Magazine Culture

The Fortune Men, de Nadifa Mohamed

Publié le 18 septembre 2025 par Africultures @africultures

Le troisième roman de l'écrivaine somalienne Nadifa Mohamed est sorti en 2021. Il est inspiré de l'histoire d'un somalien injustement condamné à mort dans le pays de Galles des années 1950. The Fortune Men n'a pas encore été traduit en français mais Loza Seleshie nous propose ici son analyse. 

Nadifa Mohamed ouvre son roman sur la mort de George V, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et à la veille de l’indépendance de la Somalie. Au cœur de ce moment charnière se trouve Mahmood Mattan, Somali installé à Cardiff, au pays de Galles. Marin, commerçant, funambule, chômeur, il a sillonné Hargeisa, Dire Dawa, Nairobi, Mombasa, Dar es Salaam, Rio… avant de poser ses bagages et de fonder une famille avec Laura, une femme galloise.

L'auteure ancre son récit dans Tiger Bay, quartier portuaire où se croisent immigrés de tout l’empire britannique et familles réfugiées, comme celle de Violet et Diana, rescapées des pogroms russes. Mais derrière ce cosmopolitisme vibrant, se profile une réalité : celle des hiérarchies raciales, des exclusions et des regards suspicieux posés sur “l’étranger”.

Un meurtre viendra précipiter la chute : Mahmood Mattan, accusé à tort, sera l’une des dernières victimes de la peine de mort au Royaume-Uni. The Fortune Men (finaliste du Booker Prize 2021) est avant tout l’histoire vraie d’un homme sacrifié sur l’autel du racisme institutionnel.

Écrire la mémoire fragmentée

« J’ai grandi avec des bouts d’histoires de mon père. Il disait avoir été emprisonné avec une tortue, [...] qu’il avait combattu pendant la deuxième Guerre Mondiale, sans plus de contexte. J’ai grandi avec ces histoires sans en comprendre le sens », raconte Nadifa Mohamed. Un point en commun avec Mahmoood dont elle reconstruit la vie. Entre anecdotes énigmatiques et silences, c’est un homme dont la mémoire n’est jamais entière. Ce choix de fragments imprègne la structure même du livre : Mattan apparaît comme une mosaïque d’identités, de voyages, de rêves avortés.

Derrière le personnage, il y a une mélancolie tenace : celle d’un enfant qui comprend très tôt que « devenir un homme est comme transformer du bois en charbon : un procédé de destruction jusqu’à ce qu’une chose pure et incandescente en émerge »Trop curieux, trop distingué, trop libre, Mattan devient une cible facile. Ses sorties au cinéma, jugées frivoles, sont en réalité sa manière d’apprendre le monde, d’habiter une société qui refuse de le reconnaître comme l’un des siens.

Nadifa parvient ainsi à recréer l’ambiance d’un quartier et d’une époque, tout en explorant le poids de la transmission familiale : le père commerçant parti au Yémen, la mère qui « l’aimait plus qu’il ne le méritait », d’une manière viscérale et presque douloureuse. Mattan est l’héritier d’une soif d’ailleurs, mais aussi d’une solitude que l’exil rend plus vive.

Une oeuvre poétique et politique

Au-delà de la reconstitution historique, The Fortune Men est un roman sur la dignité et le droit au rêve. Nadifa Mohamed interroge : qui peut aspirer à une vie meilleure ? Qui a le privilège de se projeter dans l’avenir ? À travers Mahmood Mattan, elle montre comment le racisme réduit les possibles, enferme les individus dans une image figée de “l’autre”. 

Le livre est aussi une lettre d’amour à la Somalie et un hommage à la diaspora africaine. Mais c’est aussi un rappel : la littérature peut réparer les silences de l’histoire. En redonnant chair et voix à Mahmood Mattan, Nadifa Mohamed lui rend sa dignité volée par une justice coloniale.

«Ils pensent qu’un homme est bête parce qu’il a un accent, mais il voudrait crier ‘J’ai appris cinq langues tout seul. Je sais dire je t’emmerde en hindi et aime-moi en swahili [...]»

Loza Seleshie

L’article The Fortune Men, de Nadifa Mohamed est apparu en premier sur Africultures.


Retour à La Une de Logo Paperblog