Une prise inédite de Helter Skelter (Take 17), publiée en avant-goût d’Anthology 4 (21 novembre 2025), dévoile un Beatles plus brut et joueur. McCartney y pousse sa voix à la limite, Ringo martèle un groove rugueux, Lennon et Harrison épaississent le son — avant que Paul ne lâche son malicieux « Keep that one. Mark it fab. ». Cette archive replace la chanson dans son processus de création et relance la grande machine Anthology avec coffrets audio, série restaurée sur Disney+ et réédition du livre.
Les Beatles lèvent encore un coin du voile sur Anthology 4, attendu le 21 novembre 2025 : une version rare de Helter Skelter, identifiée comme la « Second Version – Take 17 », vient d’être mise en ligne sur la chaîne YouTube officielle du groupe. On y entend Paul McCartney donner quelques consignes avant de lancer le groupe, puis un chant saturé d’un reverb généreux, plus débraillé, plus joueur, où les mots se bousculent et laissent parfois place à des cris et onomatopées. La prise s’achève sur une note aussi malicieuse qu’emblématique : « Keep that one. Mark it fab. » — gardez celle‑là, marquez‑la “fab”. On sait pourtant que la version retenue pour l’album The Beatles (dit White Album) provient d’une Take 21.
Au‑delà de l’anecdote, cette Take 17 rappelle que Helter Skelter n’est pas un bloc monolithique tombé du ciel, mais le fruit d’un processus où chaque séance déplace l’équilibre entre vitesse, grain, dynamique et caractère. Le document dévoilé par Apple/Calderstone n’est pas une relique sèche : c’est une scène encore vibrante, où l’on saisit presque les regards, les rires, la compétition amicale au cœur de l’atelier Beatles.
Sommaire
- Retour en 1968 : d’un défi à The Who au laboratoire d’Abbey Road
- Ce que l’on entend de neuf dans la Take 17
- Pourquoi cette publication compte vraiment
- Anthology 4 : ce que l’on sait, ce que l’on attend
- The Anthology Collection : 191 titres, un récit remis à plat
- Anthology sur Disney+ : une série restaurée et étendue
- Le livre Anthology, 25 ans plus tard
- Écoute guidée : comment « lire » la Take 17
- Giles Martin, une cohérence de catalogue
- La place de Helter Skelter dans l’album The Beatles
- 2025 : un calendrier pensé pour l’écoute
- Une archive qui remet la musique au centre
Retour en 1968 : d’un défi à The Who au laboratoire d’Abbey Road
Si Helter Skelter est devenue l’un des archétypes du rock dur à la fin des sixties, c’est d’abord parce qu’elle naît d’une provocation. En entendant Pete Townshend présenter I Can See for Miles comme une des choses les plus bruyantes et sauvages jamais enregistrées, Paul McCartney décide de pousser les Beatles vers une zone rouge rarement explorée aussi frontalement. De là, un riff abrasif, des guitares ouvertes en grand, un groove qui ne cherche pas la démonstration mais le martèlement.
Les sessions connues racontent deux grands moments. Le 18 juillet 1968, une première mouture, longue et hypnotique, explore l’idée d’un jam étiré, quasi drone, qui atteindra par endroits des durées marathoniennes. Puis, les 9–10 septembre 1968, les Beatles reviennent à la charge : « Second Version », tempo resserré, impact plus immédiat, batterie au son mat, basse musculeuse, guitares qui mordent. C’est dans cette séquence que s’inscrit la Take 17 publiée aujourd’hui, voisinant les prises qui mèneront à la Take 21 — l’ossature de la version officielle.
La distribution instrumentale reste un plaisir de spécialiste : Paul mène la voix et la guitare principale, John Lennon passe à la basse (sur Fender VI), George Harrison multiplie les répliques de guitare et les textures, Ringo Starr tient un pattern à la fois élastique et implacable, aux toms étouffés — les fameux torchons posés sur les peaux — qui font le grain si caractéristique de la chanson. À l’occasion, Mal Evans pointe même un coup de trompette rudimentaire, clin d’œil sonore gravé dans la mythologie du titre. Et lorsque la tension retombe après un take long et fiévreux, il arrive que Ringo lâche, à bout de souffle, son désormais célèbre « I’ve got blisters on my fingers! ».
Ce que l’on entend de neuf dans la Take 17
La voix de McCartney est la première surprise. Plus réverbérée que sur la version commercialisée, elle joue avec l’écho comme avec un instrument à part entière : attaques obliques, consonnes durcies, glissandos poussés jusqu’à la saturation. La diction est moins sage, plus échevelée, comme si l’interprète préférait risquer le dérapage pour obtenir une électricité immédiate. On relève aussi quelques variantes de paroles, des mots avalés, des cris jetés en avant de la mesure.
La section rythmique frappe par sa cohésion. La basse — obstinée, motorique — installe une assise dont la batterie de Ringo profite pour développer de petites syncopes qui ouvrent la poche du groove. Les guitares ne cherchent pas un mur compact ; elles sculptent des zones de bruit et de feedback que l’on devine contrôlés à l’instinct. L’impression globale est celle d’une prise un rien plus rapide et nerveuse que la Take 21, moins polie, mais magnétique ; le studio n’est plus un cloître, c’est une scène.
La coda surtout amuse : ce « Keep that one. Mark it fab. » a valeur de signature. Il rappelle que, même au cœur du chaos organisé, les Beatles documentent leurs avancées, s’auto‑évaluent, et laissent ces traces qui, des décennies plus tard, deviennent nos portes d’entrée dans le travail réel d’un groupe en action.
Pourquoi cette publication compte vraiment
La tentation, face aux sorties d’archives, est d’y voir des bonus pour complétistes. Anthology 4 — et cette Take 17 tout particulièrement — montre l’inverse : ces bandes complètent le portrait sonore d’un groupe dont on a, trop souvent, figé les chansons en versions « définitives ». En publiant les « second versions », les premières idées, les directions captées avant la prise « maîtresse », Apple fait réentendre le travail : décisions de tempo, placement des accents, choix de saturation, phrasing de la voix, respiration des blocs.
Dans le cas de Helter Skelter, l’intérêt est redoublé : rarement une chanson des Beatles aura autant pesé sur les registres hard à venir, rarement elle aura été l’objet d’autant de relectures critiques. Entendre McCartney chercher, oser, parfois bafouiller pour mieux rugir quelques secondes plus tard, c’est rendre au titre sa dimension de recherche, loin du fétiche « inventeur du heavy metal » dont on l’affuble à l’excès.
Anthology 4 : ce que l’on sait, ce que l’on attend
Le 21 novembre 2025, la collection Anthology s’étend officiellement à quatre volumes. Anthology 4, curaté par Giles Martin, aligne 36 plages, dont 13 inédites au sens strict (prises jamais publiées, outtakes, alternates, documents live). La chronologie embrasse grosso modo 1963‑1969, autrement dit le cœur des sessions EMI/Abbey Road et des radiodiffusions et concerts captés dans la décennie.
Particularité notable : le disque intègre la trajectoire contemporaine des Beatles réunis autour des démos de John Lennon. On y retrouve donc Now and Then (2023), annoncé comme « le dernier single » du groupe, mais aussi de nouveaux mixes de Free as a Bird et Real Love, les deux titres Anthology des années 1995‑1996. L’idée n’est pas de réécrire l’histoire, mais de recaler ces morceaux dans un continuum sonore où la qualité des sources et la clarté des mixages de Giles Martin harmonisent l’écoute.
Côté formats, Anthology 4 sort en 2 CD et en 3 LP, disponibles à l’unité, mais aussi inclus dans la The Beatles – Anthology Collection proposée en 12 LP, 8 CD et version numérique. Cette coexistence des éditions permet autant l’achat ciblé (le volume 4 seul) qu’une immersion complète au fil des quatre tomes.
The Anthology Collection : 191 titres, un récit remis à plat
La boîte The Anthology Collection n’est pas un simple repackaging. Elle réunit les trois albums Anthology 1–3 (parus en 1995‑1996) dans des remasterings 2025 sous la direction de Giles Martin, et leur adjoint Anthology 4 pour former un corpus de 191 morceaux. Outtakes, démos, captations live, broadcasts : autant de strates qui, mises bout à bout, racontent la métamorphose d’un groupe de 1958 jusqu’à Now and Then.
L’intérêt de cette remise à jour n’est pas seulement sonore. En représentant les années Anthology dans un geste éditorial unifié, Apple renoue avec l’ambition initiale : offrir aux auditeurs une histoire autonarrée des Beatles, où les versions de travail cessent d’être des annexes pour devenir des chapitres à part entière. La présence de Helter Skelter (Second Version – Take 17) « en éclaireuse » montre bien la philosophie : privilégier les documents qui donnent matière à l’écoute, ceux où l’on entend les décisions se prendre.
Anthology sur Disney+ : une série restaurée et étendue
Le 26 novembre 2025, la série documentaire The Beatles Anthology revient sur Disney+ dans une version restaurée et étendue : neuf épisodes, dont un Episode Nine totalement nouveau, composé d’images inédites captées lors des réunions de 1994‑1995 (quand Paul, George et Ringo se retrouvent autour des démos de Lennon pour Free as a Bird et Real Love). Trente ans après la première diffusion (ABC, novembre 1995), le projet reprend corps dans un écosystème où la vidéo en streaming et l’audio remixé en haute définition peuvent enfin rendre justice aux archives.
Cette synchronisation des sorties — albums le 21 novembre, série le 26 — n’est pas un hasard. Elle incite à une double lecture : écouter les versions non définitives, puis voir le récit qui les environne. Dans le cas de Helter Skelter, cet aller‑retour est particulièrement fertile : la violence maîtrisée du son prend une dimension supplémentaire quand on regarde la fabrique et l’humeur des séances 1968.
Le livre Anthology, 25 ans plus tard
Dernier pilier de ce retour : la réédition 25e anniversaire du livre The Beatles Anthology, prévue le 14 octobre 2025. 368 pages, plus de 1 300 images, des documents et témoignages qui ont fait de l’ouvrage une référence dès 2000. Cette nouvelle édition permet de recaler l’iconographie et de mettre le texte au diapason des découvertes accumulées depuis un quart de siècle.
Pour les lecteurs francophones, l’intérêt est double : retrouver les voix des quatre Beatles et des proches, et accompagner l’écoute d’Anthology par un parcours visuel qui insiste sur les lieux, les objets, les gestes. Ici encore, Helter Skelter trouve sa place : photos de guitares, plans de microphones, feuilles de paroles, autant d’indices matériels d’une esthétique qui n’a jamais sacrifié la matière au mythe.
Écoute guidée : comment « lire » la Take 17
Pour entendre la Take 17 avec des oreilles neuves, on peut la parcourir en trois moments. D’abord, la mise : le compte lancé à la voix, les consignes brèves, ce sentiment qu’on entre dans la pièce au moment même où le groupe se trouve. Ensuite, le corps de la prise : une poussée continue, où la basse semble tirer l’ensemble comme un câble, pendant que la batterie impose une férocité sans claquer plus fort, mais en planant son spectre de haut en bas. Enfin, la chute : une dilatation du temps, une queue d’accords qui dépose la poussière, et cette phrase — « Mark it fab » — qui scelle l’instant.
On remarquera aussi les micro‑événements : un rattrapage de phrasé, un cri qui dérape, une attaque de guitare qui grésille. Ces imperfections supposées sont l’âme de la prise. Elles expliquent pourquoi des versions comme celle‑ci méritent d’être publiées : elles ne remplacent pas la version canonique, elles en déplient les possibles.
Giles Martin, une cohérence de catalogue
On ne saurait trop insister sur le rôle de Giles Martin dans cette nouvelle campagne Anthology. Après avoir supervisé les mixes et rééditions de Sgt. Pepper, White Album, Abbey Road, Let It Be et Revolver, il se retrouve chef d’orchestre d’un ensemble qui, par définition, rassemble des éléments disparates : démos de salon, essais studio, captations live, films promo, interviews. Sa marque n’est pas d’écraser les sources sous une même patine, mais de stabiliser un niveau de lisibilité où l’oreille circule d’une période à l’autre sans fatigue. Dans ce cadre, une prise comme Helter Skelter (Second Version – Take 17) se détache sans heurter son voisinage.
La place de Helter Skelter dans l’album The Beatles
Remettons la chanson dans son écosystème de 1968. Sur le double album The Beatles, Helter Skelter fonctionne comme une déflagration médiane, une coupure de sang chaud dans un disque qui navigue du pastoral (Blackbird) à l’avant‑folk (Julia), du cabaret psyché (Happiness Is a Warm Gun) au blues noirci (Yer Blues). Sa présence ferme le banc de ceux qui accusent le White Album d’être un patchwork incohérent : elle prouve au contraire qu’un groupe peut tenir ensemble des couleurs contradictoires si l’énergie reste commune.
Entendre aujourd’hui la Take 17, c’est rappeler que cette énergie n’était pas un concept griffonné sur un carnet ; c’était une pratique, répétée soirs après soirs au studio, et captée quand il fallait — ce soir‑là.
2025 : un calendrier pensé pour l’écoute
La période qui s’ouvre est copieuse pour les Beatle‑maniacs. 14 octobre 2025 : réédition du livre The Beatles Anthology. 21 novembre : sortie d’Anthology 4 et des coffrets 12 LP/8 CD et numérique The Anthology Collection (soit 191 titres, dont 13 inédits sur le volume 4, et les nouveaux mixes de Free as a Bird et Real Love, aux côtés de Now and Then). 26 novembre : première sur Disney+ de la série Anthology restaurée, enrichie d’un Episode Nine neuf.
Le rythme est idéal : on lit, on écoute, on regarde, puis on réécoute. On passe de l’objet (livre), à la bande (albums), à l’image (docu‑série), avec à chaque étape des portes comme cette Take 17 qui redonnent du nerf à des chansons connues.
Une archive qui remet la musique au centre
La mise en ligne de Helter Skelter (Second Version – Take 17) n’est pas un simple teasing de plus. C’est une déclaration d’intention : Anthology revient pour ré‑écouter la légende au ras de la bande. Paul McCartney qui chauffe son monde, Ringo Starr qui martèle sans hurler, John Lennon et George Harrison qui serrent la meute — voilà ce que le document remet sous nos oreilles.
La Take 21 restera la version qui a écrit l’histoire. Mais la Take 17 nous donne l’histoire en mouvement : celle d’un groupe qui essaie, décide, note, rigole, chavire, puis se relève pour rejouer plus fort. Et, au passage, cette petite phrase qui résume l’esprit d’une époque : « Mark it fab. » Marquons‑la fab, nous aussi, au calendrier de cet automne qui, décidément, s’annonce Beatles.
