époque, mixages restaurés, voix off récentes – gagne à être entendu dans des conditions optimales, alors que l’intimité des carnets et des clichés de Linda appelle, ensuite, une relecture à la maison, au rythme du spectateur. Ce double mouvement épouse le contenu : mi-spectacle, mi-confession ; mi-histoire, mi-présent. Il faut du temps pour remettre en perspective des œuvres que l’on croit archi-connues. La salle impose ce temps ; la plateforme le prolonge.
Un récit pour les fans des Beatles, mais pas seulement
Les lecteurs de Yellow-Sub.net savent combien la période 1970-1979 est fondatrice : c’est là que McCartney prouve que l’écriture peut survivre à la dissolution d’un groupe-monde. « Man on the Run » intéressera évidemment les inconditionnels des Fab Four, pour ses images rares et son regard sur l’atelier Wings ; il parlera tout autant à celles et ceux qui s’interrogent sur ce que signifie rebondir après un sommet historique. Le film traite d’identité et de persévérance autant que de musique. Il raconte un artiste qui tranche dans ses propres habitudes, refuse la redite, accepte l’imperfection pour avancer. C’est tout sauf un récit de confort.
Ce qu’on y verra sans doute, ce qu’on y espère
À la lumière des éléments déjà rendus publics, on peut s’attendre à revoir, rééclairés, des jalons connus : le spécial TV « James Paul McCartney » (1973), les sessions de « One Hand Clapping » (1974), la charnière « Venus and Mars »–« Wings at the Speed of Sound », la montée en puissance scénique jusqu’à « Rockshow ». On peut espérer, aussi, des rushes délaissés, des prises alternatives, des notes manuscrites qui font sentir la fabrique des morceaux – harmonies empilées, ponts déplacés, fausses bonnes idées écartées. Le regard de Neville laisse penser que ces documents ne seront pas de simples bonus, mais des clés dramatiques.
La place de Ringo, l’ombre des autres Beatles
Si l’ombre des Beatles n’est jamais loin, « Man on the Run » se garde de rabattre le récit sur l’ancienne confrérie. On y croise des échos, des comparaisons, des clins d’œil ; l’essentiel reste ailleurs : dans la construction patiente d’une œuvre qui refuse la comparaison permanente. À ce titre, la décennie 1970 est propice : elle appartient pleinement à McCartney, qui l’occupe sans défense ni excuse. Le film, là encore, ne corrige pas l’histoire ; il la complète en la rendant lisible d’un bloc.
Pourquoi c’est important maintenant
À l’ère des plateformes, où les récits d’artistes affluent, « Man on the Run » occupe une place singulière : c’est un chapitre longtemps laissé dans l’angle mort du grand public, celui d’un créateur obligé de tout recommencer avec son nom pour seule bannière. Le moment est bien choisi : une génération qui a découvert McCartney par « McCartney 3,2,1 » ou par ses apparitions récentes va pouvoir relier ce présent à l’origine de son deuxième acte. Et, pour les vétérans, la promesse d’images restaurées et de contextes enrichis suffit à justifier la curiosité.
La grammaire McCartney relue par Wings
Ce qu’on appelle « la patte McCartney » – science du pont, goût du contre-chant, sens de la basse chantante, évidence d’un refrain – ne disparaît pas avec les Beatles : elle se recompose. Dans Wings, l’été des harmonies se mélange au Fender Rhodes, à des chœurs familiaux, à une pulsation plus souple que celle des années Cavern. « Man on the Run » rappelle à quel point cette grammaire se décline de mille manières : de la ballade en apesanteur (« Bluebird ») au mid-tempo cuivré (« Let ’Em In »), du manifeste d’orchestre (« Live and Let Die ») à la marche populaire (« Mull of Kintyre »). Tout cela, replacé dans le contexte des choix et des contraintes, prend une autre saveur.
Un récit d’auteur autant que d’interprète
S’il est un fil rouge, c’est bien celui de l’écriture. McCartney est un musicien de lignes : il pense en mélodies qui s’empilent, se répondent, s’équilibrent. Le documentaire, en ouvrant les carnets et les instruments, redonne aux chansons leur statut de constructions et non de « trouvailles » tombées du ciel. Cette matérialité – un accord déplacé, une coda trouvée au piano, un bridge repiqué à la basse – constitue la substance même d’« Man on the Run ». Et c’est sans doute ce qui en fera un film revoir : on y retrouve ce plaisir d’atelier, cette impression de voir la musique se fabriquer.
Un dernier mot sur la stratégie de diffusion
L’alliance entre MPL, Polygram Entertainment et Tremolo d’un côté, Amazon MGM Studios de l’autre, fait entrer la décennie 1970 de McCartney dans une économie de visibilité contemporaine. Entre première à Telluride, sortie en salles, publication d’un livre et contenus exclusifs, le récit se déploie sur plusieurs supports et dans plusieurs temporalités. Dans un marché saturé, cette cohérence éditoriale peut faire la différence : elle permet de parler au cinéphile, au lecteur, au fan de musique et au curieux de manière complémentaire, sans contraindre l’œuvre à un seul format.
Informations pratiques et repères clés
Le film a débuté au Telluride Film Festival le dernier week-end d’août 2025. Une sortie limitée en salles est annoncée « prochainement », avant une mise en ligne mondiale sur Prime Video le 25 février 2026. Il est réalisé par Morgan Neville et produit par Tremolo en association avec MPL et Polygram Entertainment ; Paul McCartney en est producteur exécutif. En marge, un partenariat McCartney–UMG–Amazon prévoit sur l’année à venir des parutions musicales et éditoriales, dont le livre « Wings: The Story of a Band on the Run » attendu le 4 novembre 2025, tandis que la tournée Got Back doit traverser l’Amérique du Nord à l’automne. Ces données, confirmées par des annonces officielles et par les médias spécialisés, fixent le cadre d’une sortie qui se veut à la fois événementielle et pédagogique.
Ce que « Man on the Run » change dans l’héritage McCartney
Si l’on devait résumer la promesse du film en une formule, ce serait celle-ci : démythifier pour mieux remythifier. Autrement dit, ôter la poussière des récits paresseux – le génie infaillible, le tube qui s’écrit tout seul, la décennie 1970 réduite à deux ou trois titres – pour redonner à la réinvention de Paul sa puissance humaine. « Man on the Run » ne reniera pas la légende ; il la resserrera autour de ce qui, chez McCartney, demeure décisif : une éthique de travail, une curiosité jamais rassasiée et une manière inimitable de transformer la vie en chansons.
