Yoko Ono a-t-elle brisé les Beatles ou en a-t-elle révélé les failles ? À travers un récit fouillé de 1957 à 1970, cet article explore son rôle de muse artistique pour John Lennon et son impact sur la dynamique du groupe, entre passion créative, tensions croissantes et séparation inévitable.
Yoko Ono et les Beatles : l’évocation conjointe de ces deux noms suffit à raviver l’un des débats les plus passionnés de l’histoire du rock. Pour de nombreux fans, Yoko Ono est celle qui a fait imploser le plus grand groupe de tous les temps, la coupable idéale pointée du doigt dans la séparation des Beatles en 1970. Pour d’autres, elle fut au contraire la muse et le catalyseur artistique de John Lennon, ouvrant de nouvelles perspectives à un musicien en quête de renouveau – quitte à bousculer l’équilibre d’un groupe au sommet de sa gloire. Plus de cinquante ans après les faits, le rôle exact de Yoko Ono dans l’aventure Beatles reste auréolé de mythes et de malentendus. Cet article se propose de passer à la loupe les rapports entre Yoko Ono et les Beatles sur toute la période 1957-1970, afin de démêler la légende de la réalité.
Nous plongerons dans le contexte de l’époque, les événements marquants, les témoignages et anecdotes, le tout avec un regard de journaliste expert et passionné. Des premiers pas d’un groupe soudé jusqu’aux dernières sessions d’enregistrement en tension, en passant par la rencontre fatidique entre John et Yoko, nous retracerons chronologiquement l’influence qu’a pu exercer Yoko Ono sur les Beatles – qu’elle soit subtile ou décisive. Beatlemania, avant-garde artistique, chansons d’amour et disputes en studio, tout y passera. Alors, Yoko Ono : muse inspiratrice ou coupable idéale ? La vérité, nuancée, se cache entre les deux.
Sommaire
- Avant Yoko : l’unité sacrée des Beatles (1957–1966)
- La rencontre de John et Yoko : le choc de deux mondes (1966)
- L’irruption d’Yoko dans la vie de John (1968) : amour, art et scandale
- Yoko Ono s’invite en studio : la fin d’un pacte tacite
- Muse d’un Beatle : l’influence artistique d’Yoko sur la musique des Beatles
- “Get Back” : les Beatles face à Yoko en plein chaos (janvier 1969)
- Le début de la fin : Yoko Ono et la séparation des Beatles (1969–1970)
- Les Beatles après les Beatles : rancunes et réhabilitations
- Yoko Ono, bouc émissaire ou révélateur des fissures ?
Avant Yoko : l’unité sacrée des Beatles (1957–1966)
Pour comprendre le séisme provoqué par l’arrivée de Yoko Ono, il faut d’abord saisir à quel point les Beatles formaient un cercle fermé et fusionnel tout au long des années 1960. Depuis leurs origines modestes à Liverpool en 1957 jusqu’au milieu de la décennie, John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr ont bâti une complicité artistique hors du commun. Le groupe, d’abord simple bande d’adolescents passionnés de skiffle et de rock’n’roll, devient un phénomène planétaire au début des années 60. Cette ascension fulgurante – la Beatlemania – soude les quatre musiciens dans une expérience unique que seuls eux peuvent comprendre.
En interne, les Beatles fonctionnent presque en vase clos. Ils passent d’innombrables heures ensemble sur la route, en studio, dans les avions et les chambres d’hôtel. Les compagnes des Beatles de l’époque (Cynthia Powell, la première femme de John ; Pattie Boyd, épouse de George ; Jane Asher, compagne de Paul ; Maureen Cox, épouse de Ringo) ne participent en rien au processus créatif du groupe. Une règle tacite s’impose : le studio d’enregistrement est le sanctuaire des “quatre garçons dans le vent”, un espace où aucune influence extérieure n’est tolérée. Pas même Brian Epstein, leur manager historique, ou George Martin, leur producteur, n’empiètent sur leur alchimie interne – ces derniers guident et encadrent, mais ne brisent pas l’unité du cercle Beatles.
Les premières années, John Lennon est le leader naturel, épaulé de près par Paul McCartney. Le tandem Lennon-McCartney écrit la majeure partie du répertoire, souvent en collaboration étroite. George Harrison, plus jeune, s’impose peu à peu avec quelques compositions, et Ringo Starr apporte sa bonhomie et son sens du groove. Le secret de leur succès réside autant dans leur talent collectif que dans leur fraternité quasi-familiale. « Nous étions quatre parties d’une même personne », dira plus tard John Lennon en repensant à cette époque bénie où le groupe ne faisait qu’un.
Jusqu’en 1966, malgré l’épuisante folie de la Beatlemania, le quatuor reste un bloc uni. Certes, quelques tensions liées à la célébrité ou à des divergences artistiques commencent à poindre, mais rien qui n’entame la solidarité fondamentale entre les musiciens.
Lorsque les Beatles cessent de tourner en août 1966, exténués par les concerts et les cris des fans, c’est ensemble qu’ils décident de se retirer de la scène pour se consacrer exclusivement au travail en studio. Cet arrêt des tournées marque la fin d’une ère et le début de changements plus profonds.
C’est dans ce contexte de transition, fin 1966, qu’une rencontre va bouleverser l’équilibre jusque-là préservé du groupe. Alors que les Beatles entrent dans leur phase “studio” et que chaque membre commence à suivre ses propres centres d’intérêt, John Lennon s’apprête à croiser la route d’une artiste d’avant-garde qui va radicalement transformer sa vie : Yoko Ono.
La rencontre de John et Yoko : le choc de deux mondes (1966)
Londres, novembre 1966. John Lennon, 26 ans, icône de la musique pop, traîne son ennui entre deux sessions d’enregistrement. En ce soir d’automne, il se rend à une exposition d’art contemporain à l’Indica Gallery, un petit lieu underground où se pressent les jeunes créateurs d’avant-garde. L’exposition est celle d’une artiste conceptuelle japonaise de 33 ans, encore peu connue du grand public : Yoko Ono. John s’y rend presque par curiosité, encouragé par un ami galeriste qui lui a soufflé qu’il pourrait y vivre “une expérience artistique hors du commun”.
Dans la galerie quasi vide, John découvre une installation minimaliste. Au plafond est suspendue une toile avec, en son centre, un mot écrit en petites lettres. Une échelle invite le visiteur à monter pour lire ce qui est inscrit. Intrigué, Lennon escalade prudemment et découvre le message : « YES », écrit en blanc sur fond blanc, nécessitant une loupe pour être déchiffré. « Si ç’avait été négatif ou agressif, je serais redescendu aussitôt, racontera-t-il plus tard. Mais là, “YES” – ce mot optimiste m’a cueilli. J’ai voulu rencontrer l’artiste qui avait eu cette idée. »
Cette première rencontre entre John Lennon et Yoko Ono se fait donc sous le signe de l’art expérimental et d’une certaine fascination. Yoko Ono, issue d’une riche famille tokyoïte, s’est installée à New York dans les années 1950 et navigue depuis une décennie dans les milieux d’avant-garde, multipliant les performances conceptuelles déroutantes. Menue, brune, l’air farouche, Yoko n’est pas une fan éperdue des Beatles comme tant d’autres jeunes femmes de sa génération. Elle connaît évidemment leur existence – difficile d’ignorer le phénomène – mais elle évolue dans un monde radicalement différent, celui de l’art d’avant-garde et de la musique expérimentale, aux antipodes de la pop. En cette soirée de 1966, elle ne reconnaît d’ailleurs même pas immédiatement Lennon lorsque celui-ci lui serre la main.
L’échange qui suit est courtois, teinté d’humour surréaliste. John explore les œuvres exposées, dont l’une consiste en une pomme posée sur un socle (intitulée “Apple”). Amusé, il propose de la croquer – Yoko, impassible, lui demande 200 livres sterling s’il va jusqu’au bout de son idée. Un autre objet, une planche avec un clou planté, attire Lennon : il propose d’enfoncer un nouveau clou. Yoko, fidèle à sa démarche participative, lui demande de payer cinq shillings pour le privilège. John, séduit par l’absurdité provocatrice de l’artiste, lui lancera : « Je te donne un shilling imaginaire, et j’enfonce un clou imaginaire, ça te va ? ». L’espièglerie de Lennon rencontre l’esprit conceptuel de Yoko Ono – les deux univers se jaugent, se reconnaissent peut-être une forme de connivence.
Ce soir-là, il ne se passe rien de plus. John Lennon rentre chez lui, vers sa femme Cynthia et leur fils Julian, le portefeuille rempli de cartes de visite d’artistes et l’esprit en ébullition après avoir découvert cette Japonaise singulière. Yoko Ono, de son côté, a compris qu’elle vient de croiser l’un des hommes les plus célèbres du moment, mais elle ne mesure pas encore l’ampleur que cette connexion prendra. Néanmoins, elle a su piquer la curiosité de John – et Lennon n’est pas homme à oublier quelqu’un qui l’a autant intrigué. Dans les mois qui suivent, Yoko commence à lui envoyer des lettres, des poèmes, des invitations à ses happenings. John, flatté et intrigué, y répond par intermittence. Il finance même l’une des œuvres de Yoko en 1967 (une performance appelée Half-A-Wind où elle expose des objets coupés en deux). Un lien épistolaire et artistique se noue discrètement entre eux, à l’insu de tous.
Pendant ce temps, les Beatles poursuivent leur révolution musicale en studio. 1967 est l’année de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band et de la déferlante psychédélique. John, immergé dans le LSD, écrit des chansons oniriques (“Lucy in the Sky with Diamonds”) et introspectives (“Strawberry Fields Forever”). Il mène toujours une vie de Beatle, mais quelque chose bouillonne en lui : une soif d’expériences nouvelles, un certain désenchantement aussi après le décès de leur manager Brian Epstein en août 1967. La disparition d’Epstein prive John d’un guide et accentue son sentiment de dérive. Il se sent de plus en plus à l’étroit dans son rôle de “Beatle John”, le mari de Cynthia, le père absent du petit Julian.
Yoko Ono, avec son indépendance d’artiste et son approche iconoclaste, représente une échappatoire fascinante. Lennon commence à la voir comme une alliée intellectuelle, une confidente à qui il peut parler d’art, de musique d’avant-garde, de choses qu’il partage peu avec McCartney ou les autres Beatles. Ce jeu de séduction platonique à distance va brusquement s’accélérer en 1968, lorsque Yoko Ono s’installe à Londres et que Cynthia Lennon s’absente en vacances. John invite alors Yoko chez lui, au domaine de Kenwood, pour une soirée qui va sceller leur destin.
L’irruption d’Yoko dans la vie de John (1968) : amour, art et scandale
En mai 1968, profitant de l’absence de Cynthia, John Lennon convie Yoko Ono à Kenwood, sa résidence cossue du Surrey. Yoko arrive avec une valise remplie de bandes magnétiques – des enregistrements expérimentaux qu’elle souhaite faire écouter à John. Tous deux descendent dans la cave où Lennon a installé un petit studio personnel. Ils passent la nuit à boire du thé, fumer des cigarettes et surtout à créer ensemble un étrange collage sonore. John est fasciné par ces bruits, ces cris, ces sons distordus qu’Yoko porte sur ses bandes – bien loin des mélodies bien huilées des Beatles. Sous l’effet conjoint de la curiosité artistique et d’une attirance mutuelle de plus en plus évidente, ils enregistrent ce qui deviendra l’album Unfinished Music No.1: Two Virgins, une pièce de musique expérimentale chaotique.
Au petit matin, épuisés mais exaltés par cette session hors norme, John et Yoko font l’amour pour la première fois. Lennon décrira plus tard cette nuit comme une véritable fusion créative et amoureuse : « On a fait la musique, puis on a fait l’amour – c’était indissociable. »
Lorsque Cynthia rentre de son voyage un peu plus tard, elle trouve Yoko Ono en peignoir chez elle. Le choc est brutal : son mari, l’un des hommes les plus célèbres du monde, lui annonce qu’il est amoureux d’une autre femme, et pas n’importe laquelle – une artiste d’avant-garde japonaise de cinq ans son aînée.
Le scandale éclate rapidement dans la presse à sensation britannique : John Lennon quitte sa femme “pour une Japonaise”. Les gros titres racoleurs habillent Yoko de tous les stéréotypes : on la qualifie de sorcière, de manipulatrice venue de l’Orient, de “dragon lady” qui aurait jeté son dévolu sur le plus riche des Beatles. Les fans de la première heure, attachés à l’image du gentil John marié à la douce Cynthia, sont sous le choc. Qui est donc cette femme au visage impassible, toujours vêtue de noir, qui vient briser le ménage Lennon ?
Au-delà du tollé médiatique, au sein du groupe lui-même, la nouvelle relation de John est accueillie avec stupéfaction et malaise. Paul McCartney, proche de Cynthia et parrain du petit Julian Lennon, est attristé de la rupture du couple de son ami. Mais plus encore, il va très vite être désarçonné par la place croissante que John accorde à Yoko. George Harrison, de nature déjà méfiante envers les étrangers à l’entourage du groupe, toise Yoko d’un œil froid. Quant à Ringo Starr, plutôt diplomate et bon vivant, il essaye dans un premier temps de faire bonne figure. Personne encore ne mesure l’ampleur du phénomène : John Lennon vient d’amener une tierce personne dans le monde hermétique des Beatles, et rien ne sera plus pareil.
Durant l’été 1968, John et Yoko deviennent inséparables. Lennon installe Yoko dans son quotidien comme une évidence, la présentant partout comme sa nouvelle partenaire tant artistique que sentimentale. Ensemble, ils bravent les conventions sans la moindre hésitation. En juillet, le couple pose nu en couverture d’un disque (l’album Two Virgins issu de leur nuit d’enregistrement). La photographie frontale de John et Yoko, entièrement dévêtus, choque même certains fans les plus libéraux – jamais un Beatle n’avait exposé ainsi sa vie intime à la face du monde. Les maisons de disques, embarrassées, distribuent l’album dans une pochette brune censée masquer l’image scandaleuse. John se moque pas mal du qu’en-dira-t-on : pour la première fois depuis longtemps, il se sent vivre intensément, stimulé intellectuellement et émotionnellement par Yoko Ono.
C’est aussi à cette période que Yoko Ono tombe enceinte de John. Le couple nage dans un bonheur fiévreux, mais l’ombre de la tragédie n’est jamais loin : en novembre 1968, Yoko fait une fausse couche, probablement due au stress des dernières semaines (ils ont été arrêtés pour possession de drogue en octobre, autre épisode éprouvant). Anéantis, John et Yoko trouvent une façon déroutante de surmonter l’épreuve : ils enregistrent le son du rythme cardiaque du fœtus perdu, suivi de deux minutes de silence en guise d’oraison funèbre, qu’ils incluent plus tard sur l’album Unfinished Music No.2: Life with the Lions. Loin de se retirer pour vivre cette douleur en privé, ils transforment ce drame intime en art conceptuel.
Un tel comportement laisse perplexes les autres Beatles – il souligne à quel point John et Yoko ont formé un noyau à part, presque imperméable, au cœur de l’univers Beatles.
Yoko Ono s’invite en studio : la fin d’un pacte tacite
L’impact le plus immédiat et tangible de l’arrivée de Yoko Ono se fait sentir lorsque les Beatles reprennent le chemin du studio à la fin mai 1968 pour enregistrer leur nouvel album (le fameux Album Blanc). John Lennon, follement épris, prend une décision sans précédent : il amène Yoko avec lui aux séances d’enregistrement, et la garde constamment à ses côtés, y compris en cabine. C’est une rupture totale avec l’étiquette maison des Beatles. Jusqu’alors, aucune épouse, aucune petite amie n’avait jamais assisté aux sessions de travail du groupe, du moins pas de manière permanente au cœur de l’action. Lorsque Yoko Ono s’installe auprès de John à Abbey Road, souvent assise par terre à ses pieds ou perchée sur un ampli, c’est comme si un étranger pénétrait dans le saint des saints.
Au début, Paul, George et Ringo essaient de faire bonne figure. Ils accueillent Yoko poliment, lui offrent le thé lors des pauses. Mais rapidement, la tension monte. Yoko est partout où John est. Elle murmure à son oreille, elle donne son avis à voix basse, parfois même à voix haute – alors que jusqu’ici, seules comptaient les opinions des quatre musiciens et éventuellement du producteur. Pire encore aux yeux de certains, Yoko ose se permettre des suggestions sur la musique. John, fasciné et désireux d’intégrer sa compagne dans toutes les facettes de sa vie, encourage cela. On la voit chuchoter avec lui en écoutant une prise, ou commenter un mixage en cours. Pour George Harrison, c’en est trop : « On ne pouvait même plus parler entre nous sans que Yoko réponde à la place de John », confiera-t-il plus tard avec amertume. Le climat convivial des studios d’Abbey Road vire à l’étrange : on chuchote, on s’observe, on prend des pincettes pour ne pas déclencher la colère de Lennon, qui est sur la défensive permanente dès qu’il s’agit de Yoko.
Une anecdote célèbre illustre la crispation ambiante. Un jour, durant l’enregistrement du White Album, Yoko prend la liberté de piocher dans une réserve de biscuits posée sur un ampli – sans savoir qu’il s’agit des biscuits personnels de George Harrison, jalousement gardés. George la voit du coin de l’œil : Yoko déplie l’emballage d’un biscuit McVitie’s Digestive et porte la friandise à sa bouche. Harrison, outré, explose : « Cette garce m’a piqué mon biscuit ! » lâche-t-il furieux, devant un John Lennon abasourdi qui ne sait que répondre pour défendre sa compagne. L’incident du “biscuit volé”, aussi trivial soit-il, témoigne du ressentiment couvant. Une simple histoire de goûter tourne à l’altercation car elle cristallise un agacement profond : Yoko, aux yeux de George, prend des libertés dans leur espace à eux, sans s’excuser, “comme chez elle”. John entre alors dans une colère noire contre George – comment ose-t-il insulter Yoko ? Des années plus tard, Lennon confessera qu’il n’a jamais tout à fait pardonné à Harrison cette humiliation infligée à sa femme.
Paul McCartney, de son côté, adopte un comportement plus diplomate, du moins en apparence. Il essaye d’ignorer Yoko, de faire comme si de rien n’était, concentré sur la musique. Mais derrière son flegme britannique, Paul fulmine intérieurement. Voir John – son alter ego créatif de toujours – désormais n’en faire qu’à sa tête en tandem avec Yoko l’affecte profondément. McCartney se sent mis à l’écart, dépossédé d’une complicité. Pourtant, il s’astreint à tolérer la présence de Yoko par pragmatisme : confronter John de front risquerait de faire éclater le groupe immédiatement. Paul sait que John est amoureux fou et que rien ne le fera changer d’attitude. Alors il ronge son frein, non sans lancer parfois quelques piques pince-sans-rire, typiquement “macca”. Par exemple, tandis que John et Yoko expérimentent des cris et bruits étranges en studio pour une pièce sonore, Paul ironise en proposant d’y ajouter un effet burlesque – une façon de dire que ce charabia n’est pas du goût de tout le monde.
Malgré tout, l’album The Beatles (surnommé le “White Album”) parvient à voir le jour en novembre 1968, double opus foisonnant où l’on sent toutefois les fissures. Ce n’est plus “John-et-Paul” qui écrivent ensemble, mais chacun de son côté avec ses influences du moment. Et l’influence de Yoko transparaît bel et bien dans la partie Lennon du disque : Revolution 9, collage expérimental de près de 8 minutes, est une œuvre de John alimentée directement par l’esthétique de Yoko. On y entend d’ailleurs la voix d’Ono prononcer des mots en fond sonore. Ce déluge de sons abstraits horrifie McCartney et George Martin qui plaident pour l’écarter du disque – en vain : Lennon, soutenu par Yoko, insiste pour l’y inclure, convaincu d’accoucher d’un authentique morceau d’avant-garde au milieu d’un disque des Beatles. Sur d’autres pistes de l’album, Yoko Ono est littéralement présente : au détour de “The Continuing Story of Bungalow Bill”, on l’entend chanter une ligne de réponse (« Not when he looked so fierce ») – c’est la première voix féminine à figurer sur un enregistrement officiel des Beatles. Un sacrilège, penseront certains. John, lui, jubile presque de provoquer ainsi les conventions, d’autant qu’il adore la touche de timbre exotique qu’apporte Yoko sur ce chœur spontané où même la femme de Ringo (Maureen) participe.
Yoko Ono est donc entrée pleinement dans l’univers Beatles, et cela se ressent dans l’ambiance. Les quatre musiciens, autrefois si complices, travaillent désormais en silos séparés ou fragmentés. On enregistre souvent dans des studios différents en parallèle. Lorsque Paul bosse sur “Blackbird” ou “Mother Nature’s Son”, John et Yoko en profitent pour s’éclipser et expérimenter ailleurs. Quand George présente ses pièces (“While My Guitar Gently Weeps”, “Piggies”), John boude parfois, trop absorbé par Yoko pour contribuer avec entrain comme autrefois. Les interactions changent : McCartney se retrouve à jouer la batterie sur “Back in the USSR” parce que Ringo a claqué la porte du studio pendant deux semaines (épuisé par les tensions – même si l’incident n’est pas directement lié à Yoko, l’atmosphère générale y est pour beaucoup).
Pour les ingénieurs du son et le personnel technique, la donne a aussi changé : ils voient débarquer cette femme silencieuse à la longue chevelure, assise comme une sentinelle à côté de Lennon. Ils surprennent des regards d’exaspération entre Paul et George quand Yoko s’installe carrément au milieu de la salle de contrôle, crochetant parfois du tricot ou lisant le journal, mais omniprésente. L’incongruité est telle que certains finissent par en plaisanter : un jour que Yoko s’était brièvement absentée, Paul glisse une boutade du style « Où est passé notre invité mystère ? La séance peut-elle reprendre ? », mêlant l’humour à l’agacement.
La vérité est que, dès l’entrée d’Yoko Ono dans le cercle restreint du studio, l’esprit d’équipe des Beatles ne sera plus jamais tout à fait le même. Un pacte non écrit a été rompu : John ne se soucie plus de préserver l’unité masculine du groupe, il considère Yoko comme partie intégrante de lui-même et donc, par extension, légitime à faire partie du processus Beatles. « Nous formons une seule et même personne maintenant », répondra John à quiconque, en interne, lui fait la remarque que “madame” n’a peut-être pas besoin d’être là à chaque seconde. Face à cet absolutisme amoureux, les autres n’ont d’autre choix que de s’adapter, bon gré mal gré. Mais ce qui se trame, insidieusement, c’est que le duo John-Yoko est en train de supplanter le quatuor John-Paul-George-Ringo. Pour la première fois, une allégeance parallèle se crée au sein des Beatles. Lennon, qui était jusque-là un pilier central du carré magique, déplace son centre de gravité vers Yoko. Et par conséquent, l’équilibre du groupe vacille.
Muse d’un Beatle : l’influence artistique d’Yoko sur la musique des Beatles
Au-delà des tensions humaines, la présence de Yoko Ono aura aussi une influence directe sur la musique des Beatles dans ces dernières années, en particulier sur l’œuvre de John Lennon. Amoureux transi, Lennon puise en Yoko une nouvelle inspiration, plus personnelle, plus avant-gardiste également. Plusieurs chansons du répertoire tardif des Beatles portent l’empreinte de cette muse singulière.
Dès 1968, John commence à parsemer ses compositions de clins d’œil explicites à Yoko Ono. Sur la bouleversante ballade acoustique “Julia”, qu’il enregistre seul à la guitare, il rend hommage à deux femmes à la fois : sa mère Julia, disparue tragiquement quand il était adolescent, et Yoko, son nouvel amour. La preuve en est ce vers énigmatique : « Ocean child calls me ». Or, le prénom “Yoko” signifie “enfant de l’océan” en japonais – Lennon a littéralement dissimulé Yoko Ono au cœur de cette chanson en apparence dédiée à sa mère. D’une certaine manière, il fusionne les deux figures féminines les plus importantes de sa vie dans un même texte, comme pour souligner le rôle salvateur de Yoko : il a trouvé en elle un amour aussi profond que celui d’une mère, une présence à la fois maternelle et amoureuse qui l’apaise et l’inspire. Pour les fans qui décortiquent les paroles, le message est clair – Yoko Ono est entrée dans le panthéon intime de John Lennon, au point de cohabiter avec le fantôme de Julia dans une chanson des Beatles.
L’année 1969 sera particulièrement riche en chansons “à clés” où transparaît Yoko. La plus célèbre est sans doute “Don’t Let Me Down”, sortie en single en avril 1969. Ce titre est un véritable cri du cœur de John envers Yoko, sorte de prière amoureuse où il implore : « I’m in love for the first time / Don’t you know it’s gonna last » (“Je suis amoureux pour la première fois / Tu sais bien que ça va durer”). Lorsqu’il la chante sur le toit de l’immeuble Apple lors du dernier concert des Beatles, le 30 janvier 1969, John tourne presque le dos au public imaginaire pour regarder Yoko, emmitouflée dans un manteau de fourrure, debout à quelques mètres de lui sur le toit. Cette chanson, d’une intensité soul presque douloureuse, c’est à elle qu’il la hurle dans le vent glacial de Londres. Don’t Let Me Down ressemble à un pacte : “ne me laisse pas tomber” – John s’abandonne totalement à Yoko et redoute d’en souffrir. Les Beatles n’avaient jamais livré une déclaration d’amour aussi nue et viscérale auparavant.
Dans la foulée, John compose “The Ballad of John and Yoko”, qu’il enregistre en duo avec Paul en avril 1969. Les paroles sont un journal quasi documentaire de ses aventures récentes avec Yoko : leur mariage à Gibraltar (“Standing in the dock at Southampton, trying to get to Holland or France / The man in the mac said you’ve got to go back”), leur lune de miel transformée en manifestation pacifiste avec le fameux Bed-in à Amsterdam (“The newspapers said: Say what you doing in bed? / I said: we’re only trying to get us some peace”), et même leur épisode de crucifixion médiatique (“Christ, you know it ain’t easy, you know how hard it can be / The way things are going, they’re gonna crucify me”). C’est la première – et dernière – fois que le nom “Yoko” apparaît dans une chanson des Beatles, puisque le titre la cite ouvertement. Paul McCartney, pourtant peu enchanté par certaines facettes du comportement de John à ce moment-là, accepte sportivement de l’aider à enregistrer ce single en urgence (George et Ringo étant indisponibles ce jour-là). The Ballad of John and Yoko n’en est pas moins un OVNI dans la discographie du groupe : c’est une chronique intime du couple Lennon/Ono, servie par la marque Beatles, comme si John avait temporairement annexé le navire Beatles pour chanter sa propre vie avec Yoko sur la proue.
Et puis, il y a “I Want You (She’s So Heavy)”, pièce maîtresse de l’album Abbey Road enregistré à l’été 1969. Cette chanson hypnotique, à la ligne de basse obsédante et aux guitares lourdes, se distingue par sa structure minimaliste : quelques phrases répétées en boucle, presque incantatoires. “I want you, I want you so bad it’s driving me mad” clame John, encore et encore, tandis que les instruments tissent un orage sonique de plus en plus oppressant. La “she” de la chanson, c’est Yoko Ono – Lennon ne s’en est jamais caché. Jamais une chanson des Beatles n’avait été aussi primaire dans son texte, réduite à une seule idée fixe : “Je te veux, tu me rends fou”. Ici, l’influence d’Yoko est double : elle est à la fois la muse qui inspire cette passion brute, et indirectement la co-autrice de l’atmosphère, car John s’est dit inspiré par les délires avant-gardistes partagés avec Yoko pour épurer ainsi le lyrisme. I Want You tranche radicalement avec l’élégance habituelle des compositions de McCartney ou même des précédentes chansons de Lennon. On y entend le poids de la dépendance amoureuse quasi obsessionnelle que John a développée pour Yoko.
Sur Abbey Road toujours, un autre morceau porte la patte de Madame Ono de manière plus subtile : “Because”. Cette sublime harmonisation à trois voix, inspirée par le mouvement d’ouverture de la Sonate Au clair de lune de Beethoven, n’aurait peut-être jamais vu le jour sans Yoko. Un soir, Yoko joue au piano le célèbre morceau de Beethoven dans le salon de John. Lennon, allongé, lui demande soudain : « Peux-tu rejouer ces accords à l’envers ? ». Intriguée, Yoko s’exécute – de cette progression inversée naît l’idée musicale de Because. John y ajoute des paroles ésotériques célébrant l’amour et la nature, et confie l’arrangement vocal au talent de George Martin. Because est donc, selon Lennon lui-même, le fruit d’une collaboration d’un genre nouveau : Yoko, pianiste classique de formation, a su insuffler un morceau de son univers culturel dans la marmite Beatles. D’ailleurs, lorsque John enregistrera Imagine en solo quelques années plus tard, il admettra que l’idée centrale venait d’un texte de Yoko – preuve que la frontière entre ses créations et celles de sa compagne devient de plus en plus poreuse à mesure que leur union s’intensifie.
Par ailleurs, l’influence d’Yoko sur John se manifeste par son attrait grandissant pour l’avant-garde et l’expérimentation en tout genre. Outre Revolution 9 déjà évoqué, John entraîne par exemple Paul, George et Ringo dans une improvisation free jazz dissonante lors des sessions Let It Be en janvier 1969. Un jour, frustré par les disputes, Lennon se lance dans une jam bruitiste avec Yoko hurlant au micro – une performance cathartique qui met les nerfs de tout le monde à vif, et qui ne figurera évidemment pas sur l’album, mais qui jette un froid. Dans un autre registre, John propose aussi que le Plastic Ono Band – son nouveau projet musical monté avec Yoko – coexiste parallèlement aux Beatles. En juin 1969, en plein milieu de l’existence du groupe, il enregistre Give Peace a Chance dans une chambre d’hôtel de Montréal avec Yoko à ses côtés, entourés d’amis et de journalistes. Cette chanson pacifiste sort sous le nom “Plastic Ono Band / John Lennon & Yoko Ono” alors même que les Beatles ne sont pas officiellement dissous. C’est la première fois qu’un Beatle publie un titre sous un autre nom que “The Beatles”. Le message est double : d’un côté, John clame un slogan universel pour la paix, de l’autre il affirme son identité propre aux côtés de Yoko, distincte de l’entité Beatles. Paul, George et Ringo voient cela d’un œil mitigé – certes John reste un Beatle, mais il teste déjà ses ailes en solo, encouragé par l’audace d’Yoko qui lui souffle qu’il peut très bien exister artistiquement en dehors du cadre du groupe.
Il est frappant de constater que toutes les muses n’ont pas la même place au sein des Beatles. Paul McCartney, par exemple, commence à être très amoureux de Linda Eastman à la même époque et écrira de sublimes chansons pour elle (“Maybe I’m Amazed” un peu plus tard, ou “Two of Us” durant Let It Be qui évoque selon certains leur couple naissant). Mais jamais Paul n’envisagera d’amener Linda en studio pour intervenir dans la création Beatles. De même, George Harrison puise son inspiration chez sa muse Pattie Boyd (elle lui inspire “Something” en 1969, l’une des plus belles chansons d’amour du catalogue Beatles), cependant il ne lui viendrait pas à l’esprit de la convier aux séances d’enregistrement. Yoko Ono, elle, brise ce moule traditionnel : elle devient presque un “cinquième Beatle” non officiel dans le processus créatif de John. Ce dernier commence même à évoquer l’idée saugrenue que Yoko pourrait contribuer en personne à la musique du groupe – il laissera entendre lors d’une réunion en septembre 1969 que peut-être Yoko pourrait chanter sur un futur disque des Beatles, proposition qui a fait bondir Paul et George en silence. Si cette idée n’a jamais été concrétisée, son simple énoncé montre le fossé de perception : pour John, il n’est pas absurde d’inclure Yoko dans l’équation Beatles ; pour les trois autres, c’est inimaginable.
En deux ans, de 1968 à 1970, Yoko Ono a ainsi catalysé des évolutions notables dans la création musicale de Lennon et la trajectoire artistique des Beatles. Elle a encouragé John à se livrer plus intimement dans ses chansons, à briser le moule de la pop classique pour explorer des formes nouvelles, parfois déroutantes. En ce sens, on peut la voir comme une muse qui a libéré la facette la plus audacieuse et authentique de John Lennon – celle qui préfigurait l’artiste solo qu’il deviendrait. Mais cette libération créative de l’un a eu pour corollaire l’affaiblissement de la collaboration collective. Car plus John s’émancipe artistiquement grâce à Yoko, plus la cohésion Beatles en souffre.
“Get Back” : les Beatles face à Yoko en plein chaos (janvier 1969)
Le début de l’année 1969 offre un huis clos révélateur des rapports entre Yoko Ono et le reste du groupe. Les Beatles se réunissent en janvier dans un studio de cinéma froid et peu accueillant à Twickenham pour répéter en vue d’un éventuel concert et d’un film (le projet Get Back, qui deviendra plus tard Let It Be). L’ambiance est morose : il est à peine dix heures du matin, chacun grelotte dans son coin en grattant sa guitare. Au milieu de ce décor terne, une silhouette immuable, drapée de noir, est assise près de John : Yoko, évidemment.
Durant ces sessions filmées, la présence silencieuse de Yoko Ono, constamment accrochée à Lennon tel son ombre, est flagrante sur les images. Tandis que Paul essaye de motiver les troupes pour composer de nouveaux morceaux “à l’ancienne” en jouant live, John semble absent, apathique, planant à quelques centimètres au-dessus de son siège, le regard tourné vers Yoko plus souvent que vers sa guitare. On le devine sous l’influence de l’héroïne – une dépendance dans laquelle Yoko et lui se sont enfoncés cet hiver-là pour supporter la pression et l’ennui.
Les tensions latentes finissent par exploser le 10 janvier 1969 : suite à des divergences musicales et personnelles, George Harrison claque la porte, quittant brusquement le groupe en pleine répétition. La dispute précise reste floue (on sait que George était frustré d’être relégué au second plan, lassé aussi de voir Paul dicter sa loi musicale, et probablement exaspéré par l’indifférence distraite de John, plus occupé avec Yoko qu’avec la musique). Après son départ, John Lennon, bravache, suggère cyniquement de remplacer Harrison par Eric Clapton.
Un échange, capturé par les micros cachés, est édifiant : Paul confie à Ringo son inquiétude que l’histoire retiendra une version trop simple de leur rupture. « C’est rigolo, imagine dans 50 ans, on dira : “Ils se sont séparés parce que Yoko s’est assise sur un ampli” », ironise McCartney avec un humour désabusé. Par cette phrase, Paul montre qu’il a conscience du bouc émissaire idéal que Yoko représente – et il trouve absurde de réduire leurs problèmes complexes à ce seul facteur. Cette lucidité de McCartney est frappante : il pressent que la légende imputera aux frasques de John et Yoko ce qui, en réalité, est un faisceau de causes plus large.
Quand George finit par revenir au bout de quelques jours (non sans conditions, dont celle de quitter Twickenham pour poursuivre le projet dans l’intimité du studio Apple), le travail reprend tant bien que mal. Yoko est toujours là, à quelques pas de John. Mais un événement inattendu va momentanément la faire taire – littéralement. Au cours d’une pause déjeuner, Yoko croque dans un sandwich au thon avarié et souffre d’une intoxication alimentaire qui la cloue au lit. Dans un esprit potache surprenant, les Beatles restants improvisent alors une sorte de jam blues parodique, où ils tournent en dérision l’absence vocale de Yoko. John, hilare et sans doute un peu stone, accompagne la plaisanterie en produisant des hurlements dissonants rappelant les cris qu’Yoko pousse dans ses performances expérimentales. Cet interlude étrange, immortalisé sur les bandes sous le nom de “Yoko Jam”, montre que même Lennon peut rire (jaune) de l’omniprésence de sa compagne quand elle n’est pas là. Il y a là l’expression d’une tension relâchée provisoirement dans l’humour, mais qui en dit long : Yoko Ono était devenue une telle figure incongrue dans leur quotidien que son silence momentané inspire une satire libératrice aux trois comparses – et même à John.
Les sessions Get Back/Let It Be, bien qu’éprouvantes, débouchent malgré tout sur quelques moments de grâce musicale. Cependant, Yoko ne quitte quasiment pas le camp retranché de John. On la voit, dans le film Let It Be, assise à même le sol pendant que les Beatles jouent “Let It Be” ou “Two of Us”. Parfois, elle danse doucement en fermant les yeux, parfois elle lit le journal pendant que Paul et John travaillent les harmonies. Son attitude suscite toutes sortes de commentaires a posteriori : pour les uns, elle est respectueusement effacée et n’impose rien, pour les autres, sa simple présence muette agit comme un mur intangible entre John et les autres – un rappel constant que Lennon n’est plus tout à fait “des leurs”, qu’il appartient aussi à un autre tandem.
Paul, dans ces images, apparaît partagé entre irritation et résignation. On le voit tenter de communiquer musicalement avec John, qui répond mollement à ses propositions, avant de se tourner vers Yoko pour un aparté silencieux. Loin de s’en prendre directement à Yoko, McCartney ravale son dépit et essaie de sauver les meubles du projet. Il faudra toute son énergie pour que les Beatles parviennent à donner un concert sur le toit de leur immeuble et à enregistrer tant bien que mal l’album. Rétrospectivement, Paul dira de cette période : « Ce film était pénible à regarder car il n’y avait aucune joie apparente. » Il regrette que le montage original de Let It Be donne l’impression que Yoko flotte tel un corbeau de mauvais augure sur un groupe moribond. Des décennies plus tard, les images inédites dévoilées par le documentaire Get Back de Peter Jackson (2021) nuanceront ce tableau en montrant aussi des instants de complicité et d’humour entre les Beatles, Yoko incluse, qui partage parfois un sourire ou une danse avec eux. Mais sur le moment, en 1969, il est indéniable que la sérénité collective a volé en éclats.
Lorsque l’album Let It Be sortira finalement en 1970, les Beatles seront déjà séparés. La chanson-titre de McCartney résonne alors comme une forme d’adieu. Certains y verront même un message implicite à John (et Yoko) : “Let it be” – laisse faire, laisse aller, accepte ce qui arrive… D’autres titres comme “Two of Us” avec son vers “You and I have memories longer than the road that stretches out ahead” sonnent comme un constat mélancolique que la route ensemble touche à sa fin. On lit entre les lignes des regrets et de la nostalgie. Yoko n’est pas nommée, mais son spectre plane sur ce dernier album par ce qui n’est pas dit : l’absence de toute coécriture Lennon/McCartney, l’atmosphère décousue des sessions qu’on devine en filigrane, et ce groupe qui n’en est plus vraiment un.
Le début de la fin : Yoko Ono et la séparation des Beatles (1969–1970)
Après les tumultueuses sessions de Let It Be, les Beatles se donnent une dernière chance de finir sur une bonne note en enregistrant un ultime album dans de meilleures conditions – ce sera Abbey Road à l’été 1969. Et en effet, durant ces séances, le professionnalisme légendaire du quatuor reprend le dessus pour polir ce qui sera leur chant du cygne. Cependant, même dans cette relative accalmie, Yoko Ono demeure un élément incongru campé en plein milieu du studio d’Abbey Road – au sens propre. Car un nouvel épisode ubuesque vient couronner sa présence : le 1er juillet 1969, alors que les Beatles sont en plein enregistrement, John et Yoko ont un grave accident de voiture en Écosse. Blessée, Yoko est hospitalisée quelques jours. Qu’à cela ne tienne : Lennon, refusant d’être séparé d’elle, fait installer un lit double directement en studio pour qu’elle puisse y assister alitée aux séances d’Abbey Road. Pendant que Paul, George et Ringo répètent leurs parties, Yoko repose dans son lit blanc, un micro à portée de main pour qu’elle puisse faire entendre ses éventuels commentaires ou besoins ! Cette scène surréaliste – une Yoko convalescente trônant comme une reine malade au milieu des amplis – laisse pantois les autres Beatles, mais personne n’ose plus protester. “C’est John, il faut faire avec”, se disent-ils en substance.
Malgré ces extravagances, Abbey Road se façonne dans une atmosphère plus sereine que les mois précédents. Peut-être parce que chacun sait intérieurement que c’est la fin et fait un effort pour finir en beauté. John participe activement, offrant ses dernières grandes chansons au groupe (“Come Together”, “Because”, “I Want You”). Paul brille avec le fameux medley de la face B. George signe ses chefs-d’œuvre “Something” et “Here Comes The Sun”. Ringo contribue avec “Octopus’s Garden”. On a presque l’illusion d’une unité retrouvée sur le disque. Mais la fracture est bien là, en coulisses.
En septembre 1969, juste après la sortie de Abbey Road, John Lennon prend la décision qui couvait depuis un moment : quitter les Beatles. Là encore, Yoko Ono n’est jamais loin. Le 13 septembre, John et Yoko s’envolent pour Toronto afin de participer à un festival de rock’n’roll (le Toronto Rock and Roll Revival). Sur scène, John se produit avec un groupe ad hoc (Eric Clapton à la guitare, Klaus Voormann à la basse, Alan White à la batterie) qu’il baptise The Plastic Ono Band. Yoko, bien sûr, est de la partie : elle s’installe sur scène, en tailleur noir et bandeau sur les yeux, et livre des improvisations vocales stridentes par-dessus les standards rock que John interprète. Devant des dizaines de milliers de spectateurs interloqués, le couple livre une performance à la fois fascinante et dérangeante – symbole d’un John Lennon qui se cherche un nouveau chemin en dehors des Beatles. Ce soir-là, Lennon réalise qu’il peut enflammer un public sans ses trois camarades, et que Yoko l’accompagnera coûte que coûte, envers et contre tous. Dans l’avion du retour, John dit à Yoko qu’il a envie de “lâcher la pop music pour l’avant-garde”. L’idée de quitter le groupe germe intensément.
De retour à Londres, John convoque une réunion avec Paul, George (et Yoko, toujours présente à ses côtés lors des affaires du groupe, ce qui rend Paul fou de rage intérieurement). Le 20 septembre 1969, Lennon lâche la bombe : « Je quitte les Beatles. » Il compare même cette décision à un divorce, lançant un cinglant « Je veux divorcer d’avec vous » à ses partenaires éberlués. Paul et George, sous le choc, obtiennent de John qu’il garde la nouvelle secrète quelque temps pour ne pas saboter les sorties de disques en cours (le film Let It Be doit encore paraître, etc.). Lennon accepte de se taire provisoirement – il ravale sa frustration de ne pas l’annoncer publiquement. Mais dans sa tête, c’est fait : les Beatles, c’est fini. « Le rêve est terminé », écrira-t-il quelques mois plus tard dans une chanson cathartique (“God”).
Difficile de mesurer précisément la part d’Yoko dans ce choix de John de mettre un terme à l’aventure Beatles. Sans doute n’a-t-elle pas explicitement soufflé à Lennon « Quitte le groupe », mais elle l’a soutenu sans faille dans son émancipation. John, qui s’était longtemps défini par et pour les Beatles, voit bien en 1969 que son avenir artistique s’inscrit aux côtés de Yoko, dans des projets plus radicaux, plus politiques, plus personnels. « Part of me suspects I’m a loser and part of me thinks I’m God Almighty » avait dit John, l’âme tiraillée, quelques années plus tôt. Yoko lui a apporté la conviction qu’il pouvait être “God Almighty” à sa manière, sans la béquille du groupe qui l’avait fait roi. Elle l’encourage à se réaliser pleinement, à ne plus faire de compromis pour plaire au public ou aux autres Beatles. Ce soutien inconditionnel, John n’a jamais osé le demander à Paul ou George, trop de rivalités et d’histoires anciennes brouillaient leur communication. Avec Yoko, il repart à zéro, il redevient vulnérable et tout-puissant à la fois – une combinaison grisante qui le pousse vers la sortie du cadre rassurant du groupe.
Le 10 avril 1970, Paul McCartney officialise la séparation en annonçant au monde qu’il quitte les Beatles (un peu vexé d’avoir été pris de vitesse, John fulmine en privé car pour lui c’est lui qui “est parti le premier”). Le mythe se referme, et très vite la vindicte populaire cherche un coupable à la “faute”. Ce sera Yoko Ono. Dans l’imaginaire collectif, l’équation est simple : John a changé du tout au tout après avoir rencontré Yoko, il s’est détaché de ses frères de musique et a fini par saborder le groupe qu’il avait fondé – donc c’est la faute d’Yoko Ono. Cette grille de lecture, alimentée aussi par des commentaires parfois maladroits de Paul ou George dans les années qui ont suivi, va coller à la peau de Yoko des décennies durant.
Les Beatles après les Beatles : rancunes et réhabilitations
Une fois la séparation consommée, les ex-Beatles laissent filtrer leurs ressentiments. John Lennon est le plus virulent : dans la fameuse interview Lennon Remembers donnée à Rolling Stone fin 1970, il règle ses comptes. Il traite de “c***” ceux qui pensent qu’Yoko a brisé les Beatles, affirmant que ces personnes n’ont rien compris. Il ne décolère pas contre Paul et George pour l’hostilité qu’ils ont manifestée envers Yoko : « Je ne leur pardonnerai jamais de l’avoir traitée ainsi », lâche-t-il. Il raconte comment Harrison a insulté Yoko en face, comment Paul l’a méprisée. John, dorénavant, se positionne en chevalier défenseur de son épouse, quitte à noircir l’attitude de ses anciens comparses. On sent chez lui une blessure profonde : l’amour qu’il portait à Yoko n’a pas été respecté par ceux qu’il considérait comme sa famille musicale. Et c’est impardonnable à ses yeux. D’un autre côté, Lennon concède volontiers qu’introduire Yoko dans le groupe relevait quasiment de la mission impossible : « Les Beatles avaient un ego énorme. Aucun artiste extérieur n’a jamais été accepté dans notre cercle. Yoko est arrivée en toute naïveté en pensant pouvoir jammer avec nous, mais la froideur qu’on lui a opposée l’a sidérée. C’est là que j’ai compris que j’avais plus rien à tirer artistiquement des Beatles, et que cette femme pouvait m’ouvrir un million de nouvelles portes. » En quelques phrases, John Lennon admet ainsi deux choses cruciales : oui, Yoko Ono a été un facteur déterminant de son éloignement du groupe (parce qu’elle lui apportait ce que le groupe ne lui apportait plus), et oui, le comportement de ses collègues envers elle a précipité la rupture car il ne tolérait pas qu’on la malmène.
Du côté de George Harrison, la pilule “Yoko” reste longtemps amère. George a toujours eu la réputation d’être le moins diplomate des quatre, un franc-tireur susceptible. Lors du célèbre concert pour le Bangladesh qu’il organise en 1971, il refuse catégoriquement qu’Yoko monte sur scène aux côtés de John (alors que Lennon avait proposé de venir, mais en duo avec sa femme). Cette exigence de George provoque une dispute violente entre lui et John, aboutissant au forfait de Lennon – qui ne participe finalement pas au concert car il refuse de laisser Yoko de côté. Des années plus tard, Harrison ne sera pas tendre non plus. Il reste courtois en public, mais dans l’intimité, il lui arrivera encore d’évoquer Yoko avec sarcasme. Un épisode révélateur : dans les années 1980, en visite dans le bureau d’un dirigeant de maison de disques où trône une photo de Lennon et Ono, George griffonne dessus une plaisanterie grivoise (il légende la photo “The Plastic Ono Band” en “The Traveling Arseholes”, jeu de mots douteux) – signe que l’irritation ne l’avait pas entièrement quitté. Il faut dire qu’après l’assassinat de Lennon en 1980, George en a peut-être voulu aussi à Yoko de garder le contrôle sur l’héritage de John, et d’entretenir une forme de mystique autour de leur couple qui pouvait occulter un peu le rôle des autres Beatles.
Ringo Starr, lui, aura toujours été le plus modéré. Dans une interview en 1981, il met les points sur les i : « Yoko et Linda (la femme de Paul) ont pris beaucoup de vacheries dans la figure, mais la séparation des Beatles n’était pas de leur faute. » Ringo explique que les quatre musiciens avaient tout simplement grandi, évolué, et qu’arrivés à la trentaine, mariés, nous ne voulions plus consacrer tout notre temps les uns aux autres comme à 20 ans, dit-il en substance. “De 1961-62 à 1969, on n’avait vécu que l’un pour l’autre. Mais soudain on était plus vieux, mariés, différents, on ne pouvait plus continuer comme avant. Il était temps que ça s’arrête.” Difficile d’être plus sage et pragmatique : Starr reconnaît même avoir trouvé en Yoko un foyer amical, déclarant qu’il se sentirait toujours accueilli chez elle s’il était dans le besoin – preuve de l’affection qu’il lui porte. Ce regard bienveillant de Ringo se retrouvera dans ses relations futures avec Yoko, assez cordiales comparé aux tiraillements entre elle et les deux autres.
Paul McCartney, peut-être le plus blessé initialement par la dissolution du groupe, mettra du temps à digérer tout ça. Dans les années 1970, sa rancœur transparaît en filigrane de certaines chansons : la pique “Too many people preaching practices” dans son morceau “Too Many People” vise John et Yoko, selon Lennon lui-même, qui répliquera en 1971 avec le virulent “How Do You Sleep?” où il raille notamment « la tête de choux-fleur » de Paul et n’épargne pas Yoko non plus. Pendant cette décennie, Paul et Yoko entretiennent une distance glaciale, se parlant à peine sinon par avocats interposés lors de querelles sur les droits ou les propriétés liées aux Beatles.
Mais le temps finit par apaiser certaines blessures. Dans les années 1980, après la tragédie de l’assassinat de John, Paul commence à reconsidérer l’héritage Lennon-Ono avec plus de hauteur. Il comprend notamment qu’Yoko a rendu John heureux et créatif jusqu’au bout. Au fil des interviews, McCartney revoit son jugement. Il déclare, par exemple, qu’il respecte profondément Yoko en tant qu’artiste d’avant-garde et qu’il trouve injuste qu’on la tienne pour responsable du split. C’est cependant bien plus tard, au XXIe siècle, qu’il va publiquement et fermement remettre les pendules à l’heure. En 2012, dans un entretien fleuve, Paul affirme : « Elle n’a certainement pas brisé le groupe, le groupe était de toute façon en train de se séparer. » Il va même plus loin, concédant que l’arrivée de Yoko a ouvert de nouveaux horizons créatifs à John Lennon : « Sans Yoko pour l’initier à l’avant-garde et à un autre mode de vie, John n’aurait probablement pas écrit Imagine. On ne peut donc la blâmer de rien. Elle lui a montré une autre voie, qui l’a attiré. À partir de là, c’était dans l’ordre des choses que John quitte les Beatles – d’une manière ou d’une autre, il l’aurait fait. » Cet aveu lucide et généreux de Paul McCartney, cinq décennies après les faits, a valeur de réhabilitation. L’ex-Beatle reconnaît d’une part que la dynamique du groupe s’épuisait en interne (notamment à cause des bisbilles autour du nouveau manager Allen Klein, source de discorde majeure en 1969), et d’autre part que Yoko Ono a eu un impact plutôt positif sur John en tant qu’individu et créateur. Paul ne cache pas pour autant qu’il a mal vécu la présence d’Yoko en studio à l’époque – il admet que c’était “très difficile” à supporter. Mais il attribue l’implosion finale surtout aux conflits de management et aux aspirations personnelles divergentes, pas à un bouc émissaire extérieur.
Aujourd’hui, à l’aune de documents historiques enrichis (comme le documentaire Get Back déjà mentionné), la plupart des fans et historiens reconnaissent la complexité de la séparation des Beatles. Yoko Ono en fait partie, incontestablement, mais elle n’en est ni l’unique cause ni même la cause principale. Elle fut le catalyseur d’un changement inéluctable dans la vie de John Lennon, et par ricochet dans le destin du groupe.
Yoko Ono, bouc émissaire ou révélateur des fissures ?
Au terme de cette plongée passionnée dans les années 1957–1970, que retenir des rapports entre Yoko Ono et les Beatles ? Sans doute qu’il est vain de chercher un verdict univoque, tant ces relations furent complexes et évolutives. Yoko Ono a été à la fois muse inspiratrice pour John Lennon et élément déstabilisateur pour l’équilibre collectif d’un groupe au bord de la rupture. Son irruption dans l’univers clos des Beatles a agi comme un révélateur : révélateur de la soif d’émancipation de John, de frustrations latentes chez Paul, George et Ringo, et plus largement révélateur du fait que les Beatles n’étaient plus les quatre adolescents soudés des débuts mais des hommes adultes aux chemins désormais divergents.
Il est indéniable que l’amour fusionnel John-Yoko a profondément changé la dynamique du groupe. En quelques mois, Lennon, autrefois moteur du tandem créatif avec McCartney, s’est désinvesti du collectif pour se consacrer à son couple et à une nouvelle forme d’expression artistique. Aux yeux de Paul, de George et de bien des observateurs, Yoko est apparue comme le facteur déclenchant de cette métamorphose. « Si seulement Yoko n’était pas arrivée dans le tableau, les Beatles auraient-ils continué ? » C’est la question qui hante encore certains fans. Mais à la lumière des témoignages et des faits, on comprend que la réponse penche vers la négative : même sans Yoko Ono, les Beatles auraient sans doute fini par se séparer autour de 1970. Les querelles d’affaires, l’épuisement après tant d’années sous les projecteurs, le besoin pour chacun de suivre sa propre muse (qu’elle s’appelle Yoko, Linda, Krishna ou autre) – tout cela formait un terreau de séparation bien avant que Yoko ne s’assoie sur le fameux ampli.
Ce que Yoko Ono a fait, c’est catalyser et accélérer un processus déjà enclenché. Elle a offert à John Lennon une porte de sortie enthousiasmante d’un univers dont il faisait le tour. En ce sens, on peut dire qu’elle a “aidé” à la fin des Beatles, mais non pas par malignité ou complot, plutôt par la force de l’amour et de l’affinité artistique qu’elle partageait avec John. Cela ne retire rien à la peine ressentie par Paul, George et Ringo face à la désintégration de leur amitié musicale. Sur le moment, il était humain qu’ils perçoivent Yoko comme une intruse perturbatrice. Longtemps d’ailleurs, Paul et George ont gardé une rancune plus ou moins vive. Et Yoko, de son côté, a subi un torrent de haine publique rarement égalé : traitée de sorcière, moquée pour son art avant-gardiste jugé “bizarre”, conspuée par des fans l’accusant d’avoir volé leur idole. Il faut imaginer le courage qu’il lui a fallu pour tenir bon aux côtés de John au milieu de cette tempête médiatique et émotionnelle.
En fin de compte, l’histoire aura peu à peu corrigé la caricature. Non, Yoko Ono n’était pas la diabolique manipulatrice qui, d’un coup de baguette (ou de baguette de batterie) maléfique, a brisé les Fab Four. Elle était une femme amoureuse et une artiste intègre, dont la simple présence a redistribué les cartes dans un groupe déjà fragilisé. Il est symptomatique que tous les Beatles survivants aient fini par la dédouaner en grande partie : Ringo l’a dit, Paul l’a redit, même George l’a implicitement reconnu en admettant que le groupe “ne pouvait plus continuer tel quel”. Quant à John, jusqu’à son dernier souffle, il est resté convaincu que rencontrer Yoko fut la meilleure chose qui lui soit arrivée – et qu’importe si cela a coïncidé avec la fin des Beatles, car comme il l’a chanté sans détour : « I don’t believe in Beatles… I just believe in Yoko and me ».
Yoko Ono aura finalement survécu aux Beatles, au sens propre comme au figuré. À plus de 90 ans aujourd’hui, retirée dans la discrétion, elle demeure une figure respectée de l’art contemporain et la gardienne vigilante de l’héritage de John Lennon. Le temps et la connaissance ont rendu justice à cette femme qui, par amour et par art, a involontairement changé le cours de la plus grande histoire du rock. Muse pour les uns, coupable idéale pour les autres, Yoko Ono restera quoi qu’il en soit indissociable de la légende des Beatles – un personnage à part entière dans le roman tumultueux du quatuor de Liverpool. Et si le mythe a longtemps voulu la peindre en noir, l’analyse historique nuancée nous montre désormais ses teintes réelles : celles d’une partenaire déterminée, d’une artiste radicale et d’une femme qui a osé tenir tête à l’univers machiste du rock, bousculant sur son passage quelques idoles au nom de l’amour. En cela, Yoko Ono n’a pas seulement influencé John Lennon, elle a, à sa manière, laissé une empreinte indélébile sur la saga des Beatles et la culture populaire du XXe siècle.
