Vendredi 12 septembre, retour à la Kulturfabrik pour un double concert marqué par l'univers gothique/post-punk. Au programme, deux groupes : en première partie, les Néerlandais de Desinteresse, puis la tête d’affiche, Lebanon Hanover.
Je ne suis pas allé à ce concert parce que je connaissais ces groupes — au contraire, je n’en avais jamais entendu parler — mais parce que le texte de présentation m’a vraiment happé : des références à Wordsworth, au romantisme anglais, à l’aliénation du monde moderne, à la mélancolie. Tout cela ne pouvait que m’attirer. Il était aussi question d’Art nouveau, d’urbanisme berlinois, d’un mélange Angleterre/Allemagne battant le feu et la glace.
Beaucoup de sombritude, donc, et c’est bien ce qui m’a éveillé ma curiosité.
Évidemment, de la sombritude, j'en ai eu ! J’ai été servi, dès l’entrée, par la « faune » présente. Très folklorique. J’avais l’impression de faire un saut dans le temps, de me retrouver projeté dans les années 80. Je pensais d’ailleurs que la salle serait clairsemée, mais je me trompais : ces groupes jouissent, dans leur niche, d’une notoriété réelle. Le public était dense, varié et de tous âges : des jeunes, des très jeunes même – j’ai cru voir une enfant –, mais aussi des gens d’âge moyen, et des plus âgés comme moi.
Côté tenues, une bonne partie était habillée « gothique » : noir, sophistication, stylisation, comme dans les années 80, du temps de The Cure, Joy Division ou Siouxsie and the Banshees. Mais beaucoup d’autres, surtout parmi les plus âgés, ressemblaient à n’importe quel amateur de rock alternatif. On sentait dans la salle une passion commune pour une musique en marge, exigeante, mais aussi dansante, rythmée, portée par une énergie contagieuse.
Les deux groupes évoluaient dans un registre similaire, même si le premier m’a semblé plus mélodique, avec une touche « The Cure » perceptible dans ses atmosphères. Desinteresse, jeune formation néerlandaise, puisait dans l’héritage post-punk et dark wave des années 80, proche par moments de l’esthétique d’Ultravox et de la mouvance new wave des nouveaux romantiques.
Puis vint Lebanon Hanover : un duo singulier formé par Larissa Iceglass (un nom qui lui va comme un gant) et William Maybelline (un nom qui semble nous ramener aux 18e et 19e siècles). Elle est allemande, lui est anglais. De ce mélange naît un univers sonore étonnant, glacé, minimaliste, sombre.
Leur musique se construit comme une architecture sonore : basses puissantes, guitares lancinantes, boîtes à rythmes répétitives et hypnotiques, voix monocordes – surtout celle de Larissa – déposées sur ces strates atmosphériques.
L’ambiance n’était certes pas joyeuse, mais paradoxalement beaucoup de spectateurs dansaient, portés par cette transe froide. Les deux artistes se complétaient parfaitement : elle, statique, concentrée sur sa voix, presque hiératique ; lui, au contraire, emporté, se tordant et se mouvant en tous sens emporté par la musique.
Il me semble… oui, que les thèmes tournaient autour de la solitude. De l’isolement aussi. Et très fortement, autour d’une nostalgie — un passé révolu, sans doute les années 80. il faudra que je me penche sur les paroles un de ces jours, qui oscillent entre allemand et anglais.
J’ai eu comme l’impression d’assister à un concert auquel j’aurais pu me rendre quarante ans plus tôt. Sauf qu’à l’époque je n’étais pas dans cette veine gothique. Pas du tout. Là, pourtant, j’ai trouvé l’expérience intéressante. Étonnante même. L’ambiance m’a frappé. Il y avait du caractère, une certaine sensibilité. Une atmosphère mélancolique, froide, glacée parfois, que renforçaient les projections d’images à l’arrière-plan. Ça m’a rappelé Joy Division. Et aussi The Cure. Par moments, Siouxsie and the Banshees. Peut-être même Bauhaus. Ou des échos de Cocteau Twins. La basse, obsédante. Les guitares, toutes en réverbération. Les boîtes à rythmes, mécaniques. Les voix, détachées. Tout semblait cohérent.
Le public était ravi. Même si le concert fut bref : ils ont commencé vers 21h15 et, une quarantaine de minutes plus tard, quittaient déjà la scène, au grand regret de beaucoup. Mais ils sont revenus, pour une bonne quinzaine de minutes supplémentaires, et la salle a retrouvé son élan.
C’est une musique qui se tient, un univers millimétré, où il n’est pas question d’exubérance ni de transcendance, mais d’une construction sonore minimaliste et réflexive. Il faut la prendre telle qu’elle est, pour ce qu’elle donne à penser. Et je me réjouis de voir qu’aujourd’hui encore, des jeunes comme des moins jeunes se retrouvent autour d’une musique d’aujourd’hui qui choisit la poésie plutôt que le discours politique ou social. Une poésie sombre, mystérieuse, profonde. Oui, nous sommes chez les romantiques – des nouveaux romantiques, noirs et minimalistes. Et cela me plaît. Merci à la Kulturfabrik d’organiser des concerts qui sortent de l’ordinaire, comme celui-ci.
Photographier ces concerts a été un exercice stimulant, même si loin d’être aisé. Le premier groupe évoluait dans un jeu de contrastes violents, des lumières dures, latérales ou venues de l’arrière, plongeant les musiciens dans une semi-obscurité constante. Lebanon Hanover, lui, se déployait dans un halo opaque, dense, presque brumeux, qui les transformait en figures spectrales. J’ai choisi le noir et blanc pour tenter de restituer à la fois l’atmosphère et l’identité de chaque formation.

Larissa Iceglass / Lebanon Hanover

William Maybelline / Lebanon Hanover





Desinteresse

Desinteresse

Desinteresse

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