Ringo Starr recommande trois albums pour découvrir les Beatles : Revolver, Abbey Road et le White Album. Ce triptyque met en lumière l’évolution musicale du groupe et le rôle discret mais essentiel de Ringo, dont le jeu de batterie façonne l’identité sonore des Beatles entre invention, cohésion et audace.
Il y a longtemps qu’on a collé à Ringo Starr l’étiquette du « pitre » des Beatles. L’image est tenace et, avouons-le, injuste. Derrière les blagues, il y a un musicien d’une efficacité redoutable, dont la frappe précise, l’inventivité discrète et le sens de l’économie ont cimenté le son du groupe. Dans les moments où John Lennon, Paul McCartney et George Harrison s’opposaient sur la direction artistique, Ringo servait souvent de liant, d’apaisant, de médiateur. On le voit très clairement dans Get Back, le documentaire fleuve de Peter Jackson qui décortique, séance après séance, l’hiver 1969. Quand les conversations s’échauffent, Ringo écoute, observe, relance sans brusquer. C’est le coéquipier idéal, celui qui tient la baraque.
Cette posture ne l’a pas empêché de douter. À l’été 1968, en plein chantier de l’album double, il quitte provisoirement le navire, persuadé de ne plus être « à la hauteur ». On le retrouvera une dizaine de jours plus tard, accueilli par ses amis qui ont disposé des fleurs sur sa batterie : une scène désormais légendaire des studios d’Abbey Road. Ce passage à vide dit quelque chose du personnage : perfectionniste, conscient de son rôle, et finalement indispensable. Car s’il y a eu des tensions – de plus en plus vives à mesure que George Harrison s’affirmait comme auteur – c’est aussi grâce au calme de Ringo que le groupe a pu tenir jusqu’au bout.
Sommaire
- Une notoriété intacte… et un public rajeuni
- Trois portes d’entrée selon Ringo
- Revolver (1966) : la mue expérimentale
- Abbey Road (1969) : l’art du son et de la cohésion
- « The Beatles » (White Album) (1968) : la multiplication des mondes
- Pourquoi ces trois-là ?
- Le langage Ringo : anatomie d’un style
- Le prisme des rééditions : redécouvrir sans trahir
- Le triangle des tensions : Lennon, McCartney, Harrison
- Le parcours d’écoute : une initiation en trois temps
- Le regard des batteurs : respect et filiation
- Le fil contemporain : documentaires, restaurations, héritage vivant
- Trois albums, une boussole
- Annexes sonores mentales : ce qu’on guette en écoutant
Une notoriété intacte… et un public rajeuni
On a parfois l’impression que les Beatles appartiennent à un passé doré. Les chiffres rappellent que la réalité est plus vivante : en 2019, Forbes relevait que sur 1,7 milliard d’écoutes des Beatles sur Spotify l’année précédente, plus de 30 % provenaient des 18–24 ans. Loin d’être un phénomène de musée, le groupe attire sans cesse de nouvelles oreilles. Ringo Starr le soulignait déjà en 2012 : des jeunes ne le reconnaissent pas toujours, mais « il y a toujours quelqu’un qui s’y met ». Et la machine continue.
On n’oublie pas non plus le citoyen engagé. En juillet 2020, pour ses 80 ans, Ringo publiait un message limpide, dans le contexte des manifestations mondiales après l’affaire George Floyd : « Comme mon frère Paul l’a dit, les Beatles ont toujours défendu l’égalité des droits et la justice, et je n’ai jamais cessé de travailler pour la paix et l’amour ». Des mots simples, fidèles à une ligne qu’il répète depuis les années All-Starr Band : la musique comme vecteur d’un esprit communautaire.
Trois portes d’entrée selon Ringo
Interrogé sur la meilleure manière d’entrer dans l’œuvre des Beatles, Ringo n’hésite pas. Il recommande Revolver et Abbey Road en priorité. Si l’étincelle prend, alors il faut plonger dans l’album surnommé « White Album ». Ce triptyque n’est pas qu’un coup de cœur : c’est un itinéraire à travers l’évolution fulgurante du groupe entre 1966 et 1969. Trois disques, trois climats, trois façons de comprendre comment un quatuor de Liverpool a élargi le vocabulaire de la pop au point d’en redessiner les frontières.
Avant de détailler chacun, un rappel utile : ces albums ont connu, ces dernières années, des rééditions fondées sur des technologies de séparation de sources très avancées (le procédé MAL popularisé par l’équipe de Peter Jackson), qui ont permis des remix et des démixages d’une clarté remarquable. Pour un public d’aujourd’hui, ces versions offrent une porte d’accès idéale : la matière est familière, mais l’éclairage sonore est plus net, plus spacieux, révélant la finesse des arrangements – et, souvent, la subtilité du jeu de Ringo Starr.
Revolver (1966) : la mue expérimentale
Paru en août 1966, Revolver marque un point de bascule. Les Beatles sont à la fin de leur vie de groupe de scène : la tournée américaine de l’été 1966 sera la dernière. En studio, ils ont désormais le temps – et l’envie – d’explorer. On y trouve l’ensemble de leurs obsessions du moment : l’orchestration classique et dépouillée de « Eleanor Rigby », l’Inde qui infuse « Love You To » (avec le sitar et la tabla), l’humour noir et la satire fiscale de « Taxman », l’onirisme de « I’m Only Sleeping » avec ses guitares jouées à l’envers, et, sommet psychédélique, « Tomorrow Never Knows », rythme cyclique et nappes de bandes bouclées qui semblent ouvrir une trappe dans le plancher de la pop.
Sur Revolver, Ringo Starr est partout et nulle part à la fois : rarement tonitruant, toujours décisif. Sa grosse caisse sèche et ses toms roulés sur « Tomorrow Never Knows » dessinent une cadence hypnotique, presque chamanique. Sa manière de « tomber » sur les contretemps, héritée de sa latéralité inversée (gauchère jouant sur un kit de droitier), donne ce balancement souple que tant de batteurs rock lui envient. On perçoit aussi son sens du son : un coup de charleston qui respire, une caisse claire poisseuse quand il faut, le ride qui vient aérer. Rien n’est gratuit.
Revolver est aussi l’album où George Harrison s’affirme pleinement. Ses trois titres – une première – témoignent d’une montée en puissance : le mordant de « Taxman », l’ouverture à la musique indienne, la finesse harmonique. Lennon et McCartney, eux, approchent un pic d’inventivité. La chanson pop s’ouvre à toutes les manipulations : backmasking, ADT (doublement automatique de la voix), collages de bandes. La contrainte des deux pistes, contournée par des rebonds successifs, devient un terrain de jeu. On le sait : le standard de la pop, après Revolver, ne sera plus le même.
Enfin, Revolver est un excellent point de départ pour un auditeur d’aujourd’hui parce qu’il tient dans un format concis : quatorze morceaux, aucune graisse, et une sensation d’aventure permanente. On y entend la chanson devenir studio, le studio devenir instrument, et la batterie de Ringo comme charnière entre les deux.
Abbey Road (1969) : l’art du son et de la cohésion
Enregistré au printemps et à l’été 1969, Abbey Road est le dernier album que les Beatles aient enregistré ensemble, même si Let It Be sortira après. C’est le disque du retour à une certaine forme de méthode : George Martin reprend les commandes avec l’ingénieur Geoff Emerick, le groupe met de côté les caméras et, par moments, retrouve l’élégance d’un travail collectif. On a tout dit sur sa pochette iconique, sur le medley qui occupe la face B, sur la sophistication lumineuse de « Something » et l’évidence de « Here Comes the Sun ». Mais Abbey Road est aussi un album de batterie.
On y entend le fameux solo de Ringo Starr dans « The End », courte salve devenue emblème : pas de démonstration, juste ce qu’il faut pour relancer le sprint final où les trois guitaristes alignent leurs phrases. Sur « Come Together », son jeu minimal et « collé » à la basse de Paul crée cette viscosité hypnotique qui fait tout le groove du morceau ; la charleston y est à peine effleurée, la caisse claire étouffée, presque murmurée. « I Want You (She’s So Heavy) » érige, lui, un mur rythmique qui se coupe net : la batterie respire large, puis s’arrête, silence abrupt, noir total.
On oublie souvent que Abbey Road fut un laboratoire de synthèse. Le Moog y colore plusieurs pièces ; les overdubs vocaux sont d’une précision chirurgicale ; les guitares ont ce grain chaleureux que l’on doit à la console TG12345 récemment installée au studio. Les rééditions anniversaires ont mis en lumière ces détails : la profondeur des prises, la manière dont la voix respire en façade, la mosaïque de la face B où chaque segment s’emboîte. Pour quiconque découvre les Beatles, Abbey Road est un condensé de méticulosité et de lyrisme, une vitrine du son pop à son niveau le plus abouti.
Et puis, il y a l’humanité. « Octopus’s Garden », chanson signée et chantée par Ringo, déploie un imaginaire enfantin et radieux. On y sent sa patte : formes simples, joie contagieuse, un peu de burlesque – et, toujours, la précision de la pulsation. Si l’on veut comprendre Ringo compositeur, c’est une porte d’entrée idéale, au même titre que « Don’t Pass Me By » un an plus tôt.
« The Beatles » (White Album) (1968) : la multiplication des mondes
L’album sans titre officiellement, « The Beatles », avec sa pochette blanche, est devenu pour tout le monde le « White Album ». Sorti en novembre 1968, c’est une mappemonde musicale : trente morceaux, quasi autant d’esthétiques. Du folk épuré de « Blackbird » à la fureur proto-metal de « Helter Skelter », de la bluette music-hall à l’avant-garde de « Revolution 9 », tout s’y côtoie. Le groupe, claquemuré des semaines durant à EMI Studios, fonctionne par constellations : chacun mène ses projets, les autres passent, jouent, s’éclipsent. Cette logique centrifuge est à la fois la force et la fragilité du disque.
C’est aussi le moment où Ringo Starr vacille puis revient. Pendant son absence, d’autres prennent la batterie sur quelques titres ; à son retour, on entend un ragaillardissement, une envie de sonner. Sa frappe sur « Yer Blues » est granuleuse, presque live, collée à la sueur des amplis. Ses cymbales ouvrent l’espace de « Dear Prudence » comme un store qu’on relève lentement. Et il place, en toute fin d’album, un bijou de douceur orchestrée : « Good Night », qu’il chante avec une délicatesse de crooner pendant que cordes et chœurs l’enveloppent. On réduit trop souvent Ringo à son image de comique : cette berceuse rappelle qu’il sait aussi incarner un univers.
Le White Album est précédé des fameuses démos d’Esher, où l’on perçoit en germe la quasi-totalité des chansons, saisies dans un entre-deux intime, guitares sèches et voix proches. C’est une clef critique : l’album montre ce que le studio ajoute, mais aussi ce qu’il peut laisser en friche. D’où cette sensation de brutalité par endroits, de collage à vif. Pour un nouvel auditeur, c’est une plongée totale : on y entend la pop s’éparpiller pour mieux se réinventer, et l’on mesure, fil après fil, la richesse des voix individuelles.
Pourquoi ces trois-là ?
On pourrait s’étonner que Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band ne figure pas dans la triade de Ringo Starr. Le disque reste évidemment central, mais la sélection Revolver / Abbey Road / White Album dessine un autre récit : celui de la création en mouvement, du collectif qui cherche et se heurte, de la maîtrise sonore poussée à son comble, et de l’éclatement où les personnalités s’assument. Pris ensemble, ces albums forment un parcours pédagogique d’une cohérence rare.
Commencer par Revolver, c’est se familiariser avec la logique expérimentale sans perdre la concision de la chanson. Enchaîner avec Abbey Road, c’est comprendre l’art de l’assemblage, de la prise de son, de la dynamique d’ensemble. Plonger enfin dans le White Album, c’est accepter l’hétérogénéité et la prolifération des idées, sentir ce qui unit malgré tout. Dans ce cheminement, le rôle de Ringo devient lisible : jamais la vedette, toujours la charnière.
Le langage Ringo : anatomie d’un style
Parler de Ringo Starr, c’est d’abord évacuer un malentendu : la « simplicité » n’est pas l’« indigence ». Ses patterns paraissent évidents parce qu’ils sont bien conçus. Il sert la chanson, exactement. Sa main dominante inversée crée des phrasés particuliers : roulements de toms qui « tirent » vers l’arrière, fills qui tombent un demi-poil à côté du réflexe académique, donnant ce groove souple qui respire. Sa caisse claire n’est ni claquante ni matescence négligée : elle est pesée, souvent couverte d’un tissu pour étouffer l’attaque, et sa tension varie selon la couleur recherchée. Sa science du silence – ces micro-espaces entre deux coups – fait autant pour la pulsation que n’importe quelle cavalcade.
Écoutez « Rain » (enregistré en 1966, contemporain de Revolver) : même si le titre ne figure pas sur l’album, on y entend une élasticité rythmique qui deviendra signature. Sur « A Day in the Life », c’est la manière de souligner sans écraser ; sur « Come Together », la linéarité qui hypnotise. Loin des démonstrations virtuoses, Ringo invente un langage : un mélange de pocket, d’imagination et d’écoute. Ce langage traverse les trois albums qu’il recommande ; c’est même l’une des raisons, peut-être, pour lesquelles il les recommande.
Le prisme des rééditions : redécouvrir sans trahir
Le regain d’intérêt pour le catalogue des Beatles doit beaucoup aux rééditions dites anniversaires et, plus récemment, aux remixes réalisés grâce à des techniques d’IA pour séparer des sources collées sur les bandes d’époque. Revolver a ainsi bénéficié d’un traitement qui a permis de clarifier des parties naguère indémêlables, rendant la batterie de Ringo plus lisible dans le panorama. Abbey Road, de son côté, a profité d’une restitution plus profonde de l’espace, avec un bas-du-spectre mieux tenu. Quant au White Album, le déploiement des démos d’Esher a offert une perspective rare : on passe du croquis à la toile finie, et l’on comprend ce que chaque geste en studio a ajouté.
Ce mouvement s’est prolongé avec la parution, en 2023, du titre « Now and Then », construit à partir d’une démo de John Lennon et complété par Paul McCartney et Ringo Starr. Au-delà de l’événement, ce morceau a rappelé une évidence : la matière Beatles continue de vivre, non par révisionnisme, mais par un travail de restitution qui vise la fidélité et la transparence. Pour les nouveaux auditeurs, cette actualité a servi de rampe d’accès, ramenant vers les albums piliers – dont les trois que Ringo met en avant.
Le triangle des tensions : Lennon, McCartney, Harrison
L’équilibre interne des Beatles est une dynamique de forces. John Lennon et Paul McCartney tiennent le volant de l’écriture, l’un plus brut, l’autre plus mélodiste, mais les rôles se croisent sans cesse. George Harrison prend de l’ampleur à partir de Rubber Soul et Revolver, puis explose littéralement sur Abbey Road. L’échange créatif nourrit des frictions, visibles dans Get Back, latent sur le White Album où les sessions s’allongent. Ringo, au milieu, garde la pulsation et l’humeur.
Comprendre ce contexte aide à entendre la grandeur des trois albums. Revolver capture l’instant où tout est encore collectif et curieux. Abbey Road montre une équipe qui, malgré les divergences, sait se resserrer pour façonner une œuvre cohérente jusque dans son médaillon final. Le White Album expose les marges, les dévoiements, les essais parfois rugueux. Ensemble, ils racontent une histoire : l’invention, la maîtrise, la dispersion – et, toujours, la musique comme terrain de jeu.
Le parcours d’écoute : une initiation en trois temps
Si l’on suit le conseil de Ringo Starr, on peut imaginer une écoute en trois temps. On commence par Revolver : quatorze titres, quatorze idées fortes, des environnements sonores qui surprennent sans perdre l’oreille. On passe ensuite à Abbey Road : on apprend à écouter un album comme un livre, avec un début, un milieu, une fin, des renvois, des motifs. On termine avec le White Album : on accepte le désordre, la prolifération, on pioche, on revient, on observe. À chaque étape, on s’habitue au jeu de Ringo : une main qui tient, une autre qui peint.
Ce cheminement n’exclut pas d’autres portes. Rubber Soul pour l’éclosion de l’intimisme, Sgt. Pepper pour l’objet-concept, Let It Be pour la fragilité et la réconciliation tardive. Mais la triade de Ringo a une vertu pédagogique : elle met l’accent sur la musique plutôt que sur le mythe, sur la cohésion plutôt que sur le décor.
Le regard des batteurs : respect et filiation
Dans la communauté des batteurs, Ringo Starr fait l’objet d’un respect constant. On loue sa capacité à « jouer la chanson », à résister à la tentation d’en faire trop, à dessiner des contrechants avec peu d’éléments. Son kit – grosse caisse, caisse claire, deux toms, quelques cymbales – reste modeste ; son usage des ghost notes, fin et parcimonieux, nourrit la respiration. Plusieurs générations ont appris, en l’écoutant, que l’assise vaut mieux que l’esbroufe. Sur Revolver, Abbey Road et le White Album, cette philosophie s’entend à chaque mesure.
Il y a là un paradoxe fécond : on n’entend jamais Ringo pour lui-même, et pourtant, retiré, l’édifice vacillerait. C’est sans doute la meilleure définition d’un batteur de groupe. L’attention patiente, la coordination des souffles, la nuance au service du collectif.
Le fil contemporain : documentaires, restaurations, héritage vivant
L’actualité récente a rendu aux Beatles une proximité inattendue. Le triptyque Get Back a montré un groupe au travail, a nettoyé la légende de sa patine, a remis au centre la création au quotidien. La restauration et la mise à disposition du film Let It Be ont complété le tableau : moins de dramaturgie, davantage d’atelier. Ces récits visuels, joints aux rééditions audio et aux découvertes archivistiques, ont déplacé le regard. On n’écoute plus les Beatles pour la seule nostalgie ; on les écoute pour apprendre comment on fabrique une chanson.
Dans ce paysage, suivre la boussole de Ringo Starr n’a rien d’un geste de fan inconditionnel. C’est un itinéraire raisonné. Revolver pour la curiosité, Abbey Road pour l’artisanat sonore, le White Album pour l’audace et la pluralité. Trois angles qui montrent la modernité plastique du groupe et qui, à chaque étape, ouvrent un espace où la batterie joue le rôle de cadre.
Trois albums, une boussole
Les Beatles n’ont pas besoin qu’on les sanctifie davantage. Ils ont besoin qu’on les écoute vraiment, de près, avec l’oreille de 2025 et l’envie de comprendre. Les recommandations de Ringo Starr tombent juste. Revolver est la porte d’entrée idéale pour un esprit curieux ; Abbey Road est la leçon de son d’un groupe au sommet de sa maîtrise ; le White Album est la plongée sans filet dans la diversité des voix et des écritures. Trois disques, trois visages, un même cœur : la chanson comme laboratoire.
Aux sceptiques qui pensent avoir déjà tout entendu, un conseil : écoutez la batterie. Écoutez la manière dont Ringo refuse l’évidence, comment il renonce aux facilités spectaculaires pour inventer des chemins de traverse. Vous entendrez mieux Lennon, mieux McCartney, mieux Harrison. Et vous comprendrez pourquoi, dans l’histoire des Beatles, le « pitre » a souvent tenu la clef.
Annexes sonores mentales : ce qu’on guette en écoutant
Quand Revolver tourne, on surveille la respiration du charleston sur « And Your Bird Can Sing », la rondeur de la caisse claire sur « She Said She Said », les roulements presque tribaux de « Tomorrow Never Knows ». Sur Abbey Road, on savoure la colle rythmique de « Come Together », la marche souple de « Something », le crescendo fluide du medley menant à « The End ». Sur le White Album, on guette les épaisseurs granuleuses de « Yer Blues », les clairs-obscurs de « Dear Prudence », la délicatesse de « Good Night ». Tous ces détails racontent la même chose : un batteur qui, loin de tout cabotinage, compose avec la dynamique du groupe et lui donne un tempo intérieur.
Écouter ces trois albums avec cette attention-là, c’est donner raison à Ringo Starr. On y découvre un groupe qui s’invente en marchant, un studio qui devient acteur, une batterie qui pense. Et, peut-être, on y retrouve ce qui fait que, des décennies plus tard, les Beatles continuent d’appartenir au présent.
