A l’occasion du marché de la poésie, cette année, en juin, j’ai découvert cette maison d’édition, l’Atelier Imis, qui recouvre un collectif d’artistes et de poètes. C’est grâce à cet événement que j’ai pu lire « Laisse chanter la dune » de Florence Toussan, un beau livre, entre poésie et roman, sous forme de monologue féminin.
Note pratique sur le livre
Editeur : Atelier Imis
Année de publication : 2024
Nombre de pages : 70
Présentation par l’éditeur
En 2017, l’Atelier IMIS présentait dans l’exposition « Proximités-Distances » le film « Une voix ». La voix off, première version de « Laisse chanter la dune » et fil conducteur du film, évoque la vie d’une femme qui nous confie ses espérances, ses doutes, ses rêves, et raconte. Le personnage est interprété à l’écran par Brida Horvát.
Appréhendée hors du temps, l’histoire ne se déroule ni dans un pays ni à une époque donnés. Passé et présent se mélangent, une trajectoire se déploie peu à peu, que des évènements vont faire dévier. L’avenir, incertain, se laisse deviner dans une succession d’atermoiements, de renoncements.
(Sources : internet, quatrième de couverture)
Mon avis
Aucun indice historique ou géographique ne vient perturber le côté intemporel et universel de cette histoire. Et, en effet, la destinée de la jeune narratrice peut paraitre semblable à des milliers d’autres, depuis la nuit des temps et sur tous les continents. Un destin de femme qui permet peut-être, pour le lecteur, une certaine prise de conscience ou une forme d’éveil, vis-à-vis de la condition féminine.
La jeune fille qui s’exprime devant nous vit sous la domination d’une société patriarcale, elle n’est pas libre d’épouser qui elle voudrait, on la marie de force. Pour autant, les hommes ne sont pas des monstres, leur domination/oppression garde un visage humain, ce qui est peut-être encore pire que la violence, dans un certain sens, car cela décourage les révoltes et les résistances. La jeune fille, devenue femme mariée, puis mère, va peut-être reproduire avec ses filles ce qu’elle a subi elle-même ou, tout au moins, elle ne s’opposera pas au cours des choses, considéré comme normal par tout le monde.
On sent à travers cette histoire le sort inéluctable qui conduit la femme, selon des coutumes et des mœurs préétablies, ancestrales et inamovibles, vers un rôle qu’elle n’a pas choisi, qui la brime, qui l’aliène.
Beaucoup d’émotions se dégagent de ce monologue – énoncé au présent et à la première personne du singulier – exprimant avec vivacité et sensibilité les frayeurs, les élans, les pudeurs, les regrets, les questionnements. La narratrice, malgré la dureté de son sort, ne montre presque jamais de sentiments haineux, révoltés ou colériques, bien qu’elle les frôle parfois, comme dans l’extrait ci-dessous, que je trouve bouleversant de justesse et de finesse.
Le fait que ce texte ait été pensé comme bande-son (en voix-off) d’un film, et que, justement, des images de ce film illustrent ce livre, rend la lecture particulièrement vivante et fait surgir des tas de sensations – visuelles, sonores, cinématographiques – dans l’imagination du lecteur, surtout que le texte en lui-même est riche en rythmes, en images, en évocations sensitives.
Un beau livre, à la fois humain, subtil et d’une émouvante lucidité ; tout à fait à conseiller !
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Un extrait page 31
Cet homme qui est mon mari n’est pas le monstre que je redoutais. La part belliqueuse en moi l’appelle de ses vœux, le monstre, celui qui va se glisser dans ma couche et prendre ce qui lui revient. Je me souviens, je n’ai rien oublié, il vit en moi, cet homme qui sera mon mari, cet inconnu qui me veut et m’a choisie. Mon assentiment, personne ne le demande. Je fabrique l’ennemi dans un coin de ma tête, l’homme à haïr, je m’acharne, j’ai besoin d’imaginer le pire, c’est mieux que de ne rien savoir. J’ai l’angle idéal, égoïste, autoritaire, exclusif, je brode autour de motifs vieux comme le monde. Il vit en moi, partout, se déploie de façon systématique, il envahit, il enfle, il croit, il colonise, brutal et impatient. À lui seul, dans ce coin de ma tête, il devient démesure, fantasme et fascination.
On me maintient à distance. Les hommes opaques ont pris les choses en main, à leur suite, les femmes s’enfièvrent les mains ouvertes et les paumes tournées vers le ciel. Je ne pose pas de question, le secret rend l’attente plus absurde, je suis si jeune, on me dit, toutes les femmes passent par là, je n’ai pas peur, pas vraiment, c’est autre chose, je cherche sous ma peau les signes de l’excitation dont parlent les filles à voix chuchotée lorsqu’elles sont entre elles, loin des femmes, des mères, loin des suspicions.
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