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« La Petite Poule d’Eau » de Gabrielle Roy

Par Etcetera
Petite Poule d’Eau GabrielleCouverture chez Boréal

J’entendais parler de la grande écrivaine québécoise Gabrielle Roy depuis longtemps, surtout grâce au blog de Madame lit, qui a l’excellente idée de faire connaître et diffuser la littérature québécoise sur la blogosphère.
Aussi, quand j’ai vu « La Petite Poule d’Eau » dans une boîte à livres de mon quartier, j’étais ravie de cette bonne chance et je n’ai pas hésité.

« La Petite Poule d’Eau« , deuxième roman de son auteure, avait remporté à l’époque beaucoup moins de succès que le tout premier, « Bonheur d’occasion« , au très grand rayonnement.

Note pratique sur le livre

Éditeur : Boréal compact
Première date de publication : 1951
Nombre de pages : 264

Note sur l’écrivaine

Gabrielle Roy (1909-1983) est née à Saint-Boniface (Manitoba) où elle a vécu jusqu’en 1937. Après deux séjours en Europe, elle s’installe définitivement au Québec. Son œuvre, qui comprend une douzaine de romans, des essais et des contes pour enfants, est reconnue comme l’une des plus importantes de la littérature canadienne du XXe siècle.
(Source: éditeur)
Quatrième de couverture

Gabrielle Roy, à partir du souvenir d’un été passé dans une région sauvage du Manitoba, au nord de Winnipeg, un pays situé plus loin que le «fin fond du bout du monde », a imaginé le recommencement de toutes choses : de l’éducation, de la société, de la civilisation même. Ce pays de grande nature et d’eau chantante, elle l’a peuplé de personnages doux et simples, épris à la fois de solitude et de fraternité à l’égard de leurs semblables.

Mon avis

Dès les premières pages, on est happé par une très jolie écriture et par la sensibilité de l’écrivaine. Une écriture très classique mais qui ne refuse pas, de temps en temps, un vocabulaire plus familier, qui donne de la vivacité. Comme il est noté en quatrième de couverture, presque tous les personnages sont doux, gentils, sauf le propriétaire des lieux, un nommé Bessette, qui est franchement odieux et animé de mauvaises intentions. Il y a aussi la deuxième institutrice, Miss O’Rorke, au tempérament un peu râleur, assez raide, mais qui n’est finalement pas méchante et qui révèle même « un bon fond ».
Arrivée vers le tiers du roman, j’ai été découragée par cet aspect « Petite maison dans la prairie« , mais la beauté de l’écriture – en particulier pour la description des paysages – et, surtout, les nombreuses notes d’humour ont réussi à me faire surmonter ces moments de lassitude. J’étais finalement très heureuse d’être parvenue jusqu’à la fin du livre car, dans les cinquante ou soixante dernières pages, il révèle sa profondeur, avec de belles réflexions sur la vie, sur la morale, sur la religion, sur l’éthique, et il devient clair que nous ne sommes pas dans les aventures de la famille Ingalls.
Il m’a semblé – pour autant que je puisse en juger, d’après l’idée que je m’en fais – que ce roman est très représentatif du Québec des années 50 : avec une forte présence de la religion, des familles nombreuses catholiques, d’un désir de préserver la culture francophone, d’une très grande proximité avec la nature, de l’amour des bêtes, des plantes, des paysages…
Ce qui peut paraître le plus intéressant et le plus moderne, dans ce livre, ce sont tous les passages consacrés aux Amérindiens et aux métis, qui se font exploiter et voler par l’horrible Bessette, car on sent que Gabrielle Roy porte sur eux un regard de philanthrope, qu’elle espère pour eux l’émancipation, l’égalité, la justice.
Aussi, dans les quelques passages où nous quittons la contrée de la Petite Poule d’Eau, habitée par la famille Tousignant, c’est-à-dire dès que l’auteure nous emmène en ville (plus ou moins grande), elle nous parle avec chaleur des nombreuses nationalités présentes chez les émigrants et de leurs caractéristiques.
Un roman qui m’a plutôt intéressée, malgré un côté suranné. La beauté de l’écriture m’a permis d’aller jusqu’au bout. Je pense cependant que j’aurais mieux fait de découvrir cette écrivaine avec « Bonheur d’occasion », que je lirai sûrement un jour.

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Un extrait page 99-100

Au premier saut de la Ford, les sacs postaux empilés jusqu’à la capote de grosse toile perdirent leur équilibre et commencèrent à dégringoler vers Miss O’Rorke. Elle reçut toute la charge sur les épaules. Son chapeau pencha. Ses lunettes faillirent voler par-dessus bord.
La pauvre fille s’en allait sans ressentir beaucoup de soulagement après tout. Ce ne serait pas mieux ailleurs. Depuis vingt-cinq ans, elle se trimbalait de poste en poste, et celui vers lequel elle allait était toujours un peu plus reculé, un peu plus enfoncé dans la solitude ; la nourriture y était de plus en plus lourde, les sentiments de moins en moins délicats, la reconnaissance de plus en plus rare. Ce poste de la Petite Poule d’Eau n’avait peut-être pas été trop désagréable, en définitive. Au hasard, incapable de risquer un mouvement et de regarder au dehors, à cause des sacs de courrier qui pesaient sur son cou, Miss O’Rorke agitait la main en dehors de la Ford vers les Tousignant.
C’était un moment assez pénible pour elle, en somme, chaque fois qu’elle partait. Elle s’apercevait avec étonnement que la vie n’avait pas été trop mauvaise dans l’endroit qu’elle quittait. Elle la voyait même assez agréable. Elle finissait par croire qu’à cet endroit seulement l’existence lui aurait été possible. Telle était Miss O’Rorke. Sa préférence morne et accablante allait toujours à ce qu’elle avait perdu, et s’il y avait des coins du monde qu’elle vantait sans répit, c’étaient toujours ceux-là où elle était assurée de ne plus remettre les pieds. 

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