Magazine Culture

Plymouth : le cinéma des Beatles en danger, un combat pour le Royal

Publié le 03 octobre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Le Royal Cinema de Plymouth, salle Art déco où les Beatles ont joué en 1963 et 1964, est menacé de démolition. Une campagne citoyenne vise à sauver ce lieu historique pour en faire un pôle culturel vivant.


Au rond-point de Derry’s Cross, la façade de pierre claire du Royal – rebaptisé plus tard ABC puis Reel Cinema – évoque encore l’âge d’or des salles obscures. Inauguré en 1938 sur l’emplacement de l’ancien Theatre Royal du XIXe siècle, l’édifice dessiné pour la chaîne Associated British Cinemas par l’architecte maison William Riddell Glen proposait à l’origine près de 2 404 places, un vaste plateau scénique, des loges, et un orgue Compton de prestige. Dans une ville meurtrie par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, le Royal fait figure de survivant. Sa silhouette Art déco – pilastres verticaux, hautes baies, enseigne au fronton – est devenue un repère urbain autant qu’un abri de mémoire.

Sommaire

  • La salle où les Beatles ont fait halte
  • Un plateau prestigieux : des Rolling Stones à Morecambe and Wise
  • Une trajectoire de salle britannique : Royal, ABC, puis Reel
  • L’orgue Compton, fierté technique et témoin d’une époque
  • Un bâtiment non classé mais reconnu comme bien d’intérêt communautaire
  • Une campagne pour sauver le Royal : objectif 1 million de livres
  • Pourquoi cette salle compte pour l’histoire des Beatles
  • Entre mythe et réalité : Plymouth, mémoire vive
  • Le calendrier et les règles du jeu
  • Ce que dit l’architecture : une salle à réinventer, pas à raser
  • Le Royal dans l’écosystème culturel de Plymouth
  • Raconter 1963 et 1964 : un peu d’histoire, beaucoup de vie
  • Ce que coûterait une perte
  • Une bataille locale qui parle au réseau Beatles
  • Et maintenant ?
  • Conclusion : sauver une adresse, prolonger une histoire
  • Repères Beatles : programmes, soutiens, ambiance
  • William Riddell Glen et l’esthétique ABC : une architecture du spectacle
  • L’orgue Compton et Dudley Savage : un fil sonore
  • Démolir ou reconvertir : une question de sens autant que de budget
  • Un scénario opérationnel : de la réouverture partielle au plein régime
  • Une adresse Beatles à faire revivre

La salle où les Beatles ont fait halte

Pour les lecteurs de Yellow-Sub.net, le Royal est d’abord un morceau de la géographie beatlesienne. Les Beatles s’y produisent à deux reprises au mitan des sixties, dans la foulée de tournées britanniques menées à un rythme infernal. Le 13 novembre 1963, au cœur de l’automne qui voit « She Loves You » déferler, le quatuor occupe la scène de l’ABC Cinema de Plymouth pour deux « houses » successives, selon l’usage. L’année suivante, le 29 octobre 1964, alors que « A Hard Day’s Night » a consacré le groupe au cinéma comme au disque, les Fab Four reviennent, toujours à l’ABC, pour deux représentations en soirée. Ces dates, modestes sur la carte d’une ascension météorique, ancrent pourtant Plymouth dans le récit de la Beatlemania : la ville a vu, de près, ce que signifiait l’onde de choc d’un groupe qui redessinait les règles du live.

Un plateau prestigieux : des Rolling Stones à Morecambe and Wise

Le Royal ne s’est jamais cantonné au seul « grand écran ». Grâce à son plateau et à ses équipements scéniques, il a accueilli la variété et le rock britanniques en pleine explosion. Les Rolling Stones ont foulé la scène de l’ABC Plymouth au milieu des années 1960 ; les Walker Brothers y ont fait étape ; Cliff Richard et The Shadows ont laissé leur empreinte. La salle a également été un lieu de music-hall prisé, où des duos comiques comme Morecambe and Wise ont rempli la fosse et les balcons, jusqu’au milieu des années 1970. À chaque époque, le bâtiment a servi de trait d’union entre cinéma populaire et spectacle vivant, tirant parti de l’architecture mixte conçue dès 1938.

Une trajectoire de salle britannique : Royal, ABC, puis Reel

Comme bien des cinémas britanniques, le Royal a changé de nom au gré des propriétaires et des usages. Dans les années 1950, l’essor de la télévision fragilise la fréquentation ; l’enseigne devient ABC Plymouth en 1958. En 1976-1977, l’auditorium unique est subdivisé : trois écrans sont créés en balcon, tandis que le rez-de-chaussée accueille une salle de bingo. Cette transformation sacrifie une partie de la scène de théâtre mais prolonge la vie commerciale du lieu. Plus tard, l’exploitation passe par différentes marques du circuit, avant de revenir à une bannière indépendante : Reel Cinemas. La salle, touchée par des aléas techniques et une érosion du public face aux multiplexes, ferme finalement ses portes le 28 février 2019. Depuis, la façade affiche un visage clos ; des panneaux bouchent l’entrée ; des photographies d’archives remplacent l’affichage des séances.

L’orgue Compton, fierté technique et témoin d’une époque

Symbole des ambitions d’origine, l’orgue Compton du Royal – console lumineuse, trois claviers, huit jeux, unité Melotone – n’était pas qu’un décor. Il servait aux ouvertures de séance, aux entractes et, plus tard, à des émissions radiophoniques. Pendant des décennies, l’instrument a résonné dans la nef de l’ABC. Lors des réaménagements de la fin des années 1970, il demeure encore en place, rare survivance dans un complexe recomposé. Il sera finalement démonté au milieu des années 2000 pour trouver refuge ailleurs. Cette trajectoire résume la tension du lieu : entre patrimoine fragile et nécessité d’adapter l’outil au marché.

Un bâtiment non classé mais reconnu comme bien d’intérêt communautaire

Contrairement à d’autres icônes de l’architecture du spectacle, le Royal de Plymouth n’est pas classé monument historique. Son salut potentiel est venu d’un autre dispositif : depuis 2017, puis de nouveau enregistré au terme des procédures locales, il figure au registre des Assets of Community Value (ACV), « biens d’intérêt communautaire ». Cette reconnaissance, prévue par le Localism Act britannique, ne fige pas la pierre mais accorde aux acteurs locaux – associations, collectifs, sociétés coopératives – un droit de préemption temporel : lorsqu’un propriétaire notifie son intention de céder un actif inscrit, une période de moratoire s’ouvre pour permettre à la communauté de monter un dossier, rassembler des fonds et déposer une offre concurrente.

C’est précisément ce qui se joue aujourd’hui à Derry’s Cross : le titulaire du bail de longue durée ayant notifié son intention de vendre, une fenêtre s’est ouverte, avec un compte à rebours fixé à l’été 2025 pour présenter une offre crédible. Le statut ACV ne garantit aucune issue, mais il empêche la vente éclair et donne une chance à un projet porté depuis la base.

Une campagne pour sauver le Royal : objectif 1 million de livres

Face au risque de démolition et à la perspective d’un énième projet de logements ou d’hôtellerie, des habitants, professionnels du patrimoine et passionnés de cinéma ont structuré leur mobilisation en Plymouth Royal Cinema Community Benefit Society. Cette société d’intérêt communautaire, régie par le droit coopératif britannique, s’est donné une cible : lever 1 million de livres afin de se porter candidate au rachat du bail et de conduire une reconversion maîtrisée. La feuille de route, publique et pragmatique, mise sur un modèle mixte : trois salles de projection à taille humaine, un espace scénique pour les musiciens locaux et les arts de la scène, un hub dédié aux métiers de l’image et du numérique, des espaces de médiation pour le public.

À la tête de l’initiative, Karl Parsons insiste sur l’âme du bâtiment et sur la valeur d’usage qu’il peut encore offrir à la ville. L’enjeu est d’équilibrer mémoire et économie, de démontrer qu’un ancien cinéma peut redevenir un pôle culturel viable dans un centre-ville en recherche de fréquentation hors des heures de bureau. L’ambition n’est pas de concurrencer les multiplexes mais d’installer un cinéma d’art et d’essai à l’échelle du quartier et du Grand Plymouth.

Pourquoi cette salle compte pour l’histoire des Beatles

La topographie de la Beatlemania britannique n’est pas qu’un chapelet de villes et de dates ; c’est un réseau de salles aux caractéristiques bien distinctes. L’ABC Plymouth – alors encore un presque palais du cinéma – a offert aux Beatles un écrin particulier, plus proscénium que club. L’acoustique d’un cinéma-théâtre, la configuration des balcons, la double représentation du soir, tout cela conditionnait l’expérience scénique. À Plymouth, comme dans d’autres ABC de province, le groupe affrontait une salle au volume considérable, pouvant hurler à pleins poumons et faire trembler les stucs.

Ces arrêts disent aussi la capillarité de la tournée britannique : loin des seules capitales, la Beatlemania se jouait dans des villes portuaires, industrielles ou balnéaires, avec des jauges capables d’engloutir la jeunesse locale et des plateaux partagés avec des premières parties variées. Remettre le Royal au centre aujourd’hui, c’est réancrer les Beatles dans une cartographie concrète, faite de guichets, de files d’attente sous la pluie et de souvenirs qui, soixante ans plus tard, continuent d’aimanter.

Entre mythe et réalité : Plymouth, mémoire vive

La mémoire locale regorge d’anecdotes. Les plus âgés se souviennent des files qui tournaient au coin de Union Place pour un billet de cinéma ou de concert ; d’autres racontent avoir dû revenir le lendemain tant la séance affichait complet. Ces récits ne sont pas qu’une nostalgie ; ils nourrissent une pédagogie du patrimoine : expliquer pourquoi tel bâtiment “compte”, pourquoi l’on se bat pour lui, ce que son volume, sa place dans le tissu urbain, son récit collectif apportent encore aujourd’hui à la vie d’un centre-ville.

La campagne actuelle s’appuie sur cette mémoire pour faire levier, sans pour autant enjoliver l’état du lieu. Oui, la façade doit être restaurée ; oui, l’intérieur, déshabillé par les décennies de réaménagements, réclame une réinvention. Mais la structure, l’adresse, la possibilité d’un grand volume public sont des atouts rares. Dans le Sud-Ouest britannique, où les équipements culturels de rayonnement se comptent, le Royal peut redevenir une adresse.

Le calendrier et les règles du jeu

Le statut d’Asset of Community Value encadre un processus précis. À la notification par le propriétaire d’une intention de cession répond l’ouverture d’un moratoire. D’abord intermédiaire, il peut être prolongé si un collectif dûment constitué signale son intérêt à soumissionner. Cette période, qui a couru jusqu’au début septembre 2025, a été mise à profit par la Community Benefit Society pour mobiliser, affiner un scénario d’usage et lever des fonds dédiés. Passé ce cap, si l’offre communautaire n’est pas retenue, l’actif peut être cédé librement pendant une période protégée.

Dans l’intervalle, les porteurs du projet ont multiplié les rencontres publiques, exposé des scénarios de phases de travaux compatibles avec une réouverture progressive, et dessiné les contours d’un modèle économique qui s’appuie autant sur la billetterie et les locations que sur des partenariats éducatifs et des résidences d’artistes.

Ce que dit l’architecture : une salle à réinventer, pas à raser

Les défenseurs du Royal insistent sur trois qualités intrinsèques. D’abord, l’implantation : sur Derry’s Cross, la salle forme un seuil entre la trame des boulevards d’après-guerre et le cœur commerçant, au contact de Royal Parade, de Notte Street et du Théâtre Royal contemporain. Ensuite, la façade : malgré son altération cosmétique, elle reste un manifeste Art déco rare à Plymouth. Enfin, la typologie : un volume capable qui, libéré des cloisons tardives, peut retrouver des proportions scéniques ou cinématographiques lisibles.

À l’heure où de nombreuses villes cherchent à réanimer leurs centres, la démolition au profit d’un bloc monofonctionnel de logements ou de chambres d’hôtel apparaît comme une solution pauvre. Les exemples réussis de reconversion de cinémas historiques en pôles culturels soutenables existent ; ils exigent un pilotage patient, mais l’équation n’est ni romantique ni insurmontable.

Le Royal dans l’écosystème culturel de Plymouth

La municipalité et les acteurs de Plymouth Culture ont identifié un couloir créatif entre Royal Parade et Union Street où les équipements existants – Theatre Royal Plymouth, Plymouth Athenaeum – pourraient trouver un allié. Dans ce maillage, le Royal jouerait la carte du cinéma à échelle humaine, du concert émergent, des ateliers images/sons, du coworking créatif. L’enjeu n’est pas de carboniser une programmation prestigieuse, mais de densifier l’usage du centre à des heures où il se vide, de multiplier les raisons de venir et de revenir.

Pour les Beatlemaniacs, cette relance offrirait un cadre vivant pour commémorer les passages de 1963 et 1964 autrement qu’en déposant des gerbes sur une façade close. Des rencontres, des écoutes, des projections thématiques pourraient ancrer l’héritage des Beatles dans une pratique partagée, au-delà de l’objet muséographique.

Raconter 1963 et 1964 : un peu d’histoire, beaucoup de vie

On imagine aisément la texture de ces deux soirées. En novembre 1963, le Royal est plein à craquer. En première partie, des groupes britanniques aguerris chauffent la salle. La set-list des Beatles, compactée pour la contrainte des deux séances, aligne les titres qui retournent les foules : l’attaque de « I Saw Her Standing There », la ferveur de « She Loves You », le final dévastateur de « Twist and Shout ». Un an plus tard, en octobre 1964, les morceaux de « A Hard Day’s Night » ont gagné leur place sur scène ; la ferveur est la même, peut-être mieux tenue par l’expérience. On est loin des stadiums américains ; ici, la pression sonore est frontale, quasi physique. Des rangs supérieurs, on voit les têtes osciller, le balcon vibrer.

Ces images – fragments de mémoire autant que archives – expliquent pourquoi une salle peut devenir un emblème. Sauver le Royal, c’est sauver un point d’écoute de l’histoire des Beatles, une adresse où l’on peut dire : « ils ont joué ici ».

Ce que coûterait une perte

Au-delà des sentiments, la disparition du Royal laisserait un vide. Urbain, d’abord : un lot difficile à recoudre, un angle de ville rendu inerte par un programme privé sans rez-de-chaussée actif. Culturel, ensuite : une capacité d’accueil qui ne se remplace pas aisément, surtout quand la commande publique se raréfie. Écologique, enfin : la démolition d’un gros œuvre sain pour reconstruire à neuf n’est pas neutre. La réutilisation du bâti existant est, de plus en plus, une évidence.

Une bataille locale qui parle au réseau Beatles

Le cas de Plymouth n’est pas isolé. Partout au Royaume-Uni, des salles qui ont vu passer les Beatles se dégradent, se réinventent ou disparaissent. Certaines ont été protégées, d’autres transformées en lieux hybrides, d’autres enfin ont cédé la place. Le réseau de fans, d’historiens, de collectionneurs et de simples habitants a souvent fait la différence. À Plymouth, la mobilisation débordera sans peine la seule communauté locale : elle peut s’appuyer sur un public international pour qui ces adresses sont plus que des coordonnées.

Et maintenant ?

Dans les mois qui viennent, l’issue se jouera sur trois leviers : la capacité du collectif à convaincre des partenaires publics et privés, la mobilisation citoyenne autour d’un financement participatif élargi, et la qualité du scénario technique présenté au moment du dépôt d’offre. La trajectoire est serrée ; l’adversité réelle. Mais l’alternative – un terrain nu et un projet standard – a le goût de l’occasion manquée.

Pour celles et ceux qui aiment les Beatles, il y a ici plus qu’un symbole : une opportunité de reconquérir un lieu où l’histoire s’écoute encore. À Plymouth, le Royal peut redevenir Royal.

Conclusion : sauver une adresse, prolonger une histoire

Le Reel Cinema de Plymouth, ex-Royal ex-ABC, n’est pas qu’un bloc de béton et de pierre. C’est un théâtre de joies collectives, un écran où s’est projetée une part de la culture britannique, une scène où les Beatles ont poussé leurs amplis et où des générations de spectateurs ont appris ce que veut dire être ensemble.

Sauver ce bâtiment demande de la volonté, des moyens, et une vision. L’outil juridique est là – le statut ACV – ; l’énergie citoyenne aussi, autour de la Plymouth Royal Cinema Community Benefit Society. Reste à transformer l’attachement en projet, la nostalgie en usage, l’image en activité.

Si la Beatlemania a prouvé quelque chose, c’est que des masses peuvent se mettre en mouvement pour des chansons. À Plymouth, il s’agit aujourd’hui de se lever pour une salle. Et si l’on réussit, ce ne sera pas seulement une façade ravalée : ce sera une histoire qui continue de jouer.

Repères Beatles : programmes, soutiens, ambiance

Pour mieux saisir l’ambiance des haltes beatlesiennes à Plymouth, rappelons quelques éléments de programme. L’automne 1963 voit le groupe enchaîner deux séances par soirée, avec un format ramassé d’une dizaine de titres qui s’achève immanquablement sur un final incandescent. Les premières parties – formations vocales et instrumentales britanniques déjà rôdées aux scènes de tournée – installent la fièvre avant l’entrée des Fab Four. En 1964, la même mécanique s’applique, avec un mélange de succès tout frais et de reprises r’n’b dont les Beatles ont le secret. Le public, très jeune, répond par des chœurs continus ; la salle, construite pour amplifier le cinéma, résonne d’une autre bande-son.

Ce cadre dit combien la géographie des ABC Cinemas a servi de caisse de résonance à la Beatlemania : un réseau serré de salles de grande capacité, des équipes rodées au passage de tournées, des techniciens habitués à reconfigurer le plateau entre un ciné de l’après-midi et un concert le soir. Plymouth ne fait pas exception ; il en est un exemple parlant.

William Riddell Glen et l’esthétique ABC : une architecture du spectacle

Le nom de William Riddell Glen n’est pas aussi célèbre que celui des grands architectes du modernisme, mais il a façonné l’identité visuelle de dizaines de cinémas britanniques. Chez ABC, son style privilégie les façades lisibles, l’ordre vertical, des volumes intérieurs capables d’accueillir autant la projection que le live. Le Royal de Plymouth appartient à cette famille : une entrée en retrait, protégée, un hall de plain-pied, un balcon généreux, des circulations claires. L’élégance n’est pas ostentatoire ; elle repose sur des proportions et une qualité d’exécution qui, près d’un siècle plus tard, justifient l’effort de sauvegarde.

Dans ce type d’édifice, l’acoustique a souvent été soignée au-delà du strict nécessaire pour le cinéma. Cette donnée explique en partie pourquoi tant d’anciens picture palaces ont pu accueillir, sans lourds travaux, des concerts électriques dans les années 1960. Les Beatles, immergés dans ces espaces, y ont trouvé des boîtes quasi naturelles pour projeter leur son.

L’orgue Compton et Dudley Savage : un fil sonore

Parler de l’orgue Compton du Royal, c’est évoquer un savoir-faire britannique associé à l’ère des films muets et aux débuts du parlant. Les claviers, les jeux colorés, les effets percussifs intégrés, tout concourait à remplacer l’orchestre et à dialoguer avec l’image. À Plymouth, l’orgue a continué de chanter bien après guerre, notamment sous les doigts de Dudley Savage, figure de la musique légère radiophonique. Un motif revient dans les souvenirs : l’étrange familiarité de cette sonorité dans un quotidien urbain en pleine modernisation.

Démolir ou reconvertir : une question de sens autant que de budget

Les partisans de la reconversion défendent une lecture globale du Royal. D’un côté, la démolition libérerait un foncier convoité, au prix d’une perte de caractère urbain et d’une empreinte environnementale lourde. De l’autre, la réutilisation créative du bâti – même au prix d’un phasage et d’arbitrages – permettrait de réancrer des usages culturels au cœur de Plymouth, d’attirer des flux complémentaires à ceux des équipements voisins, de donner une deuxième vie à une enveloppe dont la robustesse n’est plus à prouver. L’argument économique s’entend, mais il n’efface pas l’argument culturel : rendre visible, dans la pierre, ce que la ville souhaite transmettre.

Un scénario opérationnel : de la réouverture partielle au plein régime

Dans l’hypothèse d’un rachat communautaire, un calendrier réaliste passerait par une sécurisation du site, une remise aux normes des accès et des issues, la réactivation d’un premier écran et d’un foyer accueillant, puis l’ouverture progressive d’espaces polyvalents. Ce pas à pas permettrait de créer des recettes, de tester la programmation, d’attirer des partenaires éducatifs et de mobiliser les bénévoles. L’objectif final – trois écrans, une scène, un bar ouvert, des studios légers – n’interdit pas de commencer petit. Beaucoup d’exemples, au Royaume-Uni comme ailleurs, démontrent l’efficacité de cette montée en puissance.

Une adresse Beatles à faire revivre

Pour la communauté Beatles, le Royal peut devenir plus qu’un vestige : un lieu vivant de mémoire et de transmission. On y imaginerait des écoutes commentées, des projections de documents, des rencontres autour des tournées de 1963 et 1964, des expositions temporaires consacrées aux salles du réseau ABC où les Fab Four ont joué. L’ancrage local – témoignages d’habitants, objets du quotidien liés aux concerts, billets, photos – donnerait à ces événements une chaleur que n’offrent pas toujours les grands musées. Ainsi, l’adresse de Derry’s Cross redeviendrait ce qu’elle fut : un point de rencontre entre la ville et la musique.


Retour à La Une de Logo Paperblog