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Only A Northern Song : Le cri ironique de George Harrison au sein des Beatles

Publié le 10 octobre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Dans l’immense héritage musical des Beatles, certaines chansons se distinguent non seulement par leur originalité sonore, mais aussi par leur signification plus profonde. « Only A Northern Song », écrit par George Harrison, en est un parfait exemple. Cette composition, enregistrée en 1967 pendant les sessions de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, ne verra pourtant le jour qu’en 1969 sur la bande-son du film Yellow Submarine. Derrière son allure psychédélique et son instrumentation expérimentale, la chanson est une critique à peine voilée du statut marginalisé de Harrison au sein du groupe et de l’industrie musicale qui contrôlait ses œuvres.

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Un titre aux multiples jeux de mots

Le titre même de la chanson, « Only A Northern Song », recèle une double signification. D’une part, il fait référence à Liverpool, ville natale des Beatles située au nord de l’Angleterre, et d’autre part, il évoque la société Northern Songs Ltd., fondée en 1963 pour publier les compositions de John Lennon et Paul McCartney. Harrison et Ringo Starr, considérés comme des contributeurs secondaires à l’époque, n’avaient qu’un rôle de « salariés » dans cette entreprise et ne possédaient pas les droits de leurs propres œuvres.

Dans Anthology, Harrison revient sur la genèse du morceau avec une ironie mordante : « En gros, j’ai écrit cette chanson pour me moquer de la situation. Cela ne changeait rien que je joue tel ou tel accord, de toute façon, c’était « juste une chanson de Northern Songs » ». Derrière l’humour, une certaine amertume transparaît, alimentée par le constat que les bénéfices de ses compositions allaient en grande partie à Dick James et aux actionnaires de Northern Songs.

Une période de frustration pour Harrison

En 1966, George Harrison commence à ressentir un profond désenchantement quant à son rôle dans les Beatles. Contrairement au duo Lennon-McCartney, qui domine largement le répertoire du groupe, il peine à imposer ses compositions et doit se contenter de quelques morceaux par album. Pendant les sessions de Sgt. Pepper, il n’obtient qu’une seule place pour sa chanson « Within You Without You », profondément influencée par la musique indienne.

Dans une interview à Billboard en 1999, Harrison décrit son expérience avec Northern Songs comme une véritable escroquerie : « J’étais un gamin de 18 ou 19 ans, et je me disais « Super, quelqu’un va publier mes chansons ! » Ce que je ne savais pas, c’est qu’en signant, je leur cédais en réalité la propriété de mes œuvres. » Cette prise de conscience amère ne fait qu’alimenter son désir de reconnaissance en tant qu’auteur-compositeur à part entière.

Une expérience sonore psychédélique

Bien que conçu comme une satire, Only A Northern Song s’inscrit pleinement dans l’expérimentation musicale des Beatles à l’époque. Enregistrée le 13 février 1967 sous le titre provisoire « Not Known », la chanson adopte une approche volontairement chaotique et psychédélique. On y retrouve un mélange audacieux d’instruments inhabituels : orgue, glockenspiel, trompette, et même des effets sonores hallucinatoires.

Paul McCartney, dans Anthology, se souvient du caractère délibérément loufoque du morceau : « Je me suis amusé à jouer un stupide solo de trompette. Mon père en jouait, mais moi, je ne savais pas vraiment comment m’y prendre. C’était parfait pour l’ambiance ironique du morceau. » Cette touche humoristique et désordonnée contraste avec la production méticuleuse du reste de Sgt. Pepper et contribue au caractère unique de la chanson.

En studio, les Beatles expérimentent avec le phasing et les superpositions sonores pour accentuer la confusion auditive. Après plusieurs prises enregistrées en février, la chanson est revisitée le 20 avril 1967, après l’achèvement de Sgt. Pepper. Cette deuxième session voit l’ajout de nouvelles parties instrumentales et de nouveaux effets sonores, rendant la chanson encore plus immersive.

Une sortie tardive et des versions alternatives

Jugée trop expérimentale pour figurer sur Sgt. Pepper, la chanson est mise de côté jusqu’en 1968, lorsque les producteurs du film Yellow Submarine réclament du matériel inédit pour la bande-son. Largement éclipsée par d’autres morceaux plus accessibles de l’album, Only A Northern Song demeure l’un des titres les plus méconnus du répertoire des Beatles.

En 1996, une version alternative est publiée sur Anthology 2. Plus rapide et dépourvue de certaines superpositions psychédéliques, elle offre un aperçu plus brut du morceau tel qu’il avait été conçu à l’origine. Trois ans plus tard, en 1999, la chanson fait son apparition en stéréo sur l’album Yellow Submarine Songtrack, offrant une nouvelle clarté à cette composition souvent reléguée au second plan.

Une chanson emblématique du combat de Harrison

Avec le recul, Only A Northern Song apparaît comme un témoignage clé du mécontentement de George Harrison au sein des Beatles. Plus qu’une simple blague musicale, elle illustre le sentiment de frustration et d’injustice qu’il ressentait face à la domination du tandem Lennon-McCartney et aux pratiques de l’industrie musicale.

Cette prise de conscience marque un tournant pour Harrison, qui prendra de plus en plus confiance en ses capacités de compositeur. Dès l’album The Beatles (White Album) en 1968, il s’impose davantage avec des titres comme « While My Guitar Gently Weeps ». Son émancipation artistique culminera avec Abbey Road et surtout avec son chef-d’œuvre solo All Things Must Pass en 1970.

Ainsi, bien qu’elle reste en marge des grands succès des Beatles, Only A Northern Song constitue une pièce essentielle pour comprendre l’évolution de George Harrison en tant qu’artiste. Derrière son cynisme apparent, elle révèle la quête d’indépendance d’un musicien longtemps relégué dans l’ombre de ses célèbres partenaires.


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