En 2025, les six fils des Beatles ont suivi des trajectoires très différentes dans la musique. Zak Starkey domine le classement grâce à sa carrière scénique exceptionnelle (The Who, Oasis, Mantra of the Cosmos, label Trojan Jamaica). Julian Lennon reste le plus grand en termes de hits et de succès commercial solo. Sean Ono Lennon et Dhani Harrison incarnent la polyvalence et la transversalité (groupes, BO, production). James McCartney consolide son chemin avec un retour remarqué en 2024, tandis que Jason Starkey a préféré les coulisses. Un panorama nuancé qui montre comment chacun a choisi d’habiter l’héritage Beatles.
Dès les années 1980, l’idée d’une « seconde génération des Beatles » a fasciné le public. Les six fils des Fab Four — Julian et Sean Ono Lennon (fils de John), James McCartney (fils de Paul), Dhani Harrison (fils de George) et les frères Zak et Jason Starkey (fils de Ringo) — ont tous, à des degrés divers, choisi la musique. Un destin presque inévitable, mais qui n’implique ni la même exposition ni le même type d’empreinte artistique. Vingt-cinq ans après la sortie de la compilation 1, et alors que l’actualité des archives des Beatles continue d’agiter la planète pop, où en sont leurs héritiers ?
Cet article propose un classement argumenté de l’ampleur de leurs carrières, tel qu’on peut l’évaluer en 2025. Il ne s’agit pas d’un jugement de valeur esthétique, mais d’une photographie aussi objective que possible, fondée sur plusieurs critères croisés : visibilité scénique, succès commercial, longévité et régularité, poids des collaborations, polyvalence créative (composition, production, musique de film, etc.) et empreinte médiatique. Selon l’angle retenu, l’ordre pourrait varier ; nous expliquons, pour chaque artiste, les raisons de son positionnement et les éléments qui pourraient déplacer les lignes.
Sommaire
- Méthode : ce que nous mesurons (et ce que nous ne mesurons pas)
- N°1 — Zak Starkey : la grandeur scénique au long cours
- N°2 — Julian Lennon : les sommets des charts et la constance discrète
- N°3 — Sean Ono Lennon : l’explorateur polymorphe
- N°4 — Dhani Harrison : le bâtisseur discret, entre groupes, solo et écrans
- N°5 — James McCartney : une voie artisanale qui s’affermit
- N°6 — Jason Starkey : de la batterie aux coulisses
- Un classement… et des contre‑classements possibles
- Au‑delà des chiffres : six façons d’habiter un héritage
Méthode : ce que nous mesurons (et ce que nous ne mesurons pas)
Pour éviter les malentendus, précisons notre grille :
Nous tenons compte des tournées en salles et stades, des crédits d’enregistrement sur des albums majeurs, des entrées dans les classements (singles et albums), de la pérennité d’une activité discographique et scénique, ainsi que des projets transversaux (bandes originales, production, labels). Nous ne confondons pas notoriété héritée et impact personnel : un nom célèbre ouvre parfois des portes, mais seul le travail les maintient ouvertes.
Nous distinguons aussi deux types de « grandeur » : la grandeur scénique (jouer devant des foules immenses, tenir la batterie d’un groupe de légende, s’intégrer à des projets de premier plan) et la grandeur d’auteur (écrire, chanter, porter une œuvre personnelle). Selon ces deux axes, certains profils ressortent davantage sur l’un que sur l’autre.
N°1 — Zak Starkey : la grandeur scénique au long cours
Fils aîné de Ringo Starr, Zak Starkey s’est imposé en batteur de haut vol au sein de formations historiques. Son CV, unique parmi les six, parle pour lui : batteur de scène et de studio de The Who pendant près de trois décennies (de 1996 à 2025), musicien convoqué par Oasis au cœur des années 2000, compagnon de route de Johnny Marr and the Healers, des Lightning Seeds et d’autres projets britanniques de premier plan. Dans la famille Starkey, on connaît l’anecdote : Keith Moon, batteur mythique des Who et parrain de Zak, l’a encouragé très tôt ; Ringo, lui, n’a donné « qu’un seul cours », par prudence paternelle, sans réussir à détourner durablement son fils des fûts.
Sur le plan quantitatif, l’empreinte de Zak est considérable. Être l’architecte rythmique du répertoire des Who sur scène – un groupe dont l’héritage rock pèse des stades entiers – exige une combinaison rare de puissance, de sens du son et de mémoire stylistique. S’ajoutent des sessions d’enregistrement notables, notamment avec Oasis au milieu des années 2000, sur fond de Britpop tardive retrouvant une vigueur rock.
Depuis la fin des années 2010, Zak a aussi développé une activité de producteur et de label. Avec l’artiste Sshh Liguz, il a fondé Trojan Jamaica, label basé en Jamaïque, publiant des enregistrements qui circulent entre reggae, soul et blues. On y croise des figures comme Sly & Robbie ou U‑Roy, et l’album Got to Be Tough de Toots and the Maytals (auquel il a contribué comme co‑producteur/guitariste) a été récompensé dans la catégorie reggae aux awards majeurs de la profession, preuve que Zak ne se contente pas d’être « batteur de ». Il initie et porte des projets.
Côté scène, il a lancé en 2023 le supergroupe Mantra of the Cosmos avec Shaun Ryder et Bez (Happy Mondays) et Andy Bell (Ride/Oasis), poursuivi en 2025 par de nouveaux singles où l’on voit joindre Noel Gallagher. La formation reste joyeusement imprévisible, mais confirme un réseau et une crédibilité exceptionnels au sein de la pop britannique.
Pourquoi n°1 ? Parce que, en volume et en prestige de scènes, personne dans la fratrie élargie n’a tenu aussi longtemps un pupitre aussi exposé que la batterie des Who. Ajoutez des années d’activisme musical en studio et au sein d’un label créatif : la « grandeur » de la carrière de Zak est structurelle, enracinée dans la performance live et l’industrie. Même les aléas récents de son histoire avec les Who ne diminuent pas ce cumul unique de responsabilités et d’expériences.
N°2 — Julian Lennon : les sommets des charts et la constance discrète
Chez les fils de John Lennon, Julian est celui qui a atteint, et de loin, les plus hauts sommets commerciaux en son nom propre. Son premier album, Valotte (1984), produit par Phil Ramone, est certifié platine aux États‑Unis et propulse deux Top 10 américains : le single « Too Late for Goodbyes » (n°5 au Billboard Hot 100) et « Valotte ». L’empreinte de ces chansons dans la pop des années 80 est tangible : mélodies impeccables, voix rappelant parfois l’ombre du père, mais avec une écriture pop propre.
La suite est plus heurtée, mais jalonnée de coups d’éclat. En 1991, « Saltwater » atteint le Top 10 britannique (n°6) et se hisse au n°1 en Australie pendant plusieurs semaines, confirmant un rayonnement international. Au fil des décennies, Julian publie de nouveaux albums à intervalles plus lâches, mais revient en 2022 avec Jude, disque introspectif qui assume, pour la première fois, le dialogue explicite avec « Hey Jude » — la chanson que Paul McCartney écrivit pour consoler l’enfant qu’il était alors. L’album, paru chez BMG, installe une maturité et un soin de production qui prolongent ses qualités d’auteur‑interprète.
Julian s’illustre aussi par des engagements personnels et des gestes symboliques qui ont marqué les esprits : lors de la guerre en Ukraine en 2022, il chante pour la première fois « Imagine », dans le cadre d’un appel aux dons, alors qu’il avait toujours promis de ne jamais s’y risquer. Parallèlement, sa fondation White Feather — autre aspect de sa carrière — relie son nom à des causes humanitaires et environnementales.
Pourquoi n°2 ? Parce que la trajectoire solo de Julian, ses certifications, ses classements et sa longévité en tant qu’artiste principal demeurent sans équivalent parmi les six, si l’on parle de succès au nom propre. Là où Zak incarne la grandeur scénique, Julian incarne la grandeur d’auteur telle qu’on la mesure à l’aune des charts et de la signature vocale.
N°3 — Sean Ono Lennon : l’explorateur polymorphe
Sean Ono Lennon n’a pas bâti sa carrière autour d’un seul format. Chez lui, la « grandeur » tient à la polyvalence et à la curiosité. Il y a d’abord le songwriter‑producteur à cheval entre indé, psyché et pop expérimentale : albums solo (Into the Sun, Friendly Fire), le duo The Ghost of a Saber Tooth Tiger (GOASTT) avec Charlotte Kemp Muhl et un sommet psychédélique, Midnight Sun (2014), salué par un noyau fidèle d’auditeurs.
Il y a ensuite l’aventure The Claypool Lennon Delirium avec Les Claypool (Primus) : deux albums, Monolith of Phobos (2016) et South of Reality (2019), qui installent Sean dans une élite instrumentale où la virtuosité compte autant que l’imagination sonore. L’alchimie basse‑guitare, les harmonies vocales à la limite du surréaliste, les clins d’œil sixties assumés : tout cela trace une voie singulière.
Sean ne s’arrête pas là : musique de film et de série, productions et coproductions pour des groupes contemporains (on pense aux Britanniques de Temples, dont il a produit des titres clefs en 2020 et un album entier récemment), collaborations vocales très exposées (Lana Del Rey, titre « Tomorrow Never Came » sur Lust for Life). En 2024, il surprend encore avec Asterisms, projet instrumental aux frontières du jazz, de l’ambient et des textures électroniques, qui confirme sa capacité à changer de peau.
Pourquoi n°3 ? Parce que, si Sean n’a pas visé la course aux hits, il a construit, pièce après pièce, une carrière d’auteur, d’instrumentiste et de producteur éclectique, connectée à des réseaux de premier plan et reconnue pour sa qualité musicale. Sa « grandeur » est horizontale : elle occupe des territoires multiples, avec une crédibilité artistique rarement démentie.
N°4 — Dhani Harrison : le bâtisseur discret, entre groupes, solo et écrans
Dhani Harrison a longtemps avancé à bas bruit, mais dans des sphères hautement professionnelles. Il émerge d’abord comme artisan indispensable de Brainwashed (2002), l’album posthume de George Harrison qu’il aide à finaliser aux côtés de Jeff Lynne. Très vite, il fonde thenewno2, formation électro‑rock remarquée sur scène : Coachella, Lollapalooza et une réputation d’exigence sonore. En 2010, il crée le supergroupe Fistful of Mercy avec Ben Harper et Joseph Arthur, dont l’album As I Call You Down témoigne d’un goût pour les harmonies et les textures folk.
À partir de 2013, Dhani s’investit dans la musique à l’image : la bande originale de Beautiful Creatures, puis des contributions régulières à des séries et documentaires, où sa science des atmosphères fait merveille. Côté solo, il signe IN///PARALLEL (2017), disque cinématographique nourri de pulsations électroniques, et revient en 2023 avec INNERSTANDING, plus organique et porté par des collaborations de choix. On l’a aussi vu sur la route avec Jeff Lynne’s ELO en 2019, reprenant « Handle with Care » des Traveling Wilburys, clin d’œil filial devenu moment de scène apprécié.
Pourquoi n°4 ? Parce que l’addition groupes + solo + écrans dessine une carrière complète. Moins exposé que Julian sur les charts, moins « tournée‑monstre » que Zak, Dhani a pourtant coché de nombreux cases professionnelles : la scène des festivals, la BO de film en studio majeur, la tournée d’arène avec un groupe transgénérationnel, des albums solo cohérents. Il pourrait, selon certains critères, passer devant Sean — la bataille des places 3 et 4 reste une question d’affinités et de pondération.
N°5 — James McCartney : une voie artisanale qui s’affermit
James McCartney, unique fils de Paul, a pris le temps de trouver son cadre. On le découvre d’abord en sideman filial : guitare et chœurs sur Flaming Pie (1997) — il y place notamment un solo sensible sur « Heaven on a Sunday » — puis crédits sur Driving Rain (2001). À partir de 2010, il publie ses propres œuvres : l’EP Available Light, puis les albums Me (2013) et The Blackberry Train (2016), aux teintes folk‑rock.
Après une période plus discrète, James revient en 2024 avec l’album Beautiful Nothing, où l’on entend un travail mélodique plus assuré et des textures acoustiques qui lui vont bien. La même année, il cosigne et interprète avec Sean Ono Lennon le single « Primrose Hill », rencontre symbolique autant que musicale, qui montre un goût du duo et une écriture dépouillée gagnant en maturité.
Pourquoi n°5 ? Parce qu’en dépit de qualités d’instrumentiste et de chanteur, James n’a pas, à ce jour, connu l’exposition ou les scores de Julian, ni la multiplication de projets saillants de Sean ou Dhani. Sa discographie se densifie toutefois, et ses retours récents laissent espérer une trajectoire encore ascendante.
N°6 — Jason Starkey : de la batterie aux coulisses
Plus réservé médiatiquement, Jason Starkey a joué de la batterie dans plusieurs formations à la fin des années 1980 et au début des années 1990 — on a pu le voir au sein de Buddy Curtis and the Grasshoppers, The People’s Friend, Empire of Sponge, et sur un concert‑plaisanterie au nom mémorable, Musty Jack Sponge and the Exploding Nudists, avec son frère Zak. Il s’est ensuite éloigné d’une carrière musicale publique pour travailler en backstage : road‑manager, assistant de production, puis photographe. Une présence moins visible, mais connectée à l’écosystème de la scène.
Pourquoi n°6 ? Parce que l’essentiel de son parcours s’est déroulé loin des projecteurs et sans discographie marquante, ce qui réduit mécaniquement l’ampleur mesurable de sa carrière musicale au regard de ses frères et cousins.
Un classement… et des contre‑classements possibles
Un classement global écrase toujours des nuances. Selon d’autres axes de lecture, l’ordre peut bouger :
Sur le terrain des hits et des ventes d’albums sous son propre nom, Julian Lennon reste le plus proche du modèle d’artiste grand public, avec ses Top 10 et ses certifications. Si l’on ne prenait en compte que ce critère, il serait n°1.
Si l’on ne retenait que la grandeur scénique, la longévité au plus haut niveau live et la capacité à tenir la pression d’un répertoire monumental, Zak Starkey demeure indétrônable.
Si l’on privilégiait la diversité créative et la capacité à changer de registre — du psychédélisme à la production pour d’autres, de la pop à l’instrumental —, Sean Ono Lennon pourrait grimper d’une place.
Si l’on valorisait la cohérence de parcours mêlant groupes, BO, solo et tournées avec des grands noms, Dhani Harrison pourrait prétendre à la troisième marche.
Enfin, si l’on s’intéresse à la courbe de progression récente, James McCartney est celui dont la trajectoire semble la plus ouverte : ses sorties de 2024 laissent entrevoir un véritable palier franchi.
Au‑delà des chiffres : six façons d’habiter un héritage
L’héritage Beatles est à la fois un socle et un fardeau. Pour certains, il a servi de tremplin ; pour d’autres, il a fallu apprendre à déjouer les attentes et à se définir autrement. Dans ce jeu d’équilibres, les six fils ont trouvé chacun leur manière d’habiter le patrimoine sans se perdre. Zak a choisi la grande scène et la direction rythmique de groupes colossaux ; Julian, la chanson et la signature vocale ; Sean, l’expérimentation et la production ; Dhani, un prisme multimédia où l’on passe du studio à l’écran ; James, une route artisanale qui gagne en assurance ; Jason, enfin, a préféré les coulisses et la photographie.
La « plus grande carrière » n’est pas qu’une question de chiffres : c’est aussi une question de rôle et de cohérence. À ce jeu‑là, Zak Starkey et Julian Lennon occupent, pour l’instant, les deux pôles extrêmes de la grandeur — scénique pour l’un, auteur‑interprète pour l’autre. Sean et Dhani incarnent la modernité d’artistes transversaux. James illustre le temps long de l’artisanat pop. Jason rappelle que la musique existe aussi par ceux qui la font exister en dehors du faisceau des projecteurs.
Si l’on met bout à bout les scènes, les albums, les collaborations, les labels, les BO et les gestes symboliques, la photographie 2025 donne ceci :
Zak Starkey s’impose comme le n°1 de la « grandeur scénique » et de l’intensité professionnelle sur le long terme. Julian Lennon demeure le n°1 des hits et des certifications sous son nom, et notre n°2 au global. Sean Ono Lennon et Dhani Harrison forment un duo de milieu de classement extrêmement solide, dont l’ordre dépend du poids que chacun donnera à la diversité versus la cohérence. James McCartney consolide son univers et progresse, tandis que Jason Starkey illustre une autre manière d’être « de la musique ».
La bonne nouvelle, pour les fans des Beatles, c’est que l’histoire ne se limite plus à l’ombre colossale des années 60. Elle se prolonge, se ramifie, s’invente sous des formes variées. La prochaine décennie dira si James transforme l’essai, si Dhani creuse la veine BO/solo, si Sean poursuit ses métamorphoses, ou si Zak écrit un nouveau chapitre — qu’il soit derrière une batterie, une console, ou au sein d’un collectif foutraque. Quoi qu’il arrive, ces six trajectoires racontent une vérité simple : on peut hériter d’un mythe et, pourtant, jouer sa propre note.
