Avec « Tant mieux », Amélie Nothomb nous offre un roman intime et bouleversant, où elle explore pour la première fois la figure maternelle. Après avoir évoqué son père dans « Premier Sang », l’autrice belge se penche sur la vie de sa mère, Adrienne, à travers une fiction qui flirte avec l’autobiographie. Le récit s’ouvre sur la Belgique de la Seconde Guerre mondiale, dans une atmosphère à la fois sombre et poétique, fidèle à la plume singulière de Nothomb.
Adrienne, petite fille de quatre ans, est envoyée chez sa grand-mère maternelle à Gand pour les vacances d’été. Cette « Bonne-Maman » acariâtre, qui n’aime que son chat Pneu, impose à Adrienne des épreuves cruelles, dont le fameux bol de harengs au vinaigre au petit-déjeuner. Pour survivre à ce séjour infernal, Adrienne s’invente une amie : une cuillère en bois baptisée Maïzena, et adopte un mantra salvateur, « tant mieux », qui deviendra son bouclier contre la douleur. Le roman suit Adrienne jusqu’à l’âge adulte, révélant peu à peu la complexité des liens familiaux et la force de l’amour filial.
Quel plaisir de retrouver la plume mêlant humour et gravité d’Amélie Nothomb, qui adopte un ton à la fois espiègle et grave, oscillant entre conte cruel et confession pudique. L’humour noir, la tendresse et la lucidité s’entremêlent, donnant au texte une profondeur rare. Le style, direct et limpide, sait aussi se faire poétique et incisif, rappelant les meilleurs crus de l’autrice.
Au fil des pages l’autrice dresse un portrait familial pour le moins surprenant, parsemé de personnages nuancés et profondément humains, emmenés par une Adrienne qui traverse l’enfance avec une résilience admirable. Outre cette héroïne stoïque et foncièrement attachante, le lecteur n’oubliera probablement jamais sa grand-mère maternelle de Gand, figure de sorcière moderne qui incarne la cruauté ordinaire, tandis que sa mère, Astrid, se révèle beaucoup plus ambivalente, capable d’amour comme de froideur. Les personnages secondaires, tels que la sœur Jacqueline ou le père Donatien, viennent enrichir ce tableau familial pour le moins complexe.
Ce sont néanmoins les héros silencieux de « Tant Mieux » qui deviennent progressivement les véritables héros de cette enfance cabossée. Il y a tout d’abord Maïzena, la cuillère en bois adoptée par la petite Adrienne, qui devient très vite le symbole de son imagination salvatrice. Attachante et extrêmement fidèle, elle accompagne la gamine dans ses moments de solitude, lui offrant une présence rassurante et complice. Ce détail, à la fois cocasse et émouvant, illustre la capacité de l’enfant à transformer l’ordinaire en merveilleux et apporte ce brin de réconfort salvateur lorsqu’une cuillère en bois a finalement plus de cœur que la famille.
Si sa cuillère en bois et son imagination débordante la sauvent des griffes de la famille, il faut également souligner le rôle central joué par les chats tout au long du roman. Objets d’adoration pour la grand-mère, victimes expiatoires pour la mère, ils incarnent les tensions et les blessures familiales. Pneu, le chat obèse et méprisant, devient progressivement le pivot des relations, révélant les failles et les passions des personnages, tandis que la haine des chats, héritée de génération en génération, symbolise le poids du passé et la difficulté à aimer. Notons d’ailleurs quelques passages qui seront inévitablement difficiles à digérer, surtout pour les amoureux des chats.
« Tant mieux » est un roman court mais intense, qui touche en plein cœur. Amélie Nothomb y célèbre la force de l’enfance, la magie des petits objets et la complexité des liens familiaux. On referme le livre avec le sentiment d’avoir lu une confession bouleversante, à la fois tendre et brutale. Ce roman le plus intime d’Amélie Nothomb ne manquera donc pas de séduire ses fans, pour sa sincérité lumineuse et son regard unique sur la résilience. Ils devraient donc accueillir cette nouvelle parution avec le même mantra magique que cette petite héroïne face à l’adversité : Tant mieux !
Quant aux autres : Tant pis !
Tant mieux, Amélie Nothomb, Albin Michel, 216 p., 19,90 €
