Londres, juillet 1958. Dans un petit studio d’enregistrement improvisé au cœur d’une maison victorienne, cinq jeunes musiciens liverpuldiens allaient poser la toute première pierre de ce qui deviendrait l’une des plus grandes aventures musicales de tous les temps. The Quarrymen, formation embryonnaire des futurs Beatles, immortalisaient leur version de « That’ll Be The Day », succès de Buddy Holly, lors d’une session d’enregistrement aussi modeste que précieuse. Ce morceau allait marquer le premier enregistrement connu de John Lennon, Paul McCartney et George Harrison, alors adolescents avides de rock’n’roll.
Sommaire
- Une session d’enregistrement artisanale
- Un disque qui passe de main en main
- Une première sortie officielle en 1995
- Un hommage à Buddy Holly
- L’héritage d’un enregistrement historique
Une session d’enregistrement artisanale
C’est dans le salon de Percy F. Phillips, un Liverpuldien passionné par l’enregistrement sonore, que les Quarrymen se prêsent au jeu du studio pour la première fois. Le 12 juillet 1958, pour la modique somme de 17 shillings et trois pence, ils enregistrent deux morceaux : leur version de « That’ll Be The Day », chantée par Lennon, et « In Spite Of All The Danger », une composition originale signée McCartney-Harrison.
Paul McCartney se souvient de cette journée comme d’un moment marquant :
« Nous sommes allés au studio en bus avec nos instruments, tandis que le batteur, Colin Hanton, nous rejoignait séparément. Nous avons patienté dans une petite salle d’attente pendant qu’un autre groupe enregistrait avant nous. Une fois notre tour venu, nous sommes entrés, avons joué nos morceaux en direct devant un unique micro, et en un quart d’heure, tout était terminé. »
Le matériel rudimentaire ne permettait pas d’enregistrer sur plusieurs pistes : tout devait être capté en une seule prise. Après la session, Percy Phillips pressa un unique disque en shellac de 78 tours et effaça la bande originale pour économiser de la place. Ce disque devenait alors la première empreinte physique des futurs Beatles.
Un disque qui passe de main en main
Le disque, fruit de l’effort collectif, était censé être partagé entre les membres du groupe. Comme le raconte McCartney :
« Nous avions convenu que chacun aurait le disque une semaine avant de le passer au suivant. John l’a gardé en premier, puis moi, puis George, puis Colin… Mais lorsque ce fut le tour de Duff Lowe (le pianiste), il le conserva… pendant 23 ans. »
John « Duff » Lowe, qui avait joué du piano sur l’enregistrement, décide finalement de le sortir de son tiroir en 1981. Ayant conscience de la valeur historique du disque, il contacte Sotheby’s pour l’estimer. L’histoire attire l’attention des médias, et très rapidement, Paul McCartney lui-même prend contact avec Lowe pour racheter l’enregistrement.
« Avant même midi ce dimanche-là, Paul avait appelé ma mère à Liverpool. Nous avons eu plusieurs longues conversations les jours suivants. Il était très intéressé à l’idée de l’acheter, et a envoyé son avocat et son directeur commercial pour conclure la transaction. » (John « Duff » Lowe)
Le montant exact de la transaction demeure inconnu, mais Lowe aurait refusé une première offre de 5 000 livres. McCartney, soucieux de préserver cette relique, fit presser des copies pour la postérité.
Une première sortie officielle en 1995
Pendant longtemps, l’enregistrement resta une curiosité circulant uniquement sous forme de bootlegs. Toutefois, en 1985, McCartney diffusa pour la première fois publiquement « That’ll Be The Day » dans un documentaire consacré à Buddy Holly.
Finalement, en 1995, le morceau trouva officiellement sa place sur « Anthology 1 », la compilation historique retraçant les premiers pas des Beatles. Aux côtés de « In Spite Of All The Danger », cette chanson représente le premier témoignage tangible du talent émergent du trio Lennon-McCartney-Harrison.
Un hommage à Buddy Holly
L’enregistrement de « That’ll Be The Day » par les Quarrymen s’inscrit dans une tendance bien ancrée chez les jeunes musiciens britanniques de l’époque : celle de puiser leur inspiration dans le rock’n’roll américain. Buddy Holly, avec son charisme et son style novateur, exerçait une influence considérable sur Lennon et McCartney.
Paul McCartney, qui racheta plus tard les droits du catalogue de Buddy Holly, reconnaît l’impact indélébile de ce pionnier du rock :
« Je dois une immense dette à Little Richard et à tant d’autres artistes. Ils nous ont ouvert la voie. Entendre « That’ll Be The Day », « Heartbreak Hotel », « What’d I Say » à l’époque était une expérience transformatrice. Ces morceaux sont gravés en moi à jamais. »
L’héritage d’un enregistrement historique
Si l’histoire des Beatles est jalonnée de chefs-d’œuvre et d’enregistrements emblématiques, cette session de 1958 reste un témoignage poignant de leurs débuts modestes. « That’ll Be The Day » n’est pas seulement un enregistrement amateur : c’est la preuve que dès leurs premiers pas, Lennon, McCartney et Harrison possédaient déjà cette énergie brute et cette passion qui allaient révolutionner la musique populaire.
Aujourd’hui, cette captation résonne comme un symbole, rappelant que même les plus grandes aventures commencent souvent dans les lieux les plus improbables. Un salon de Liverpool, un simple micro, un disque unique… et une histoire qui allait changer le monde.
