Le 22 novembre 1968, le double album The Beatles, plus connu sous le nom de White Album, s’ouvrait sur un morceau électrisant, énergique et hautement subversif : Back in the U.S.S.R.. Un rock aux influences américaines, inspiré de Chuck Berry et des Beach Boys, mais qui allait déclencher une polémique internationale. Retour sur la genèse et l’impact de ce titre unique dans l’histoire des Beatles.
Sommaire
- Une parodie qui fait grincer des dents
- Un enregistrement sous tension
- Une touche de réalisme sonore
- Une empreinte indélébile
Une parodie qui fait grincer des dents
Écrit par Paul McCartney alors que le groupe séjournait en Inde sous la houlette du Maharishi Mahesh Yogi, Back in the U.S.S.R. est né d’un clin d’œil humoristique aux standards du rock américain. Paul, grand fan de Chuck Berry, s’inspire de Back in the U.S.A. (1959) et y injecte une touche de California Girls des Beach Boys. Ce sont d’ailleurs les conseils de Mike Love, membre du groupe californien, qui l’amènent à inclure des références aux jeunes femmes de diverses régions soviétiques – Ukraine, Géorgie, Russie. Une manière de revisiter avec malice les clichés du rock’n’roll américain sous un angle est-européen.
Mais derrière son ton léger, le morceau va rapidement être interprété politiquement. En pleine guerre froide, où la simple évocation de l’U.R.S.S. suffisait à enflammer les esprits, le titre suscite l’ire des conservateurs américains. La John Birch Society accuse les Beatles de sympathiser avec le communisme. Pourtant, à Moscou, le morceau devient un hymne clandestin pour toute une génération avide de rock’n’roll, bravant la censure soviétique pour écouter la musique des « quatre garçons dans le vent ».
Un enregistrement sous tension
Si Back in the U.S.S.R. frappe par sa fraîcheur et son énergie brute, son enregistrement en studio est tout sauf serein. L’atmosphère au sein des Beatles est de plus en plus pesante en cet été 1968. Paul McCartney, perfectionniste et de plus en plus autoritaire, exaspère Ringo Starr en critiquant son jeu de batterie. Ce dernier, habituellement le plus accommodant du groupe, quitte les sessions, furieux, et part en vacances en Méditerranée.
Face à son absence, McCartney prend les choses en main. Avec l’aide de John Lennon et George Harrison, il enregistre lui-même la majorité des parties de batterie. Un fait rare, qui souligne l’ambiance électrique régnant à Abbey Road. Lennon et Harrison se partagent les guitares et la basse, tandis que tous trois assurent les chœurs et les percussions. Le résultat est une chanson débordante d’énergie, qui ne laisse en rien transparaître les tensions en coulisses.
Une touche de réalisme sonore
Pour parfaire l’effet de voyage, les Beatles ajoutent un enregistrement de bruit d’avion décollant et atterrissant. Capté à l’aéroport de Londres et issu des archives d’Abbey Road, ce son confère au morceau un réalisme immersif. Toutefois, l’anecdote veut que la version stéréo, mixée le 13 octobre 1968, soit bien moins réussie que la version mono. John Smith, opérateur de bande, explique que la mauvaise manipulation de la bande a altéré le rendu du bruit du jet, créant une différence notable entre les deux versions.
Une empreinte indélébile
Malgré (ou grâce à) la polémique, Back in the U.S.S.R. s’impose rapidement comme un incontournable des Beatles. Son ironie mordante, son énergie et son clin d’œil à la culture américaine font mouche. Il faudra cependant attendre 1989, après la chute du rideau de fer, pour que McCartney puisse enfin jouer ce titre en Russie. Lors de son concert historique sur la place Rouge en 2003, il interprète Back in the U.S.S.R. devant des milliers de fans, scellant ainsi une histoire qui avait commencé dans la controverse.
Cinquante ans plus tard, le morceau demeure l’un des témoignages les plus vibrants de l’humour et du génie musical des Beatles. Un pastiche devenu un classique, témoin d’une époque où la musique avait le pouvoir de briser les frontières, même les plus hermétiques.
