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Valotte : 41 ans après, retour sur le premier album de Julian Lennon

Publié le 15 octobre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

En 1984, Julian Lennon sort son premier album Valotte, entre héritage mythique et quête d’identité artistique. Porté par des chansons sincères, une production soignée de Phil Ramone et un son pop-rock organique, l’album connaît un beau succès critique et public, notamment avec les tubes Valotte et Too Late for Goodbyes. 41 ans plus tard, Valotte reste une œuvre charnière, emblématique du talent de Julian à s’imposer comme artiste à part entière.


Octobre 1984. Un jeune artiste britannique de 21 ans fait irruption sur la scène pop-rock avec un patronyme déjà mythique, mais une volonté farouche de se faire un prénom. Julian Lennon sort Valotte, son tout premier album, en pleine effervescence musicale des années 80. À cette époque, le paysage sonore est dominé par les synthétiseurs new wave, le funk festif de MTV et les mégastars internationales. Pour un débutant, percer dans ce climat saturé est un défi de taille – a fortiori lorsqu’on porte le nom Lennon. Julian le sait, et il aborde ce défi avec sérieux, armé de ses propres chansons et d’une humilité prudente. Pas question pour lui de jouer sur une quelconque filiation : « Je veux qu’on m’écoute pour ma musique, pas pour autre chose », clame-t-il alors en substance. Cette détermination à exister comme artiste à part entière va marquer la genèse de Valotte et la façon dont l’album sera reçu.

Julian Lennon baigne dans la musique depuis toujours, mais il n’a pas suivi le chemin traditionnel des conservatoires ou des groupes de lycée. Au début des années 1980, il compose dans son coin, en autodidacte discret. En 1983, à 20 ans, il estime avoir suffisamment de matière pour tenter sa chance auprès des maisons de disques. Anxieux d’être jugé sans préjugés, le jeune homme envoie anonymement une démo de ses morceaux à Tony Stratton-Smith, le patron du label britannique Charisma Records. Surprise : sans savoir qui se cache derrière ces maquettes, Stratton-Smith est bluffé par la qualité des chansons et la voix du chanteur. Il offre un contrat à ce mystérieux talent, bientôt identifié comme Julian Lennon lui-même. Aux États-Unis, le légendaire Ahmet Ertegun, fondateur d’Atlantic Records, tombe lui aussi sous le charme des compositions de Julian et le signe pour le marché nord-américain. En un tournemain, le fils d’une légende se retrouve propulsé dans la cour des grands – mais par son propre mérite.

L’étape suivante pour Julian est de transformer l’essai de la démo en un véritable album. Plutôt que de rester à Londres ou de s’exiler à Los Angeles, il choisit de s’isoler à la campagne pour affiner ses chansons. En octobre 1983, il embarque deux amis musiciens, Justin Clayton (guitariste) et Carlton Morales (guitariste également), pour une retraite créative de trois mois dans un coin reculé de la France rurale. Leur destination : le Manoir de Valotte, un vieux château perdu près de Nevers, en Bourgogne. « Il n’y avait personne aux alentours. Juste des champs, pas de villes, rien. On s’est installés dans une ancienne écurie avec un tapis jeté sur le sol pour en faire notre studio improvisé », racontera plus tard Julian avec un sourire nostalgique. Dans ce décor rustique et hors du temps, loin des distractions, le trio travaille jour et nuit. Julian a apporté une poignée d’ébauches de mélodies, des bribes composées au piano les années précédentes sans paroles définitives. « La moitié des chansons existaient déjà en morceaux épars. Aller à Valotte m’a permis de les fignoler », explique-t-il. Peu à peu, les idées prennent forme, les refrains trouvent leurs couplets, et de nouvelles compositions naissent sur place. L’isolement et le calme de la campagne semblent décupler l’inspiration du jeune auteur-compositeur. Au bout de l’hiver 1983, Julian Lennon ressort du Manoir de Valotte avec une dizaine de chansons prêtes à être enregistrées – et un titre d’album tout trouvé. Fasciné par l’atmosphère du château qui les a vus naître, il baptise son opus Valotte, du nom de ce manoir français devenu le berceau de sa musique.

Sommaire

Enregistrement de l’album Valotte

Fort de ses nouvelles compositions et désormais sous contrat, Julian doit à présent immortaliser ces morceaux en studio. Pour ce faire, on lui adjoint un producteur de premier plan : Phil Ramone, vétéran de l’industrie qui a travaillé avec Billy Joel, Paul Simon ou encore Ray Charles. Loin d’être intimidé, Julian lui-même avait exprimé le souhait de collaborer avec Ramone après avoir adoré l’album The Nylon Curtain de Billy Joel, produit par ce dernier. Séduit par les maquettes de Julian, Phil Ramone accepte de guider le jeune artiste dans l’aventure du premier album. Dès le départ, Ramone comprend l’enjeu : il faut aider Julian à trouver son identité musicale. « L’idée, c’était de le mettre à l’aise et de faire en sorte qu’il soit “Julian Lennon”, pas “le fils de…” » confiera plus tard le producteur. Il instaure avec l’artiste une relation de confiance et décide de l’emmener enregistrer loin du brouhaha médiatique, dans un lieu qui va contribuer au son chaleureux de l’album.

En février 1984, l’équipe pose ainsi ses valises à Muscle Shoals, petite ville d’Alabama abritant un studio légendaire. Le choix peut surprendre : quoi de commun entre un jeune Anglais et le fief du rhythm & blues sudiste ? Justement, Ramone veut ancrer les chansons de Julian dans un écrin musical authentique, porté par des instrumentistes aguerris. Les sessions ont lieu au Muscle Shoals Sound Studio, antre sacré où tant de grands noms (Aretha Franklin, the Rolling Stones…) ont forgé des tubes. Julian y rencontre les musiciens du cru, la fameuse Muscle Shoals Rhythm Section. Ces derniers – Barry Beckett aux claviers, David Hood à la basse, Roger Hawkins à la batterie, entre autres – apportent leur savoir-faire et un supplément d’âme aux compositions. Cette collaboration inhabituelle entre un jeune Britannique et des vétérans de la soul fonctionne à merveille. Dans l’atmosphère moite de l’Alabama, on enregistre les premières prises de plusieurs titres. Les bases rythmiques et harmoniques de Valotte se posent là, avec un son organique, chaleureux, qui tranche avec la froideur synthétique de bon nombre de productions de l’époque. Julian, immergé dans ce bain musical, se libère progressivement de sa nervosité. Il chante et joue de quelques instruments (claviers, basse) entouré des “cracks” de Muscle Shoals, qui le traitent en artiste à part entière. Ramone veille au grain, arrange les morceaux avec Beckett et les autres, et obtient exactement ce qu’il cherchait : Julian sonne comme Julian, avec sa propre patte, oscillant entre pop britannique et groove américain.

Après quelques semaines fructueuses dans le Sud profond, l’enregistrement se déplace au nord des États-Unis. Julian et sa nouvelle équipe continuent les sessions en février et mars 1984 dans plusieurs studios de la région de New York. Ils passent notamment par le tranquille BearTracks Studio à Suffern (dans la campagne de l’État de New York) puis par des studios new-yorkais mythiques comme A&R Recording, Clinton Recording et The Hit Factory en plein Manhattan. Dans la Grosse Pomme, l’ambiance n’est plus la même qu’en Alabama : on troque les plages du Tennessee River contre la skyline de NYC. Pourtant, Julian ne perd pas le fil. Revigoré par l’expérience Muscle Shoals, il aborde cette phase urbaine avec confiance. C’est aux Hit Factory Studios qu’il enregistre notamment sa future chanson-phare Too Late for Goodbyes. Le mixage final de l’album sera également réalisé au Hit Factory, sous la houlette de l’ingénieur du son Bradshaw Leigh.

Les coulisses de l’enregistrement donnent lieu à quelques anecdotes savoureuses. Ainsi, la session new-yorkaise au Hit Factory se déroule dans un studio chargé d’histoire – un certain John y avait enregistré Double Fantasy quelques années plus tôt. Phil Ramone, connaissant la symbolique du lieu, aurait taquiné Julian en lui demandant s’il ne sentait pas planer quelques fantômes familiers dans les couloirs. Le jeune homme, d’un flegme tout britannique, lui aurait répondu dans un sourire : « Je me sens bien ici, les vibrations sont bonnes ! » Sans jamais le citer, Julian exorcise ainsi l’ombre paternelle et s’approprie définitivement l’espace sonore. L’album prend forme dans une ambiance studieuse mais détendue. Ramone insuffle sa rigueur légendaire tout en laissant Julian et ses musiciens s’exprimer. Le producteur a mobilisé des pointures pour sublimer le son de Valotte. On voit défiler en studio le bassiste Marcus Miller (héros de la funk urbaine), le percussionniste Ralph MacDonald (fidèle de Stevie Wonder) ou encore une section de cuivres brillamment arrangée par David Matthews. Julian s’entoure également de choristes chevronnés (Eric Troyer et Rory Dodd donnent de la voix en arrière-plan). Sur un titre, la session prend une tournure magique lorsqu’un invité de marque sort son harmonica : le grand Toots Thielemans, célèbre harmoniciste de jazz, vient déposer son souffle inimitable sur un morceau. Cette collaboration improbable aboutira au solo d’harmonica mémorable de Too Late for Goodbyes. De même, le saxophoniste virtuose Michael Brecker enregistre un solo poignant sur la ballade Lonely. Ces touches d’instruments acoustiques – sax, harmonica, percussions – enrichissent énormément la palette sonore de l’album. Elles démontrent la volonté de Julian et Ramone de privilégier un son « live », organique, qui traverse le temps.

Après six mois d’allers-retours entre campagne française, Sud américain et métropole new-yorkaise, l’album Valotte est dans la boîte à la fin de l’été 1984. Julian Lennon a co-écrit ou écrit la plupart des dix morceaux, s’impliquant pleinement dans la création. La photo de pochette, signée David Michael Kennedy, montre Julian assis pensivement près d’une fenêtre, en noir et blanc sobre – un clin d’œil esthétique à l’esprit des années 60 tout en affirmant sa propre image, sérieuse et introspective. Le mixage achevé et la post-production bouclée, Valotte est prêt à voler de ses propres ailes.

Analyse musicale des titres principaux

Le résultat de ce travail acharné est un album de rock-pop sophistiqué, empreint de mélodie et d’émotion. Julian Lennon y dévoile un éventail de styles allant de la ballade pianistique classique aux rythmes enjoués aux accents 80s. L’artiste, bien entouré musicalement, parvient à imprimer sa sensibilité propre dans chaque titre. « Toutes les chansons de l’album viennent d’expériences vécues ou de relations réelles », confie-t-il lors de sa sortie, « avec toujours ce sentiment de ne pas savoir quelle direction prendre ni quoi faire ensuite ». Ce thème de l’incertitude et de la recherche de soi traverse l’album et en fait la cohésion. Voici un tour d’horizon des morceaux phares de Valotte :

  • « Valotte » – La chanson-titre qui ouvre l’album est une ballade douce-amère somptueusement arrangée. Portée par un piano mélancolique et la voix chaude de Julian, Valotte installe d’emblée une atmosphère feutrée et nostalgique. Le texte, imagé et introspectif, a pour point de départ le fameux manoir de Valotte : « Sitting on the doorstep of the house I can’t afford… » chante Julian d’un ton rêveur, évoquant ce château trop cher pour lui, symbole d’un idéal qu’on touche du bout des doigts. Musicalement, le morceau rappelle les grandes ballades pop-rock des années 70 par son élégance intemporelle – sans tomber dans le pastiche. La rythmique est discrète mais efficace, quelques notes de guitare électrique et de synthé planent en arrière-plan, et Julian délivre une performance vocale pleine de retenue, tout en émotions voilées. Le refrain accrocheur reste en tête dès la première écoute. Valotte est une déclaration d’intention : ce premier titre affirme que Julian Lennon est capable d’écrire une mélodie mémorable et de la défendre avec sincérité. Anecdote intéressante, le morceau doit son nom et son inspiration directe au cadre bucolique où il a été composé. « C’était une sorte de maison de rêve… c’est de là qu’est partie toute la chanson » a expliqué Julian à propos du manoir de Valotte. En quelques minutes, cette ballade installe l’identité de l’album : réfléchie, sensible, et portée par un songwriting solide.

  • « Too Late for Goodbyes » – En contraste avec la piste précédente, Too Late for Goodbyes apporte une bouffée de fraîcheur rythmée. C’est le morceau le plus enjoué de l’album, avec son tempo vif et son refrain facile à fredonner. Construite sur une basse bondissante et un groove presque reggae/ska dans l’esprit, la chanson accroche l’oreille immédiatement. Julian y parle d’une rupture amoureuse sur un ton à la fois léger et résigné – « trop tard pour les adieux », c’est déjà la fin de l’histoire avant même d’avoir pu se dire au revoir. Ironie du sort, cette thématique lui a été inspirée par sa propre vie : il compose la chanson en plein milieu des sessions d’enregistrement, juste après une séparation douloureuse d’avec sa petite amie de l’époque. Cette sincérité vécue transparaît sous l’enveloppe pop enjouée. Musicalement, Too Late for Goodbyes est irrésistible grâce notamment à l’intervention du maître harmoniciste Toots Thielemans. Son solo d’harmonica au milieu du morceau apporte une couleur folk-blues surprenante qui fait mouche – un véritable petit plaisir auditif qui donne tout son cachet à la chanson. Les cuivres discrets et les claviers pétillants complètent l’arrangement, sans jamais surcharger ce titre léger. Julian chante ici d’une voix plus détendue, presque espiègle, montrant qu’il sait aussi faire dans le registre du tube pop accessible. Pari gagné : avec son ambiance ensoleillée et son refrain qu’on sifflote aisément, Too Late for Goodbyes va très vite devenir l’un des gros hits de 1984-85 et la carte de visite de Julian Lennon auprès du grand public.

  • « Say You’re Wrong » – Plus loin dans l’album, Julian propose avec Say You’re Wrong un morceau pop-rock énergique au ton résolument optimiste. Cette chanson, sélectionnée plus tard comme troisième single, se démarque par son rhythmique entraînante et quelques trouvailles d’arrangement qui la rendent particulièrement accrocheuse. Dès l’introduction, une guitare électrique incisive et un groove de batterie dynamique installent une ambiance plus nerveuse que sur le reste de l’album. La mélodie vocale est vive, presque chantante, portée par un Julian plus mordant. Surtout, Say You’re Wrong se pare d’influences inattendues : le morceau intègre en effet un petit parfum latin dans son rythme. La présence d’une section de cuivres festive (trompettes et saxophones en renfort) et la syncope de la batterie donnent par moments une touche salsa/rock au morceau. Cette coloration latine légère, ajoutée par l’arrangeur David Matthews, apporte de la fraîcheur et incite à bouger la tête au rythme du refrain. Les paroles, quant à elles, évoquent l’idée de tenir tête et d’affirmer sa vérité – un thème en adéquation avec l’affirmation de soi artistique de Julian. Say You’re Wrong est sans conteste le titre le plus « fun » de Valotte, avec une ambiance quasi dansante. La critique saluera d’ailleurs cette capacité de Julian à varier les styles : la revue américaine Cash Box notera à l’époque que la chanson « possède une touche salsa légère et un refrain entraînant », offrant à l’album « une humeur moins pesante » que les premiers singles plus mélancoliques. En somme, Say You’re Wrong montre une autre facette de Julian Lennon : celle d’un jeune auteur-compositeur capable de livrer de la pop festive sans perdre sa personnalité.

  • « Lonely » – Parmi les ballades de l’album, Lonely mérite une mention spéciale pour son intensité émotionnelle. Ce titre à mi-parcours ralentit le tempo et mise sur une ambiance nocturne, presque jazzy. Julian l’a écrit en repensant à une période où, tout juste majeur, il s’était installé à Londres, loin de ses repères, et en avait ressenti une profonde solitude. La chanson retranscrit ce sentiment avec justesse. Sur une ligne de piano simple et des accords feutrés, Julian pose sa voix veloutée, emplie de nostalgie. La production met en avant un arrangement sobre qui gagne progressivement en ampleur. Le point d’orgue de Lonely, c’est le solo de saxophone magnifiquement interprété par Michael Brecker. Le sax ténor surgit après le second refrain et ajoute une couleur blue-eyed soul à l’ensemble, pleurant littéralement la mélodie. Ce solo, à la fois technique et bouleversant, dialogue avec la voix de Julian et renforce l’atmosphère de nuit pluvieuse que dégage le morceau. Lonely est une chanson introspective où l’on sent l’influence des ballades soul des années 60-70, transposée dans le contexte pop 80s. La performance vocale de Julian atteint ici une belle maturité : sans surjouer, il communique sa vulnérabilité et son isolement avec une sincérité touchante. De l’avis de beaucoup de fans, Lonely est l’un des joyaux cachés de Valotte, une pièce qui n’a pas vieilli grâce à son arrangement classique et à l’authenticité de son propos.

  • « Jesse » – Dernier single extrait de l’album en 1985, Jesse occupe une place à part dans Valotte : c’est en effet le seul titre que Julian n’a pas écrit lui-même. Cette chanson a été proposée à Julian par son auteur, le compositeur China Burton, qui estimait qu’elle conviendrait bien à sa voix. Plutôt que de refuser par orgueil, Julian a eu le coup de cœur pour Jesse et a décidé de l’interpréter à sa manière. Il en résulte un morceau pop-rock mid-tempo émouvant et puissant. Jesse débute calmement, avec une guitare électrique en arpèges et une rythmique retenue, puis gagne en intensité à chaque couplet. Julian y déploie une voix sincère et passionnée, racontant l’histoire (sous forme de prénom) d’une personne aux prises avec ses erreurs – c’est une sorte de cautionary tale, une mise en garde en musique. Sur le plan sonore, la chanson bénéficie d’un arrangement soigné : les percussions latines en toile de fond et certaines inflexions rythmiques lui confèrent un léger groove R&B, tandis que les nappes de synthé et de guitare rock maintiennent le cap pop. Le mélange des genres est subtil et donne à Jesse une saveur particulière, à la fois moderne pour l’époque et ancrée dans une tradition narrative. Si ce titre est un peu plus discret que les hits précédents, il n’en demeure pas moins apprécié pour sa mélodie accrocheuse et la performance vocale de Julian, particulièrement habitée sur le refrain final. La presse saluera d’ailleurs Jesse pour sa qualité mélodique : Billboard décrira la chanson comme « une histoire mise en garde sur des rythmes latins/R&B » et Cash Box soulignera ses « interprétations pleines de dynamisme et sa mélodie prenante ». En adoptant Jesse, Julian prouve qu’il sait aussi choisir et s’approprier les bonnes chansons écrites par d’autres, un talent en soi pour un jeune artiste.

(D’autres morceaux de l’album, tels que « On the Phone » – au riff de guitare nerveux évoqué plus haut – ou le contemplatif « Well I Don’t Know », viennent compléter le tableau sonore de Valotte. Chacun apporte sa pierre à l’édifice : On the Phone apporte une touche de rock urgent et moderne, tandis que Well I Don’t Know se distingue par son refrain aux harmonies éthérées, presque psychédéliques. Enfin, Let Me Be, court morceau de clôture dépouillé à la guitare acoustique, vient achever l’album sur une note intime, Julian y murmurant une supplique de liberté – comme un écho à son envie d’exister par lui-même.)

Dans l’ensemble, Valotte est un album varié mais cohérent, où l’on décèle à la fois l’influence des classiques du rock/pop (impossible de ne pas penser aux grands songwriters des décennies précédentes) et l’empreinte de la décennie 80 naissante (boîtes à rythmes discrètes, claviers d’ambiance). Julian Lennon y affirme un style mélodique solide, une préférence pour les arrangements élégants, et un goût pour les textes personnels sans être impudiques. S’il rappelle à l’occasion l’école de songwriting dont il est héritier, Julian évite habilement le pastiche ou la comparaison directe. Ses chansons possèdent leur propre voix – la sienne – à la fois fragile et déterminée. Pour un premier album composé à peine sorti de l’adolescence, Valotte impressionne par sa maturité musicale.

Réception critique et publique à sa sortie (1984)

Valotte paraît en octobre 1984 (le 15 octobre au Royaume-Uni, le 19 aux États-Unis) et l’effet est immédiat : la presse et le public se ruent pour découvrir ce que vaut Julian Lennon en tant qu’artiste. Le disque était évidemment très attendu – trop peut-être, tant la curiosité était attisée par le contexte familial de Julian. À sa sortie, Valotte reçoit un accueil globalement positif, même si les critiques ne sont pas unanimes sur tous les points.

Côté critiques musicales, plusieurs journaux saluent les qualités mélodiques de l’album et la prestation surprenante du jeune chanteur. Aux États-Unis, le très influent magazine Rolling Stone attribue trois étoiles sur cinq à Valotte. Le journaliste Davitt Sigerson y décrit l’album comme « à la fois enthousiasmant et irritant », reflétant l’étrange paradoxe qu’il ressent à l’écoute. D’un côté, Sigerson et d’autres sont agréablement surpris par le talent de Julian Lennon pour écrire de bonnes chansons pop et par la richesse de la production signée Phil Ramone. De l’autre, certains critiques pointent du doigt une certaine ambivalence de ton dans l’album. Rolling Stone note par exemple un décalage entre la jeunesse de l’artiste et le style parfois un peu adulte de sa musique, parlant d’« une sensibilité de quadragénaire appliquée à des thèmes de jouvence ». De fait, Julian a 21 ans mais chante des ballades et des textes qui pourraient venir d’un musicien plus mûr – influence de ses modèles ou simple reflet de sa personnalité posée, chacun se fera son idée. Le magazine Billboard, lui, titre avec malice à propos de Julian « The son also rises, but not that high » (un jeu de mots signifiant en gros que « le fils se lève aussi, mais pas si haut que ça »). Cette phrase résume un certain scepticisme initial : oui, l’album est bon, mais non, ce n’est pas un chef-d’œuvre révolutionnaire. On loue la solidité de Valotte tout en le qualifiant de pop sage et professionnelle. Le redoutable critique Robert Christgau du Village Voice se montre le plus sévère en taxant la musique de Julian de « pop insipide, sans nécessité » – sans doute trop acerbe au goût des fans. Il admet toutefois que le timbre de voix de Julian est étrangement semblable à celui de son père (qu’il qualifie de “franchement troublant”), preuve que malgré eux certains commentateurs ne pouvaient s’empêcher de chercher la comparaison familiale.

Dans le camp des chroniqueurs bienveillants, on souligne au contraire l’authenticité de la démarche de Julian et la qualité intrinsèque de ses chansons. Le magazine britannique Music Express salue Valotte comme un album qui « lui a ouvert les portes » en explorant divers styles avec succès. En France, où la sortie de l’album est relayée dans la presse rock de l’époque, on note la touche « à l’anglaise » de la pop de Julian Lennon, évoquant les Beatles bien sûr, mais aussi les influences contemporaines de la new wave britannique. Certains critiques français parlent d’un album « plein de charme et de pudeur », soulignant que Julian ne cherche pas à en faire trop et évite le piège de l’hommage pesant. Globalement, pour un premier effort, Valotte convainc la plupart des observateurs que Julian Lennon est plus qu’un éphémère “fils de” : il démontre un vrai potentiel artistique. Stephen Thomas Erlewine, du site AllMusic (dans une critique rétrospective), réévaluera Valotte comme « le début d’un mélodiste pop doué » et louera plusieurs titres pour leur songwriting habile, digne selon lui des meilleurs standards de la pop classique. Certes, concède-t-il, l’album souffre çà et là de sonorités typiques des années 80 (ces boîtes à rythmes et synthés datés), mais cela n’entame pas la qualité des compositions. Ces analyses rétrospectives rejoignent finalement l’opinion majoritaire de 1984 : Valotte est un bon album pop-rock, solide et agréablement surprenant, même s’il n’est pas parfait.

Du côté du grand public, l’album bénéficie d’un véritable engouement, alimenté par la curiosité et rapidement conforté par l’efficacité des chansons. En Grande-Bretagne, Too Late for Goodbyes est lancé en single fin septembre 1984, quelques semaines avant l’album, et c’est un succès immédiat : le 45 tours grimpe jusqu’à la 6ème place des charts britanniques. Le public anglais découvre à la radio la voix de Julian Lennon et se laisse prendre par ce refrain imparable. Lorsque l’album complet sort mi-octobre 1984 au Royaume-Uni (sur le label Charisma), il entre directement dans le Top 20 et atteindra la 20ème place des ventes d’albums. Un démarrage prometteur, même si paradoxalement Valotte ne fera pas un carton monumental en Angleterre. En effet, après l’effet de curiosité initial, l’album restera dans des positions honorables mais sans aller chercher le sommet des charts (il sera certifié disque d’argent au Royaume-Uni, signe de ventes correctes – environ 60 000 exemplaires – sans être un phénomène de masse). Il faut dire qu’à la même période, la concurrence est rude sur les ondes britanniques, entre les tubes de Duran Duran, Wham! ou Frankie Goes to Hollywood. Julian Lennon, avec sa pop plus classique, joue dans une autre catégorie, moins tapageuse.

C’est aux États-Unis que Valotte va connaître son succès le plus retentissant. L’album sort fin octobre 1984 chez Atlantic Records, précédé outre-Atlantique par le single Valotte (chanson) elle-même. Le titre Valotte passe abondamment à la radio FM et sur MTV, grâce notamment à un clip vidéo marquant. Et quel clip ! Pour frapper les esprits, on a confié la réalisation de deux vidéos (Valotte et Too Late for Goodbyes) à un cinéaste de légende, Sam Peckinpah – connu pour ses westerns rugueux au cinéma. Peckinpah signe ici ses dernières œuvres avant sa disparition fin 1984, et il insuffle à Valotte (le clip) une esthétique sobre, en noir et blanc, centrée sur Julian chantant au piano dans un décor simple. Ces vidéos, diffusées en boucle sur MTV, contribuent énormément à l’exposition de Julian auprès du jeune public américain. Valotte (le single) grimpe jusqu’à la 9ème place du Billboard Hot 100 en janvier 1985, une performance exceptionnelle pour un nouveau venu. Dans la catégorie Adult Contemporary (radios adultes), la chanson atteint même le 4ème rang, signe qu’elle touche un large public, au-delà des seuls fans de pop adolescente. Quant à Too Late for Goodbyes, sorti en second single aux États-Unis début 1985, il fait encore mieux en se hissant à la 5ème place du Hot 100 et même à la 1ère place du classement Adult Contemporary. Bref, Julian place deux tubes dans le Top 10 américain coup sur coup, du jamais vu pour un début de carrière aussi fulgurant. Dans d’autres pays, le phénomène se répète à des degrés divers : Valotte devient disque d’or au Canada, et en Australie l’album atteint le Top 10.

Au-delà des chiffres, on remarque que Julian Lennon a su conquérir un public qui n’est pas composé que de nostalgiques des Beatles, mais aussi de jeunes des années 80 séduits par ses mélodies. En 1984, aux États-Unis notamment, nombreux sont ceux qui découvrent Julian sans a priori, simplement parce que Valotte et Too Late for Goodbyes passent à la radio entre deux hits de Phil Collins ou de Prince. Et ces auditeurs apprécient la fraîcheur un peu rétro de ce jeune Anglais à la voix douce. Bien sûr, la machine médiatique n’hésite pas à mettre en avant son patronyme légendaire pour faire vendre – difficile d’y échapper. Mais Julian désamorce intelligemment la question en interview, refusant toute comparaison directe et rappelant qu’il trace son propre chemin. Une jolie anecdote témoigne de l’approbation qu’il reçoit de ses aînés : à la sortie de l’album, Paul McCartney en personne lui envoie un télégramme de félicitations, avec un humour so british : « Good luck, old fruit » (« Bonne chance, mon vieux », en VF), ajoutant qu’il trouve l’album « excellent » et « très surprenant ». Recevoir ce clin d’œil bienveillant d’un ex-Beatle – et pas des moindres – est un signe que Julian a réussi à faire bonne impression par lui-même, y compris auprès de ceux qui l’ont connu enfant.

Enfin, la reconnaissance de l’industrie ne tarde pas : dès janvier 1985, Valotte est certifié Disque d’Or aux États-Unis (500 000 exemplaires écoulés), puis Disque de Platine en mars (plus d’un million d’albums vendus). Julian Lennon est également nommé aux Grammy Awards dans la catégorie très convoitée de Meilleur Nouvel Artiste (en février 1986, lors de la 28e cérémonie des Grammys) – une consécration symbolique qui entérine son statut de révélation de l’année 84/85. S’il ne remporte pas le trophée au final, sa nomination aux côtés d’autres nouveaux talents de l’année prouve que Valotte a fait de lui un acteur sérieux de la scène pop-rock internationale et pas simplement une curiosité éphémère.

Réussite commerciale et tournées associées

La solide performance de Valotte dans les charts s’est naturellement accompagnée d’une intense activité promotionnelle et scénique pour Julian Lennon. Après la sortie de l’album, le jeune homme se retrouve sollicité de toutes parts : émissions de télévision, interviews radio, apparitions dans la presse musicale… En quelques mois, il passe du quasi-anonymat à la célébrité internationale. Conscient néanmoins qu’un artiste se construit aussi – et surtout – sur scène, Julian planifie prudemment son entrée en tournée. Au départ, il hésite : il a seulement une poignée de chansons originales à son actif (celles de Valotte), et il craint de ne pas avoir assez de matière pour un spectacle complet. Il déclare même qu’il préfèrerait attendre un deuxième album avant de monter sur scène. Mais l’engouement du public et la demande sont tels qu’il finit par revoir sa position.

Au printemps 1985, Julian Lennon se lance donc dans sa première tournée mondiale, portée par le succès de Valotte. Entre mars et juin 1985, il parcourt les salles de concert d’Amérique du Nord, d’Australie, puis du Japon. Pour un jeune artiste qui quelques mois plus tôt n’avait jamais fait de tournée, c’est un baptême du feu. Aux États-Unis, où la ferveur est à son comble, il joue à guichets fermés dans des théâtres et des amphithéâtres de taille moyenne, adapté à son répertoire intimiste mais déjà populaire. Le spectacle s’articule bien sûr autour des titres de Valotte, que Julian interprète avec une aisance grandissante soir après soir. Entouré de musiciens chevronnés – parmi lesquels on retrouve son ami Justin Clayton à la guitare – il démontre qu’il sait tenir une scène. Sa voix, douce sur album, gagne en puissance en live, et il n’hésite pas à rocker un peu plus certains morceaux pour chauffer l’ambiance.

La setlist de cette tournée 1985 réserve aussi quelques surprises aux spectateurs. Conscient qu’il n’a qu’un album de matériel original, Julian agrémente son concert de quelques reprises bien senties. Il rend hommage aux racines du rock’n’roll en reprenant des classiques des années 50 comme Stand By Me de Ben E. King ou Slippin’ and Slidin’ de Little Richard – deux titres également popularisés par son père, même s’il se garde de le mentionner explicitement. Ces clins d’œil aux pionniers du rock sont accueillis chaleureusement par le public. Et, dans un geste aussi courageux que symbolique, Julian ose même incorporer à son tour de chant une chanson du répertoire des Beatles : le très énergique Day Tripper. Interpréter un standard des “Fab Four” devant un public qui a sans doute en tête la version originale était un pari risqué – certains y verront inévitablement une comparaison – mais Julian relève le défi haut la main, en proposant une version respectueuse tout en y mettant sa personnalité. Ce moment fait souvent office de rappel festif et déchaîne l’enthousiasme des fans, jeunes et moins jeunes, ravis de cette passerelle entre les générations. Julian prouve ainsi qu’il assume pleinement son héritage sans pour autant s’y réduire : reprendre Day Tripper sur scène en 1985, c’est autant un hommage à la musique qu’il aime qu’une façon de dire « vous voyez, je peux chanter ça aussi, et après je reviens à mes propres chansons ».

La tournée s’avère globalement un succès. Aux États-Unis, chaque date affiche complet et Julian reçoit un bon accueil critique pour ses performances sincères et sans artifices. En Australie et au Japon, où le public local l’attendait avec curiosité, les concerts font également le plein. Julian se montre étonné et touché de découvrir des fans à l’autre bout du monde chantant les paroles de Too Late for Goodbyes ou Valotte avec ferveur. Un témoignage marquant de cette période faste est la sortie, en novembre 1985, d’une cassette vidéo intitulée Stand By Me: A Portrait of Julian Lennon. Ce documentaire musical, publié par MCA, compile des images de Julian en tournée, sur scène et en dehors, donnant à voir l’envers du décor de sa soudaine vie de rockstar itinérante. On y découvre un jeune homme parfois intimidé par l’ampleur de la tâche, mais qui garde les pieds sur terre et le sens de l’humour. La vidéo permet aux fans de l’époque de prolonger l’expérience Valotte à travers l’écran, et contribue à consolider la fanbase naissante de Julian.

Il convient de noter que cette période 1984-1985 est un véritable tourbillon pour Julian Lennon. En l’espace d’un an, il a enregistré un album, conquis les charts, et fait le tour du globe pour rencontrer son public. Ce rythme effréné atteint son apogée lors des récompenses de l’été 1985. En juin, le clip de Valotte est nommé aux MTV Video Music Awards dans la catégorie “Meilleur nouveau clip par un nouvel artiste”. Puis en septembre, Too Late for Goodbyes est à son tour nommé pour le MTV Award du Meilleur Nouvel Artiste. Signe que Julian est bien identifié comme la révélation de l’année sur la scène musicale. S’il ne remporte pas ces trophées (battu par le Voices Carry de Til Tuesday, autre hit de 1985), l’important est ailleurs : Valotte a permis à Julian Lennon d’entrer dans la lumière par la grande porte. La reconnaissance ultime vient peut-être de la société des auteurs-compositeurs : en octobre 1985, Julian reçoit un prix d’ASCAP (l’organisme américain de gestion des droits) récompensant l’un de ses titres les plus joués. C’est sa mère, Cynthia, qui montera sur scène pour accepter le prix en son nom – Julian étant indisponible ce soir-là. L’image de Cynthia Lennon recevant fièrement un trophée pour la chanson de son fils boucle d’une certaine manière la boucle affective commencée 20 ans plus tôt.

En termes de chiffres, Valotte s’est écoulé à environ 1,5 million d’exemplaires dans le monde au début de 1985. Un score très honorable pour un premier album, qui plus est dans un registre pop-rock raffiné à contre-courant des modes flashy du moment. Aux USA, il reste classé 8 semaines dans le Top 20 et finit l’année 1985 parmi les 30 albums les plus vendus. Au Canada, il atteint la 12ème place du classement des albums et devient disque d’or. En Australie, pic à la 8ème place. En Europe continentale, le succès est plus discret (le public européen étant globalement moins réceptif aux enfants de stars anglo-saxonnes, du moins au départ). Néanmoins, des pays comme la Suède ou la Nouvelle-Zélande accueillent bien l’album (Top 15). L’empreinte de Valotte sur 1984-85 est donc indéniable : Julian Lennon a réussi à transformer l’essai en un triomphe commercial modéré mais réel, soutenu par des tournées convaincantes et une forte rotation médiatique de ses clips et singles.

Influence sur la suite de sa carrière et postérité de l’album

Après l’euphorie des débuts, reste à savoir quel héritage Valotte a laissé dans la carrière de Julian Lennon et dans l’histoire de la pop. Avec 41 ans de recul, il est clair que cet album occupe une place à part, à la fois tremplin et fardeau bienveillant.

Pour Julian lui-même, Valotte a été une bénédiction en ce qu’il lui a offert instantanément une visibilité mondiale et la preuve qu’il pouvait exister en tant qu’artiste à succès. Du jour au lendemain (ou presque), il est passé de l’ombre à la lumière, a éprouvé la vie en tournée, la promotion intensive, la pression médiatique… Tout ce vécu, condensé en un an, va profondément le marquer. Dans une interview bien plus tard, on lui demandera quel conseil il donnerait au jeune homme de 21 ans qu’il était en 1984. Julian répondra qu’il lui dirait : « Reste fidèle à ton instinct, tiens bon ». Il avouera aussi avec le recul que naviguer dans la musique sous l’œil du public n’a pas été facile : « J’ai été confronté très tôt à un examen public intense et aux comparaisons inévitables, mais j’ai tenu bon, tant personnellement que professionnellement ». En effet, la suite de sa carrière montre que Julian a dû apprendre à se construire hors du feu des projecteurs après l’explosion initiale. Son deuxième album, The Secret Value of Daydreaming, sort en 1986. Fort logiquement, il est très attendu – comment égaler un début aussi remarqué ? Julian choisit de s’éloigner un peu du son de Valotte pour ne pas se répéter, épaulé à nouveau par Phil Ramone. Le disque se vendra honorablement (disque d’or aux USA) mais sans générer de tube majeur comme Too Late for Goodbyes. La critique sera plus dure, certains reprochant à Julian de s’être trop éloigné de ce qui faisait le charme de Valotte, d’autres au contraire lui reprochant de ne pas s’être assez renouvelé ! Cette relative déception commerciale du deuxième opus montre à quel point Valotte avait placé la barre haut, peut-être trop pour un jeune artiste. Julian en éprouvera une certaine frustration, voire une lassitude, face aux attentes contradictoires de l’industrie musicale. Après un troisième album en 1989 (Mr. Jordan) et un quatrième en 1991 (Help Yourself), Julian Lennon décidera de prendre du recul et de se retirer pour un temps de la scène musicale. Il ne reviendra qu’en 1998 avec Photograph Smile, un album mûri dans l’ombre et acclamé par ses fans pour sa sincérité – bien qu’éloigné des feux de la rampe grand public.

Néanmoins, si Julian a connu par la suite une carrière en dents de scie, alternant longs silences et retours ponctuels, l’ombre bienveillante de Valotte n’est jamais très loin. Cet album initial demeure son plus grand succès populaire et critique, et sans doute l’œuvre de lui la plus ancrée dans la mémoire collective. Des chansons comme Too Late for Goodbyes et Valotte sont régulièrement diffusées sur les radios dédiées aux classiques des années 80, ou apparaissent dans des compilations de ballades et de hits de cette époque. Ainsi, toute une génération associe spontanément le nom de Julian Lennon à ces mélodies entendues à la radio ou sur MTV en 1984-85. Il arrive même que certains auditeurs redécouvrent a posteriori la filiation du chanteur, tant il avait su imposer son style sans jouer explicitement sur son héritage. Julian en tirera une certaine fierté : « À mes yeux je suis un artiste aussi crédible qu’un autre, toute ma vie tourne autour de l’art et de la musique », dit-il, conscient que ses créations parlent pour lui sur le long terme.

En termes d’influence musicale, Valotte n’a pas bouleversé le cours de la pop – ce n’était d’ailleurs pas son ambition. Mais l’album a contribué à remettre à l’honneur, au milieu des années 80, un songwriting classique de haute tenue, à contre-courant des modes les plus synthétiques du moment. Certains observateurs considèrent même Valotte comme l’un des derniers beaux fleurons de la pop « à l’ancienne » dans cette décennie, aux côtés d’albums de Paul McCartney ou de George Harrison sortis peu avant. Julian Lennon a prouvé avec Valotte qu’on pouvait, en 1984, conquérir les cœurs avec des arrangements raffinés, de la vraie batterie, du piano et du saxophone, là où d’autres misaient tout sur les boîtes à rythmes et les gimmicks électroniques. En cela, l’album a une forme de intemporalité qui lui vaut d’être encore écouté volontiers aujourd’hui, affranchi de certains sons datés de l’époque. La présence de pointures comme Toots Thielemans ou Michael Brecker sur le disque lui confère également une aura de respectabilité musicale qui fait qu’on le redécouvre avec plaisir pour ses qualités instrumentales.

Sur le plan personnel, Valotte a sans doute été pour Julian Lennon une façon de se réconcilier avec son propre héritage. En réussissant ce premier album par lui-même, il a prouvé qu’il pouvait embrasser la carrière musicale sans rougir de la comparaison familiale – tout en refusant d’en être l’otage. D’ailleurs, chose notable, Julian n’a jamais renié Valotte dans sa discographie. Parfois les artistes, des années après, minimisent l’importance de leur premier succès, le considérant naïf ou éloigné de ce qu’ils sont devenus. Ce n’est pas le cas de Julian. S’il a depuis exploré d’autres directions artistiques (il a notamment signé de très belles chansons plus introspectives dans les albums Photograph Smile en 1998 ou Everything Changes en 2011), il garde une tendresse assumée pour Valotte. À l’occasion des 30 ans de l’album en 2014 puis des 40 ans en 2024, il a partagé des souvenirs de cette époque sur ses réseaux sociaux, republié des photos de lui jeune homme en studio ou sur MTV, et remercié les fans qui continuent d’aimer ces chansons. Il n’hésite pas non plus, quand il remonte sur scène lors de rares concerts, à rejouer quelques titres phares de Valotte pour le plus grand bonheur du public. Car il sait bien que ces compositions ont résisté à l’épreuve du temps et constituent le socle de son répertoire.

En définitive, que reste-t-il de Valotte, 41 ans après sa parution ? Un album-souvenir d’une époque où un jeune musicien a su faire fi de l’immense attente placée sur ses épaules pour livrer un recueil de chansons sincères et bien écrites. Un album qui mêle habilement héritage et invention, tradition et modernité, et qui a offert à Julian Lennon son propre chapitre dans l’histoire du rock. Avec Valotte, Julian a gagné son pari : celui d’être pris au sérieux en tant qu’artiste. La presse rock de l’époque l’avait traité avec un sérieux teinté d’humour, reconnaissant son talent tout en soulignant les pièges de sa situation. Aujourd’hui, on peut écouter Valotte sans arrière-pensée, simplement pour le plaisir de ses mélodies. C’est peut-être le plus beau compliment qu’on puisse lui faire. Julian Lennon, en 1984, a ouvert la porte de sa carrière de la meilleure des manières. Et quatre décennies plus tard, Valotte demeure la clé de voûte de cette carrière, un album attachant qu’on redécouvre comme on feuillette un album photo : avec un sourire doux-amer, celui du temps qui passe mais n’efface pas les bonnes chansons.


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