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« Un Fils de notre temps » d’Ödön von Horvàth

Par Etcetera
Fils notre temps d’Ödön Horvàth

« Un fils de notre temps » d’Ödön von Horvath faisait partie du TOP 100 des livres préférés de notre ami très regretté Goran, homme de cœur et de culture, disparu beaucoup trop tôt, et sa gentillesse autant que son humour nous manquent toujours vivement.
Aujourd’hui, Ingrid (Ingannmic) du blog Book’ing nous propose une lecture commune en hommage à Goran – le 15 septembre étant la date anniversaire du blog de notre ami – et c’est précisément « Un fils de notre temps » qu’elle a choisi de nous proposer.
Voici la présentation qu’Ingrid faisait de cette lecture commune en avril dernier :
https://bookin-ingannmic.blogspot.com/2025/04/appel-lecture-commune-en-hommage-goran.html
J’avoue que je n’avais jamais entendu parler de ce roman ni d’Ödön von Horvàth auparavant mais, quand j’ai appris que cet auteur avait été un farouche opposant au nazisme et qu’il avait cherché à en dénoncer les méfaits et les dangers, dès le milieu des années 30, et en tout cas avant la deuxième guerre mondiale, j’étais très curieuse de le découvrir.

Note pratique sur le livre

Editeur : 10/18 ; (anciennement) Christian Bourgois
Année de publication initiale : 1938 ; (de cette traduction) 1988.
Traduit de l’allemand par Rémy Lambrechts
Nombre de pages : 157

Extrait de la quatrième de couverture

« En 1937, Horvàth écrit à un ami : « Il faut que j’écrive ce livre… je suis pauvre et il me faut travailler pour gagner ma vie. Moi aussi je suis un fils de mon temps. » Fils de son temps, il l’est lorsqu’il achève son roman en 1938, juste avant de mourir en exil, écrasé par la branche maîtresse d’un arbre sous la tempête devant le théâtre Marigny à Paris. Il l’est comme Roth, Musil, Zweig ou Kraus lorsqu’il témoigne encore et toujours de l’effondrement d’une société et d’une civilisation, avec cet art de l’écriture et cette lucidité propres aux héritiers de l’empire austro-hongrois. (…)

Mon avis

Le livre entier repose sur le héros/narrateur qui dit « je » et qui nous raconte sa vie au présent, comme s’il s’agissait d’un reportage en direct et que nous pouvions rentrer dans ses pensées, au jour le jour et en temps réel. C’est au départ très dérangeant de rentrer dans la tête de ce jeune homme, ce soldat nazi, qui est totalement convaincu par cette idéologie toute puissante et qui nous assène les grands principes du nazisme : l’individu n’est rien, tout doit être au service de la patrie, les femmes sont méprisables voire détestables, la guerre doit être menée sans foi ni loi comme un « nettoyage » ethnique c’est-à-dire une suite d’assassinats de civils, hommes, femmes et enfants. C’est d’autant plus dérangeant de suivre ses pensées que nous pouvons sentir qu’au fond ce personnage n’est pas idiot, que certaines de ses actions ne sont pas cruelles, qu’il a même une conscience et un recul sur lui-même. Bref, on sent qu’il pourrait peut-être évoluer.
Et effectivement, une mauvaise blessure au bras finit par le contraindre à quitter l’armée. Il n’est plus en état de combattre et il se retrouve hébergé par son père, avec une pension d’invalidité misérable.
À partir de là, nous assistons à une véritable métamorphose de ce personnage, qui réfléchit de plus en plus et qui s’humanise. Il devient critique vis-à-vis de ses anciennes idées et du régime politique en place. Il apprend la compassion et le respect d’autrui.
Pour autant, cette histoire n’est pas vraiment celle d’une rédemption du héros. S’il se convertit à de meilleures idées et cesse d’être nazi, il n’en demeure pas moins un être marqué par la violence, jusqu’à la fin.
Le dernier chapitre m’a à la fois stupéfiée et émue : une fin vraiment poétique et qui donne le frisson, à plus d’un titre !
Un très beau livre, aussi intense que bref, sur le bien et le mal, en même temps qu’une réflexion sur l’Histoire et sa brutalité.

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Un Extrait page 90-91

Combien ça peut peser une femme comme ça ?
Elle était aussi lourde qu’un veau.
Bien 70 kilos.
Je ne vais sûrement pas lui reprocher que mon bras ne doive jamais guérir – depuis avant-hier le pronostic du médecin est définitivement négatif – mais c’est qu’elle a contribué de sa pierre au tas qui a fini par écraser mon bras.
Oui, ç’a été un coup dur quand il en a résulté irrémédiablement que je devrais quitter les rangs.
Mais les coups durs endurcissent.
Et j’ai dit sans sourciller : Adieu, étoiles argentées !
Il est vrai que j’ai encore le droit de porter l’uniforme, mais plus pour longtemps. Seulement à titre temporaire…
Je ne sais pas encore ce qui va se passer maintenant.
Je sais seulement qu’on ne récolte rien de bon à être bon.
Il faut être méchant, froid et calculateur…
Absolument impitoyable !
Car nul ne se soucie de toi si tu le laisses dormir en paix. Réveille-le, il t’écrase ton avenir.
Ah, si seulement je n’avais pas cherché à le sauver, ce capitaine !
Ce chevalier vieux jeu avec ses idées toquées…
Qui avait la fibre si tendre que ça lui tournait le cœur de voir des enfants morts…
C’est vrai, il n’était pas de son temps !
Si seulement j’avais su ça plus tôt, alors j’aurais toujours mon bras. Car celui qui n’est pas de son temps, on ne doit pas lui couper la corde. Qu’il pende haut et court à la potence qu’il s’est choisie, jusqu’à ce que les corbeaux l’emportent !
(…)

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