La séparation des Beatles en 1970 marque la fin d’une ère musicale légendaire. Entre tensions internes, ambitions personnelles et querelles financières, l’unité du groupe s’effrite. La mort de Brian Epstein, les dissensions autour d’Apple Corps et l’ascension de George Harrison contribuent à cette rupture inévitable. L’annonce de Paul McCartney officialise la fin du groupe, laissant derrière eux un héritage intemporel. Malgré des rumeurs de réunion, le meurtre de John Lennon en 1980 scelle définitivement le destin des Fab Four.
Au tournant des années 1970, l’un des plus grands phénomènes culturels et musicaux du XXᵉ siècle prend fin. Les Beatles, groupe légendaire formé par John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr, se séparent après une décennie de succès ininterrompu. Cette rupture, qui ne se limite pas à un simple désaccord artistique, tient plutôt d’une lente dégradation des relations internes, alimentée par des facteurs personnels, créatifs et financiers. Depuis l’arrêt des tournées en 1966 jusqu’aux derniers instants d’enregistrement d’Abbey Road, en passant par la mort de leur manager Brian Epstein et l’échec du projetGet Back, ces événements dessinent un arc narratif dramatique pour la plus grande formation pop de l’époque.
Dans les lignes qui suivent, nous plongerons au cœur de cette rupture : nous verrons comment la disparition brutale de Brian Epstein a fragilisé la cohésion d’un groupe dont le leader de facto n’était plus là pour tempérer les divergences ; nous découvrirons comment le désir d’émancipation artistique de chacun, notamment la montée en puissance de George Harrison en tant que compositeur, a redéfini les équilibres. Nous verrons aussi comment l’intrusion d’Allen Klein et les dissensions autour de la gestion d’Apple Corps ont attisé les conflits. Enfin, nous évoquerons la réaction du public, les rumeurs de reformation dans les années 1970, ainsi que les rares moments où certains ex-Beatles se sont retrouvés, avant que le meurtre de John Lennon, en 1980, ne referme définitivement le chapitre d’une réunion au grand complet.
Sommaire
- Les premiers soubresauts : l’après Brian Epstein
- La montée des individualités
- échecs et frustrations : l’exemple du projet Get Back
- La guerre autour d’Apple Corps
- La dernière flamme : Abbey Road
- Le coup de tonnerre de McCartney
- Les longues procédures judiciaires
- Les tentatives de réunification avortées
- La tragédie de 1980 et l’impossible réunion
- Un départ inévitable ou l’usure du temps ?
- Un héritage plus fort que la séparation
- Les rares retrouvailles
- Un épilogue partiel : le projet Anthology et au-delà
- Regard sur un mythe impérissable
Les premiers soubresauts : l’après Brian Epstein
À l’été 1967, alors que les Beatles préparent la transition vers ce qui deviendra Apple Corps, un drame bouleverse leur équilibre. Brian Epstein, le manager qui a façonné l’image du groupe et arbitré ses conflits internes, meurt d’une overdose médicamenteuse le 27 août. Cette disparition les laisse orphelins d’une figure paternelle et d’un médiateur de talent. Epstein avait l’habitude de permettre aux Beatles d’explorer leurs idées artistiques sans trop intervenir dans le processus créatif, mais il demeurait la clé de voûte de leurs affaires et de l’entente au quotidien.
Après 1966, le groupe avait décidé de ne plus se produire en tournée, ce qui ouvrait un nouveau chapitre : chacun pouvait approfondir sa créativité en studio, mais c’était également la fin d’une dynamique de groupe forgée dans la promiscuité des concerts. L’absence d’Epstein, combinée à l’inexpérience des Beatles en tant que gestionnaires, engendre un climat d’incertitude. Paul McCartney, le plus enclin à prendre la direction des opérations, se retrouve à proposer des projets collectifs (comme la vidéo expérimentale deMagical Mystery Tourou l’idée d’un nouveau film), mais il se heurte à la méfiance croissante de John Lennon, de George Harrison et de Ringo Starr, qui perçoivent ce leadership comme une volonté de contrôle.
Au sein du groupe, un malaise apparaît : l’énergie légendaire de McCartney est saluée à mots couverts mais également jugée étouffante. De son côté, Lennon, encore sous le choc de la mort de Brian Epstein, semble moins concerné par la cohésion du groupe et se laisse happer par ses expérimentations personnelles, entre usage d’héroïne et nouvelle relation fusionnelle avec Yoko Ono.
La montée des individualités
Lorsque les Beatles entament l’enregistrement deThe Beatles(souvent appeléWhite Album) en 1968, ils ne sont plus vraiment le collectif soudé qui avait produitSgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Bandun an plus tôt. D’après de nombreux témoignages,Sgt. Pepperconstitue leur dernière grande œuvre commune, signifiant un effort réellement collectif. Dès l’année suivante, la dynamique collaborative a éclaté : les morceaux duWhite Albumsonnent davantage comme des projets individuels, chacun cherchant à imposer sa patte, avec ses musiciens de session ou une forme d’autonomie créative inédite.
George Harrison, longtemps cantonné au second rôle de guitariste et de compositeur occasionnel, ressent fortement ce changement. Il revient de ses expériences spirituelles et musicales en Inde avec un bagage artistique plus étoffé. Il propose davantage de chansons, dont certaines présentent un potentiel évident, mais se heurte souvent à l’indifférence, voire au désintérêt de Lennon et McCartney, qui trustent la majorité de l’espace sur les albums. Harrison est persuadé que ses titres sont parfois supérieurs à ceux de ses partenaires, sans que cela suffise à inverser la hiérarchie créative.
John Lennon, quant à lui, poursuit une approche de plus en plus introspective et expérimentale. Sa relation avec Yoko Ono bouleverse l’équilibre du studio : Yoko l’accompagne systématiquement, assise à ses côtés, ce qui représente une rupture de la règle tacite selon laquelle les Beatles enregistraient jusqu’alors sans la présence permanente des compagnes. Paul McCartney, encore désireux de maintenir un esprit de groupe, perçoit cette proximité comme une intrusion gênante et contre-productive. Les tensions s’exacerbent, chacun se sentant jugé par le couple Lennon-Ono ou méprisé pour certaines inclinations musicales (en particulier les chansons jugées trop légères par Lennon, commeOb-La-Di, Ob-La-Da).
échecs et frustrations : l’exemple du projet Get Back
Fin 1968, les Beatles vivent un paradoxe : ils sont plus individualistes que jamais, mais restent liés par un nom, une légende, et une société à faire tourner – Apple Corps. Pour ressouder l’unité, McCartney imagine alors un retour aux sources. Il propose que les Beatles se lancent dans un projet documentaire, baptiséGet Back, où le groupe répéterait des titres inédits dans des conditions proches du live, puis offrirait un grand concert de retrouvailles avec le public.
En janvier 1969, ils s’installent dans les locaux de Twickenham Film Studios pour filmer les répétitions. L’ambiance, pourtant, est tendue. John Lennon, en proie à ses addictions, est peu réceptif ; George Harrison, lassé d’être relégué à la troisième place, vit très mal les remarques de McCartney sur la manière de jouer ; Ringo Starr observe la détérioration de l’atmosphère, tout en essayant de suivre le mouvement. Finalement, Harrison quitte le groupe, le 10 janvier 1969, lassé de l’ambiance délétère.
Après quelques négociations, il revient, mais exige que le projet soit simplifié : pas de concert gigantesque dans un amphithéâtre, mais un simple album enregistré dans des conditions plus directes. Les Beatles poursuivent alors ce travail dans le sous-sol du siège d’Apple Corps, au 3 Savile Row. Le 30 janvier 1969, ils donnent à la hâte ce qui restera leur ultime performance publique : un mini-concert sur le toit de l’immeuble. Les passants londoniens, surpris, assistent en direct à ce coup d’éclat improvisé qui devient l’une des scènes les plus célèbres de la mythologie Beatles.
Cependant, ce baroud d’honneur ne répare pas les fractures sous-jacentes. Les tensions continuent de miner le groupe, et l’ensemble des bandes issues des sessionsGet Backrestent inachevées, avant d’être finalement retravaillées pour aboutir à l’albumLet It Been 1970.
La guerre autour d’Apple Corps
Au-delà des divergences musicales, les Beatles sont confrontés à la réalité financière d’Apple Corps, leur entreprise tentaculaire dont la gestion s’avère chaotique. Créée à l’origine comme un refuge fiscal et un outil de contrôle artistique, Apple se révèle rapidement ingérable. Les dépenses s’accumulent, le personnel se multiplie, et chaque Beatles cherche à faire valoir ses intérêts.
Dans ce contexte, Paul McCartney propose de confier la gestion des affaires aux avocats Lee et John Eastman, le père et le frère de Linda Eastman, qui deviendra son épouse en mars 1969. John Lennon, George Harrison et Ringo Starr refusent cette solution, jugeant qu’il est dangereux de donner tant de pouvoir à la famille de Paul. Parallèlement, Lennon rencontre Allen Klein, le fondateur d’ABKCO Records, connu pour son style agressif et ses compétences de négociateur. Klein persuade Lennon qu’il saura remettre de l’ordre dans les finances et faire respecter leurs droits.
McCartney se retrouve mis en minorité : Harrison et Starr soutiennent le choix Klein, persuadés que c’est la seule solution pour sauver Apple de la faillite. Paul dénonce cette manœuvre, craignant que Klein ne se serve dans la caisse, et souhaitant conserver un contrôle familial via les Eastman. Les discussions s’enveniment, la suspicion gagne du terrain, et les dissensions sur la direction artistique contaminent l’ensemble des relations professionnelles.
Dick James, responsable de Northern Songs (la société qui détient le catalogue Lennon-McCartney), vend une partie importante de ses parts à ATV sans informer les compositeurs, aggravant la situation. Lennon et McCartney, qui possédaient un bloc de 26% de Northern Songs, échouent à récupérer la majorité. Le mécontentement s’accroît, tout comme la confusion.
La dernière flamme : Abbey Road
Au printemps 1969, dans une atmosphère de plus en plus lourde, les Beatles décident pourtant de retourner en studio. Ils laissent de côté les bandes deGet Backet se focalisent sur un nouveau projet musical, qui deviendra l’albumAbbey Road. De fin février à août 1969, ils enregistrent des morceaux qui compteront parmi les plus aboutis de leur répertoire.
Malgré la réussite artistique d’Abbey Road, l’envers du décor demeure orageux. Le 20 août 1969, les quatre Beatles se retrouvent pour la dernière fois ensemble dans un studio, afin de finaliser la chansonThe End. Deux jours plus tard, ils se croisent lors d’une session photo dans la propriété de John Lennon à Tittenhurst. Le 20 septembre, Lennon annonce en privé à Paul, Ringo et Allen Klein qu’il quitte le groupe. George Harrison est absent de cette réunion, et il n’est pas clair pour tous si Lennon part « pour de bon » ou s’il s’agit d’une nouvelle provocation.
Sur les conseils de Klein, et pour ne pas compromettre la renégociation d’un nouveau contrat avec Capitol Records, la décision de Lennon est tenue secrète. Lorsque l’information fuitera, le monde entier comprendra que la fin est proche.
Le coup de tonnerre de McCartney
Au début de l’année 1970, les Beatles sont officiellement en hiatus. Paul McCartney, blessé et exaspéré par la gestion de Klein, mais aussi par l’ingérence de Phil Spector dans la production deLet It Be, prépare en secret son premier album solo. Il prévoit de le sortir en avril 1970. Lorsqu’il apprend que Lennon, Harrison et Starr souhaitent décaler cette sortie pour ne pas concurrencer d’autres produits Apple (dont l’albumLet It Beà venir), Paul se met en colère.
Le 9 avril, McCartney fait parvenir à la presse un jeu de questions-réponses sous forme de communiqué, inclus dans les exemplaires promotionnels de son albumMcCartney. Dans ce document, il évoque son « break avec les Beatles » et indique qu’il n’envisage pas de futur commun avec le groupe. Il n’y a pas d’affirmation frontale du type « le groupe est fini », mais c’est l’interprétation que tous les journaux retiennent. Le 10 avril 1970, les médias annoncent la nouvelle sous des titres chocs : « Paul quitte les Beatles ». La phrase fait l’effet d’une bombe.
L’opinion publique accuse immédiatement McCartney d’avoir détruit le groupe, l’accusant de saisir l’occasion pour promouvoir son propre disque. Tandis que Paul subit des attaques virulentes, John Lennon réagit en disant qu’il avait lui-même déjà décidé de partir, mais qu’il avait accepté de garder le secret pour ménager le groupe. Le fossé entre les deux hommes se creuse encore.
Les longues procédures judiciaires
Après l’annonce fracassante de McCartney, chacun prend conscience qu’il ne s’agit plus seulement d’un hiatus, mais bien de la fin de l’aventure Beatles. Reste à régler les affaires courantes : Apple Corps, la répartition des droits, le catalogue musical… McCartney est déterminé à couper tous les liens et veut se libérer définitivement de l’emprise d’Allen Klein. En décembre 1970, il assigne ses trois anciens partenaires en justice afin de mettre un terme à leur partenariat.
John, George et Ringo essaient d’affirmer que rien n’empêche de continuer à travailler ensemble, mais la réalité est tout autre. Les avocats se déchirent, les médias rapportent un déluge de déclarations contradictoires. La procédure avance lentement et McCartney finit par obtenir gain de cause : la cour statue que leur société doit être placée sous tutelle d’un administrateur indépendant.
Les disputes financières se poursuivent plusieurs années encore. En 1973, Lennon, Harrison et Starr rompent finalement leur contrat avec Allen Klein, le poursuivant à leur tour pour mauvaise gestion. Les procès se succèdent des deux côtés de l’Atlantique. En janvier 1975, les Beatles signent l’accord final qui officialise la dissolution de leur partenariat. L’aventure commune est, sur le plan légal, définitivement close.
Les tentatives de réunification avortées
Dans les années 1970, la rumeur d’une reformation des Beatles ne cesse d’enflammer la presse et les fans. Des producteurs proposent des sommes astronomiques pour les convaincre de se réunir le temps d’un concert. Plusieurs fois, George, Ringo et John se retrouvent en studio, parfois ensemble, mais jamais avec Paul au même moment. Le plus proche d’une ébauche de réunion survient lorsque Ringo enregistre la chansonI’m the Greatesten 1973, avec Lennon et Harrison présents. Pourtant, l’alchimie est fragile, et les contentieux financiers ou relationnels n’incitent pas les anciens complices à reformer la bande au grand complet.
McCartney, de son côté, fonde le groupe Wings avec Linda, puis se concentre sur une carrière solo prolifique. Harrison se lance dans la production de concerts caritatifs (The Concert for Bangladesh), tout en poursuivant sa trajectoire spirituelle et musicale. Lennon, après des hauts et des bas, se retire quelque temps pour s’occuper de son fils Sean, avant de revenir sur le devant de la scène. Ringo, quant à lui, participe à des films et sort quelques albums solo.
Plusieurs opportunités de concert réunissant les quatre Beatles sont relayées par la presse : un passage dans l’émission américaineSaturday Night Live, la proposition d’un impresario pour un cachet faramineux, ou encore un projet visant à soutenir une œuvre caritative. À chaque fois, l’idée fait rêver, mais ne se concrétise pas.
La tragédie de 1980 et l’impossible réunion
Le 8 décembre 1980, John Lennon est assassiné à New York. L’événement traumatise des millions de fans à travers le monde, mais aussi ses anciens compagnons, qui voient là s’évanouir définitivement l’hypothèse d’une reformation complète des Beatles. George Harrison compose alorsAll Those Years Ago, un hommage à Lennon, sur lequel interviennent McCartney (accompagné de Linda et Denny Laine) et Ringo Starr. C’est l’une des rares chansons post-séparation à impliquer trois ex-Beatles.
Au milieu des années 1990, McCartney, Harrison et Starr se retrouvent dans le cadre du projetAnthology, consacré à la rétrospective de leur carrière. Ils enregistrent deux chansons à partir de démos inachevées de Lennon :Free as a BirdetReal Love, publiées comme nouveaux titres des Beatles, bénéficiant même de vidéoclips officiels. Une autre démo,Now and Then, reste à l’état embryonnaire jusqu’à ce que McCartney et Starr la finalisent en 2023, permettant ainsi la sortie d’une ultime chanson estampillée « The Beatles ».
Si ces quelques moments de collaboration partielle rappellent l’alchimie incomparable des quatre de Liverpool, ils confirment aussi la fragilité de leurs liens après 1970. Harrison, déjà atteint d’un cancer, disparaît en 2001, laissant McCartney et Starr comme les derniers témoins vivants de cette formidable épopée.
Un départ inévitable ou l’usure du temps ?
La séparation des Beatles ne se résume pas à un unique facteur. Elle relève plutôt d’un ensemble d’événements : la disparition d’Epstein, l’ambition grandissante de chacun, l’usure des liens d’amitié et les luttes de pouvoir autour de la gestion d’Apple Corps. Les années 1967-1970 ont agi comme un accélérateur de l’histoire, poussant les membres du groupe vers leurs aspirations personnelles.
John Lennon voyait dans la rupture une libération, un moyen de s’affirmer en dehors de l’ombre des Beatles. Paul McCartney, sans doute le plus attaché à la cohésion du groupe, finit par admettre l’impossibilité de sauver l’entité Beatles face au refus de ses partenaires. George Harrison, d’abord patient puis lassé par la domination du tandem Lennon-McCartney, trouve enfin la liberté de développer pleinement son univers musical. Ringo Starr, le plus discret, en vient lui aussi à assumer une carrière solo, démontrant que les Beatles étaient plus qu’un simple phénomène de mode : chacun possédait un talent individuel prêt à s’épanouir.
Les observateurs de l’époque se demandent si, à force de succès et de pression médiatique, la formation de Liverpool n’était pas vouée à imploser tôt ou tard. Les expériences spirituelles et les consommations de drogues ont amplifié le processus, tout comme l’omniprésence d’Apple Corps, entreprise protéiforme mais ingérable. Au final, la rupture incarne la fin d’une époque : celle où la musique populaire se concentrait autour d’un quatuor mythique, au firmament de la culture mondiale.
Un héritage plus fort que la séparation
En dépit de la tristesse provoquée par la séparation et des polémiques qui ont suivi, l’héritage musical des Beatles demeure intact. Durant la décennie qui a précédé leur séparation, ils ont établi des normes inédites en matière de production, d’expérimentation sonore et de sophistication pop. Leurs albums successifs témoignent d’une capacité à se réinventer sans cesse, qu’il s’agisse de rock, de ballades, de psychédélisme ou d’intégrations orchestrales.
Même après leur dissolution, chacun des quatre musiciens a poursuivi son chemin, portant haut un style qui trouvait son origine dans l’énergie collective des Beatles. McCartney, avec ses nombreuses tournées et albums à succès, affiche toujours la volonté d’interpréter sur scène les classiques de l’ère Beatles. Lennon, jusqu’à sa mort tragique, n’a cessé de repousser les limites de la chanson engagée et de l’introspection. Harrison, discret mais influent, a apporté à la pop occidentale un nouveau langage spirituel et musical, tandis que Ringo Starr poursuit sa route, multipliant collaborations et concerts sous son nom.
La dissolution légale, en 1975, solde définitivement les comptes, mais ne parvient pas à effacer le rêve entretenu par des milliers de fans qui auraient tant voulu revoir un jour les Beatles au complet sur scène. Les documentaires, les livres, les rééditions et les anthologies successives entretiennent la flamme, rappelant que, derrière les problèmes de business et les clivages humains, subsiste une discographie intemporelle.
Les rares retrouvailles
Avant la mort de Lennon, on a frôlé plusieurs fois l’idée d’une courte reformation. Des rencontres sporadiques ont lieu, notamment lorsqu’Harrison organise le Concert for Bangladesh en 1971, auquel Ringo participe, mais Lennon et McCartney déclinent pour diverses raisons. En 1973, Lennon et Harrison jouent ensemble sur la chanson de Ringo,I’m the Greatest, laissant entrevoir qu’une réunion partielle est possible, mais McCartney n’est pas de la partie.
Au milieu des années 1970, les rumeurs d’un concert commun ressurgissent régulièrement, nourries par des offres financières incroyables. Rien n’aboutit, car les dissensions juridiques et fiscales sont encore trop vives. À la fin de la décennie, au moment où chacun semble enfin libéré de ces contraintes, l’impensable survient : Lennon est assassiné en décembre 1980, anéantissant le dernier espoir d’un retour complet.
Dès lors, l’émotion mondiale autour de la disparition de Lennon soude à nouveau l’image collective des Beatles dans l’opinion publique, même si la tristesse prend le pas sur les hypothèses de reformation. L’histoire des Beatles s’inscrit dans un marbre définitif : ils resteront ces quatre jeunes hommes qui ont bouleversé la musique, sans jamais se réunir pleinement après 1970.
Un épilogue partiel : le projet Anthology et au-delà
En 1994-1995, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr se retrouvent tout de même pour le vaste projetAnthology, mélange de documentaire vidéo, d’album rétrospectif et de témoignages croisés. Ils y intègrent deux nouveaux morceaux réalisés à partir de démos inachevées de John Lennon :Free as a BirdetReal Love. Pour la première fois depuis longtemps, on entend la signature commune « Beatles » sur des morceaux originaux, même si la participation de Lennon se limite à des bandes vocales anciennes.
Des tensions persistent alors entre McCartney et Harrison, notamment autour de la direction artistique. Malgré tout, cette collaboration constitue un événement majeur : le grand public se passionne pour ces archives inédites, et les Beatles reprennent place au sommet des ventes, confirmant qu’ils demeurent un phénomène hors normes. Une troisième démo de Lennon,Now and Then, attendra finalement près de trois décennies avant d’être finalisée par McCartney et Starr, aboutissant en 2023 à la parution d’une ultime chanson officialisée sous le nom des Beatles.
Après le décès de George Harrison, en 2001, il ne reste plus que deux Beatles survivants : Paul et Ringo. Ils se retrouvent épisodiquement, sur scène ou en studio, pour célébrer cette histoire commune, mais l’étoile des Fab Four a fini par s’éteindre dans sa forme originelle dès 1970. L’aventure posthume se poursuit au travers de compilations, d’albums remastérisés, de films restaurés et autres hommages dans le monde entier.
Cette épopée, marquée par une ascension fulgurante et une rupture douloureuse, reste l’un des récits les plus marquants de l’histoire de la musique populaire. Non seulement parce que les Beatles incarnaient l’air du temps des sixties, mais aussi parce que leurs querelles et leur désintégration ont ouvert la voie à la perception moderne des groupes de rock : une entité fragile, soumise aussi bien aux pressions extérieures qu’aux aspirations individuelles.
Regard sur un mythe impérissable
En fin de compte, la séparation des Beatles a eu l’impact d’un séisme culturel. Elle est survenue à un moment où la société occidentale subissait de profonds bouleversements, et où l’on considérait encore le groupe comme un symbole d’unité et d’innovation. Les causes multiples de cette rupture – l’omniprésence de Yoko Ono, l’héroïne de Lennon, les frustrations de Harrison, le volontarisme de McCartney et les intrigues financières autour d’Apple Corps – ont tissé une histoire complexe et fascinante, devenue depuis un objet d’étude inépuisable.
Pour le grand public, cette fin de partie a revêtu un caractère presque théâtral : quatre jeunes musiciens qui, après avoir conquis la planète en un temps record, se replient dans leurs univers respectifs, accablés par la pression, les rivalités et la lassitude. Pourtant, leur musique reste, elle, éternelle, et l’essence même de leur génie collectif survit bien au-delà de leurs disputes et de leur séparation. Aujourd’hui encore, chaque nouveau fan des Beatles découvre cette chronologie de l’unité à la désunion, se passionne pour les motifs de la rupture et se demande « Et si ? ».
La légende s’est d’ailleurs nourrie de cette impossibilité de se reformer : au lieu d’une suite qui aurait pu décevoir, les Beatles laissent derrière eux un corpus d’œuvres parfaites, préservées de l’érosion des come-back et protégées par un mythe toujours vivant. Les rares moments où les ex-Beatles ont essayé de recréer la magie n’ont jamais complètement effacé le charme de la période 1962-1970. Les fans, eux, ont conservé le sentiment que cette musique, qui s’est arrêtée brutalement, résonne comme une création hors du temps.
La fin des Beatles demeure un tournant majeur dans l’histoire du rock : un événement annoncé par une série de signaux alarmants, de querelles intimes, de surenchères médiatiques et de rendez-vous manqués. Chacun des quatre membres a apporté sa pierre à l’édifice, parfois contre son gré, parfois poussé par la nécessité. Ils ont donné naissance à un patrimoine musical qui transcende leur séparation, et ils ont montré, à travers leurs conflits et leur usure, qu’un groupe n’est pas seulement une entreprise ni une alliance de talents, mais aussi un lien humain fragile, soumis à toutes les contradictions de la nature.
C’est pourquoi, plus de cinquante ans après, la rupture des Beatles suscite toujours autant d’intérêt. L’histoire n’a jamais cessé de se réécrire, enrichie par des interviews, des enregistrements inédits, des témoignages tardifs et des rapprochements posthumes. Pourtant, malgré cette surabondance de détails, une part de mystère demeure : la magie propre à ces quatre musiciens, réunis en un point unique de l’histoire, reste inégalée. Leur séparation aura été à la hauteur de leur mythe, scellant pour toujours une légende que le temps ne fait qu’amplifier.
