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Défendre et valoriser la parole des personnes concernées

Publié le 17 septembre 2025 par Lana

J’ai envie d’écrire un billet qui reprend des ressources sur le validisme, l’autisme, le militantisme, etc. Je ne me fais pas beaucoup d’illusions: ce ne sont pas les personnes qui ne connaissent pas ces sujets qui iront consulter ces ressources. Si certaines le font, tant mieux, c’est génial. Mais je veux faire ce billet pour les premiers concernés. Parce que lire, écouter, voir d’autres personnes vivant des situations similaires à la nôtre est vital. Savoir qu’une pensée en marge existe, que d’autres sont passés par les mêmes épreuves et sont arrivés à vivre et à s’aimer dans un monde qui ne reconnaît pas leur valeur, exister dans un livre, un film, une chanson sans être réduit à son handicap, entendre une voix qui dit stop aux insupportables discours dominants en argumentant de façon solide, se rendre compte que notre parole doit porter, car elle a de l’importance, ce sont toutes ces choses qui nous maintiennent en vie. Et que, puisqu’il faudra sans doute le répéter jusqu’à notre mort: Rien sur nous sans nous!

Une précision : je ne mettrai pas de liens vers les sites ou propos problématiques et violents que je pourrai citer. Je ne veux pas leur faire de publicité ni polluer mon article avec ces liens-là. Mais une petite recherche sur Google et vous les trouverez facilement, puisqu’ils ont en général beaucoup d’audience.

Je pense à ce billet depuis quelques jours, depuis que j’ai relu Marcher brisée et ses commentaires. Ce texte, c’est peut-être de l’auto apitoiement, mais il me rend vraiment triste. Parce qu’il est très représentatif de ce sentiment de décalage que j’ai toujours ressenti, de ce que me renvoyait certaines personnes sur moi-même et du fait qu’à force de vivre dans une société qui n’accepte pas la différence, on finit par se détester. On se voit avec les yeux de ceux qui condamnent, même quand on sait qu’ils ont tort.

Et puis plusieurs choses m’ont mises en colère, et notamment l’excellente vidéo de la très pertinente et militante Angie Breshka sur le film Hors normes. Ce film glorifie des éducateurs qui ont des méthodes horriblement violentes envers les personnes autistes qui sont sous leur responsabilité et dont les besoins ne sont jamais respectés. Et on a pu entendre, dans les interviews qui ont accompagné la sortie du film et qui sont visibles dans la vidéo d’Angie Breshka, qu’on ne savait pas ce qu’était l’autisme, mais aussi que l’autisme était une incapacité à apprendre. J’ai parlé de cette vidéo a une amie qui a fait des études d’éducatrice spécialisée et elle m’a dit que dans son école, on leur recommandait de voir ce film. Quel étonnement ! (non). Et tout ça, vraiment, ça me met dans une colère noire. Parce que ces gens, qui ont un tel pouvoir sur les personnes enfermées, ne font même pas l’effort de se renseigner pour savoir ce que vivent ces personnes, car bien sûr que si, on sait ce qu’est l’autisme, il suffit de se donner la peine de se renseigner un minimum, ça éviterait de mettre les gens dans des situations qui ne peuvent que leur provoquer des crises et ensuite des les violenter en les plaquant au sol par exemple, tout en se plaignant de s’être fait mordre.

Je suis allée voir le site de l’association qui a inspiré le film Hors normes, le Silence des Justes, et ça aussi ça m’a mise en colère. Ils disent, au milieu de beaucoup d’autres choses très problématiques, utiliser les témoignages de personnes autistes pour attirer la compassion. Il y aurait tant à dire sur le fait qu’on ne veut pas être des objets de pitié d’une part, et que de l’autre on est capable de produire une parole autre que du simple témoignage. C’est ce qu’explique très bien Julie Dachez, militante autiste ayant un doctorat en psychologie sociale dans cette vidéo: un jour, alors même qu’elle avait fait une présentation très académique sur l’autisme, on l’a remerciée pour son témoignage. Comme si notre pensée ne pouvait pas sortir du seul témoignage parce que nous sommes concernés par le sujet, comme si nos biais étaient trop importants pour cela, contrairement aux autres chercheurs (qui n’auraient soi-disant pas de biais!). Et sur cette histoire d’attirer la compassion, la podcast de Chiara Kahn, Conpassion (oui, avec un -n), est très éclairant. C’est une militante handie féministe qui utilise le témoignage pour en faire quelque chose de politique et aller à l’encontre des habituels histoires tire-larmes et/ou inspirantes que nous servent les médias à longueur de temps quand ils abordent le handicap.

Et à propos de Chiara Kahn, je vous conseille la vidéo de petite Mu (un média qui sensibilise aux handicaps invisibles) sur le validisme, où elle intervient avec Kendrys Legendrys. Ils y parlent notamment de la colère, de l’amour et de la joie. Sur la question de la colère, je pense que si on la reproche tant aux gens, c’est parce qu’elle est salutaire justement. La colère est une émotion qui est subversive si on l’utilise à bon escient, si on ne se laisse pas dévorer par elle. Dans le magnifique roman en vers A la fin, nous ferons histoire de Marine Peyard, on peut lire ceci sur la colère: « Mais je sens aussi que ma colère est une arme et une amie / une voix en moi qui affirme: /Tu ne mérites pas ça ». Et dans le podcast du Militantpsy sur les émotions, Loïc et Mathilde (deux psychologues engagés, scientifiques et qui dézinguent toute la soupe néo-libérale ou psychanalytique qu’on nous sert partout) rappelle que la colère est une émotion tout à fait normale et saine. La colère, c’est ce qui nous tient debout, c’est ce qu’a déclaré Kiyémis dans une conférence où j’ai eu la chance de l’entendre ce soir. Le sujet du jour, c’était la joie. Kiyémis intervenait avec Isabelle Frémeaux et Louise Knops. Et alors que j’avais passé une journée très difficile, cette conférence a été une source de joie immense. Les trois intervenantes ont démonté la joie forcée, l’happycratie, ont rappelé la force du collectif, la joie dans le militantisme, sans exclure l’organisation, la pensée construite et combattante, tout en reconnaissant la peur, le découragement, la difficulté de se battre. Pour Kiyémis, la colère va avec la joie, et c’est la gratitude qui fait un pont entre les deux. Tout ça m’a profondément touchée, car ce sont des émotions qui m’animent depuis toujours. Isabelle Fremeaux a précisé que faire des choses collectivement, ça ne veut pas dire faire avec beaucoup de personnes, mais bien avec la conscience qu’on appartient à quelque chose de plus grand que soi et là aussi, ça rejoint exactement ce qui m’anime. Kiyémis est rassurée de savoir qu’elle n’a rien inventé et que d’autres personnes ont dit les choses avant elle. Et c’est exactement pour ça que j’ai commencé à écrire ce billet: pour qu’on partage nos pensées, qu’on se nourrisse les uns des autres, qu’on ait la joie de lire/penser/écouter/rêver/ avec des idées à la marge, certes, mais qui sont là. Des idées, des pensées, des théories, des témoignages, des analyses qui comptent aussi, quoiqu’on veuille nous faire croire. Comme l’a dit Kiyémis, le système néo-libéral se nourrit de notre désespoir, alors aimons les merveilles que nous sommes. La conclusion de cette soirée, c’était: il faut réapprendre l’émerveillement face à des choses non productives. Et ce matin, j’ai dit justement à mon kiné que j’avais une grande capacité d’émerveillement face à l’art, que c’était quelque chose qui me portait énormément.

Donc voilà, je suis peut-être en burn out autistique, mais ma capacité d’émerveillement est toujours là, et c’est une capacité qui permet de lutter dans une monde qui ne pense qu’en valeurs marchandes.

Voici encore quelques ressources qui me permettent de survivre en ce moment:

Les Dévalideuses, « Forte, fière, nécessaire ». Un collectif féministe de femmes handicapées. Leur série de vidéos intitulées Week-end Contre-Téléthon, notamment, est salutaire pour défaire l’image des personnes handicapées dans les médias, en quelques minutes chacune.

On ne peut parler de femmes handicapées sans citer Elisa Rojas, une avocate militante au discours clair, incisif, argumenté, qui intervient régulièrement dans les médias.

Et si vous pensez que c’est exagéré de réclamer la fermeture des institutions pour une vie libre pour tous, rappelez-vous juste que c’est l’ONU qui le demande.

Un compte Instagram qui m’aide beaucoup aussi en ce moment, c’est celui de La psy des couleurs cachées, une psychologue engagée, elle-même autiste, et qui fait un travail de vulgarisation remarquable.

Deux comptes Youtube m’ont beaucoup aidé à mieux me comprendre depuis que j’ai reçu un diagnostic d’autisme: celui de Joana en pyjama, qui explique les choses de façon très claire en s’appuyant sur les neurosciences, et celui de Mésange, qui apporte des solutions concrètes et toujours avec un sourire et un enthousiasme incroyables.

Le site Thérapie Autisme me fait avancer à pas de géants dans un monde où les psys connaissant le TSA sont beaucoup trop rares.

Le site Collectif autiste de Belgique est quant à lui une mine d’or pour les personnes perdues face à leur nouveau diagnostic. Et pour les autres aussi, d’ailleurs.

Le podcast Les femmes autistes racontent est également très intéressant pour s’informer sur des sujets dont on ne parle nulle part, à partir du vécu des premières concernées.

Côté art, mes recommandations des dernières semaines sont les suivantes:

« Une fille atypique »: un manga qui comptera douze tomes. Attention, c’est dur (mentions de maltraitances, harcèlement, automutilations, idées suicidaires) mais les deux personnages me touchent beaucoup.

« Vengeresses » de Peggy-Loup Garbal. L’autrice est autiste et après son diagnostic tardif, elle a ressenti beaucoup de colère. On l’avait jugé débile mentale enfant et on la disait maintenant HPI, alors qu’elle était toujours la même personne. Son roman, véritable geste cathartique, raconte l’histoire de jumelles autistes qui décident de se venger de toutes les personnes qui les ont maltraitées, dans un road-trip sanglant. Si l’autrice n’a tué personne, les violences subies par les héroïnes du livre s’inspirent de son vécu. Ca claque et ça fait du bien, loin des discours misérabilistes ou inspirants habituels.

« Leçons de chimie », série recommandée par Wildylou dans cette vidéo ou elle explique très bien que c’est justement parce qu’on n’a pas voulu faire d’Elizabeth Zott un personnage autiste qu’elle est si bien représentée, pour elle-même, comme une personne singulière et complexe, et non uniquement pour incarner le TSA. Et le livre dont la série est inspiré. Livre qui est un de mes préférés de ces dernières années, et que j’ai conseillé un nombre incalculable de fois, bien avant de savoir que je suis moi-même autiste.

Des chansons, il y en aurait beaucoup trop, alors je n’en citerai qu’une, une de celles qui me donne le plus de force: « Comme les animaux » de Solann, juste pour sa façon de chanter « On recule pas, on prend de l’élan ».

Le film « Alpha » de Julia Ducournau m’a particulièrement marquée. Il évoque les années sida de façon métaphorique et je l’ai trouvé esthétiquement splendide et très riche dans son propos. La stigmatisation est bien sûr abordée, notamment dans une scène ou la mère d’Alpha est convoquée avec elle chez le proviseur parce que les autres élèves ont peur d’être contaminés, et c’est Alpha qui est mise en accusation. Sa mère demande au proviseur s’il a pensé à éduquer les élèves ou si ça lui semble trop tiré par les cheveux. Il dit qu’on ne sait rien de cette maladie. Elle, qui est médecin et s’occupe des personnes touchées par ce virus, lui répond qu’on sait deux ou trois choses, quand même. Cette scène m’a fait éclater de rire, elle faisait tellement écho au début de cet article, que j’avais commencé quelques jours aupravant: oui, ça semble trop tiré par les cheveux de s’éduquer, pour beaucoup de gens, et ils préfèrent dire qu’on ne sait rien du sujet.

Et c’est pour ça que j’écris ce billet, qui est affreusement long, je m’en rends compte: pour nous. Avant tout. Parce que notre pensée, elle compte, elle est là, est est vivante, créatrice, dans les marges peut-être, mais elle existe, et c’est en la partageant qu’on la fera vivre et grandir. Alors n’hésitez surtout pas à donner les liens vers vos propres ressources dans les commentaires.


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