En 1975, Paul McCartney surprend en choisissant « Letting Go » comme deuxième single de Venus and Mars. Moins radiophonique que son prédécesseur, le morceau dévoile une facette plus sombre et soul de Wings, avec des arrangements cuivrés influencés par la Nouvelle-Orléans. S’il connaît un succès modéré dans les classements, il s’impose sur scène comme un moment fort des concerts, notamment pendant la tournée Wings Over the World. Réhabilité dans les années 2010, il demeure une pièce essentielle de l’univers McCartney.
Au milieu de l’année 1975, Paul McCartney et Wings dominent la pop internationale. Leur nouvel album, Venus and Mars, succède au triomphal Band on the Run et grimpe en tête des palmarès des deux côtés de l’Atlantique. Le premier extrait, « Listen to What the Man Said », a décroché la première place du Billboard Hot 100 et s’est imposé comme un standard radiophonique. Dans ce contexte favorable, le choix du deuxième single surprend : « Letting Go ». Titre nocturne, lourd de groove, aux aspérités soul et à l’humeur orageuse, il tranche avec l’allégresse du single précédent et révèle une autre facette du projet Venus and Mars.
Le morceau entre au Billboard Hot 100 le 4 octobre 1975 et atteindra la 39e place à la fin du mois. Au Royaume‑Uni, il culmine au 41e rang. Si l’on mesure la trajectoire commerciale, « Letting Go » n’égale pas l’accueil euphorique réservé à « Listen to What the Man Said », ni les performances du troisième extrait, la médaille « Venus and Mars/Rock Show » qui se hisse jusqu’au Top 15 américain. Pourtant, sa valeur artistique et sa longévité scénique en feront l’un des repères sonores de l’ère Venus and Mars.
Sommaire
- Genèse et sujet : aimer, c’est parfois « lâcher prise »
- Des sessions londoniennes aux parfums de la Nouvelle‑Orléans
- Une version single repensée : le remix d’Alan Parsons
- Accueil critique : du « vaguement inquiétant » à la ferveur scénique
- Classements et repères chronologiques
- Sur scène : l’épreuve du feu pendant Wings Over the World
- Résurrections scéniques : de 2010 à notre présent
- Une esthétique entre rock, soul et New Orleans
- Entre studio et 45 tours : ce que change le mixage
- Crédits et instruments : un collectif en mouvement
- Parution, pochettes et face B
- Archives, remasters et raretés : la vie posthume du titre
- Reprises et héritage
- Une pierre angulaire de l’ère Venus and Mars
- Pourquoi la chanson tient encore debout aujourd’hui
- Pour aller plus loin
- Conclusion : l’équilibre des forces
Genèse et sujet : aimer, c’est parfois « lâcher prise »
Comme nombre de chansons de McCartney au milieu des années 1970, « Letting Go » s’inspire de sa relation avec Linda McCartney, co‑créditée à l’écriture. Le narrateur contemple une femme vibrante et désirée, mais il se surprend à douter, à vouloir « contrôler » ce qui ne s’attrape pas. L’idée centrale tient dans ce titre volontairement simple : « letting go », laisser aller, accepter de desserrer l’étreinte. On y devine le reflet d’une prise de conscience personnelle : Linda a quitté une carrière de photographe reconnue pour accompagner son mari sur la route ; lui, superstar planétaire, apprend à laisser plus d’espace à la femme avec qui il compose, joue et élève une famille.
Musicalement, cette tension intime se traduit par un aller‑retour entre lumière et pénombre. Le couplet, plus clair, décrit ; le refrain, au mouvement mélodique descendant, pèse et insiste, comme une injonction chuchotée. La tonalité de départ en la mineur accentue la gravité « bluesy » du morceau, dont la coda renforce l’impression de fumerolle nocturne. McCartney lui‑même parlera plus tard d’un « funky little riff », un motif obstiné qui aimante l’oreille. Le tempo moyen, la guitare au grain légèrement sale, l’orgue qui rôde sous la surface, et surtout les cuivres au parfum de Nouvelle‑Orléans donnent à l’ensemble une densité singulière au sein du répertoire de Wings.
Des sessions londoniennes aux parfums de la Nouvelle‑Orléans
La première pierre de « Letting Go » est posée à Abbey Road le 5 novembre 1974. La formation de Wings est alors fraîchement stabilisée autour de Paul, Linda, Denny Laine, du jeune guitariste Jimmy McCulloch et du batteur Geoff Britton. Cette version initiale, captée à Londres, installe la charpente : basse musculeuse, piano électrique et orgue, guitares électriques en contrechant, batterie sèche. Le titre fait partie du petit nombre d’enregistrements de Venus and Mars auxquels Geoff Britton participe avant son départ.
Le chantier se poursuit au cœur de l’hiver, entre janvier et février 1975, à Sea‑Saint Studios à New Orleans, l’antre d’Allen Toussaint. Le décor influe sur la texture : McCartney aime s’imprégner des lieux, et Sea‑Saint respire la soul et le funk. « Letting Go » y reçoit son caractère définitif : surdose d’électricité, orgue plus présent, et surtout section de cuivres qui fouette l’air. Parmi les musiciens appelés pour renforcer la couleur locale, on retrouve des trompettistes comme Clyde Kerr, John Longo et Steve Howard, des saxophonistes tels Michael Pierce, Alvin Thomas et Carl Blouin. L’arrangement des cuivres, supervisé dans l’orbite de Tony Dorsey – tromboniste et arrangeur que McCartney sollicite alors beaucoup – vise l’impact scénique autant que la couleur studio. Le résultat imprime le titre d’un accent louisianais, sans jamais le détourner de son ADN britannique.
Une version single repensée : le remix d’Alan Parsons
Si l’album Venus and Mars paraît fin mai 1975, « Letting Go » ne devient single qu’à la rentrée. Il ne sort pas dans la version LP mais dans un mixage expressément préparé pour les ondes, réalisé à Abbey Road par Alan Parsons. Ce remix apporte des modifications décisives. L’introduction et la conclusion sont raccourcies, le traitement d’écho sur la voix de Paul est atténué, l’orgue est remonté dans le champ sonore. Surtout, Joe English, qui a remplacé Geoff Britton à la batterie au cours des sessions, ré‑enregistre une partie de batterie pour la version 45 tours. Le single gagne en punch et en lisibilité, sans perdre l’ombre menaçante des cuivres. Sur le plan des minutages, on passe d’environ 4’30 sur l’album à 3’36 pour le 45 tours, une coupe pensée pour la radio.
Le disque paraît chez Capitol le 5 septembre 1975 au Royaume‑Uni, puis le 29 septembre aux États‑Unis, avec en face B l’hommage music‑hall « You Gave Me the Answer ». La pochette, sobre et efficace, s’inscrit dans l’esthétique visuelle soignée de l’ère Venus and Mars, où Hipgnosis et les équipes graphiques de MPL multiplient clins d’œil cosmiques et jeux de lumière.
Accueil critique : du « vaguement inquiétant » à la ferveur scénique
La presse anglophone perçoit immédiatement la singularité de « Letting Go » au sein de la production McCartney. Billboard salue sa « progression d’accords mineurs vaguement inquiétante » et l’atmosphère moins « surréaliste » que certains titres de Wings. Cash Box souligne de son côté un grain de guitare qui flirte avec une sensibilité « Eagles », c’est‑à‑dire un classic rock au dessin net et aux harmonies précises. Du côté des ouvrages critiques consacrés à l’œuvre solo des ex‑Beatles, les avis varient : pour certains, « Letting Go » incarne l’une des pièces fortes de l’album ; pour d’autres, le choix du single aurait pu se porter sur un titre plus immédiatement fédérateur. Ce pluralisme dit surtout la polyvalence de Venus and Mars, album où cohabitent ballades, rockers d’arène et grooves moites.
Classements et repères chronologiques
Sur le plan commercial, « Letting Go » suit une courbe modeste mais honorable. Au Royaume‑Uni, le 45 tours atteint la 41e place. Aux États‑Unis, il entre dans le Billboard Hot 100 le 4 octobre 1975 à la 74e place et pointe à la 39e le 25 octobre. Ces résultats peuvent sembler en retrait, mais ils s’expliquent aussi par le choix esthétique : là où « Listen to What the Man Said » se distingue par sa souplesse mélodique et sa clarté radiophonique, « Letting Go » avance plus sombre, plus épais, à rebours de l’air du temps. On note par ailleurs que la médaille « Venus and Mars/Rock Show », parue fin octobre 1975, monte jusqu’au n°12 du Hot 100, confirmant la stratégie d’exploration de plusieurs registres au sein d’une même campagne d’album.
Sur scène : l’épreuve du feu pendant Wings Over the World
C’est sur scène que « Letting Go » révèle tout à fait son pouvoir hypnotique. Dès l’automne 1975, Wings lance la tournée Wings Over the World, une entreprise gigantesque, échelonnée jusqu’en 1976, qui passe par l’Europe, l’Australie et l’Amérique du Nord. Le groupe embarque une section de cuivres à demeure – une idée que McCartney affectionne particulièrement à cette époque – et « Letting Go » devient un moment clé du concert, souvent placé en fin de set, juste avant l’avalanche de hits.
La captation de cette énergie existe et elle est précieuse. Un enregistrement du 29 mai 1976 à la Kemper Arena de Kansas City figure sur le triple album Wings Over America (paru en décembre 1976), où la chanson gagne en ampleur et en rugosité. On la retrouve aussi dans le film de concert Rockshow (sorti en 1980), où elle apparaît dans un montage ciselé, mise en valeur par la mise en scène lumineuse et l’impact des cuivres. Sur ces versions, la basse de McCartney mène la danse, Joe English pousse légèrement le tempo, et les cuivres – en particulier la trompette – perforent le mix avec une autorité jubilatoire.
Résurrections scéniques : de 2010 à notre présent
Après sa période de gloire 1975‑76, « Letting Go » disparaît longtemps des setlists avant d’être réhabilitée. Elle réapparaît durant la tournée Up and Coming en 2010, puis pendant la tournée One on One en 2016, période où McCartney aime rappeler des titres moins attendus. Plus récemment, la chanson revient au programme de sa tournée Got Back en 2023, preuve que ce riff obstiné et ces cuivres carnassiers gardent intacts leur pouvoir de traction sur un public intergénérationnel.
Ces renaissances ne sont pas des coquetteries : elles disent la pertinence durable de « Letting Go » sur scène. La chanson, avec sa pulsation médiane, offre au groupe un espace pour étirer les ponts, élargir les cadences, suspendre la voix dans l’épaisseur des cuivres, puis relancer le flux. Chaque reprise publique révèle une nouvelle stratification du morceau, comme si la matière même de la chanson continuait de s’aérer avec les années.
Une esthétique entre rock, soul et New Orleans
Sur le plan du son, « Letting Go » illustre une ligne de crête chère à McCartney dans les années 1970 : rassembler au sein d’un même titre le chatoiement pop et la sensualité de la soul, le soyeux de l’orgue et la hargne des guitares, la rigueur d’un arrangement et la liberté d’un groove. L’empreinte de Sea‑Saint Studios – la réverbération courte, l’attaque des cuivres, ce gras discret dans le bas‑médium – ne tient pas du simple décor. Elle imprègne la manière dont Wings conçoit la dynamique : refrains qui plongent, ponts où les cuivres répondent au chant, relances de batterie qui arrachent la mesure suivante.
On perçoit également, à travers la structure harmonique, l’art de McCartney pour plier des schémas classiques vers des couleurs moins attendues. En s’installant en mineur et en jouant la descente mélodique au refrain, il refuse l’ascension triomphale traditionnelle du single FM. Le morceau préfère l’embrasement latéral, une chaleur qui vient de côté, par la texture et l’attaque, plutôt que par un sommet mélodique évident. C’est précisément ce qui le rend moderne encore aujourd’hui.
Entre studio et 45 tours : ce que change le mixage
Comparer la version album et le single permet de mesurer la science du détail. Le remix d’Alan Parsons agit comme un resserrement cinématographique. Le fade‑in laisse place à un décollage plus franc ; la voix gagne en proximité grâce à la réduction de l’echo ; les organ glissandi au tout début enrichissent la signature immédiate du titre ; le final s’interrompt plus tôt, ce qui accentue l’impact global. La batterie de Joe English, plus claquante, clarifie les placements et apporte une patine américaine qui dialogue avec les cuivres.
Détail révélateur : ce choix éditorial de sortir un mix spécifique dit la confiance de McCartney dans la plasticité de ses chansons. Plutôt que d’imposer la version album telle quelle, il réinvente légèrement la forme pour la radio, sans renier l’esprit du morceau. Cette approche, déjà à l’œuvre depuis les Beatles avec des versions 45 tours souvent distinctes, nourrit l’intérêt musicologique qu’inspirent encore aujourd’hui les différents états d’un même titre.
Crédits et instruments : un collectif en mouvement
« Letting Go » reflète la dynamique interne de Wings à ce moment‑là. Paul McCartney y assure le chant, la basse et joue aussi de la guitare et du piano électrique. Linda McCartney apporte chœurs et orgue, véritable nappe émotionnelle du titre. Denny Laine et Jimmy McCulloch se partagent les lignes de guitares, l’un stabilisant l’assise rythmique, l’autre injectant des traits plus vifs. Geoff Britton figure sur les premières prises de batterie, mais la version single qui marquera les ondes met en avant la touche de Joe English.
La section de cuivres, convoquée pour donner à « Letting Go » sa couleur et son élan, mérite d’être citée : Clyde Kerr, John Longo et Steve Howard aux trompettes, Michael Pierce et Alvin Thomas au saxophone alto, Carl Blouin au sax baryton. Autour d’eux, l’ombre bienveillante de Tony Dorsey, arrangeur et futur chef de section sur scène, garantit une cohérence qui transparaît aussi bien sur vinyle que dans les arènes américaines de 1976.
Parution, pochettes et face B
La parution du single s’inscrit dans une chronologie serrée : Venus and Mars sort fin mai 1975 (UK le 30 mai, US le 27 mai), « Letting Go » arrive en 45 tours début septembre au Royaume‑Uni et fin septembre aux États‑Unis. La face B, « You Gave Me the Answer », pastiche tendre d’un music‑hall à la Vivian Ellis, souligne par contraste la sombre élégance d’« Letting Go ». Cette dualité – entre rétro stylisé et funk‑rock de minuit – dit bien l’ambition de l’album : naviguer entre planètes et météores, entre Vénus et Mars.
Archives, remasters et raretés : la vie posthume du titre
En 2014, dans le cadre de la série Archive de MPL, Venus and Mars est remastérisé et réédité en éditions Deluxe, avec des titres bonus et des mixes alternatifs. À cette occasion, PaulMcCartney.com propose, en lien avec BBC Radio 6 Music et Lauren Laverne, une version étendue inédite de « Letting Go » à télécharger gratuitement. Ce cadeau aux fans n’apparaît pas sur la configuration commerciale de l’Archive Collection, ce qui accentue son statut de curiosité. La version single dite edit figure en revanche parmi les bonus audio des éditions Deluxe, permettant la comparaison directe avec le LP.
Ces publications confirment que « Letting Go » suscite une curiosité constante : comment McCartney compose‑t‑il la collusion entre riff, basse et cuivres ? Comment Alan Parsons resserre‑t‑il l’image pour la radio ? Comment la batterie de Joe English relance‑t‑elle la pulsation ? Les réponses, audibles à l’oreille, nourrissent la pédagogie des rééditions modernes où l’on peut déplier un morceau comme on feuillette un story‑board.
Reprises et héritage
La trace de « Letting Go » dépasse l’histoire de Wings. En 2014, le groupe Heart propose une relecture puissante sur l’album hommage The Art of McCartney. Leur version accentue le cœur « spooky » de la chanson, c’est‑à‑dire cette fascination inquiète qui affleure sous le groove. On y entend à quel point l’écriture de McCartney autorise des déports stylistiques sans perdre son noyau mélodique. D’autres hommages, plus confidentiels, ont égrené les décennies, preuve que le titre, à défaut d’avoir été un carton de classement, a conquis une place de chanson‑ressource dans le vaste corpus mccartnien.
Une pierre angulaire de l’ère Venus and Mars
Si l’on replace « Letting Go » dans la narration de l’époque, son rôle est charnière. Venus and Mars jalonne l’ascension monumentale de Wings, immédiatement suivie par Wings at the Speed of Sound (1976) et par la tournée Wings Over the World, d’où naîtront le triple live Wings Over America et le film Rockshow. Dans cet enchaînement, « Letting Go » agit comme un contre‑champ nécessaire. Là où « Rock Show » déploie le spectacle, « Letting Go » expose la zone d’ombre ; là où « Listen to What the Man Said » cajole l’oreille des radios, « Letting Go » assoit l’assise scénique et le grain de l’album.
Cette complémentarité n’est pas anodine. Elle éclaire la manière dont McCartney pense un cycle d’album : non pas comme une suite de singles isolés, mais comme un écosystème où chaque titre répond à l’autre. À ce titre, « Letting Go » est l’un des piliers de l’édifice Venus and Mars, un pilier plus sombre, plus humide, sans doute, mais absolument nécessaire à l’équilibre de l’ensemble.
Pourquoi la chanson tient encore debout aujourd’hui
Un demi‑siècle plus tard, « Letting Go » conserve une actualité sonore. Sa basse frontale et chantante pourrait surgir d’une production contemporaine sans trahir son âge. L’orgue donne au spectre une chaleur que recherchent encore bon nombre d’ingénieurs. Les cuivres ne sont pas décoratifs : ils organisent la forme, ponctuent la phrase de Paul, commentent la ligne de guitare. Enfin, le texte, sous ses dehors simples, touche un archétype humain aussi vieux que le couple : aimer, c’est aussi accepter de lâcher la prise.
On pourrait même avancer que « Letting Go » a influencé, à bas bruit, la manière dont McCartney aborde certains titres scéniques ultérieurs, lorsqu’il aime, sur les grandes tournées des années 2010 et 2020, épaissir un pont, retarder une résolution, embraser un refrain par un appel de cuivres. Ces choix résonnent avec l’ADN du morceau de 1975.
Pour aller plus loin
Repères chrono. Venus and Mars paraît le 27 mai 1975 aux États‑Unis et le 30 mai au Royaume‑Uni. « Letting Go » sort en 45 tours le 5 septembre 1975 au Royaume‑Uni puis le 29 septembre aux États‑Unis, avec « You Gave Me the Answer » en face B. Entré au Billboard Hot 100 le 4 octobre 1975, le titre grimpe jusqu’au n°39 et s’arrête au n°41 au Royaume‑Uni. Le troisième single, « Venus and Mars/Rock Show », atteindra le Top 15 US, confirmant l’éventail esthétique de la campagne.
Studio & son. Première prise à Abbey Road le 5 novembre 1974 avec Geoff Britton à la batterie, complétée ensuite à Sea‑Saint Studios (New Orleans) en janvier‑février 1975. Le remix single signé Alan Parsons raccourcit intro et outro, réduit l’echo de la voix, remonte l’orgue et intègre une nouvelle partie de batterie par Joe English. Les cuivres — Clyde Kerr, John Longo, Steve Howard (trompettes), Michael Pierce, Alvin Thomas (sax alto), Carl Blouin (sax baryton) — donnent au morceau sa signature louisianaise.
À quoi prêter l’oreille. Le riff principal au la mineur installe la tension ; le refrain descend mélodiquement, créant ce contre‑poids sombre évoqué par la critique. L’orgue trace un glissando au début de la version single, la basse chante en avant du mix, et les cuivres cernent la voix dans l’interlude puis la coda. La version LP s’étire autour de 4’30 quand l’edit 45 tours tient en 3’36.
Sur scène. Indissociable de Wings Over the World (1975‑76), « Letting Go » figure dans Wings Over America (captation du 29 mai 1976 à Kansas City) et dans le film Rockshow. La chanson réapparaît ensuite pendant Up and Coming (2010), One on One (2016) et Got Back (2023), où elle retrouve sa puissance hypnotique avec section de cuivres.
Lecture du texte. Sujet fréquent chez McCartney à cette période, la relation avec Linda McCartney sert de prisme : le narrateur admire, désire, mais apprend à lâcher prise. Le titre suggère moins un renoncement qu’un déverrouillage : aimer implique parfois de desserrer l’étau pour laisser vivre l’autre.
Parentés esthétiques. Au sein du corpus Wings, la chanson tient l’axe rock‑soul que l’on entendra prolongé sur scène par l’usage assumé des cuivres. L’ombre de New Orleans — groove moite, attaques nettes, spectre bas‑médium généreux — cohabite avec l’artisanat pop britannique : un alliage qui explique sa résilience en concert.
Pistes d’écoute. Pour saisir l’évolution du titre, confronter la version album, le single remixé, la prise de Wings Over America et la réactivation 2010‑2023. On mesure alors comment tempo, équilibre basse‑cuivres et attaque de batterie reconfigurent le caractère sans trahir l’ADN du morceau.
Conclusion : l’équilibre des forces
Dans le parcours de Paul McCartney et de Wings, « Letting Go » n’est ni une curiosité ni un simple « deep cut ». C’est une pièce d’architecture qui soutient l’édifice Venus and Mars. En studio, elle montre un collectif en mutation, naviguant de Abbey Road à Sea‑Saint Studios, adoptant une section de cuivres et peaufinant un remix pour le single. Sur scène, elle se change en incantation au long souffle, mise en boîte sur Wings Over America et fixée à l’image dans Rockshow. Dans la durée, elle revient, se réinvente, se transmet – jusqu’à Heart qui en souligne la pulsation spectrale sur The Art of McCartney.
À l’arrivée, « Letting Go » dit beaucoup de McCartney : l’artisan du riff autant que le bâtisseur de formes, le mélodiste lumineux qui sait convoquer la nuit quand le propos l’exige. C’est sans doute pour cela que, derrière des chiffres de classement mesurés, la chanson demeure. Elle vit dans les salles, dans les mixes qui se répondent, et dans les écoutes successives où chacun, à son tour, reconnaît cette vérité simple : certaines chansons tiennent moins par le rayon du projecteur que par la chaleur qu’elles dégagent, longtemps après la dernière note.
