Magazine Culture

Cry For A Shadow : La genèse instrumentale des Beatles

Publié le 04 octobre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Le 22 et 23 juin 1961, dans une salle de réunion d’une école de Hambourg, quatre jeunes musiciens britanniques enregistraient ce qui allait devenir la toute première composition originale des Beatles capturée en studio. Cry For A Shadow, un instrumental composé conjointement par John Lennon et George Harrison, constitue un témoignage rare de cette époque fondatrice, bien avant que le groupe ne devienne un phénomène mondial.

Sommaire

Une session sous la houlette de Bert Kaempfert

Le contexte de l’enregistrement de Cry For A Shadow est indissociable de la période hambourgeoise des Beatles. En cette année 1961, le groupe, alors composé de John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Pete Best, assurait des concerts marathon dans les clubs allemands. Le répertoire était essentiellement constitué de reprises de rock ‘n’ roll américain, puisant dans Chuck Berry, Little Richard ou encore Buddy Holly.

Mais cette fois, l’opportunité qui se présentait à eux était inédite : le producteur Bert Kaempfert leur proposait d’enregistrer des morceaux en tant que groupe d’accompagnement pour le chanteur britannique Tony Sheridan. Au cours de cette session, en plus des titres prévus avec Sheridan, les Beatles enregistrèrent deux morceaux de leur propre choix : une version de Ain’t She Sweet chantée par Lennon et Cry For A Shadow, une composition instrumentale de Harrison et Lennon.

Une parodie assumée des Shadows

Le titre initial de Cry For A Shadow était Beatle Bop, mais il fut modifié en référence à The Shadows, le groupe d’accompagnement de Cliff Richard. Bien que les Beatles n’aient jamais caché leur peu d’affection pour ce groupe très formaté, ils n’en étaient pas totalement éloignés musicalement. Dans leurs concerts allemands, il leur arrivait d’interpréter des morceaux tels que Apache, le grand succès des Shadows sorti en 1960.

George Harrison racontait ainsi l’origine de Cry For A Shadow :

« On a toujours eu une petite blague sur les Shadows. En Angleterre, Cliff Richard et les Shadows étaient immenses, c’était comme la version britannique des Ventures. (…) Un jour à Hambourg, John et moi étions en train de plaisanter, et il avait ce nouveau Rickenbacker avec une sorte de barre vibrato rigolote. Il a commencé à jouer, je l’ai rejoint, et on a improvisé ce morceau sur le moment. Puis on a continué à le jouer quelques nuits de suite, et il s’est retrouvé sur un disque d’une manière ou d’une autre. Mais à la base, c’était vraiment une plaisanterie, alors on l’a appelé Cry For A Shadow. » (Guitar Player, 1987)

Le morceau est ainsi un pastiche du style des Shadows, mais avec une intensité brute et une nervosité propres aux Beatles. La guitare solo de Harrison se distingue par un jeu incisif et mordant, contrastant avec le rythme enlevé et les cris d’arrière-plan de Lennon et McCartney.

Une reconnaissance tardive

Malgré cet enregistrement historique, Cry For A Shadow resta longtemps inédit. Ce n’est qu’en 1964, au moment où la Beatlemania était en plein essor, que le titre fut publié en single par Polydor, en face B du morceau Why de Tony Sheridan. Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, ce disque permit aux fans de découvrir une facette méconnue des Fab Four.

Le titre ne fut cependant pas intégré aux albums canoniques du groupe. Il fallut attendre la sortie de la compilation Anthology 1 en 1995 pour que Cry For A Shadow retrouve sa place dans l’histoire officielle des Beatles. Ce volume, consacré aux années de formation du groupe, proposait une redécouverte de ce titre fondateur, enregistré bien avant la signature avec EMI et l’arrivée de Ringo Starr.

L’héritage d’un instrumental unique

Bien que les Beatles soient avant tout connus pour leurs compositions vocales, Cry For A Shadow fait partie des rares instrumentaux enregistrés par le groupe. D’autres morceaux sans paroles – mais jamais publiés officiellement – furent joués dans leur jeunesse, comme Hot As Sun, Winston’s Walk ou encore Looking Glass.

Leur seul autre titre instrumental officiellement paru est Flying, extrait de Magical Mystery Tour (1967). Si ce dernier est un morceau psychédélique où les quatre Beatles jouent ensemble, Cry For A Shadow garde une saveur bien différente : celle des jeunes rockers fougueux, en pleine gestation artistique dans les nuits hambourgeoises.

Aujourd’hui encore, Cry For A Shadow demeure un témoignage fascinant de la jeunesse des Beatles. Derriere cette parodie des Shadows se cache l’énergie brute et l’instinct musical d’un groupe qui, deux ans plus tard, allait bouleverser l’histoire de la musique populaire.


Retour à La Une de Logo Paperblog