Quatrième de couverture :
La France de 1834 est une poudrière, la monarchie réprime de plus en plus durement les émeutes qui gagnent le pays.
À Paris, au milieu de la nuit du 14 avril, l’armée abat les habitants d’un immeuble situé au 12 de la rue Transnonain. Un repaire d’insurgés ? Les victimes sont pourtant des vieillards, des femmes, des enfants… Une paire de bas gît au fond d’un des lits taché de sang ; ils appartiennent à une fille des rues portée disparue. Elle sait. Le préfet de police lance l’agent Joseph Lutz sur sa trace.
Dleux cents ans après les faits, Jérôme Chantreau rouvre ce dossier criminel. il mène l’enquête, redonne vie aux protagonistes de l’un des faits divers les plus tragiques de la capitale et leur rend justice.
L’affaire de la rue Transnonain raconte ce que le pouvoir, lorsqu’il est acculé et vacillant, est capable d’accomplir de pire.
Jérôme Chantreau s’est emparé d’un épisode sanglant de la révolte d’avril 1834 à Paris. On est depuis 1830 sous la Monarchie de juillet et les soldats de Louis-Philippe écrasent les nombreuses émeutes qui éclatent un peu partout. Après avoir réprimé celle de Lyon, les troupes du maréchal Bugeaud, avec l’accord d’Adolphe Thiers, alors ministre de l’Intérieur, s’apprêtent à charger dans Paris. Ils imaginent un stratagème qui fera certes des victimes innocentes mais fera un exemple définitif pour extirper la révolte populaire, menée par la Société des Droits de l’homme. Et c’est ainsi que survient le massacre de la rue Transnonain (actuelle rue Beaubourg) : prétextant l’assassinat d’un capitaine aimé de ses hommes, les soldats enfoncent la porte d’un immeuble à appartements et tuent plusieurs civils, surtout des femmes et des enfants. Le jeune Louis Breffort meurt dans l’assaut, sa compagne, la prostituée Annette Vacher, dite Perle-la-Rouge, réussit à s’enfuir par les toits. L’examen des lieux par un médecin légiste amène la police à faire rechercher la jeune femme par l’agent Joseph Lutz, ancien adjoint de Vidocq, dont les méthodes et le caractère ne sont pas des plus doux. On interdit à celui-ci de fouiner dans le côté « politique » de l’affaire, bien évidemment il n’obéit pas et il comprend vite qu’il lui faut retrouver Annette pour la protéger. Mais celle-ci, malgré sa grande beauté et ses cheveux flamboyants, réussit à échapper à la police et trouve refuge chez les premières féministes et les saint-simonniens (je vous laisse découvrir en lisant) qui diffusent des revues et brochures et tentent de faire reconnaître le droit des femmes à s’affranchir de la tutelle masculine.
Dans ce qui est à la fois un roman historique et une enquête qui change sans cesse de date et de personnage au fil des chapitres courts, nous suivons les deux protagonistes, Annette et Joseph, nous découvrons leur histoire mais nous comprenons aussi le mécanisme de cette répression, nous entrons par exemple dans le bureau d’Adolphe Thiers ou celui du préfet de police et surtout nous traversons un Paris qui n’existe plus, le Paris d’avant Haussmann avec les égouts à ciel ouvert, les animaux en liberté, la foule des misérables et des taudis, les prisons sordides, les villages qui ne font pas encore partie de la grande ville. Nous sortirons même de Paris pour aller jusqu’au Mont Saint-Michel, jusqu’à Bayonne et croiser la route d’un abbé engagé pour les orphelines et les prostituées. C’est une histoire souvent tragique, non dénuée d’espoir cependant, racontée dans un roman passionnant, instructif et rythmé. Une belle réussite pour cette toute jeune maison d’édition créée en 2024.
« Cependant, regardez bien. Au coin de la rue Beaubourg et de la rue Chapon, là, juste au-dessus de la plaque bleue indiquant rue Beaubourg. Une simple inscription dans la pierre : Rue Transnonain. Aucun panonceau explicatif de la ville de Paris pour éclairer le curieux. Juste un stigmate, accompagné d’un silence. Un nom étrange, difficile à prononcer. Un nom ancien, qui ne veut plus rien dire.
Levez la tête, passants, ou baissez les yeux.
Et puis débrouillez-vous avec ça. »
« La salle du Conseil répond à ce préambule par une salve d’applaudissements, tandis qu’Adolphe Thiers reprend son souffle. Les pairs apprécient la concision du bonhomme et son agilité politique, d’autant qu’il est bientôt l’heure de passer à table. Mais ce que Thiers ne dit pas, parce que tout le monde s’en moque, ici, c’est que la mécanisation du travail vide les ateliers et que le travail honnête ne permet plus de vivre. Le métier à tisser Jacquard, merveille de technologie, met trois hommes sur cinq au chômage. Ceux qui ont encore un emploi voient leur salaire se réduire comme peau de chagrin, car le patron est seul à en fixer le montant. Voilà pourquoi ces drôles veulent se mutualiser. Il y cinquante ans, la Bastille a été prise par des affamés, aujourd’hui, ce sont des travailleurs pauvres qui dressent des barricades. Ce n’est pas du tout la même chose , et Thiers le sait. »
« Claire Démar a trente-trois ans. Elle n’est plus très jeune. Ce n’est pas non plus le grand âge. Mais il y a en elle un sablier qu’elle seule sent s’écouler. Tandis qu’elle livre combat à la société, à la propriété bourgeoise, à l’asservissement des femmes dont tout le monde se moque, le temps passe et rien n’arrive. Elle sent toute l’urgence de son combat, et n’entend que des railleries. Au mieux, elle scandalise. Les gens ne veulent pas l’écouter, ils ne sont pas prêts. Combien de temps encore, avant qu’ils comprennent ? Prosper Enfantin et les saint-simoniens ont quitté la France. L’espoir n’est plus qu’une toute petite braise au fond de son cœur ardent. »
Jérôme CHANTREAU, L’affaire de la rue Transnonain, Editions La Tribu, 2025
