La pochette de With The Beatles marque un tournant dans l’image du groupe et inaugure leur collaboration avec Robert Freeman. Inspirée par les clichés d’Astrid Kirchherr, elle impose une esthétique sombre et artistique qui contraste avec l’image commerciale des Beatles. Cette couverture iconique influencera de nombreux artistes et albums, devenant une référence du design musical.
La pochette de With The Beatles, le deuxième album des Beatles sorti en Novembre 1963, marque le début de l’implication du groupe dans la conception de ses pochettes. Elle marque également le début de la première collaboration artistique entre les Beatles et le photographe et designer Robert Freeman (1936–), qui sera le créateur des pochettes de leurs trois prochains albums. Cette collaboration sera à l’origine de la création d’images distinctes et reconnaissables du groupe, et la naissance d’une iconographie des Beatles durant la période de la Beatlemania.
Impressionné par ses photographies de musiciens de jazz, Brian Epstein engage Robert Freeman en 1963 pour photographier le groupe lors de leurs concerts, et documenter l’atmosphère sur scène et en coulisses. Les Beatles demandent eux-mêmes à Robert Freeman de photographier leur prochain album. Ils lui montrent les photos qu’Astrid Kirchherr avaient prises à Hambourg , et demandent s’il pourrait reproduire leur ambiance crépusculaire. Selon Kirchherr, ses portraits représentaient ses sujets – dont les Beatles durant leur période “sauvage” à Hambourg – en noir et blanc, avec des expressions sérieuses et sombres, dans le but de révéler ce qui se passe dans leur âme. Pour elle, la musique des Beatles était “un art très sérieux”, c’est pourquoi elle ne voulait pas prendre des photos d’eux souriants ou riants. Pour elle, ils n’étaient pas simplement des jeunes garçons sauvages de Liverpool, mais de réels artistes. Elle avoue d’ailleurs avoir eu “mal au cœur” en voyant les photos des Fab Four souriants et vêtus de costumes, qui apparaissent lorsque leur musique est commercialisée, mais affirme que “c’était le prix à payer”.
Freeman saisit alors un cliché en noir et blanc, fortement contrasté, des Beatles posant étroitement dans des cols-roulés noirs avec la lumière d’une fenêtre illuminant à moitié leurs expressions fixes et calmes. EMI rejette la pochette comme terne et austère, et même Brian Epstein trouve qu’elle pourrait nuire à leur image de divertissement. Mais les Beatles insistent, et leur revanche sera totale :With the Beatles allait être le deuxième album en Angleterre à se vendre à plus d’un million d’exemplaires, et la photographie de la pochette allait devenir une photo culte de l’époque.
Selon Freeman, c’est la première fois qu’une photographie en noir et blanc est utilisée sur une pochette d’album de musiciens populaires. En effet, la photographie en noir et blanc était utilisée pour les pochettes d’albums de jazz, dont “les standards de design était systématiquement élevés”. Cette pochette est en effet une première dans l’histoire d’une musique destinée aux teenagers. “Nous sommes des artistes, nous voulons être pris au sérieux” semble-t-elle signifier. La comparant avec la pochette de l’album précédent, George Harrisson dira d’ailleurs que “la pochette de l’albumPlease Please Meest de la merde. Mais à ce moment-là, ça n’avait pas d’importance. On ne l’a même pas trouvée nulle, sans doute parce qu’on était trop contents de figurer sur un disque.With The Beatles a été le premier album pour lequel on s’est dit : “Hé ! Soyons artistes”.
Décrite comme “l’une des images les plus familières – si ce n’est pas la plus familière – de l’iconographie des Beatles”, la photographie de Robert Freeman pourWith The Beatles persuade rapidement de nombreux jeunes groupes anglais absorbés par la turbulence de la Beatlemania d’imiter la pose demi-éclairée et austère adoptée par le groupe : les pochettes des albumsThe Angry Young Them(1965) de Them,Kinks(1964) des Kinks ), etThe Rolling Stones No. 2(1965) des Rolling Stones sont des imitateurs précoces du style qui continuera à travers les années 1980 et 1990, avec par exempleNo Jacket Required(1985) de Phil Collins, etSongs for Drella(1990) de Lou Reed & John Cale. La pochette de With The Beatles devient l’un des designs les plus plagiés de la décennie.
Selon le conservateur du Rock and Roll Hall of Fame Howard Kramer, la pochette de With The Beatles a créé une iconographie comparable seulement aux photos de 1956 qu’Alfred Wertheimer réalise de Elvis Presley. Comme les photos de Wertheimer, elle est sombre et austère, mais pleine d’énergie. L’image transmet le message que le changement est là. Le rock and roll n’est pas mort. Les yeux des quatre sont profonds et sages. Les millions qui ont acheté ce disque, et son équivalent nord américain, comprennent. Cette image déclare à tous ceux qui ont connecté avec elle : “Ceci est nouveau. Ceci est à moi. Ceci n’est pas comme ce qui est venu avant”.
L’utilisation d’un éclairage contrasté continua en 1964 dans la sélection de vingt clichés noir et blanc pour la pochette du troisième album des Beatles, A Hard Day’s Night, qui contenait la bande originale du premier film des Beatles du même nom, et qui coïncide avec la sortie du film au cinéma. Pour le design de la pochette–et de l’affiche du film–Robert Freeman opte pour un concept suggérant le mouvement : il dispose donc sur quatre rangs cinq petits clichés de chacun des musiciens, obtenant ainsi un montage qui évoque une pellicule cinématographique. L’effet est accentué par le fait que chaque sujet change d’expression d’un cliché à l’autre. En indiquant visuellement la relation entre film et album de cette manière, la pochette fonctionne comme une publicité à la fois pour le disque et pour le film. Cette technique fut utilisée auparavant par Elvis pour son albumBlue Hawaii, quoique d’une manière moins dramatique. En Angleterre, la série de photographies est encadrée de bleu ; aux Etats-Unis, de rouge. La pochette pour l’Amérique n’aligne par ailleurs que quatre clichés, ce qui affaiblit l’impact du concept initial
On retrouve ici une inspiration certaine de la technique des photographies sérigraphiées d’Andy Warhol, marquée par les grands aplats de couleurs et les portraits simplifiés et contrastés, qu’il adopte une année auparavant en 1963. Andy Warhol était alors une figure centrale du mouvement du Pop Art, mouvement artistique qui empruntait le vocabulaire de la publicité, des médias de masse et de la culture populaire, pour glorifier – ou questionner – la société consumériste et capitaliste, et le culte de la célébrité. Le lien établi entre l’idéologie du Pop Art et l’esthétique de la pochette deA Hard Day’s Night accentue davantage l’idée d’industrie culturelle qui était évidente dans les pochettes du “culte du costume”. Mais si les sérigraphies de Warhol sont statiques, l’idée du mouvement qui se dégage de la pochette deA Hard Day’s Night renvoie à l’idée d’instantanéité et de simultanéité qui caractérise l’image des Beatles à cette période.
A propos de l’auteur de cet article :Cet article est issu du mémoire de Master 1 d’Histoire de l’Art, rédigé par Nour Tohmé. Il est reproduit ici avec son aimable autorisation. Nour Tohme, illustratrice libanaise, dessine avec humour et talent, toute une série de compositions liées à la musique et à la Pop Culture. Nous ne pouvons que vous recommander de découvrir son oeuvre sur son site officiel.
