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IA : McCartney, Elton John et Kate Bush défendent les artistes

Publié le 16 septembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Paul McCartney, Elton John et Kate Bush alertent Keir Starmer sur les risques que fait peser l’IA sur la création musicale. À la veille d’un accord UK-US sur la technologie, ils réclament un cadre éthique, des licences et le respect du droit d’auteur pour éviter les dérives. Leur appel vise à encadrer les usages de l’IA sans freiner l’innovation, tout en défendant la voix des créateurs.


À la veille d’une visite d’État américaine très médiatisée et d’un accord technologique UK‑US annoncé comme majeur, plus de soixante-dix figures de la création britannique, parmi lesquelles Paul McCartney, Elton John et Kate Bush, ont adressé au Premier ministre Keir Starmer une lettre appelant à protéger la musique et, plus largement, les industries culturelles, face aux usages actuels de l’intelligence artificielle. Leur message est sans détour : ne pas laisser s’installer un cadre de régulation qui « laisse la porte ouverte » à des pratiques assimilées à une spoliation des œuvres, au moment même où Londres et Washington s’apprêtent à annoncer une coopération renforcée en matière de science, de technologies et d’IA.

Derrière l’alerte, un timing précis : la visite du président des États‑Unis et la perspective d’un partenariat transatlantique qui intégrerait un chapitre IA. Pour les signataires, l’enjeu est double : juridique, parce qu’il touche au cœur des droits d’auteur et des droits voisins ; économique, parce qu’il conditionne l’avenir d’un secteur qui pèse lourd dans le PIB britannique et irrigue l’image du pays à l’international. Au milieu du concert de voix, celle de Paul McCartney résonne tout particulièrement aux oreilles des fans des Beatles : l’auteur‑compositeur rappelle, en substance, que la création n’est pas un gisement gratuit pour modèles d’IA et que l’innovation ne peut prospérer qu’en respectant les créateurs.

Sommaire

Ce que demandent les artistes : consentement, transparence, application du droit

Dans leur lettre, McCartney, John, Bush et des dizaines d’autres réclament un socle clair : consentement préalable des titulaires de droits, transparence sur les données d’entraînement utilisées par les modèles, et application effective du droit existant contre les usages abusifs (copies massives de catalogues, clonage de voix, pastiches trompeurs). Ils contestent l’idée d’un schéma d’opt‑out – où les créateurs devraient s’opposer a posteriori à l’utilisation de leurs œuvres – au profit d’un opt‑in fondé sur l’autorisation et la licence. En toile de fond, une préoccupation déontologique : comment éviter que des systèmes génératifs ne répliquent ou ne miment à l’identique des styles identifiables, au point de brouiller l’origine des œuvres et la confiance du public ?

Les signataires invoquent également un ancrage juridique : le respect du droit de propriété tel qu’il est garanti par les conventions internationales et par le droit européen. Leur raisonnement est simple : autoriser, sans gardes fous, la capture de catalogues entiers au titre d’un entraînement technique, reviendrait à déposséder les auteurs d’une part substantielle de leurs prérogatives. L’IA n’est pas, en soi, l’ennemi ; c’est la modalité de son apprentissage qui, si elle n’est pas encadrée, risque d’installer une asymétrie insoutenable entre créateurs et entreprises technologiques.

Un contexte politique tendu : la ligne du gouvernement et la promesse d’un équilibre

Interrogé sur cette interpellation, le gouvernement britannique maintient une ligne prudente : aucune décision finale n’aurait été prise et l’objectif demeure de soutenir à la fois les ayants droit et la recherche en IA. La formule laisse entendre une recherche d’équilibre : ne pas freiner l’innovation, tout en garantissant un cadre qui protège les catalogues et incite aux licences. Pour les créateurs, cette prudence ressemble à une fenêtre d’opportunité : tant que l’architecture juridique n’est pas arrêtée, il est possible d’en discuter les paramètres.

Dans le même temps, plusieurs prises de position publiques ces derniers mois ont inquiété les milieux culturels : projets d’exceptions de text and data mining, débats sur les méta‑données d’origine, difficulté à contraindre les modèles à divulguer ce sur quoi ils ont été entraînés. Les industries créatives redoutent qu’un accord UK‑US mal calibré ne grippe la possibilité, à court terme, de revenir vers un opt‑in explicite, ou de renforcer la transparence par des audits tiers.

Pourquoi cette bataille parle aussi aux fans des Beatles

Pour un public familier de l’univers Beatles, le sujet n’a rien d’abstrait. Paul McCartney a expérimenté, lui‑même, l’apport des technologies de séparation de sources et de restauration audio dans la mise au point de “Now And Then” en 2023. Ce dernier single des Beatles – fondé sur une maquette de John Lennon – a pu voir le jour grâce à des outils algorithmiques capables d’isoler la voix et de nettoyer un enregistrement domestique. La différence est capitale : il s’agissait de restaurer un document détenu en plein droit par les Beatles/Apple, non de puiser sans autorisation dans des catalogues tiers. Autrement dit, ce que McCartney défend aujourd’hui n’est pas une hostilité de principe à la technologie mais l’exigence d’un cadre éthique et juridique.

L’autre versant, plus inquiétant, est la prolifération de deepfakes : voix clonées attribuées à Lennon ou McCartney, “chansons inédites” fabriquées par IA et diffusées sur des plates‑formes sous des titres trompeurs. Ces objets, parfois viraux, fragilisent la relation de confiance avec l’auditeur et confondent archive authentique et artefact. D’où l’importance, pour des catalogues aussi emblématiques que celui des Beatles, de voir posés des principes clairs : consentement, traçabilité, signalement de l’IA dans les processus de création.

Retour en arrière : comment on en est arrivé là

Depuis 2022, le Royaume‑Uni a exploré plusieurs voies pour adapter son droit aux modèles d’IA. Au menu : la question des exceptions de text and data mining, la portabilité des données, les obligations de transparence pour les entreprises qui entraîneraient des modèles sur des œuvres protégées. Certaines pistes ont été ralenties ou reconfigurées à la faveur de consultations houleuses avec les secteurs culturels. À l’échelle européenne, l’AI Act a posé des jalons : transparence accrue pour les modèles à usage général, documentation des données, étiquetage des contenus générés. Mais l’équation britannique reste ouverte, précisément parce que l’accord en discussion avec les États‑Unis pourrait orienter la trajectoire : compatibilité des régimes, reconnaissance mutuelle de standards, coopération entre régulateurs.

Dans cette zone d’incertitude, les créateurs cherchent à figer des principes minimaux : accord préalable, licences pour l’entraînement, remunération associée, mécanismes d’audit et de contrôle, marquage des fichiers d’origine et des sorties générées.

Les arguments des signataires : économie, droit, éthique

Le raisonnement économique d’abord. Les industries culturelles britanniques pèsent des milliards en valeur ajoutée, emploient des centaines de milliers de personnes et constituent un atout d’influence. Si les modèles d’IA captent gratuitement la substance de ces catalogues pour s’“entraîner”, ils déplacent une valeur sans contrepartie. Cette capture n’est pas une exploitation « classique » au sens du marché B2C ; c’est une exploitation B2B souterraine, dont l’effet se manifeste ensuite via la performance des produits IA vendus à des tiers. D’où l’insistance sur le licensing : une chaîne plus transparente, qui monétise l’usage d’œuvres pour l’apprentissage.

Le raisonnement juridique, ensuite. Les artistes invoquent le respect des œuvres et des enregistrements protégés, mais aussi des droits de la personnalité : voix, nom, image, style. Rien n’interdit de s’inspirer d’influences ; mais imiter à s’y méprendre une voix identifiée ou soutirer une structure harmonique à partir de masses d’exemples protégés interroge la frontière du fair use et des exceptions. Les juristes plaident pour de nouvelles catégories : droit à l’intégrité de la voix, obligation de signalement des contenus synthétiques, droit d’opt‑out renforcé a minima, quand l’opt‑in total n’est pas encore obtenu.

Le raisonnement éthique, enfin. Au‑delà des catalogues, ce sont les publics qui sont exposés : désinformation sonore, faux duos, faux inédits, campagnes virales exploitant des signatures vocales. Les artistes considèrent que le marquage inaudible et la traçabilité des flux ne sont pas des options, mais des conditions de confiance.

Ce que répond l’exécutif : innovation et “juste milieu”

Côté gouvernement, la réponse insiste sur un double impératif : ne pas bloquer la recherche et l’activité des laboratoires nationaux, tout en « soutenant les droits des créateurs ». Cette dialectique, classique, se heurte à un test concret : obliger – ou non – les fournisseurs de modèles à révéler les corpus d’entraînement et à contractualiser l’accès aux catalogues. Les signataires y voient une ligne rouge : sans transparence sur les données d’entraînement, la protection reste théorique.

La séquence diplomatique pèse aussi. Un partenariat UK‑US peut accélérer l’harmonisation des obligations ; il peut aussi, selon les créateurs, consacrer une approche trop permissive si la balance penche du côté des grands acteurs du numérique. D’où la volonté des artistes d’occuper l’espace public pour peser dans l’arbitrage.

Paul McCartney au premier plan : entre pragmatisme et vigilance

Pour Paul McCartney, l’enjeu est personnel et symbolique. Chanteur, compositeur, producteur et gestionnaire d’un patrimoine de premier ordre, il a mesuré les promesses de l’IA – lorsqu’elle restaure des archives et révèle la musicalité enfouie d’une maquette – et il constate ses dérives : contrefaçons sonores, imitations de timbres, diffusions sauvages. Son positionnement : encadrer la technologie pour ne pas dévaloriser la création. Autrement dit : modernité, oui ; pillage, non.

Cette vigilance parle au‑delà des fans des Beatles. Elle concerne toutes les carrières longues, où la signature artistique est aisément identifiable et donc clonable. Elle touche aussi les jeunes artistes, pour qui l’accès au marché passe souvent par des plateformes où les deepfakes peuvent éclipser une voix authentique. En se joignant au front commun, McCartney met son poids symbolique au service d’un cadre qui bénéficie à tous.

Ce que pourrait contenir l’accord UK‑US

Les annonces évoquées autour de la visite d’État parlent d’un paquet de coopérations : science, technologies, cybersécurité, énergie, et, au chapitre numérique, une alliance pour la recherche et le déploiement de modèles IA. Pour les créateurs, tout l’enjeu est de savoir si cet accord fixera des principes sur la transparence, les licences et le respect des catalogues, ou s’il se contentera d’une déclaration de bonnes intentions. Un partenariat crédible pourrait, par exemple, encourager la mise en place de registres d’œuvres que les modèles doivent interroger via des API payantes, promouvoir des watermarks interopérables, ou cofinancer des outils d’audit indépendants.

De telles mesures ne sont pas anti‑innovation ; elles organisent un marché. Les grands modèles génératifs, pour être fiables, ont intérêt à sourcer des données de haute qualité. Un écosystème de licences simples, standardisées, prévisibles, leur évite des litiges et garantit une chaîne de valeur claire. Les catalogues musicaux, eux, obtiennent une monétisation et des statistiques d’usage précieuses.

Les lignes de fracture : opt‑out technique ou opt‑in juridique ?

Au cœur du désaccord, un verbe : consentir. Les plateformes d’IA défendent souvent un opt‑out technique : laisser aux ayants droit la possibilité d’exclure leurs œuvres des collectes via des fichiers robots ou des listes d’exclusion. Les créateurs y voient un piège : asymétrie d’information, charge de la preuve renvoyée vers les auteurs, impossibilité de vérifier l’effectivité de l’exclusion une fois les données déjà aspirées.

L’opt‑in, à l’inverse, inverse la charge : sans accord préalable, pas d’entraînement. On ne prête pas sa bibliothèque par défaut ; on la licencie. Entre les deux, une voie médiane s’esquisse parfois : transparence forte, auditabilité, rémunération par défaut avec droit d’opposition amplifié, obligation d’étiquetage des sorties synthétiques. Les artistes qui écrivent à Keir Starmer estiment que le compromis n’a de sens que s’il part de l’opt‑in – sinon, il ne corrige pas l’asymétrie initiale.

Un risque réputationnel pour la filière tech

Le débat ne se joue pas qu’en tribunaux. Il touche aussi l’opinion. Des campagnes de fans s’organisent déjà contre des sorties ou des démos suspectes, et des plateformes ont dû retirer des faux inédits aux vocaux clonés. À mesure que le public prend conscience des deepfakes, la demande de garanties monte. Les entreprises de l’’IA ont tout intérêt à éviter une perte de confiance qui pourrait freiner l’adoption de leurs produits.

Dans ce contexte, McCartney, Elton John et Kate Bush ne parlent pas seulement au nom d’une génération ; ils portent un message de gouvernance adressé aux entreprises : contractualisez, documentez, balisez. C’est la condition pour que l’IA devienne un outil accepté, et non une menace diffuse pour les créateurs.

Et maintenant ? Comment juger les annonces des prochains jours

À très court terme, deux baromètres permettront d’évaluer les annonces : la présence ou non de dispositions explicites sur la transparence des données d’entraînement, et la mention d’un cadre de licences pour les œuvres protégées au titre des modèles à usage général. La création d’un groupe de travail bilatéral associant ayants droit, sociétés de gestion, laboratoires d’IA et régulateurs serait un signal fort. À l’inverse, des formulations vagues renvoyant à des principes non contraignants seraient reçues comme un recul.

Les fans et lecteurs de Yellow‑Sub.net pourront, à leur tour, scruter des signes concrets : engagements sur le marquage des contenus, pistes pour des répertoires licenciés, périmètres d’usage autorisés, calendriers d’application. L’issue n’est pas seulement une affaire de juristes ; elle concerne la façon dont nous écouterons et distinguerons demain un original d’une reconstruction.

Pourquoi cette tribune pourrait compter

Les lettres ouvertes ne déclenchent pas, à elles seules, des lois. Elles balisent toutefois le débat. Quand des créateurs de la stature de Paul McCartney, Elton John ou Kate Bush s’engagent, ils rendent visible une ligne et clarifient des attentes. Le mérite de cette intervention est double : réaffirmer que la création n’est pas anticompatible avec l’IA, et rappeler que l’équilibre passe par des contrats, des règles et des outils techniques qui respectent les œuvres.

Pour McCartney, la cohérence est évidente : l’ingénierie l’a aidé à faire entendre la voix de John avec une fidélité inespérée ; elle ne doit pas, demain, fabriquer des duos fantômes ou diluer des signatures qui font la richesse de la musique populaire. La ligne qu’il trace est celle d’un usage loyal : autoriser, identifier, rémunérer.

La musique n’est pas un gisement gratuit

À la veille d’une séquence diplomatique où l’IA fera l’objet d’annonces stratégiques, la tribune portée par Paul McCartney, Elton John, Kate Bush et plusieurs dizaines de pairs remet l’essentiel au centre : la musique et, plus largement, la création, ne sont pas des matières premières gratuites. Elles sont le fruit d’un travail, de droits, d’un investissement humain, de carrières dont la valeur réside dans une voix, une écriture, une manière. L’IA a, sans conteste, un rôle à jouer pour restaurer, augmenter, outiller les créateurs. Mais elle doit le faire dans un cadre qui reconnaisse et respecte ceux qui fournissent la matière première : les auteurs, les compositeurs, les interprètes, les producteurs.

Si l’accord UK‑US qui s’annonce inscrit ces principestransparence, licences, traçabilité, respect des droits – il pourra être accueilli comme une étape utile ; sinon, la mobilisation des créateurs a déjà prévenu : ils ne laisseront pas l’oubli recouvrir les promesses faites aux industries créatives. Dans cette partie, McCartney et ses pairs ne défendent pas une nostalgie ; ils défendent la possibilité, pour les générations à venir, d’écrire et d’entendre une musique qui reconnaît ses auteurs.


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