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« Mother Nature’s Son » : un hymne bucolique signé Paul McCartney

Publié le 23 septembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

En novembre 1968, alors que le monde découvre l’un des albums les plus emblématiques de l’histoire du rock, les Beatles publient leur fameux « White Album ». Au cœur de ce double disque, un titre se distingue par sa douceur folk et son ambiance pastorale : « Mother Nature’s Son ». Écrit principalement par Paul McCartney, ce morceau est l’un des exemples les plus frappants de la créativité parfois solitaire qui régnait au sein du groupe à cette période.

Sommaire

Une genèse au cœur de la nature

Paul McCartney puise l’inspiration de « Mother Nature’s Son » dans une conférence donnée par le Maharishi Mahesh Yogi en Inde, où les Beatles séjournent au début de l’année 1968. Dans une atmosphère spirituelle et propice à la réflexion, McCartney retient surtout l’idée d’un lien profond entre l’homme et la nature. Plus tard, en retrouvant sa famille à Liverpool, il profite de la quiétude ambiante pour peaufiner la chanson.

« Je me souviens l’avoir écrite chez mon père, à Liverpool. C’était souvent le cas quand j’allais lui rendre visite. Je me sentais de bonne humeur, et c’était alors une bonne occasion pour composer. Donc c’était moi faisant mon ‘Mother Nature’s Son’. J’ai toujours aimé la chanson de Nat King Cole, ‘Nature Boy’… et ‘Mother Nature’s Son’ en a été inspirée. »
— Paul McCartney, Many Years From Now, Barry Miles

Au-delà de l’aspect purement musical, McCartney reconnaît volontiers que certaines références, comme « my field of grass », évoquent à demi-mot la marijuana, que les Beatles consomment régulièrement à l’époque. Il s’amuse même, dans une autre de ses déclarations, à souligner ce clin d’œil :

« ‘My field of grass’ était un clin d’œil à la marijuana. En ce temps-là, nous fumions tous de l’herbe, et comme vous le savez, j’ai toujours aimé y glisser quelques allusions. »
— Paul McCartney, The Lyrics: 1956 To The Present

L’ombre d’une chanson jumelle

Étonnamment, une autre composition directement inspirée du même discours du Maharishi ne figure pas sur le « White Album ». John Lennon travaille alors sur un titre intitulé « I’m Just A Child Of Nature », qui ne sera finalement pas enregistré et se transformera plus tard en « Jealous Guy ».

« Cela venait d’une conférence du Maharishi où il parlait de la nature. J’avais un morceau intitulé ‘I’m Just A Child Of Nature’, qui est devenu ‘Jealous Guy’ quelques années plus tard. Nous étions tous deux inspirés par le même enseignement. »
— John Lennon, All We Are Saying, David Sheff

Le choix de ne conserver que « Mother Nature’s Son » pour l’album souligne le subtil équilibre recherché par les Beatles, qui devaient sélectionner un nombre précis de chansons dans un contexte créatif extrêmement prolifique (et souvent conflictuel).

Une session d’enregistrement en solo

Enregistrée principalement les 9 et 20 août 1968 dans le Studio Two d’Abbey Road, « Mother Nature’s Son » reflète cette période « fracassante » des sessions du « White Album ». Les tensions sont palpables entre John Lennon et Paul McCartney, mais aussi entre McCartney et George Harrison, voire Ringo Starr.

Pourtant, sur ce titre précis, Paul McCartney travaille quasiment seul : il assure la voix, la guitare acoustique, la batterie, les timbales et la basse. Aucun autre Beatle ne joue sur l’enregistrement final. Des musiciens non crédités participent toutefois à l’arrangement de cuivres : deux trompettistes et deux trombonistes.

Le 9 août, McCartney pose 25 prises de « Mother Nature’s Son », en chantant et en jouant de la guitare acoustique simultanément. La prise 24 est retenue comme la meilleure, tandis que la prise 2 sera publiée des années plus tard dans la compilation Anthology 3.

Le 20 août, McCartney revient en studio pour ajouter quelques overdubs : timbales, seconde guitare acoustique et une piste de batterie singulière, installée dans le couloir d’Abbey Road afin de créer un effet percussif très net.

« Paul était en bas avec George (Martin) et les cuivres. Tout se passait bien, l’ambiance était excellente. Subitement, John et Ringo sont entrés et l’atmosphère est devenue électrique. C’était un changement instantané. Ils sont restés dix minutes, puis tout est redevenu normal dès leur départ. C’était très étrange. »
— Ken Scott, The Complete Beatles Recording Sessions, Mark Lewisohn

C’est lors de cette même séance que McCartney enregistre également « Wild Honey Pie » et un autre titre intitulé « Etcetera », qui ne sera finalement jamais publié officiellement.

La magie d’un arrangement avec George Martin

Si « Mother Nature’s Son » brille avant tout par sa simplicité apparente – une guitare acoustique élégante et une voix délicate – le morceau doit aussi beaucoup à l’apport de George Martin, producteur et arrangeur de talent, souvent considéré comme « le cinquième Beatle ». Ensemble, Martin et McCartney peaufinent la partie de cuivres, ajoutant une profondeur orchestrale à la chanson sans la dénaturer.

Le résultat est un subtil mélange d’intimité et de sophistication. L’acoustique intimiste de Paul se marie harmonieusement avec les trompettes et trombones placés en arrière-plan, et la touche percussive des timbales vient souligner la dimension majestueuse du thème de la nature.

Sortie et héritage

« Mother Nature’s Son » paraît officiellement le 22 novembre 1968 au Royaume-Uni (et le 25 novembre 1968 aux États-Unis) dans l’album communément appelé « The Beatles (White Album) ». À l’écoute, on ressent l’apaisement que McCartney a voulu transmettre, un sentiment presque en rupture avec l’effervescence d’autres morceaux plus agités de l’album, comme « Helter Skelter » ou « Revolution ».

Le titre apparaît également dans la compilation Anthology 3, révélant l’une des prises alternatives qui donne aux fans un éclairage supplémentaire sur la construction du morceau.

Au-delà de sa beauté mélodique, « Mother Nature’s Son » illustre la quête de retour à la simplicité, un thème majeur de la fin des années 1960, où la contre-culture, la spiritualité et l’exploration personnelle marquent profondément la société. La chanson, avec son évocation d’une nature bienveillante et régénératrice, garde intact son pouvoir évocateur. Elle témoigne à la fois de la personnalité rêveuse de Paul McCartney et des tensions internes qui secouaient alors les Beatles.

Un joyau bucolique au milieu de la tempête

Si le « White Album » est souvent décrit comme un puzzle musical où chaque membre exprime sa singularité, « Mother Nature’s Son » représente le versant pastoral et introspectif de Paul McCartney. À l’époque, l’ambiance au sein du groupe est plus que jamais électrique : disputes créatives, départ provisoire de Ringo Starr, désaccords sur la direction artistique… Et pourtant, au cœur de cette agitation, McCartney parvient à signer une ballade lumineuse, célébrant la beauté du monde naturel et l’harmonie.

Cette dualité entre un climat orageux en studio et la sérénité dégagée par la chanson confère à « Mother Nature’s Son » un statut à part. Elle rappelle que même dans la tourmente, les Beatles restent capables de transcender leurs différences pour offrir au monde des trésors musicaux.

Conclusion

Aujourd’hui encore, « Mother Nature’s Son » est considéré comme l’un des moments forts du « White Album », une perle folk qui révèle la sensibilité de Paul McCartney et qui, malgré son enregistrement solitaire, incarne l’essence même des Beatles : l’innovation, la quête de sens et une créativité sans bornes.

Au détour d’une guitare acoustique et de quelques cuivres subtilement orchestrés, le titre nous emmène dans un cadre verdoyant et apaisant, loin du tumulte qui régnait pourtant au sein du groupe au moment de sa conception. Un paradoxe fascinant pour une chanson qui continue, des décennies plus tard, d’émerveiller les auditeurs et de rappeler la puissance intemporelle de la nature, telle que Paul McCartney l’a chantée en 1968.


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