Un demi-siècle après son tournage, « Clock » refait surface : un film-concept de John Lennon et Yoko Ono, capté le 10 septembre 1971 au St. Regis de New York. Plan fixe d’une heure sur un réveil doré, vie et musique en arrière-plan : Lennon esquisse « Honey Don’t » à la guitare, Yoko observe et ponctue, vingt chansons surgissent puis s’évanouissent. Héritier des gestes minimalistes du couple et du cinéma d’Andy Warhol, le dispositif fait du temps le protagoniste. Longtemps fantôme, l’objet gagne un contexte grâce au teaser et s’articule au coffret « Power To The People »(sortie le 10 octobre), qui remixe et documente les années new-yorkaises, des One To One au Madison Square Garden aux démos et jams d’hôtel. Entre journal intime et art conceptuel, « Clock » révèle l’atelier vivant de 1971.
Un demi-siècle après son tournage, « Clock » refait surface. Un premier extrait dévoile John Lennon à la guitare, dans une version dépouillée de « Honey Don’t », pendant que Yoko Ono se tient à ses côtés dans une suite du St. Regis Hotel à New York. À l’avant-plan, un réveil doré trône sur une table basse : il donne son titre au film et en dicte la forme — un plan fixe d’une heure sur l’objet, le reste n’étant que vie, musique et apartés en arrière-plan. L’extrait, partagé aujourd’hui, confirme que vingt chansons ponctuent la bande sonore de cette curiosité longtemps fantôme
Sommaire
- Une journée de septembre 1971 capturée sur le vif
- Une mécanique de temps : le concept au cœur de « Clock »
- « Honey Don’t » : un rockabilly qui fait remonter la mémoire
- Vingt chansons, une heure : la bande-son d’un geste simple
- L’autre pièce manquante : des bandes circulaient, l’image restait invisible
- « Power To The People » : un coffret pour raconter New York, 1971-1972
- Une préface de Yoko Ono, une production chapeautée par Sean Ono Lennon
- Une ingénierie du son au cordeau : remixes, transferts HD et mastering Abbey Road
- De « Sometime in New York City » à Zappa : relectures et dialogues
- Les One To One : un manifeste sur scène
- Pourquoi « Clock » compte aujourd’hui
- Un lien direct avec « Imagine »
- Packaging et objets : l’expérience éditoriale promise
- Le son, la scène, la ville : ce que donne à entendre le coffret
- Les archives filmées : un chantier ouvert
- La résonance 2025 : un calendrier qui s’aligne
- Ce que montre le teaser, exactement
- Une pièce à replacer dans la filmographie de John & Yoko
- Un mot sur la mémoire et l’accès
- Précommander, attendre, écouter : le rendez-vous du 10 octobre
- Épilogue : la valeur d’un réveil doré
Une journée de septembre 1971 capturée sur le vif
Le contexte de « Clock » renvoie à la frénésie créative de l’automne 1971. De passage à New York le 10 septembre 1971, John & Yoko logent au St. Regis, peaufinent le long métrage musical « Imagine » et s’apprêtent à tourner sur la plage de South Beach, Staten Island. Avant de sortir, ils imaginent et filment deux pièces distinctes : « Freedom », conçue par Yoko, et « Clock », idée de John. La première est une prise médiane sur une femme aux prises avec son soutien-gorge — une vignette conceptuelle typiquement Fluxus. La seconde, « Clock », consiste à poser une caméra face au réveil pendant soixante minutes, à laisser l’heure passer tandis que les artistes parlent, jouent, s’affairent, et s’amusent à « donner le quart » en s’adressant à la caméra pour rythmer l’écoulement du temps. Le tout, tourné sur un mode fly-on-the-wall d’une simplicité déconcertante.
Une mécanique de temps : le concept au cœur de « Clock »
Avec son plan-séquence unique, « Clock » s’inscrit dans une tradition du cinéma d’art et d’essai où le dispositif prime sur l’intrigue : la caméra fixe, l’objet-totem (le réveil), l’arrière-plan où l’événement advient presque incidemment. On pense à la radicalité d’Andy Warhol dans « Empire » ou « Sleep », ou aux exercices de patience de la structural film. Chez John Lennon et Yoko Ono, ce geste n’a rien d’un pastiche : il prolonge un goût constant pour les formes minimales et la durée. Les deux artistes ont souvent utilisé l’attente, la répétition et l’économie de moyens pour déplacer le regard ; « Clock » prend ce pli et le décline avec humour — on perçoit, dans l’extrait, l’esprit de jeu d’un Lennon qui compte les quarts, puis laisse filer une chanson comme on griffonne un croquis.
« Honey Don’t » : un rockabilly qui fait remonter la mémoire
Choisir « Honey Don’t », standard rockabilly de Carl Perkins, n’a rien d’anodin. La chanson appartient au socle rock’n’roll sur lequel s’est bâtie la culture musicale des Beatles. Au sein du groupe, c’est Ringo Starr qui l’interprète sur « Beatles For Sale » ; longtemps auparavant, au début des Quarrymen, Lennon l’avait aussi chantée sur scène. Qu’en 1971 il la rejoue, épurée jusqu’à l’os, dit deux choses : d’abord le retour à la source américaine qui irrigue son songwriting solo de l’époque ; ensuite l’envie de replacer l’expérimentation dans une intimité dénuée d’effets — un homme, une guitare, une chambre d’hôtel, un réveil, et le temps qui coince l’instant dans son cadre. L’extrait capture précisément cette sobriété : phrasé relâché, groove en balancier, et la présence silencieuse d’Ono en regard, comme un second métronome — humain, cette fois.
Vingt chansons, une heure : la bande-son d’un geste simple
Selon la présentation du teaser, « Clock » regroupe vingt titres joués dans le laps d’une heure. Le choix embrasse des reprises des années cinquante, des ébauches, des fragments qui surgissent et s’évanouissent sans solennité. Cette manière de laisser la musique apparaître « en passant » — de la convoquer au fil des minutes plutôt que de la mettre en scène — confère au film une qualité diaristique : on a la sensation d’entrer dans une pièce où l’on n’était pas invité, de surprendre l’artiste dans l’acte même de faire. L’extrait de « Honey Don’t » en est la preuve, première fenêtre sur un film dont on parlait depuis des décennies dans les cercles de collectionneurs, mais qui n’avait jamais été montré officiellement.
L’autre pièce manquante : des bandes circulaient, l’image restait invisible
La musique de cette session St. Regis n’était pas totalement mythique : des enregistrements non officiels circulent depuis longtemps, attestant l’inclination de Lennon pour Buddy Holly, Carl Perkins et le rock d’avant-Beatles au cœur de ces jams d’hôtel. Mais il manquait la matière visuelle et le contexte : le réveil comme pivot, l’interaction avec Ono, le cadre new-yorkais de 1971. C’est précisément ce que ce teaser commence à rendre tangible. La mise au jour du film met en cohérence ces bribes sonores avec le geste conceptuel imaginé par Lennon ; elle les arrache à l’ombre du bootleg pour les replacer dans un récit curatorial assumé, au croisement de la musique et de l’art contemporain.
« Power To The People » : un coffret pour raconter New York, 1971-1972
La remise en lumière de « Clock » n’arrive pas seule. Elle accompagne la sortie de « Power To The People », coffret monumental consacré aux premières années new-yorkaises de John & Yoko et à l’activisme politique qui les traverse. L’ensemble, attendu le 10 octobre — date anniversaire de John Lennon —, s’étend sur douze disques : neuf CD et trois Blu-ray. Pensé comme une chronologie sonore, il mêle démos, home recordings, sessions, inédits, et revient en profondeur sur les concerts One To One donnés le 30 août 1972 au Madison Square Garden.
Une préface de Yoko Ono, une production chapeautée par Sean Ono Lennon
Dans la préface du coffret, Yoko Ono rattache cette période à une éthique limpide : « Rock for Peace and Enlightenment ». Elle rappelle que le concert du Madison Square Garden fut le dernier que John et elle aient donné ensemble, et scande le slogan qui donne son nom à la collection : « Power To The People » — « Imagine Peace. Peace is Power. » De son côté, Sean Ono Lennon, producteur du projet, raconte avoir été bouleversé en triant les archives familiales, remixant les concerts et découvrant pour la première fois une masse d’inédits : pour lui, chaque bande retrouvée équivaut à « un peu de temps gagné avec [son] père ». Ces paroles cadrent l’intention du coffret : restituer la chair d’un moment, sans fard, en haute définition.
Une ingénierie du son au cordeau : remixes, transferts HD et mastering Abbey Road
Sur le plan technique, « Power To The People » affiche un soin rare. Les bandes ont été remixées et ré-ingéniérées à partir des multitracks analogiques par Paul Hicks et Sam Gannon, après de nouveaux transferts HD réalisés par Rob Stevens. Les masters stéréo sont signés Alex Wharton à Abbey Road Studios. Cette chaîne garantit une cohérence sonore et une qualité de restitution qui replacent ces enregistrements — parfois conçus à la hâte — dans un écrin à la hauteur de leur valeur historique. Le coffret promet également une expérience éditoriale complète, encadrée par un livre relié conséquent et des fac-similés d’époque.
De « Sometime in New York City » à Zappa : relectures et dialogues
L’un des axes forts du coffret tient à la relecture de « Sometime in New York City » (1972), album politisé enregistré avec Elephant’s Memory et le batteur Jim Keltner. Les nouvelles mises à jour promises allègent des choix de production jugés lourds à l’époque et redonnent de la clarté à des titres au tranchant intact, d’« Attica State » à « Angela » en passant par « New York City ». Le coffret replace aussi les connexions de John & Yoko avec la scène new-yorkaise : David Peel, Phil Ochs, et la rencontre — parfois explosive — avec Frank Zappa & The Mothers à l’été 1971. Une version réimaginée de l’album et des performances live sont annoncées comme pivots du récit.
Les One To One : un manifeste sur scène
Les concerts One To One du 30 août 1972 au Madison Square Garden forment l’épicentre scénique de la période. Ils constituent l’unique récital complet de Lennon post-Beatles avant 1980, et s’inscrivent dans une série d’actions mêlant musique et militantisme. En 2025, un documentaire signé Kevin Macdonald (« One to One: John & Yoko ») est venu redonner tout son poids à cet épisode, avec une sortie IMAX et des projections en salles avant une diffusion télévisée. Le coffret « Power To The People » en prolonge l’effet en proposant mixages et montages inédits ; il offre aussi de nouvelles perspectives sur l’après-Beatles de Lennon et la place d’Ono comme co-autrice, performeuse et stratège artistique.
Pourquoi « Clock » compte aujourd’hui
Révéler « Clock » en 2025, c’est lier un geste intime à une entreprise patrimoniale. Le film montre Lennon loin des studios, loin de la mythologie pesante, en travail plutôt qu’en pose. Il documente l’atelier new-yorkais du couple : un lieu où la musique s’essaie à voix nue, où l’art conceptuel s’invite dans la vie quotidienne, où l’humour et la légèreté tournent autour d’un réveil doré. Dans les années 1971-1972, John & Yoko ont autant habité les galeries que les scènes, autant pensé formes et idées que chansons et concerts. « Clock » vient rappeler que cet aller-retour était le cœur même de leur langage.
Un lien direct avec « Imagine »
Il serait tentant de voir « Clock » comme un avant-goût de « Imagine », le film long format qui accompagne l’album du même nom. La comparaison éclaire surtout une différence : là où « Imagine » compose une suite d’images soigneusement architecturées — des scènes tournées à Tittenhurst Park aux promenades new-yorkaises —, « Clock » choisit la rudesse du réel et l’économie du champ fixe. Le réveil en premier plan agit comme une contrainte : il cadre la création au temps qui passe, sans montage ni trucage. Le contraste interpelle : le même artiste, la même période, deux gestes opposés mais complémentaires, qui racontent le désir de maîtriser autant l’icône que l’instant.
Packaging et objets : l’expérience éditoriale promise
Autour de la musique, « Power To The People » joue la carte d’une immersion matérielle. L’édition Deluxe annoncée met en avant un livre relié de 204 pages, des posters, cartes postales, stickers et répliques de billets, de pass backstage et d’aftershow. À côté des neuf CD et des trois Blu-ray, ces éléments construisent un parcours tactile : feuilleter, toucher, lire, tout en écoutant — prolonger le rideau levé par « Clock » vers un ensemble documentaire ample, pensé pour archiver et raconter.
Le son, la scène, la ville : ce que donne à entendre le coffret
En rassemblant démos, sessions, rehearsals, jams d’hôtel et performances de scène, le coffret restitue la texture des années new-yorkaises. On y entend la ville dans les compositions, sa rudesse, ses urgences, ses luttes. On y perçoit l’importance d’Elephant’s Memory comme backing band, la place d’Ono dans l’architecture sonore, et l’obsession de Lennon pour la justesse du message — « Power to the People », « Gimme Some Truth », « Woman Is the N****r of the World » dans sa charge provocatrice d’époque, replacée aujourd’hui dans un cadre historique et critique. La curation privilégie l’éclairage plutôt que la nostalgie ; l’objectif est de donner des preuves, pas de polir une légende.
Les archives filmées : un chantier ouvert
Si « Clock » capte l’attention, c’est aussi parce qu’il élargit l’idée de ce que peut contenir une archive Lennon/Ono. Après la mise en valeur de concerts, d’entretiens et de documents pour les besoins du documentaire « One to One », l’apparition de ce film à dispositif montre qu’il reste des angles morts : des essais tournés vite, des notes filmées, des expériences qui n’avaient pas vocation à circuler. L’équipe pilotée par Sean Ono Lennon semble déterminée à indexer cet héritage sans le muséifier ; « Clock » fait figure d’échantillon, promesse que d’autres pièces sortiront peut-être du silence.
La résonance 2025 : un calendrier qui s’aligne
L’année 2025 aura vu se croiser plusieurs chantiers Lennon/Ono : le documentaire « One to One », la réédition en grand de « Power To The People », des publications dérivées autour de leur militantisme pacifiste, et désormais ce teaser de « Clock ». Cette synchronie dessine une stratégie de ré-exposition : construire un récit continu de 1971-1972, en articulant la chambre d’hôtel du St. Regis, la scène du Madison Square Garden et le studio où l’on remixe, aujourd’hui, pour donner à entendre autrement. « Clock » devient alors plus qu’une curiosité : le ponctum qui relie vie, art et politique.
Ce que montre le teaser, exactement
Le court extrait partagé capte John Lennon assis, guitare acoustique en main, attaquant « Honey Don’t » sans apprêt. La voix est proche, presque conversationnelle. À ses côtés, Yoko Ono observe, intervient par bribes. Au premier plan, le réveil doré cadre la scène et sonne comme un métapersonnage : c’est lui qui « joue » l’heure, tandis que les humains, au fond, jouent leurs propres minutes. Tout paraît domestique, improvisé, et pourtant la décision de cadrer l’objet plutôt que les personnes inverse l’évidence : la star n’est pas celle qu’on croit, c’est le temps.
Une pièce à replacer dans la filmographie de John & Yoko
Dans la filmographie du couple, « Clock » prolonge l’attrait pour des formes qui mettent à l’épreuve la patience et le regard. On se souvient de pièces comme « Smile » — long plan sur le visage de Lennon —, ou des performances filmées par Ono qui isolent un geste ou un détail pour en déplier la résonance. « Clock » ajoute à cette palette une dimension ménagère presque bourgeoise — un hôtel chic, un objet d’apparat, le jeu avec la banalité — qui en fait toute la saveur. La musicalité n’est jamais loin ; elle circule comme une rumeur, jamais comme un numéro.
Un mot sur la mémoire et l’accès
Ce qui frappe, à la découverte de « Clock », c’est la façon dont une archive minuscule déplace un imaginaire colossal. Les années 1971-1972, pour Lennon, sont chargées d’icônes : l’album « Imagine », le slogan « Power to the People », les unes de journaux sur les expulsions et les démêlés politiques, la scène du Garden. Or, un réveil posé sur une table suffit à re-hiérarchiser ces images : l’intime fait remonter à la surface le quotidien derrière la légende. Que ce geste réapparaisse aujourd’hui, sous l’égide des ayants droit, dans un cadre éditorial cohérent, est en soi une information : l’accès aux archives Lennon/Ono n’est pas figé, il se recompose.
Précommander, attendre, écouter : le rendez-vous du 10 octobre
La sortie officielle de « Power To The People » est fixée au 10 octobre, avec ses 12 disques, ses 92 bonus tracks et l’édition soignée qui l’accompagne. Le teaser de « Clock » joue le rôle de hors-d’œuvre : assez pour exciter la curiosité, pas assez pour épuiser le mystère. Pour les amateurs de John Lennon et de Yoko Ono, l’automne s’annonce riche : concerts remixés, archives révélées, expériences filmées enfin visibles. Et, surtout, la possibilité de réécouter ces années new-yorkaises autrement — en regardant, un instant, non plus seulement l’artiste, mais l’objet qui comptait ses minutes.
Épilogue : la valeur d’un réveil doré
Ce n’est peut-être qu’un réveil doré, banal objet de décoration dans une suite d’hôtel. Dans « Clock », il devient pivot narratif, chronomètre, métaphore. Il rappelle que la matière des archives — bandes magnétiques, pellicule, Blu-ray, fichiers HD — sert un seul maître invisible : le temps. Et que la meilleure manière de raconter John Lennon et Yoko Ono en 1971 n’est pas forcément de monter un best-of d’images spectaculaires, mais de poser la caméra, de laisser venir, et d’écouter « Honey Don’t » couler comme si c’était la première fois.
