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All I’ve Got To Do : Quand John Lennon réinvente la soul à l’anglaise

Publié le 06 septembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Le 22 novembre 1963, les Beatles dévoilent au public britannique leur deuxième album, With The Beatles, un disque qui marque une étape décisive dans leur ascension fulgurante. Enregistré à l’automne de cette même année, il précède de peu l’explosion du groupe sur la scène américaine et confirme leur statut de phénomène musical.

Parmi les titres qui composent cet opus, All I’ve Got To Do occupe une place singulière. Composée par John Lennon, cette chanson est un hommage direct à la soul américaine et, plus précisément, à Smokey Robinson, figure emblématique du label Motown. Véritable déclaration d’amour à un style musical qui influencera profondément l’évolution artistique des Beatles, ce morceau offre un aperçu fascinant de la manière dont le groupe parvenait à intégrer ses inspirations pour en faire quelque chose de totalement nouveau.

Si All I’ve Got To Do reste l’un des titres les plus discrets de With The Beatles, il est aussi l’un des plus novateurs, prouvant que les Beatles ne se contentaient pas d’être un simple groupe de rock’n’roll : ils étaient déjà en train de redéfinir la pop.

Sommaire

  • Le Motown Sound : une inspiration cruciale
  • Une construction musicale raffinée et innovante
  • Un enregistrement spontané et efficace
  • Pourquoi « All I’ve Got To Do » n’a jamais été jouée sur scène ?
  • Un jalon dans l’évolution musicale des Beatles

Le Motown Sound : une inspiration cruciale

Dès les premières notes de All I’ve Got To Do, l’influence de Smokey Robinson et des Miracles est manifeste. John Lennon, qui admirait profondément l’élégance et la sophistication des productions Motown, a cherché à retranscrire cette atmosphère dans sa propre composition.

À cette époque, Motown n’était pas encore le mastodonte qu’il allait devenir à la fin des années 1960, mais il était déjà un label en pleine expansion, façonnant le son de la soul américaine. Les Beatles, qui se nourrissaient avidement de musique venue des États-Unis, avaient découvert les Miracles dès le début des années 1960 et avaient immédiatement été séduits par la voix suave de Smokey Robinson et par les harmonies soignées de ses chansons.

Le morceau You Can Depend On Me, enregistré par les Miracles en 1959, présente de nombreuses similitudes avec All I’ve Got To Do. On y retrouve la même structure fluide, le même balancement rythmique et un thème lyrique centré sur la promesse d’amour et de fidélité.

Là où All I’ve Got To Do se distingue, c’est dans son interprétation : Lennon ne cherche pas à imiter Robinson, mais plutôt à capter l’essence de son style pour le fusionner avec sa propre sensibilité artistique. En résulte une chanson qui, bien que très inspirée de la soul, reste profondément Beatlesienne.

Une construction musicale raffinée et innovante

L’une des grandes forces de All I’ve Got To Do réside dans son approche rythmique et harmonique. Contrairement à de nombreuses compositions des Beatles de cette époque, qui s’appuient sur des progressions d’accords directes et des structures classiques couplet-refrain, ce morceau adopte une approche plus subtile et nuancée.

L’ouverture du titre est marquée par un accord de guitare mystérieux et légèrement dissonant, un choix peu commun pour une chanson pop de 1963. Dès les premières mesures, une tension s’installe, renforcée par le jeu de batterie syncopé de Ringo Starr, qui donne à l’ensemble un groove atypique.

Le chant de Lennon oscille entre un phrasé presque murmuré dans les couplets et des envolées plus lyriques sur le refrain. Cet équilibre entre retenue et intensité reflète parfaitement l’influence de la soul, où l’émotion prime sur la démonstration technique.

De son côté, Paul McCartney apporte une ligne de basse élégante et fluide, qui joue un rôle central dans la dynamique du morceau. Fidèle à son approche mélodique de l’instrument, il ne se contente pas d’accompagner les accords, mais propose une véritable contre-mélodie qui enrichit l’ensemble.

Quant à George Harrison, il livre un travail subtil à la guitare, ajoutant des ponctuations discrètes mais essentielles à l’équilibre du morceau. Contrairement à d’autres titres où il se démarque par des solos flamboyants, il adopte ici une approche plus feutrée, en parfaite adéquation avec l’ambiance générale de la chanson.

Un enregistrement spontané et efficace

Comme pour la plupart des morceaux de With The Beatles, All I’ve Got To Do fut enregistré en un temps record. Le 11 septembre 1963, les Beatles entrent en studio sous la direction de George Martin et enregistrent plusieurs titres au cours de cette journée particulièrement productive.

Il ne leur faut que 14 prises pour obtenir la version définitive, bien que 8 d’entre elles aient été interrompues dès les premières mesures en raison d’erreurs mineures. Une seule surcouche instrumentale fut ajoutée par la suite pour peaufiner le morceau.

Ce mode de travail rapide témoigne du niveau de cohésion atteint par le groupe à cette période. Ayant passé des années à jouer ensemble sur scène, ils étaient capables d’enregistrer des morceaux en une poignée de prises, avec une précision et une efficacité remarquables.

Pourquoi « All I’ve Got To Do » n’a jamais été jouée sur scène ?

Malgré ses qualités indéniables, All I’ve Got To Do ne fit jamais partie du répertoire scénique des Beatles. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette absence.

D’abord, la structure du morceau, marquée par des arrêts et des relances soudaines, aurait été difficile à retranscrire en concert, surtout à une époque où la technologie sonore n’était pas encore suffisamment avancée pour restituer fidèlement ce type de subtilités.

Ensuite, la Beatlemania battait son plein, et les concerts du groupe se déroulaient dans une cacophonie indescriptible, où les cris hystériques des fans couvraient souvent la musique. Les Beatles privilégiaient alors des morceaux plus directs et énergiques, mieux adaptés à l’ambiance survoltée de leurs performances live.

Enfin, bien que Lennon en soit l’auteur principal, All I’ve Got To Do n’a jamais été mise en avant comme un single ou une pièce maîtresse du répertoire Beatlesien. Elle est restée une pépite discrète, appréciée des connaisseurs mais souvent éclipsée par les titres plus populaires de l’album.

Un jalon dans l’évolution musicale des Beatles

Si All I’ve Got To Do n’a jamais eu l’aura d’un She Loves You ou d’un I Want To Hold Your Hand, elle n’en reste pas moins une pièce essentielle du puzzle Beatlesien. Elle témoigne de leur capacité à s’imprégner de multiples influences et à les transformer en quelque chose de profondément original.

En intégrant des éléments de soul et de Motown dans leur univers musical, les Beatles jetaient les bases de ce qui allait devenir l’une de leurs plus grandes forces : une ouverture stylistique totale, qui leur permettrait d’explorer des genres aussi variés que la musique psychédélique, le blues, la musique classique et même l’Inde mystique.

Avec All I’ve Got To Do, John Lennon prouvait déjà qu’il n’était pas qu’un simple rockeur, mais un compositeur capable de nuance et de raffinement. Ce morceau, à la fois discret et innovant, mérite d’être redécouvert à sa juste valeur : comme un moment charnière où la pop britannique s’appropriait la soul américaine pour en faire quelque chose d’inédit.


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