Lors du premier épisode de la nouvelle saison d’Antiques Roadshow, tourné à Bradford, un visiteur a présenté un dessin au stylo-bille attribué à John Lennon daté 1979. L’expert liverpuldien Wayne Colquhoun a reconnu le motif « Jazz Man », déjà décliné en lithographies Bag One Arts, et expliqué qu’avec une authentification indépendante la feuille pourrait atteindre 5 000 £, contre les 2 000 £ déboursés à Las Vegas il y a dix-huit ans. L’affaire remet en lumière la facette graphique du Beatle, formé au Liverpool College of Art, auteur de In His Own Write et de la sulfureuse série « Bag One ». Elle rappelle aussi les critères décisifs du marché : provenance, signature, papier, et la nécessité du regard d’experts comme Frank Caiazzo ou Tracks Ltd pour valider la valeur d’une œuvre originale de Lennon.
Le premier épisode de la nouvelle saison d’Antiques Roadshow diffusé sur BBC One a offert un moment rare : un visiteur a présenté à l’expert Wayne Colquhoun, natif de Liverpool, un dessin au stylo-bille attribué à John Lennon. L’émission, tournée à Lister Park et Cartwright Hall à Bradford, a immortalisé la scène : sur une simple feuille, une figure esquissée en traits rapides, un dialogue griffonné à la main — « I’ve been getting into jazz man. I’ve been trying to avoid it all me life » — et une signature manuscrite « with love John Lennon », datée et paraphée « JL ’79 ». Le propriétaire confie l’avoir acheté il y a environ 18 ans, durant des vacances à Las Vegas, au Caesars Palace. D’abord réticent à dévoiler le prix — « sinon ma femme va l’apprendre » — il chuchote le chiffre à l’oreille de l’expert : 2 000 £. Wayne Colquhoun souligne la somme « conséquente » à l’époque, mais ajoute que la cote ne baisse pas pour ce type de pièces ; avec une authentification sérieuse, estime-t-il, l’œuvre pourrait « atteindre 5 000 £ ». Le passage, très commenté, aura eu le mérite de remettre au premier plan un pan moins connu de Lennon : le dessinateur.
Sommaire
- Pourquoi cette petite feuille bleue intrigue autant
- Le précédent « Bag One » : quand l’art de Lennon heurte la censure
- « Jazz Man » : un motif, plusieurs vies
- L’authentification, nerf de la guerre
- De « In His Own Write » aux enchères d’aujourd’hui : la vitalité d’un marché
- Que regarder, concrètement, sur une pièce comme celle-ci ?
- L’instant télé, la culture pop et ce qu’il nous dit de Lennon
- L’« effet Roadshow » et la pédagogie de l’expertise
- Une foire aux questions implicite pour les fans et les lecteurs
- Une note sur la mémoire des livres : quand l’encre parle
- En conclusion : une feuille, et tout Lennon qui affleure
- Repères contextuels
Pourquoi cette petite feuille bleue intrigue autant
Au-delà du charme d’un dessin spontané, la pièce présentée réactive un motif bien documenté chez John Lennon : sa manie de croquer le monde qui l’entoure. Élève du Liverpool College of Art, contributeur graphique de Mersey Beat, puis auteur-illustrateur de In His Own Write (1964) et A Spaniard in the Works (1965), Lennon a été — pour reprendre la formule de l’expert — un « serial sketcher » jusqu’à sa mort. Cette écriture graphique n’est pas anecdotique : elle alimente dès la fin des années 1960 une production d’estampes et de lithographies, dont la plus célèbre demeure le portefeuille « Bag One » (1970). Le dialogue inscrit sur la feuille — cette pirouette sur le jazz — circule aussi dans la galaxie posthume des sérigraphies et lithos attribuées à Lennon ; on la retrouve notamment sous le titre « Jazz Man », datée de 1979 dans plusieurs catalogues, rééditée au début des années 1990 par Bag One Arts, la structure qui gère l’édition des œuvres graphiques sous l’égide de Yoko Ono.
La coïncidence n’est pas mince : la formulation « I’ve been getting into jazz, man / I’ve been trying to avoid it all my life » se lit, depuis des années, dans des tirages de lithographies et sérigraphies « Jazz Man » (édition limitée, souvent 300 ex.), généralement posthumes et signées par Yoko Ono — une politique d’édition relancée à partir de 1986 puis 1992. Le dessin au stylo-bille présenté à l’Antiques Roadshow pourrait donc renvoyer à une source originale (une étude), un dessin autonome reprenant une formule fétiche, ou encore une copie mal documentée. Tout l’enjeu est là : déterminer la nature exacte de la pièce et sa traçabilité.
Le précédent « Bag One » : quand l’art de Lennon heurte la censure
Pour mesurer la place du dessin dans l’œuvre de Lennon, il faut revenir au portefeuille « Bag One » : 14 lithographies tirées à 300 exemplaires et signées, représentant le mariage et la lune de miel de John et Yoko, exposées à Londres en janvier 1970… avant d’être saisies par la police pour « indécence ». L’épisode, fameux, rappelle que l’art de Lennon n’était pas un simple produit dérivé de sa musique, mais une pratique autonome, parfois provocatrice, tendue vers une narration intime. La série, remise en vente après l’épisode judiciaire, a fini par s’imposer comme un jalon du marché des estampes rock, avec une iconographie immédiatement lisible et une provenance solide.
Dans les décennies suivantes, Bag One Arts a accompagné l’édition de séries posthumes à partir d’archives graphiques de Lennon — dont le fameux « Jazz Man ». Ces tirages, certifiés et numérotés, constituent aujourd’hui la porte d’entrée la plus fréquente vers l’art graphique lennonien, avec des prix qui oscillent, selon l’image et le format, de quelques milliers à plusieurs dizaines de milliers de dollars pour des suites complètes ou des pièces signées de la main de John avant 1980.
« Jazz Man » : un motif, plusieurs vies
Le dialogue au cœur du dessin de Bradford n’est pas un hapax. Sous l’intitulé « Jazz Man », on rencontre des tirages datés 1977 ou 1979, publiés en 1991-92, tirés à 300 exemplaires, parfois signés par Yoko Ono (posthume) et proposés en sérigraphie ou lithographie. En ventes publiques, le motif réapparaît épisodiquement, et des galeries spécialisées en art de John Lennon en proposent régulièrement. Cette ubiquité visuelle dit quelque chose de la circulation des images de Lennon : une idée née dans le carnet peut se prolonger en estampe éditée, puis revenir sous forme de dessin isolé entrant sur le marché… ou d’imitation. D’où la prudence de Wayne Colquhoun : pour s’approcher de 5 000 £, il faut un dossier d’authentification irréprochable.
L’authentification, nerf de la guerre
Qu’est-ce qui fait la valeur d’un dessin attribué à John Lennon ? Trois axes s’imposent : l’attribution, la traçabilité (provenance) et la qualité matérielle de la pièce (papier, encre, vieillissement). Sur l’attribution, les signatures de Lennon présentent des variations reconnues selon les périodes ; des spécialistes sont réputés pour leur œil : Frank Caiazzo, aujourd’hui consultant pour de grandes maisons de ventes, et des maisons comme Tracks Ltd au Royaume-Uni, qui délivrent des lettres d’authenticité (LOA/COA) adossées à des garanties. Sur la traçabilité, le récit « acheté à Las Vegas au Caesars Palace » n’est pas absurde : plusieurs galeries et marchands y ont tenu des expositions d’art pop et de Lennon. Reste à documenter le point de vente, la facture d’origine, le catalogue éventuel, et à croiser tous ces éléments avec une analyse du support.
Dans l’émission, Wayne Colquhoun parle d’une hausse de valeur « avec proper authentication ». C’est l’enjeu : un dessin original de Lennon (stylo-bille, 1979) justifiant d’une provenance claire et d’une expertise indépendante peut soutenir un prix supérieur à une estampe posthume ; à l’inverse, un tirage post-1980 (même limité et certifié par Bag One Arts) se situe dans une fourchette plus prévisible. Dans tous les cas, un avis formel d’un expert reconnu — et, si nécessaire, une comparaison avec les archives graphiques disponibles — demeurent la clé.
De « In His Own Write » aux enchères d’aujourd’hui : la vitalité d’un marché
Le clin d’œil de Bradford arrive dans un contexte plus large : celui d’un marché des souvenirs beatlesiens toujours vivace. Début février 2025, un exemplaire de « In His Own Write » — deuxième tirage (avril 1964) — signé par John et Cynthia a trouvé preneur à 2 000 £ lors d’une vente dans le Gloucestershire. L’épisode, à la fois modeste et symbolique, rappelle combien l’écrit et le dessin restent des vecteurs privilégiés de mémoire pour Lennon : on y projette une présence immédiate, dans le pli d’une ligne, la pointe d’un stylo, la souplesse d’une caricature.
Les ventes autour du graphisme de Lennon tracent une géographie nuancée : les lithographies « Bag One » complètes, signées de la main de John, atteignent des montants sans commune mesure avec les tirages posthumes ; les dessins originaux, lorsqu’ils sont certifiés et datés, séduisent un public de collectionneurs qui ont grandi avec les disques mais cherchent, dans le trait, une autre proximité avec l’artiste. Dans ce paysage, un dessin daté 1979, au stylo-bille, portant un motif et une formule que l’on retrouve en édition limitée sous le titre « Jazz Man », se situe au croisement d’au moins trois segments : l’original, la pré-étude d’estampe et la variation tardive. Le prix final ne dépendra donc pas seulement de la célébrité de la signature, mais de la catégorie dans laquelle l’objet s’inscrira après expertise
Que regarder, concrètement, sur une pièce comme celle-ci ?
Un œil exercé commence par le support : grammage du papier, marques d’atelier éventuelles, oxydation naturelle des encres et patine cohérente avec la date alléguée (1979). La main ensuite : la vitesse du trait, les ruptures et reprises, la façon dont la ligne retombe en fin de courbe — tout cela compose une gestuelle. La signature enfin : position dans la page, appui, liaisons entre lettres, variantes de la longue période 1962–1980 ; l’analyse croise des corpus comparatifs fiables. Au terme, un COA (Certificate of Authenticity) émis par un expert indépendant reconnu — Frank Caiazzo, Tracks Ltd, entre autres — n’est pas un luxe : c’est la condition pour que le marché reconnaisse la pièce et accepte la fourchette annoncée par Wayne Colquhoun.
L’instant télé, la culture pop et ce qu’il nous dit de Lennon
Dans le langage télévisuel, la séquence est parfaite : un objet manifestement modeste (une feuille, un stylo-bille), une histoire toute simple (un achat en 2007 à Las Vegas), un secret (le prix confié à l’oreille), et cette phrase de l’expert qui cristallise l’enjeu — « avec une authentification correcte, 5 000 £ ». Mais si l’on dézoome, on voit ressurgir une constante chez Lennon : le graphisme comme marge de liberté, un espace où l’artiste se réinvente en dehors du son. Jazz Man, par sa petite ironie tranquille, prolonge la ligne des textes dessinés d’In His Own Write et résonne avec les humours de la british pop de la fin des années 1970.
Le succès des estampes signées, l’histoire éditoriale de Bag One, la circulation des images dans les galeries et les foires — y compris à Las Vegas — ne sont pas que des faits de marché. Ils disent la manière dont l’icône Lennon a été lue, élargie, parfois démultipliée après 1980. Sous l’angle beatlien, il y a là une transmission — l’idée que la ligne graphique prolonge la mélodie en dehors des studios ; sous l’angle collectionneur, c’est un territoire où l’on peut encore espérer découvrir des originaux, à condition de séparer l’authentique du souvenir imprimé.
L’« effet Roadshow » et la pédagogie de l’expertise
Antiques Roadshow a cette vertu : elle pédagogise les étapes de l’expertise devant un public large. En expliquant que l’authentification peut doubler — ou diviser — la valeur, Wayne Colquhoun rend un service au marché : il rappelle que le document (facture, catalogue, lettres), le contexte (galerie, exposition), et le regard d’un tiers reconnu priment sur l’enthousiasme. L’expert a d’ailleurs resitué l’artiste : Lennon dessinait « du petit garçon à la fin », comme on respire, n’ayant jamais cessé d’aimer le trait. L’émission met aussi à nu notre imaginaire : la proximité avec un Beatle tient parfois à peu — une bulle de bande dessinée, une phrase moqueuse sur le jazz, un JL ’79 griffonné.
Une foire aux questions implicite pour les fans et les lecteurs
La mention « JL ’79 » suffit-elle ? Non. Elle oriente, mais ne prouve pas. Il faut croiser la main avec des comparatifs sérieux, étudier le papier, documenter l’achat.
Le fait d’avoir acheté à Las Vegas rend-il suspect ? Ni plus ni moins qu’ailleurs. Las Vegas a hébergé des galeries et marchands liés aux arts pop et à Lennon ; on y a vendu des tirages issus de Bag One Arts. Ce n’est pas un label en soi, mais c’est une piste à documenter.
Un tirage posthume « Jazz Man » vaut-il moins ? En moyenne, oui, car il est par définition édité après 1980 et souvent signé par Yoko Ono ; sa valeur dépend de l’édition, de l’état et de la demande. Un dessin original de la main de John avec provenance claire se situe généralement au-dessus.
Que se passe-t-il si l’œuvre est une « étude » d’atelier ? C’est un cas favorable : une étude authentique, datée et reliée à une estampe connue, peut bénéficier d’un intérêt accru, notamment si elle éclaire la genèse d’une image. Là encore, tout repose sur l’expertise.
Une note sur la mémoire des livres : quand l’encre parle
En 2025, la vente d’un exemplaire de « In His Own Write » signé John/Cynthia, adjugé 2 000 £, a rappelé la force des objets de papier dans l’écosystème Lennon. La signature sur papier est un geste ; le dessin, une respiration ; dans les deux cas, on tient un indice de présence. Le marché s’en soucie, bien sûr, mais au-delà, c’est l’émotion qui circule : tenir dans sa main une preuve qu’un artiste a posé sa main là. L’émission de Bradford a offert cette sensation, brute et immédiate.
En conclusion : une feuille, et tout Lennon qui affleure
Que restera-t-il de ce moment d’Antiques Roadshow ? Probablement une leçon de méthode — ne pas confondre coup de cœur et certitude — et une image juste : John Lennon, dessinateur obstiné, dont l’œil voyait vite, dont la ligne allait droit au sens, dont l’humour se résumait parfois à une égratignure — « I’ve been trying to avoid it all my life ». Le dessin au stylo-bille présenté à Lister Park s’inscrit dans cette histoire. Qu’il soit étude, dessin autonome de 1979 ou simple variation proche d’un tirage posthume, il témoigne d’une énergie : celle d’un Beatle qui, crayon à la main, n’a jamais cessé de raconter le monde.
Si l’authentification confirme les espoirs de Wayne Colquhoun, la valeur atteindra sans doute la zone évoquée à l’antenne. Mais, au fond, l’essentiel est ailleurs : dans cette façon modeste et profonde qu’a le dessin de ramener Lennon à hauteur de feuille — là où l’art tient dans un geste, et où l’on entend, à travers l’encre bleue, une voix qui sourit encore.
Repères contextuels
Antiques Roadshow a filmé à Lister Park et Cartwright Hall (Bradford) pour ce numéro où Wayne Colquhoun examine le dessin attribué à John Lennon. La séquence montre explicitement le dialogue « I’ve been getting into jazz man… » et la paraphe « JL ’79 », ainsi que l’estimation « jusqu’à 5 000 £ » sous condition d’authentification.
Le motif « Jazz Man » figure depuis longtemps au catalogue des œuvres graphiques de Lennon, daté de la fin des années 1970 et réédité au début des années 1990 par Bag One Arts ; plusieurs galeries et ventes le référencent, avec des tirages limités autour de 300.
Le portefeuille « Bag One » (1970), 14 lithographies signées, avait été saisi à Londres pour « indécence » avant d’être blanchi ; il constitue la pierre angulaire du marché graphique de Lennon.
En février 2025, un exemplaire de « In His Own Write » (avril 1964) signé par John et Cynthia a été adjugé 2 000 £, rappelant la vigueur du marché des livres et autographes.
Pour l’authentification d’autographes et de manuscrits Beatles, les noms de Frank Caiazzo (expert international) et de Tracks Ltd (R.-U.) sont fréquemment sollicités par les maisons de ventes et collectionneurs.
