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George Harrison chez les Beatles : ses 22 chansons classées

Publié le 12 septembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Trop souvent relégué au rang de « Quiet Beatle », George Harrison a pourtant signé 22 chansons marquantes au sein des Beatles. De ses débuts hésitants à ses chefs-d’œuvre reconnus, son parcours révèle une voix singulière, spirituelle, satirique et mélodique, qui a profondément influencé le son du groupe. Ce classement intégral rend hommage à une trajectoire cohérente et novatrice.


On a trop souvent raconté George Harrison comme le « Quiet Beatle », condamné à l’ombre du tandem Lennon‑McCartney. Le récit est commode, il est surtout incomplet. Entre 1963 et 1970, Harrison livre 22 chansons aux Beatles : un corpus ramassé mais fondamental, où se succèdent satire sociale, quête spirituelle, innovations modales, blues épuré, pop radieuse et expérimentations de studio. Cette sélection, classée du moins marquant au plus essentiel, n’entend pas opposer les époques mais mettre en perspective une trajectoire : celle d’un auteur‑compositeur qui, parti en retard, a fini par remodeler le son et l’imaginaire du groupe.

Critères de classement : qualité d’écriture, innovation musicale, place dans l’album, influence sur la suite (chez les Beatles comme dans la carrière solo de Harrison) et pérennité en concert ou dans la culture populaire.

Sommaire

  • 22. « Long, Long, Long » (1968, The Beatles)
  • 21. « You Like Me Too Much » (1965, Help!)
  • 20. « I Need You » (1965, Help!)
  • 19. « It’s All Too Much » (1969, Yellow Submarine)
  • 18. « I Want to Tell You » (1966, Revolver)
  • 17. « For You Blue » (1970, Let It Be)
  • 16. « The Inner Light » (1968, face B de « Lady Madonna »)
  • 15. « Old Brown Shoe » (1969, face B de « The Ballad of John and Yoko »)
  • 14. « Only a Northern Song » (1969, Yellow Submarine)
  • 13. « Savoy Truffle » (1968, The Beatles)
  • 12. « Piggies » (1968, The Beatles)
  • 11. « Blue Jay Way » (1967, Magical Mystery Tour)
  • 10. « Think for Yourself » (1965, Rubber Soul)
  • 9. « If I Needed Someone » (1965, Rubber Soul)
  • 8. « Don’t Bother Me » (1963, With the Beatles)
  • 7. « Love You To » (1966, Revolver)
  • 6. « Within You Without You » (1967, Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band)
  • 5. « Taxman » (1966, Revolver)
  • 4. « I, Me, Mine » (1970, Let It Be)
  • 3. « Something » (1969, Abbey Road)
  • 2. « Here Comes the Sun » (1969, Abbey Road)
  • 1. « While My Guitar Gently Weeps » (1968, The Beatles)
  • Harrison par thèmes : satire, spiritualité, expérimentation, lumière
  • La place de George dans les albums
  • Ce que ces 22 chansons ont changé
  • Après les Beatles : prolongements et résonances
  • L’arc d’un auteur

22. « Long, Long, Long » (1968, The Beatles)

Intime, spectral, « Long, Long, Long » est souvent vénérée par les auditeurs qui aiment la face contemplative du White Album. Ici, la voix murmurée de George Harrison, un orgue discret et des guitares en apesanteur se posent sur une harmonie flottante. L’anecdote d’enregistrement – un bocal de vin qui vibre sur une enceinte Leslie et crée ce claquement fantomatique en fin de piste – ajoute au mystère. Musicalement, l’ascèse est belle, mais le morceau s’étire sans atteindre la puissance d’autres confessions de Harrison ; sa place dans l’album, coincée entre des pièces plus saillantes, ne l’aide pas à s’imposer.

21. « You Like Me Too Much » (1965, Help!)

Deux pianos sur un même SteinwayPaul McCartney et George Martin se répondent –, une mélodie aimable et une structure au cordeau : « You Like Me Too Much » montre un artisan en apprentissage. La bluesiness de la ligne vocale et cette pointe d’ironie dans le texte trahissent déjà la patte de Harrison. Ce n’est pas encore l’inspiration souveraine, mais le morceau tient debout, témoin d’un milieu de décennie où George prend peu à peu sa place.

20. « I Need You » (1965, Help!)

Deuxième chanson de Harrison publiée par les Beatles, « I Need You » est un portrait direct et touchant de sa relation avec Pattie Boyd. On y note la pédale de volume sur la guitare, qui donne ces attaques en gonflement, et une économie d’accords typique du George de 1965. La chanson reste sage et conventionnelle, mais elle dessine le contour d’un style : phrases courtes, contrechants bien placés, douceur mélodique.

19. « It’s All Too Much » (1969, Yellow Submarine)

Écrite en 1967 dans le sillage d’expériences psychédéliques et prolongée par la méditation, « It’s All Too Much » est une incantation : orgue saturé, cuivres, feedback contrôlé, mantras mélodiques. Le format étiré et l’énergie de transe enthousiasment, mais la répétition tient parfois plus du jam que de la construction. Reste un instantané précieux de l’esthétique psyché de Harrison à la fin des sixties.

18. « I Want to Tell You » (1966, Revolver)

Titrée un temps « Laxton Apple », puis « I Don’t Know », cette chanson raconte l’embarras d’exprimer avec des mots une pensée qui déborde. Rythme bancal volontaire sur le pont, accords légèrement dissonants, piano martelé : « I Want to Tell You » est moins une confession qu’un portrait de la difficulté à dire. Harrison y affine un vocabulaire harmonique qui, sur Revolver, complète idéalement ses deux autres contributions.

17. « For You Blue » (1970, Let It Be)

Blues en douze mesures heureux et sans apprêt, « For You Blue » respire le plaisir d’atelier. John Lennon y glisse une lap steel aux accents Elmore James, George s’amuse et encourage : c’est une pastille souriante dans un projet Let It Be pourtant souvent conflictuel. Moins ambitieux que d’autres titres, mais chaleureux et efficace.

16. « The Inner Light » (1968, face B de « Lady Madonna »)

Composée sur un texte taoïste (le Tao Te Ching), « The Inner Light » naît dans le contexte de Bombay et des sessions de l’album solo de George, Wonderwall Music. Musiciens indiens, instruments traditionnels, voix posée : Harrison réussit une pièce de dévotion lumineuse, qui transpose en single l’axe spirituel exploré depuis 1966. Elle demeure un jalon affectif pour sa famille et ses proches, et un pont entre l’Orient de George et la pop des Beatles.

15. « Old Brown Shoe » (1969, face B de « The Ballad of John and Yoko »)

« Old Brown Shoe » est une pépite souvent sous‑estimée : piano heurté, guitares nerveuses, basse mobile, paroles sur la dualité (« oui/non, haut/bas, droite/gauche »). Harrison y combine vigueur et esprit. On y entend son plaisir à sortir de la méditation pour jouer franc jeu, dans un idiome rock compact.

14. « Only a Northern Song » (1969, Yellow Submarine)

Titre métatextuel, plaisanterie sur Northern Songs Ltd. – la société d’édition des Beatles –, « Only a Northern Song » mêle cuivres, dissonances volontairement décalées, percussions et orgue en biais. Harrison y moque l’obsession harmonique (« peu importent les accords ») et l’industrie qui encadre la création. Sur le plan sonore, c’est une vignette psychédélique consciente d’elle‑même, plus idée que chanson mais significative de son humour.

13. « Savoy Truffle » (1968, The Beatles)

Écriture carnivore sur les bonbons préférés d’Eric Clapton, « Savoy Truffle » cumule cuivres râpeux, guitares serrées et texte amusé (« tu devras toutes les faire arracher »). C’est le Harrison joueur, celui qui taquine ses amis tout en livrant un arrangement solide. Une respiration au milieu des orages émotionnels du White Album.

12. « Piggies » (1968, The Beatles)

Écrite dès 1966 mais publiée en 1968, « Piggies » est une satire enlevée. Clavecin, cordes, chœurs ironiques : l’habillage baroque met en relief une charge contre la conformité et l’avidité. La fameuse ligne proposée par la mère de George – « what they need is a damn good whacking » – condense l’esprit : piquant sans lourdeur. En contexte, une démonstration de la palette de Harrison.

11. « Blue Jay Way » (1967, Magical Mystery Tour)

Composée sur un orgue en attendant l’attaché de presse Derek Taylor dans une maison de Los Angeles, « Blue Jay Way » distille un brouillard sonore : modes venus de la musique indienne, phasing, réverses et superpositions. Harrison y matérialise l’attente, la fatigue du décalage horaire, la ville noyée de brume. Moins immédiate que d’autres, la chanson est une expérience d’atmosphère très 1967.

10. « Think for Yourself » (1965, Rubber Soul)

Voix déclarative, basse fuzz qui gronde, texte qui incite à l’autonomie : « Think for Yourself » annonce le Harrison mordant de « Taxman ». Le ton tranche avec le romantisme ambiant de 1965. C’est une pièce‑charnière : assertive, brève, efficace, qui marque l’entrée de George dans le commentaire social et moral.

9. « If I Needed Someone » (1965, Rubber Soul)

Guitare douze cordes à la Byrds, modalité simple, mélodie claire : « If I Needed Someone » condense l’art de Harrison à mi‑siècle. Écrite pour Pattie Boyd, la chanson a été adoptée par des pairs (les Hollies la publieront aussi), signe de sa solidité d’écriture. Entre folk‑rock et pop anglaise, elle a la tranquillité des titres qui durent.

8. « Don’t Bother Me » (1963, With the Beatles)

Premier essai publié, « Don’t Bother Me » naît malade dans une chambre d’hôtel de Bournemouth : Harrison y teste sa voix d’auteur. Le rythme haché, les accords sombres, la ligne vocale un rien revêche : tout sonne différent dans le contexte Beatles de 1963. L’intéressé jugera la chanson mineure ; elle n’en demeure pas moins un déclencheur.

7. « Love You To » (1966, Revolver)

Deuxième incursion frontale de Harrison dans la musique indienne, « Love You To » associe sitar, tabla et tanpura à une forme pop resserrée. L’érotisme du texte se mêle à l’aspiration spirituelle ; la pulsation hypnotique et les ornements instrumentaux ouvrent une voie neuve dans la pop occidentale. Avec « Within You Without You », c’est l’un des laboratoires qui redéfinissent la vocabulaire Beatles.

6. « Within You Without You » (1967, Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band)

Enregistrée sans les trois autres, avec musiciens indiens et cordes occidentales, « Within You Without You » est à la fois manifeste et méditation. La voix de Harrison flotte au‑dessus d’un tintement modal, les violons répondent aux instruments de l’Inde du Nord ; la philosophie – apprendre à dépasser le moi – est portée par une architecture musicale cohérente. Au cœur de Sgt. Pepper, la chanson fait pont entre expérimentation et intériorité.

5. « Taxman » (1966, Revolver)

Ouverture sèche et sarcastique de Revolver, « Taxman » traduit la découverte d’un taux de prélèvement confiscatoire. Riff anguleux, basse en avant, batterie claquante : c’est le Harrison satiriste, porté par une énergie rock pure. Le morceau installe d’emblée une écriture qui n’a pas besoin d’ornements pour frapper.

4. « I, Me, Mine » (1970, Let It Be)

Écrite dans le contexte tourmenté de 1969, « I, Me, Mine » est une leçon d’humilité qui dénonce l’ego. Alternance valse/rock, riff mémorisable, texte au tranchant spirituel : Harrison a trouvé sa forme. La chanson donnera son titre à son autobiographie et résume sa philosophie de l’époque.

3. « Something » (1969, Abbey Road)

Mélodie souveraine, harmonies impeccables, solo délicat : « Something » a été adoubée par Frank Sinatra comme « la plus grande chanson d’amour des 50 dernières années ». Première face A de Harrison dans la discographie des Beatles, elle révèle un auteur désormais à pleine puissance. Qu’on l’entende comme un chant pour Pattie Boyd ou comme une déclaration plus universelle, elle reste une leçon d’économie expressive.

2. « Here Comes the Sun » (1969, Abbey Road)

Composée au jardin chez Eric Clapton, loin des paperasseries d’Apple, « Here Comes the Sun » est une levée de lumière. Guitare acoustique en arpèges, métriques enjambées, Moog soyeux : tout y est clarté, élan et grâce. C’est la chanson de Harrison la plus connue du grand public, celle qui réapparaît à chaque printemps et dont la joie ne s’use pas.

1. « While My Guitar Gently Weeps » (1968, The Beatles)

C’est la somme. Inspirée d’un hasard assumé – ouvrir un livre au mot « gently weeps » –, « While My Guitar Gently Weeps » mêle destin oriental, blues occidental et drame intérieur. L’invitation faite à Eric Clapton de jouer la guitare solo est un geste décisif : présence extérieur qui resserre le groupe et permet à Harrison de porter le chant. Accords en descente chromatique, mélodie ample, production sobre : tout concourt à en faire l’une des grandes chansons du XXᵉ siècle.


Harrison par thèmes : satire, spiritualité, expérimentation, lumière

Ce classement fait apparaître quatre lignes de force. La satire d’abord : « Taxman », « Piggies », « Only a Northern Song » dénoncent, chacun à leur façon, les tutelles (fiscales, sociales, industrielles). La spiritualité, ensuite : « Love You To », « Within You Without You », « The Inner Light » greffent des modes et des instruments indiens à la forme pop, sans folklorisme. L’expérimentation de studio irrigue « Blue Jay Way », « It’s All Too Much », « Long, Long, Long », qui testent phasing, réverses, drones, résonances. Enfin, la lumière : « Here Comes the Sun » et « Something » montrent un Harrison maître de la mélodie claire, au rayonnement populaire durable.

La place de George dans les albums

Sur Rubber Soul et Revolver, Harrison devient un troisième pilier. Il aligne trois titres sur Revolver, signe d’une confiance gagnée ; sur Sgt. Pepper, il s’isole pour livrer une pièce‑manifeste. Le White Album le voit multiforme (blues, satire, contemplation) et Abbey Road consacre sa maturité avec deux classiques. Let It Be illustre enfin la résilience d’un auteur qui tient son cap au milieu des tensions.

Ce que ces 22 chansons ont changé

Trois héritages dominent. D’abord, l’ouverture de la pop à des systèmes musicaux non occidentaux : Harrison n’a pas « ajouté » un sitar pour l’exotisme, il a pensé l’échelle et l’ornement au cœur de la forme. Ensuite, l’autorisation donnée à la satire et à la moralité personnelle au sein de la chanson pop. Enfin, la preuve qu’un auteur, même minoritaire en volume, peut déplacer l’esthétique d’un groupe massif par un mélange d’entêtement et d’intuition.

Après les Beatles : prolongements et résonances

Il est impossible d’écouter « While My Guitar Gently Weeps », « Something » ou « Here Comes the Sun » sans entendre, en germe, All Things Must Pass et la suite. La droiture rythmique et spirituelle d’« I, Me, Mine » engage une éthique que Harrison ne quittera plus ; la radiance de « Here Comes the Sun » irrigue les moments les plus clairs de sa carrière solo ; la gravité de « Love You To » et « Within You Without You » trace un axe fécond avec ses œuvres dévos.

L’arc d’un auteur

Du premier jet un peu râpeux (« Don’t Bother Me ») au chef‑d’œuvre absolu (« While My Guitar Gently Weeps »), de la satire mordante (« Taxman ») à la lumière inusable (« Here Comes the Sun »), George Harrison a étendu le champ des Beatles. Il a introduit des timbres, des modes, des sujets qui n’étaient pas donnés d’emblée au groupe, et surtout il a proposé une attitude : écrire pour chercher, non pour plaire à tout prix. Ses 22 chansons chez les Beatles ne sont pas un appendice ; elles forment un corpus dont la cohérence et la richesse continuent d’irriguer l’écoute contemporaine.

Au‑delà des hiérarchies, une évidence demeure : dans l’aventure Beatles, la voix de George Harrison a été celle qui a ouvert le plus de portes. Et si l’on devait garder un fil, ce serait celui‑ci : un art de la mesure qui sait être ferme, une intériorité qui sait être partagée, une mélodie qui sait être lumière.


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