Après un premier texte finaliste en 2024, Silence, récompensé aux Récréatrales de Ouagadougou, cette année aura été la bonne pour Israël Nzila, dont la pièce, Clipping, a reçu dimanche 28 septembre le Prix Théâtre RFI, début d’une nouvelle aventure heureuse qui fera résonner cette voix montante des Zébrures d’automne bien au-delà de Limoges. Le Prix RFI Théâtre récompense chaque année depuis douze ans le texte d’un dramaturge francophone du Sud et poursuit ainsi un important travail de découverte et de renouvellement du théâtre en langue française.
Promesse tenue sans équivoque pour cette saison 2025 avec un texte vibrant, qui a fait l’unanimité du jury et dont deux extraits ont été brillamment mis en lecture par des élèves comédiens lors de la remise du prix. Dans un décor d’Afrique centrale, probablement la République démocratique du Congo, qu’il n’est pourtant même pas nécessaire de nommer pour que l’on entende en toile de fond une ville où résonne la guerre, le souvenir d’une petite fille rencontre le cri d’une femme.
Israël Nzila est né à Kinshasa et vit à Lumbumbashi, mais ce sont les échos de la guerre qui lui parviennent où qu’il soit, des échos auxquels il explique n’avoir pas voulu s’habituer, comme si c’était normal, comme il était en train de le faire malgré lui. Au fond, la pièce pourrait se passer n’importe où, l’essentiel est qu’elle vient nous trouver et chercher une répercussion en nous par l’intermédiaire d’un personnage unique, Do, accompagné de son ombre et tout ce qu’elle renferme, DoDo, toutes deux confondues et noyées dans le brouhaha des voix, des bruits, des cris, des chuchotements, des égarements et des incantations. Un texte qui pourrait ou devrait être un long monologue – la didascalie initiale, comme une mise en garde, le souligne elle-même : un seul personnage, c’est-à-dire un seul corps en scène peut suffire, mais ce corps irradie et en contient beaucoup d’autres, corps-gigogne enfanteur de fantômes comme autant de souvenirs de l’enfance, de la guerre, de la violence. Le personnage de Do, entrevu tour à tour entre les deux lieux que sont le grand marché et le cachot d’une prison, deux pôles, ouverture et enfermement, lieu de multiples croisements, lieu de solitude égarée, pourrait finalement croître n’importe où, parce que ses mots sont capables de trouver un sens chez chacun de nous.
Ce qui compte, c’est que le lecteur-spectateur plonge dans le vide de la tête d’une femme et de son enfant-enfance perdu(e), ce qui compte, c’est qu’il entende la guerre et la confusion, ce qui compte, c’est le bouleversement. D’abord un cri, qui s’élève depuis le centre du grand marché : une mère cherche son enfant, un bébé a été perdu au milieu des étals et un bébé perdu au milieu des étals, c’est évidemment l’affaire de tous, heureusement que c’est l’affaire de tous. Les répliques qui s’échangent alors pourraient être aussi les nôtres, froides, banales, douloureusement drôles parfois, et, de fait, elles s’adressent doublement au public. Que ferait-il ? Que ferions-nous devant une telle situation ? Chacun cherche, s’énerve, discute et doute, s’érige même en juge de cette femme, qui est-elle, d’ailleurs, cette femme qui prétend avoir perdu son enfant, est-elle bien la mère ?
La langue est lente, saccadée, haletante, parce qu’elle dévoile par étapes, oblige à s’intéresser vraiment à Do, à écouter entre les lignes ce que cette quête raconte d’elle-même et de son passé. La folie ne fait pas de doute, mais elle vient des hommes et là encore elle nous place face à notre humaine responsabilité collective, elle s’oppose à l’accablant silence de la salle, qui se tait quand elle comprend l’horreur.
Évacuer, circuler. Rien à voir.
Qui n’aurait pas à sa place sombrer dans la même folie, la même confusion entre passé et présent ?
Grâce au talent des jeunes comédiennes et comédiens qui ont offert au texte d’Israël Nzila sa première chair, on attend maintenant cette mise en scène qui saura donner une incarnation véritable à la voix de Do. Clipping, le mot signifie une stridence, un volume tellement fort qu’il en sature le son, est un texte comme on aimerait en lire et en voir davantage, un texte qui, noyé dans le bruit de la foule, parvient à ne pas tout dire, qui convoque l’intelligence et la sensibilité du lecteur, qui nous happe, tout simplement.
Annie Ferret
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