Lorsque l’on aborde la discographie prolifique des Beatles, « Eight Days A Week » occupe une place singulière. Écrite à l’origine pour servir de titre potentiel à leur deuxième film (Help! fut finalement retenu), la chanson se retrouve sur l’album Beatles For Sale au Royaume-Uni, mais connaîtra un destin particulier outre-Atlantique, où elle devient un énorme succès. Retour sur la genèse et l’héritage de ce morceau apprécié par le public, mais considéré de façon plus mitigée par les Beatles eux-mêmes.
Sommaire
- Contexte et inspiration
- Enregistrement en studio
- Une approche inédite pour les Beatles
- L’innovation du fade-in
- Parution et réception
- Sur album au Royaume-Uni… single aux États-Unis
- Positionnements dans les classements
- Composition et particularités musicales
- Un titre peu défendu sur scène
- Héritage et postérité
- Conclusion
Contexte et inspiration
Un chauffeur, Ringo Starr… ou les deux ?
Paul McCartney a évoqué à plusieurs reprises l’origine de l’expression « Eight Days A Week ». Selon une première version, l’idée viendrait d’une « malapropism » de Ringo Starr, célèbre pour ses tournures de phrases involontairement cocasses (il est déjà à l’origine de titres comme « A Hard Day’s Night » ou « Tomorrow Never Knows »). Paul se souvient que Ringo, évoquant sa charge de travail, aurait lancé : « I’ve been working eight days a week! ».
Toutefois, dans d’autres entretiens, notamment dans The Beatles Anthology, McCartney indique avoir entendu cette formule de la bouche d’un chauffeur qui le conduisait chez John Lennon à Weybridge. Interrogé sur sa vie et son emploi du temps, ce dernier aurait soupiré : « Oh, working hard, working eight days a week… ». Quoi qu’il en soit, Paul arrive chez John avec cette idée ; les deux compositeurs principaux des Beatles se mettent aussitôt au travail pour bâtir la chanson.
John Lennon, lui, se montrera plus tard assez critique à l’égard de « Eight Days A Week », la qualifiant de « lousy » (banale ou moyenne), tout comme le film Help! qu’il considérait comme un projet moins abouti. Il concède néanmoins que la chanson, tout comme le film, a rencontré un grand succès auprès du public.
Enregistrement en studio
Une approche inédite pour les Beatles
Contrairement à de nombreuses chansons antérieures, « Eight Days A Week » est l’un des premiers morceaux que les Beatles apportent au studio sans avoir d’arrangement final complètement fixé. George Martin, leur producteur, et Norman Smith, l’ingénieur du son, assistent alors à un processus de composition en temps réel : Lennon et McCartney peaufinent les idées de structure et d’introduction, tandis que George Harrison et Ringo Starr découvrent le morceau et s’y adaptent.
Les sessions d’enregistrement se déroulent principalement le 6 octobre 1964, en deux parties totalisant près de sept heures. Plusieurs prises successives témoignent des hésitations du groupe sur l’intro :
- Take 1 : ouverture directe à la guitare acoustique, simple et sans superflu.
- Take 2 : « Ooohs » harmonisés par John et Paul en guise de préambule, avant l’attaque des instruments.
- Take 3 : mélange des idées initiales (intro guitare + vocalises).
- Take 4 : les « Ooohs » restent cette fois à la même hauteur, au lieu de monter dans la gamme.
- Take 5 : on retrouve des « Ooohs » aussi bien en début qu’en fin de morceau.
- Take 6 : proche de la version publiée, mais il manque encore le fameux fondu de début (fade-in) et le final définitif.
Deux « edit pieces » (parties additionnelles) sont ensuite enregistrées le 18 octobre pour l’intro et la fin. L’intro retenue est finalement un fade-in guitaristique, tandis que l’une des possibilités d’intro (avec vocalises) sera abandonnée.
L’innovation du fade-in
« Eight Days A Week » est considérée comme l’un des premiers titres pop à commencer par un fade-in, technique encore rare à l’époque : le volume augmente progressivement, donnant l’impression que la chanson « se rapproche » de l’auditeur. Certains historiens signalent quelques précédents dans la musique country ou rockabilly (comme « The Wild One » de Johnny Horton), mais la démarche reste très originale dans la pop britannique des années 1960.
Le morceau s’achève également sur un final spécial. Les guitares, dont la fameuse Rickenbacker 12 cordes de George Harrison, s’y superposent, renforçant le côté accrocheur et dynamique de cette conclusion.
Parution et réception
Sur album au Royaume-Uni… single aux États-Unis
Au Royaume-Uni, « Eight Days A Week » paraît le 4 décembre 1964 sur l’album Beatles For Sale, en ouverture de la face B. Les fans britanniques la découvrent ainsi comme une piste d’album parmi d’autres, sans bénéficier du statut de single.
En revanche, Capitol Records sort la chanson en single aux États-Unis le 15 février 1965, avec en face B « I Don’t Want To Spoil The Party ». Le succès est immédiat : il devient rapidement le septième numéro 1 des Beatles dans les charts américains (en un peu plus d’un an), confirmant l’enthousiasme exceptionnel du public américain pour le groupe. Il se hisse également en tête des palmarès canadiens, belges et néerlandais.
Cette distinction s’accompagne d’une curiosité : alors même qu’elle se classe au sommet des ventes, « Eight Days A Week » n’est pas particulièrement aimée des Beatles, au point qu’ils ne la joueront pas en concert. Ils ne l’interpréteront en direct qu’une seule fois à la télévision, lors de l’émission Thank Your Lucky Stars du 3 avril 1965 (dont les archives vidéo sont aujourd’hui perdues).
Positionnements dans les classements
- États-Unis : n° 1 sur le Billboard Hot 100 et le Cash Box Top 100.
- Canada : n° 1.
- Belgique & Pays-Bas : n° 1.
- Allemagne : n° 5.
La chanson sera certifiée Disque d’or par la RIAA le 16 septembre 1965 et figure dans plusieurs compilations ultérieures, dont Beatles 1 en 2000. Par ailleurs, elle inspirera le titre du documentaire de Ron Howard, The Beatles: Eight Days a Week – The Touring Years, sorti en 2016, qui retrace les années de tournées effrénées du groupe.
Composition et particularités musicales
- John Lennon : chant, guitare acoustique rythmique, handclaps
- Paul McCartney : chant, basse, handclaps
- George Harrison : guitare électrique (Rickenbacker 12 cordes, notamment), chœurs, handclaps
- Ringo Starr : batterie, handclaps
La chanson se caractérise par sa légèreté mélodique, assurée par les harmonies vocales Lennon–McCartney et un tempo pop-rock accessible. Le son signature de la Rickenbacker 12 cordes apporte la brillance devenue typique de nombreuses compositions de l’époque, tandis que la basse de McCartney et la batterie de Ringo Starr maintiennent la pulsation entraînante.
Un titre peu défendu sur scène
Malgré son immense popularité aux États-Unis, les Beatles n’ont jamais véritablement mis « Eight Days A Week » en avant lors de leurs tournées. Les raisons avancées :
- Une chanson « pas aboutie » selon Lennon : il la juge « lousy », un terme dur qu’il emploie pour signifier qu’il ne la trouvait pas à la hauteur d’autres compositions du groupe.
- Manque d’intérêt pour l’interpréter en live : il arrive que les Beatles privilégient leurs titres préférés ou les plus efficaces sur scène. Dans ce contexte, « Eight Days A Week », malgré son succès outre-Atlantique, n’est pas sélectionnée.
- Une seule performance télévisée a été enregistrée pour Thank Your Lucky Stars en avril 1965, dont les bandes ont disparu. Faute d’archives, il n’existe donc pas de captation filmée officielle de la chanson jouée en direct par les Beatles.
Paul McCartney en concert
Il faudra attendre mai 2013 pour que Paul McCartney interprète « Eight Days A Week » sur scène, lors d’un concert au Brésil (Estádio Mineirão, à Belo Horizonte). Ce sera même le morceau d’ouverture de la tournée Out There, preuve que Paul, au fil des années, aura fini par redonner une certaine importance à cette chanson.
Héritage et postérité
- Rôle dans l’évolution du son Beatles : « Eight Days A Week » marque l’une des premières fois où le groupe expérimente ouvertement dans le studio, adaptant et remaniant la structure en direct devant George Martin et Norman Smith. Cela annonce la suite, car dès Help! et plus tard Rubber Soul, les Beatles n’hésiteront plus à arriver avec des ébauches et à finaliser les arrangements pendant les sessions.
- Exemple de titre anglo-américain : au Royaume-Uni, elle reste une piste « cachée » (album track) sur Beatles For Sale, alors qu’aux États-Unis, elle brille au sommet des palmarès. Ce décalage illustre bien la manière dont le répertoire des Beatles était souvent découpé et remanié par Capitol Records pour le marché américain.
- Titre phare dans les compilations : Depuis l’an 2000, « Eight Days A Week » fait partie de la sélection Beatles 1, qui regroupe tous les n° 1 internationaux du groupe. Elle est ainsi redécouverte par les nouvelles générations, confirmant son statut de classique parmi les grands succès de la formation.
Conclusion
« Eight Days A Week » est à la fois un triomphe et un paradoxe. Son immense succès commercial, notamment aux États-Unis, en fait l’un des titres incontournables de la période Beatles. Pourtant, John Lennon se montrait assez sévère à son égard, l’estimant trop « fabriqué » et moins authentique que d’autres morceaux du groupe.
De cette dualité naît une anecdote fascinante sur l’évolution des Beatles : malgré leurs réserves, ils ont accepté de proposer une chanson qui a fait chavirer les cœurs et gravi les sommets des charts internationaux. Le fade-in novateur, la légèreté pop, l’inspiration directe d’un simple mot d’esprit et le charme des harmonies Lennon–McCartney en font un exemple parfait de la créativité pop des Beatles au milieu des années 1960.
En fin de compte, « Eight Days A Week » demeure un jalon de la Beatlemania, symbole d’une époque où, comme le suggère cette expression imagée, les Fab Four semblaient vivre et travailler « huit jours par semaine » pour satisfaire un public devenu insatiable.
