Mary Hopkin, chanteuse galloise à la voix cristalline, devient une star mondiale à 18 ans grâce à Paul McCartney et au label Apple Records. Révélée par « Those Were The Days », elle connaît une ascension fulgurante avant de se retirer du show-business pour préserver son intégrité artistique. Son parcours, entre succès et discrétion, illustre un choix rare : préférer la liberté personnelle à la célébrité.
Mary Hopkin naît le 3 mai 1950 à Pontardawe, une petite localité minière du sud du pays de Galles. Issue d’une famille modeste et galloise-parlante, elle chante dès l’enfance à l’église où sa voix cristalline est remarquée par les fidèles. À l’adolescence, Mary s’oriente vers le folk : elle forme un premier groupe local, The Selby Set and Mary, se produisant dans les pubs et fêtes de la région. Elle enregistre même un petit EP de chansons traditionnelles en gallois pour le label local Cambrian, témoignage de son attachement à ses racines
En 1968, à seulement 17 ans, la jeune chanteuse participe à l’émission télévisée Opportunity Knocks sur la chaîne ITV, un télécrochet très populaire au Royaume-Uni. Sa voix chaleureuse et son charme naturel séduisent le public : Mary remporte six semaines de suite le concours hebdomadaire. Devant leur télévision ce soir-là se trouve un mannequin bien connu, Twiggy, égérie de la mode londonienne des sixties. Enthousiasmée par la prestation de Mary, Twiggy évoque la jeune galloise à un ami qui s’apprête justement à lancer un label de musique – un certain Paul McCartney. Peu après, Mary reçoit un télégramme lui demandant de contacter une société nommée Apple Corps. « Ma mère m’a poussée à appeler », racontera plus tard Mary. Au bout du fil, un homme à l’accent de Liverpool se présente : c’est Paul McCartney lui-même. Le 4 mai 1968, deux jours à peine après sa victoire télévisée, la jeune galloise monte à Londres avec sa mère pour rencontrer l’équipe des Beatles. Elle en ressort avec un contrat en poche : Mary Hopkin devient la première artiste (hors Beatles) à signer chez Apple Records, le tout nouveau label fondé par les Fab Four
Sommaire
- Le conte de fées Apple : Those Were The Days et la gloire instantanée
- Entre folk et variétés : succès imposés et premières frustrations (1970)
- Earth Song/Ocean Song : l’album de la maturité et la fin de l’ère Apple (1971–1972)
- Retrait de la scène et vie de famille (1972–1975)
- Premières velléités de retour (1976–1979)
- Diversification et collaborations (années 1980)
- Entre discrétion et redécouverte (années 1990)
- Vers une carrière indépendante (années 2000)
- Une artiste toujours active dans les années 2020 et un héritage durable
- Relations avec Apple et les Beatles : un tremplin déterminant
Le conte de fées Apple : Those Were The Days et la gloire instantanée
Paul McCartney prend Mary Hopkin sous son aile et devient son producteur artistique attitré. L’objectif est de capitaliser rapidement sur la popularité naissante de la jeune chanteuse. Durant l’été 1968, McCartney l’emmène aussitôt en studio pour enregistrer une chanson qu’il a en tête pour elle : “Those Were The Days”. Il s’agit d’un vieil air folklorique d’origine russe adapté en anglais par Gene Raskin, au ton nostalgique et fédérateur. Le 30 août 1968, le single sort en Grande-Bretagne avec sur son verso une reprise de “Turn Turn Turn”. C’est le tout premier 45 tours publié par Apple Records après celui des Beatles (“Hey Jude” étant catalogué Apple 1)
. La réaction du public est foudroyante : “Those Were The Days” se classe numéro 1 des ventes au Royaume-Uni, détrônant à la surprise générale le Hey Jude des Beatles dans les charts britanniques. En l’espace de quelques semaines, Mary Hopkin devient une star : la chanson grimpe également en tête des hit-parades de 17 pays (dont la France) et s’écoule à plus de 3 millions d’exemplaires 45 tours dans le monde avant la fin de 1968. Aux États-Unis, le single atteint la 2^e place du Billboard Hot 100 – tenu hors du sommet uniquement par “Hey Jude” – et dépasse le million de copies vendues sur le seul marché américain
En un temps record, “Those Were The Days” devient ainsi l’un des singles les plus vendus au monde à l’époque, avec des ventes globales estimées plus tard à 8 millions d’exemplaires. Mary, quant à elle, est propulsée du jour au lendemain au rang de vedette internationale.
Ce succès phénoménal, fruit de la combinaison entre la voix limpide de Mary et le flair de McCartney, fait d’elle la figure de proue des nouveaux artistes Apple. Âgée d’à peine 18 ans, la galloise timide se retrouve sous les feux de la rampe : elle enchaîne les plateaux de télévision, notamment un passage très remarqué à l’Ed Sullivan Show aux États-Unis en octobre 1968, où des millions de téléspectateurs la découvrent chantant “Those Were The Days” en mondovision. Elle participe également au Pop Experience à la cathédrale Saint-Paul de Londres, un concert géant où elle interprète des ballades folk devant une assemblée conquise. La presse s’emballe pour cette “Cendrillon” du folk que les Beatles ont révélée au monde. Le magazine Melody Maker la sacre révélation de l’année 1968, et la France l’adopte sous le titre “Le Temps des fleurs” grâce à une adaptation en français enregistrée par la chanteuse Dalida – tellement populaire que la propre version française de Mary restera longtemps inédite en CD
En février 1969, fort de cet engouement, Apple publie le premier album de Mary Hopkin, intitulé Post Card. Là encore, Paul McCartney veille à la production du disque de bout en bout. L’album propose un mélange éclectique reflétant les goûts de Paul : on y trouve trois chansons écrites par Donovan (dont “Lord of the Reedy River” et “Happiness Runs” que Donovan avait offertes spécialement à Mary), quelques reprises de standards des années 1930 appréciés par McCartney (“Love Is The Sweetest Thing”, “Lullaby of the Leaves”…), une version du titre enfantin “The Honeymoon Song” (que les Beatles eux-mêmes chantaient à leurs débuts), sans oublier “The Puppy Song” offerte par l’auteur-compositeur américain Harry Nilsson. Mary interprète également “Y Blodyn Gwyn” en gallois sur une poésie de Ted Hughes, et “The Game”, une chanson inédite composée par George Martin (le célèbre producteur des Beatles, qui aurait même tenu le piano sur l’enregistrement) Le fil rouge de l’album reste bien sûr la voix pure et agile de Mary, qui passe avec aisance du folk intimiste aux ritournelles vintages. Post Card rencontre un joli succès : numéro 3 des ventes d’albums au Royaume-Uni, il se classe également dans le Top 30 américain. Mary Hopkin confirme ainsi qu’elle n’est pas un feu de paille d’un seul hit.
En parallèle, Mary sort en mars 1969 un second 45 tours original intitulé “Goodbye”. Ce titre doux-amer a été composé spécialement pour elle par Paul McCartney (bien qu’attribué au duo Lennon–McCartney). Produit et joué en grande partie par Paul, “Goodbye” s’inscrit dans la continuité de “Those Were The Days” avec sa tonalité nostalgique et son orchestration riche en cordes. Le single atteint la 2^e place des charts britanniques et se vend encore une fois à plus d’un million d’exemplaires, consolidant la popularité de Mary. Pourtant, derrière ce succès, la jeune femme commence à ressentir un malaise artistique. Elle confiera plus tard avoir interprété “Goodbye” en y voyant un message voilé de McCartney : « une façon pour Paul de me dire adieu et de cesser de tout gérer à ma place ». De fait, jusque-là, Mary Hopkin a été dirigée d’une main de maître par McCartney, qui choisit pour elle répertoire, producteurs et image – au point que la chanteuse, d’un naturel réservé, se sent déjà enfermée dans un rôle de “gentille chanteuse de variétés” un peu éloigné de ses racines folk. Elle commence aussi à éprouver des désaccords avec son manager Terry Doran sur l’orientation de sa carrière. Néanmoins, Mary est reconnaissante envers Paul et les Beatles de l’avoir traitée avec bienveillance malgré sa jeunesse et son inexpérience. Elle racontera que les Fab Four se sont montrés « très respectueux, de parfaits gentlemen » avec elle, la mettant à l’aise en studio comme dans la vie. L’épouse de Paul, Linda McCartney, l’emmenait même faire du shopping dans Londres pour la conseiller sur sa garde-robe de scène, des moments dont Mary garde « de merveilleux souvenirs ». Cette atmosphère familiale au sein d’Apple contraste avec la pression de plus en plus forte du succès.
Entre folk et variétés : succès imposés et premières frustrations (1970)
Au tournant de l’année 1970, Mary Hopkin est désormais une star de la pop au Royaume-Uni. Pourtant, son mentor Paul McCartney, accaparé par les projets des Beatles (qui enregistrent Let It Be puis se dirigent vers leur séparation), n’est plus aussi disponible pour s’occuper de sa protégée. Pour continuer à exploiter la vague de succès, Apple Records décide alors de confier Mary à un producteur externe réputé pour fabriquer des tubes : Mickie Most. Ce dernier a fait les belles heures de chanteurs comme Lulu ou des Animals, et vient de produire “Sunshine Superman” pour Donovan – un lien qui rassure Mary, admiratrice de Donovan. Avec Mickie Most aux commandes, le style de Mary Hopkin s’oriente résolument vers la variété grand public, au risque d’étouffer sa fibre folk.
En janvier 1970 paraît le single “Temma Harbour”, une chanson aux saveurs tropicales reprise à un obscur auteur-compositeur (Philamore Lincoln). C’est la première fois que McCartney ne produit pas l’un de ses disques. Temma Harbour se hisse tout de même dans le Top 10 britannique (#6) et se classe jusqu’en 39^e position aux États-Unis. Mary enchaîne les plateaux télé en souriant, mais le cœur n’y est déjà plus tout à fait : ce titre léger, aux arrangements sirupeux, est loin de son univers musical d’origine. La même année, Mickie Most lui fait enregistrer “Knock, Knock Who’s There?”, une bluette taillée sur mesure pour le Concours Eurovision de la chanson 1970.
Mary Hopkin est en effet choisie pour représenter le Royaume-Uni au grand concours européen, organisé en mars 1970 à Amsterdam. Ce choix est stratégique : à 19 ans, Mary est l’une des artistes britanniques les plus en vue en Europe grâce à ses tubes précédents. Le soir du 21 mars 1970, la jeune femme monte sur la scène de l’Eurovision dans une longue robe vaporeuse couleur lilas. Devant 200 millions de téléspectateurs, elle interprète “Knock, Knock, Who’s There?” avec professionnalisme, souriante et impeccable vocalement, tandis que le public du palais des congrès d’Amsterdam reprend en chœur le refrain entêtant. À l’issue du vote, Mary Hopkin décroche une honorable deuxième place pour le Royaume-Uni. Ironie du sort, elle s’incline face à une autre chanteuse débutante de 18 ans, l’irlandaise Dana, dont la ballade “All Kinds of Everything” l’emporte de justesse. Si Mary vit sportivement cette défaite (on la voit applaudir la gagnante avec fair-play), au fond d’elle la déception pointe : “Knock, Knock…” n’était pas une chanson qu’elle appréciait. « Monter sur scène pour chanter une chanson qu’on déteste, c’est atroce. À moins d’exprimer ce qu’on a en soi, cela ne rime à rien » confiera-t-elle plus tard, exprimant son manque d’affinité avec ce titre imposé. En privé, Mary surnommait même ce morceau “Knock, Knock, who’s there? – Not me!”, signe de son désaveu amusé.
Lors de la finale du Concours Eurovision 1970, la jeune chanteuse galloise interprète avec brio “Knock, Knock, Who’s There?” à Amsterdam. Malgré le succès populaire de ce titre léger (2<sup>e</sup> place du concours), Mary Hopkin éprouve un décalage grandissant entre ces chansons de variété et ses aspirations folk plus profondes.
Le single de “Knock, Knock, Who’s There?”, produit par Mickie Most, sort simultanément chez Apple. C’est un nouveau triomphe commercial : le 45 tours se vend à plus d’un million d’exemplaires à travers l’Europe et atteint la 2^e place des charts britanniques au printemps 1970. Dans plusieurs pays, on n’entend que ce joyeux « Knock, knock… who’s there? » à la radio durant des mois. Pourtant, cette réussite est en trompe-l’œil. Pour Mary Hopkin, c’est le tube de trop qui la confine dans une image de chanteuse de variétés qu’elle ne souhaite pas endosser plus longtemps. Après Eurovision, elle fait part à son entourage de son envie de revenir à des chansons plus simples, plus acoustiques, bref de retourner à ses racines folk qu’elle a mises de côté depuis deux ans. La collaboration avec Mickie Most – qui vient encore de lui faire enregistrer un dernier single, “Think About Your Children” (octobre 1970) – se tend. Ce titre, bien que moins retentissant (il ne se classe que 19^e des ventes au Royaume-Uni), finit d’agacer Mary : une bluette de plus, selon elle, sans âme. À seulement 20 ans, la chanteuse ressent un épuisement et une frustration peu communs à ce stade d’une carrière. « Je n’en pouvais plus de sourire pour des chansons qui ne me correspondaient pas », dira-t-elle en substance. Son souhait ? Renouer avec le style folk intimiste de ses débuts, quitte à décevoir ceux qui la poussent à exploiter la veine des tubes faciles.
Earth Song/Ocean Song : l’album de la maturité et la fin de l’ère Apple (1971–1972)
Résolue à reprendre sa destinée en main, Mary Hopkin aborde 1971 avec une idée précise : enregistrer un album qui lui ressemble vraiment. Un événement personnel vient aussi bouleverser sa vie : lors de sessions en studio, elle a fait la connaissance d’un jeune ingénieur du son et arrangeur prometteur, Tony Visconti. Visconti, surtout connu pour ses travaux avec T. Rex et David Bowie, est séduit par la voix de Mary – et Mary tombe sous le charme de ce musicien new-yorkais installé à Londres. Les deux entament une relation amoureuse discrète. Tony encourage Mary à concrétiser son album folk et se propose de le réaliser avec elle. Libérée de l’omniprésence de McCartney (occupé par la séparation des Beatles) et ayant écarté Mickie Most, Mary Hopkin se lance enfin dans son propre projet artistique.
En octobre 1971 paraît ainsi Earth Song/Ocean Song, son deuxième album studio chez Apple Records. Cette fois, Mary a carte blanche sur le choix des chansons, tandis que Tony Visconti assure la production et les arrangements. L’orientation du disque tranche radicalement avec Post Card : exit les reprises de comédies musicales ou les bluettes sucrées, place à un folk épuré et authentique. Mary sélectionne dix titres reflétant ses goûts : deux ballades du jeune Cat Stevens, deux chansons du duo Gallagher & Lyle (anciens musiciens de McCartney), deux autres du troubadour anglais Ralph McTell (dont une reprise de son célèbre “Streets of London”), et surtout les deux pièces “Earth Song” et “Ocean Song” qui donnent leur nom à l’album. Ces dernières sont l’œuvre d’une songwriter américaine méconnue, Liz Thorsen, mais Mary en tombe amoureuse dès la première écoute : elle s’y reconnaît intimement. Sur tout l’album, l’instrumentation est subtile et acoustique (guitares sèches, piano, flûtes, quelques cordes en arrière-plan), mettant en valeur la voix pure de Mary, plus émouvante que jamais. Enfin, Mary Hopkin peut exprimer son univers musical personnel, fait de mélancolie douce et de simplicité pastorale.
L’album Earth Song/Ocean Song reçoit un accueil critique très favorable. Les chroniqueurs saluent la cohérence et la sincérité de ce disque à contre-courant de la pop clinquante du moment : Mary Hopkin y apparaît comme une digne héritière des grandes voix folk. Pour Mary, cet album est une véritable délivrance : c’est « celui qu’[elle] avait toujours rêvé de faire » confiera-t-elle plus tard. Elle en est si fière que, considérant ne plus avoir grand-chose à prouver, elle envisage sérieusement de se retirer de la scène après sa sortie. D’une certaine manière, Earth Song/Ocean Song réalise son vœu de retrouver son identité artistique. Sur le plan commercial en revanche, l’album – sans tube évident ni promotion tapageuse – passe relativement inaperçu. Il ne produit aucun hit au Royaume-Uni (“Water, Paper and Clay”, le seul 45 tours extrait, ne classe même pas dans le Top 50) et ne se vend qu’à une échelle modeste, loin des scores de Those Were The Days. Mais peu importe : pour Mary, l’essentiel est ailleurs.
Dans sa vie personnelle, 1971 est également synonyme de changement majeur. En septembre, à 21 ans, Mary Hopkin épouse Tony Visconti, son compagnon et désormais pygmalion musical. Leur mariage, célébré dans la plus stricte intimité, symbolise aussi l’émancipation de Mary vis-à-vis de l’univers Beatles/Apple. D’ailleurs, quelques semaines plus tard, en mars 1972, Mary Hopkin annonce officiellement qu’elle quitte Apple Records. Son contrat arrivait à échéance et, sans animosité, elle choisit de ne pas le renouveler. La jeune femme aspire à se mettre en retrait de la vie publique, d’autant qu’elle envisage de fonder une famille avec Visconti. Éreintée par la vie de pop-star depuis 1968, Mary aspire à une existence plus simple et anonyme : « les paillettes, très peu pour moi », dira-t-elle en substance. Son départ coïncide avec la fin de l’âge d’or d’Apple Records, qui connaît alors des difficultés après la séparation des Beatles. D’autres artistes quittent le navire, et le label utopique des Fab Four ne tardera pas à cesser réellement ses activités dans les années suivantes. En guise d’adieu, Apple publie fin 1972 une compilation sobrement intitulée Those Were The Days, regroupant tous les succès de Mary Hopkin (de “Those Were The Days” à “Knock Knock…” en passant par “Goodbye” et “Temma Harbour”). Cet album nostalgique ne rencontrera qu’un succès d’estime, mais il clôt joliment le premier chapitre de la carrière de Mary.
Fidèle à ses convictions, Mary avait même refusé qu’Apple sorte en Angleterre un enregistrement dont elle ne voulait pas : en août 1969, sous l’insistance de Paul McCartney, elle avait enregistré la reprise du standard “Que Sera, Sera” (rendue célèbre par Doris Day) Mary n’aimait guère cette comptine datée et, après coup, s’opposa à sa publication sur le sol britannique – Apple ne put la publier qu’en France et en Amérique du Nord, où le 45 tours passa inaperçu. Ce geste symbolise la prise d’indépendance progressive de la chanteuse face à ses mentors. Désormais mariée, libérée du contrat qui la liait à Apple, Mary Hopkin est prête à tourner la page de la célébrité.
Retrait de la scène et vie de famille (1972–1975)
Lorsqu’elle quitte Apple Records en 1972, Mary Hopkin a tout juste 22 ans. Au faîte de sa popularité, elle prend pourtant la décision audacieuse de se retirer de la scène musicale pour un temps indéterminé. La priorité de Mary est désormais sa vie de famille. Installée à Londres avec Tony Visconti, elle goûte à une existence presque anonyme après l’hystérie des années Apple. En 1972 et 1973, elle se fait extrêmement discrète dans les médias.
Mary Hopkin devient mère pour la première fois en 1972, donnant naissance à une fille prénommée Jessica. Comblée par ce nouveau rôle, elle consacre l’essentiel de son temps à son foyer. Toutefois, cela ne signifie pas qu’elle a totalement abandonné la musique. En coulisses, Mary continue d’enregistrer de temps à autre, mais exclusivement pour aider les projets des autres. Elle met ainsi sa voix au service de diverses sessions produites par son mari Tony Visconti. Ainsi, tout au long des années 1970, on retrouve la mention de “Mary Visconti” (son nom d’épouse) dans les crédits de nombreux albums d’artistes variés : elle chante des chœurs ou des parties vocales pour le folksinger Tom Paxton, le groupe rock Thin Lizzy, l’auteur Ralph McTell, le groupe glam Sparks, la chanteuse Hazel O’Connor, la star de la comédie musicale Elaine Paige ou encore le groupe africain Osibisa. Elle apparaît même sur l’album Low de David Bowie (1977) – Visconti étant le producteur de l’album, il invita Mary à ajouter des vocalises éthérées sur la pièce instrumentale “Subterraneans”. Sans que le grand public le sache forcément, Mary Hopkin continue donc de faire partie de l’industrie musicale, mais dans l’ombre, en tant que choriste de luxe. Cette situation lui convient : plus de pression de carrière, plus de projecteurs braqués sur elle, juste le plaisir de chanter quand l’occasion se présente.
En janvier 1972, avant de s’éclipser, Mary avait tout de même honoré quelques engagements scéniques. Notamment, elle effectue une tournée en Australie avec d’autres musiciens folk et se produit devant 30 000 personnes lors d’un festival open-air près d’Adélaïde, où le public l’accueille en héroïne grâce à la popularité de “Those Were The Days” là-bas. Ces concerts seront parmi les derniers de sa carrière avant longtemps. En juillet 1972, la BBC lui consacre un show télévisé spécial intitulé Sing Hi, Sing Lo, une émission de divertissement légère construite autour de Mary et de ses invités ; ce sera sa dernière apparition majeure à la télévision britannique avant de longues années.
Mary Hopkin semble alors presque disparaître de la scène publique. Elle n’enregistre pas de nouvel album sous son nom pendant plusieurs années, hormis quelques disques anecdotiques. Par exemple, en 1972, avec l’aide de Visconti, elle sort un petit single de Noël (“Mary Had a Baby” / “Cherry Tree Carol”) sous un pseudonyme de circonstance (une sortie confidentielle sur Regal Zonophone) La même année, elle participe aussi incognito à un duo nommé Hobby Horse qui publie le 45 tours “Summertime Summertime” – sans succès notable. Ces incursions sont plus des clins d’œil qu’une véritable volonté de revenir sur le devant de la scène. Mary Hopkin savoure sa nouvelle vie, loin de l’agitation de la pop. En 1974, elle donne naissance à son deuxième enfant, un garçon prénommé Morgan. Installée avec sa famille dans le comté rural de Berkshire, Mary mène la vie paisible d’une jeune mère au foyer, tout en restant disponible pour soutenir en studio les projets de son mari.
Premières velléités de retour (1976–1979)
Il faut attendre 1976 pour que Mary Hopkin, la trentaine approchant, envisage de sortir de sa semi-retraite musicale. À cette époque, Tony Visconti ouvre son propre label Good Earth et encourage Mary à enregistrer de nouvelles chansons sous son nom de jeune fille. Après quatre ans de silence discographique, Mary se remet donc à composer et à chanter pour elle-même. En 1976, elle publie un nouveau single, “If You Love Me (Really Love Me)”, adaptation en anglais de L’Hymne à l’amour d’Édith Piaf. Ce choix surprend – Mary Hopkin s’attaquant à un monument de la chanson française – mais le disque obtient un succès d’estime au Royaume-Uni en se classant 32^e des ventes. Surtout, Mary savoure la liberté de cette expérience : c’est elle qui a traduit et interprété à sa façon ce classique, sans pression industrielle. En face B du single figure “Tell Me Now”, une ballade qu’elle a elle-même composée– preuve qu’elle n’a rien perdu de sa plume durant les années de retrait.
Dans la foulée, Mary Hopkin enregistre plusieurs titres en vue d’un éventuel album sur Good Earth Records. Un second single paraît, “Wrap Me in Your Arms”, accompagné en face B d’une autre de ses compositions originales “Just a Dreamer”. Ces chansons, introspectives et délicates, témoignent de l’évolution de Mary : sa voix a gagné en maturité, et son style oscille désormais entre folk et soft-rock de la fin des 70s. Plusieurs autres morceaux sont mis en boîte lors de ces sessions 1976–77, mais faute de soutien promotionnel, le projet d’album tombe à l’eau. Ce n’est que bien plus tard que Mary Hopkin pourra publier ces enregistrements inédits sur son propre label (ils seront compilés dans l’album Valentine en 2007). Pour l’heure, la chanteuse se contente de ces deux 45 tours, ravie de constater que le public ne l’a pas totalement oubliée.
Parallèlement, Mary commence à réapparaître sur scène à l’occasion de concerts folk. En 1976, elle est invitée à se produire au Cambridge Folk Festival, l’un des grands rendez-vous annuels de la musique folk en Angleterre. Accompagnée du guitariste Bert Jansch, elle y interprète des chansons traditionnelles et quelques nouveaux titres dans une ambiance conviviale, renouant avec ses premières amours musicales. Le frisson du live la gagne de nouveau, même si elle demeure mal à l’aise avec la célébrité.
Toujours en 1976, Mary participe à un projet atypique : deux membres du groupe Steeleye Span (Bob Johnson et Pete Knight) la choisissent pour incarner par la voix le personnage de la princesse Lirazel dans un album-concept folk-fantastique intitulé The King of Elfland’s Daughter. Mary prête sa voix à ce rôle féérique, ajoutant une corde à son arc artistique. L’expérience la ravit et lui permet de côtoyer d’autres musiciens de la scène folk-rock britannique.
Sur le plan personnel, la fin des années 1970 demeure toutefois tumultueuse. Mary Hopkin et Tony Visconti, dont l’union semblait solide, finissent par s’éloigner. La pression du travail de Visconti à l’international (il est très sollicité comme producteur) et la volonté de Mary de rester en Angleterre pour élever leurs enfants créent des tensions. Le couple se sépare officieusement en 1979 et entame une procédure de divorce qui sera finalisée en 1981. Mary se retrouve mère célibataire de Jessica et Morgan, ce qui la conforte dans son choix de ne pas repartir dans une carrière musicale harassante.
Signalons qu’en 1979, la maison Decca a publié un album compilation intitulé The Welsh World of Mary Hopkin, regroupant les premières chansons galloises que Mary avait enregistrées avant l’époque Apple. Ce disque, diffusé confidentiellement, montre que la popularité de Mary persiste chez certains fans, notamment au pays de Galles où l’on n’a pas oublié la « petite Mary de Pontardawe ». Mais globalement, en cette fin de décennie, Mary Hopkin est surtout perçue comme une douce relique des sixties, ayant choisi de se retirer loin du show-business.
Diversification et collaborations (années 1980)
Divorcée officiellement de Tony Visconti en 1981, Mary Hopkin entame les années 1980 avec la volonté de reprendre le chant pour le plaisir, sans chercher les feux de la rampe. Elle vit toujours en Angleterre et veille sur ses deux adolescents, tout en acceptant ponctuellement des projets artistiques qui l’enthousiasment.
En 1982, le compositeur grec Vangelis lui propose de participer à la bande originale du film de science-fiction Blade Runner. Mary enregistre ainsi la pièce vocale “Rachel’s Song”, une mélodie éthérée où sa voix, presque angélique, flotte sans paroles. Ce morceau, utilisé dans le score du film, ne sera finalement audible que sur l’album de la BO (et coupé du montage cinématographique), mais il introduit Mary Hopkin à un nouveau public amateur de musiques électroniques et d’ambiances planantes.
En 1983, le producteur Mike Hurst (ex-membre des Springfields) la contacte pour un projet surprenant : former un nouveau groupe combinant pop et musique classique. L’idée aboutit à la création du trio Oasis (sans aucun lien avec le futur groupe rock homonyme des années 90). Aux côtés de Mary, on trouve le chanteur/pianiste Peter Skellern et le violoncelliste Julian Lloyd Webber (frère du célèbre Andrew Lloyd Webber). Le groupe Oasis enregistre un album éponyme qui sort en 1984 chez WEA. Mary y partage le chant avec Skellern tandis que le violoncelle dialogue avec sa voix sur plusieurs titres, créant une atmosphère feutrée et sophistiquée. Contre toute attente, l’album Oasis obtient un joli succès en Angleterre, atteignant la 23^e place du classement des ventes d’albums et s’y maintenant 14 semaines Deux singles en sont extraits, dont “What’s Love”, une chanson aux accents country-rock qui devient un hit… en Afrique du Sud (où il se classe dans le Top 10). Fort de ces résultats, Oasis prévoit une tournée au Royaume-Uni en 1984 pour capitaliser sur cet engouement. Malheureusement, le destin s’acharne : Mary Hopkin tombe malade juste avant le début de la tournée. Rongée par l’inquiétude de laisser ses enfants et peu enthousiaste à l’idée de reprendre la route, elle décide de se retirer du projet. La tournée est annulée, et le groupe Oasis se dissout peu après. Mary admettra qu’elle ne se sentait pas à l’aise avec les concerts à grande échelle : la pression d’être à nouveau sous les projecteurs lui pesait, tout comme l’expérience mitigée de partager le devant de la scène. Néanmoins, cette escapade lui aura redonné confiance en ses capacités artistiques et prouvé qu’elle peut encore intéresser le public.
Durant les années 1980, Mary Hopkin continue de faire des apparitions ponctuelles dans des évènements spéciaux. Elle participe à plusieurs concerts de charité, dont un gala en 1981 au London Palladium aux côtés de son vieil ami Ralph McTell. En 1988, elle accepte un projet prestigieux piloté par le producteur historique des Beatles, George Martin : l’enregistrement d’une version intégrale pour disques de la pièce radiophonique Under Milk Wood du poète gallois Dylan Thomas. Aux côtés d’acteurs et chanteurs britanniques, Mary interprète le rôle chanté de Rosie Probert et enregistre un magnifique “Love Duet” en duo avec l’acteur Freddie Jones (qui tient le rôle du capitaine Cat). La réalisation de ce double-album fait l’objet d’un documentaire diffusé dans l’émission The South Bank Show, où l’on revoit Mary Hopkin en studio, concentrée et humble, ravie de travailler à un projet artistique rendant hommage à son pays de Galles natal. En 1992, elle montera même sur scène pour une représentation live exceptionnelle d’Under Milk Wood devant le prince Charles, retrouvant l’espace d’un soir le plaisir du spectacle.
En 1989, après une décennie ponctuée de collaborations et de parenthèses musicales, Mary Hopkin réalise l’un de ses vieux rêves : enregistrer un album de mélodies classiques. L’album Spirit, publié sur un petit label nommé Trax, rassemble ainsi des airs célèbres signés Schubert, Puccini, Fauré, Mascagni ou Mozart, que Mary interprète avec délicatesse, accompagnée principalement au synthétiseur – un choix d’arrangement qui s’avère malheureusement maladroit. Malgré la beauté de sa voix sur “Ave Maria” ou l’hymne “Jerusalem”, l’album souffre d’une production trop kitsch et d’une distribution quasi inexistante, ce qui le condamne à l’anonymat. Les ventes de Spirit sont confidentielles, mais Mary ne s’en formalise pas : cet album a avant tout satisfait une envie personnelle de longue date. Il marque la fin d’une époque : avec Spirit, Mary Hopkin n’aura plus rien sorti sur le marché musical traditionnel avant de nombreuses années, préférant ensuite s’autoproduire.
Entre discrétion et redécouverte (années 1990)
Les années 1990 voient Mary Hopkin continuer son chemin hors des projecteurs, tout en participant à de discrets projets musicaux. En 1990, elle renoue avec la scène folk celtique en rejoignant le célèbre groupe irlandais The Chieftains le temps d’un concert de bienfaisance au London Palladium. L’alchimie est telle qu’elle accepte de partir en tournée au Royaume-Uni avec eux peu après, retrouvant avec bonheur le public folk qui l’avait tant manqué. Mary apprécie de chanter en chœur, de façon moins exposée, au sein de la formation traditionnelle des Chieftains.
Durant la décennie, elle s’associe à divers musiciens pour des projets originaux. Ainsi, vers 1992, elle collabore avec le claviériste Julian Colbeck sur un album concept mêlant musique classique et new age intitulé Back to Bach : Mary y écrit les paroles et interprète une chanson inspirée par des motifs de Jean-Sébastien Bach. Elle prête aussi sa voix à deux titres d’une sorte d’opéra-pop produit par le Français Cerrone, The Collector, montrant sa capacité à naviguer entre les genres musicaux. En 1995, elle retrouve des comparses du folk-rock, Brian Willoughby et Dave Cousins (ex-membres du groupe Strawbs), pour chanter sur leur album The Bridge – une collaboration intimiste qui rappelle ses racines.
Parallèlement, l’héritage de Mary Hopkin suscite un regain d’intérêt. En 1996, le label gallois Sain acquiert les bandes master des enregistrements de jeunesse en gallois de Mary et publie une compilation intitulée Y Caneuon Cynnar – The Early Recordings. Ce CD regroupe toutes les chansons galloises que Mary avait gravées sur EP à 17 ans, cette fois sans les fioritures de batterie rajoutées dans les versions Decca des années 70. L’album se vend bien au pays de Galles, où Mary Hopkin reste une figure chérie incarnant la tradition locale.
En 1998, deux documentaires télévisés lui sont consacrés coup sur coup : l’un diffusé sur la BBC et un autre sur la chaîne galloise S4C. Ces portraits filmés dressent le bilan de sa carrière, alternant images d’archives (Mary aux côtés des Beatles en 1968, Mary triomphant à l’Eurovision, etc.) et interviews de la chanteuse, désormais quinquagénaire, s’exprimant avec humilité depuis sa campagne galloise. Mary y explique son choix de vie atypique et confirme qu’elle n’a « aucun regret » quant à son retrait précoce de la pleine lumière. Le public britannique redécouvre avec tendresse cette artiste emblématique des sixties, un peu oubliée mais jamais disparue des cœurs.
À la fin des années 90, Mary Hopkin refait même surface là où on ne l’attendait pas. En 1999, elle accepte l’invitation de son ami Benny Gallagher (qui lui avait écrit des chansons à l’époque Apple) pour une petite série de concerts en Écosse, aux côtés du chanteur écossais Jim Diamond. Dans de modestes salles, Mary reprend ses anciens succès en version acoustique et quelques ballades folk. Le public, ému, l’accueille triomphalement : la nostalgie opère à plein. Mary, qui n’avait pas chanté ses tubes en public depuis des décennies, confie que ces concerts intimistes lui ont redonné goût à la scène.
En 1999 toujours, elle rejoint de nouveau les Chieftains sur certaines dates de leur tournée britannique, prouvant que sa voix est restée intacte et qu’elle peut encore enchanter les foules, même de façon épisodique.
Dans la culture populaire, Mary Hopkin reste à jamais associée à “Those Were The Days”, chanson emblématique de 1968. Aussi, à la fin des années 90, on la sollicite pour participer à un album tribute to The Beatles produit par le musicien Ramoncín Pietsch : Mary y reprend avec respect une chanson des Beatles, rappelant combien son destin est lié au leur Plus inattendu, elle accepte avec humour de ré-enregistrer “Those Were The Days” dans une version farfelue où l’acteur Robin Williams intervient en faisant du rap . Ce duo insolite – Mary chantant son refrain nostalgique pendant que Williams improvise des rimes décalées – illustre la capacité de la chanteuse à ne pas se prendre au sérieux et à célébrer son grand hit de manière ludique. La version paraît sur un album caritatif anglo-américain et fait sourire la critique. Mary Hopkin, qu’on a connue si sérieuse et réservée, montre ici un visage plus espiègle.
Au crépuscule des années 90, Mary participe encore à la bande originale d’un film gallois, Very Annie Mary (2001) de Sara Sugarman, où elle fait une courte apparition. Loin du star-système, sa carrière se poursuit donc sous des formes discrètes mais variées, guidée par ses seules envies.
Vers une carrière indépendante (années 2000)
Entrant dans le 21^e siècle, Mary Hopkin prend une décision cruciale : reprendre le contrôle total de sa musique. Échaudée par l’industrie et soucieuse de préserver son indépendance, elle fonde avec sa fille Jessica son propre label, Mary Hopkin Music, vers 2005. L’objectif est de publier ses œuvres selon ses termes, sans intermédiaire.
La première parution de ce label est un trésor pour les fans : Live at the Royal Festival Hall 1972, un enregistrement public inédit du concert d’adieu que Mary avait donné à Londres en 1972 juste avant de se retirer. On y redécouvre une Mary Hopkin de 22 ans, au sommet de son art, en train d’interpréter ses succès (“Those Were The Days”, “Morning of My Life”, “Goodbye”…) devant une salle conquise. Sorti en 2005, ce live obtient un bel accueil critique et prouve que l’empreinte vocale de Mary sur scène était aussi forte qu’en studio.
L’année suivante, pour Noël 2006, Mary offre à ses admirateurs un petit cadeau numérique : une chanson inédite de saison intitulée “Snowed Under”, disponible uniquement en téléchargement. Là encore, c’est un morceau qu’elle a écrit dans les années 70 et qu’elle ressort des tiroirs, l’enregistrant de nouveau dans une ambiance feutrée.
En 2007, Mary Hopkin célèbre son 57^e anniversaire en publiant un nouvel album via son label : Valentine. Ce disque regroupe 12 chansons inédites enregistrées entre 1972 et 1980, jamais divulguées jusqu’alors. Il s’agit en majorité de démos ou de chansons restées inachevées à l’époque, que Mary a décidé de finaliser et de partager. Parmi elles, trois titres ont été écrits par Mary elle-même, montrant l’étendue de son talent de compositrice longtemps occulté. Valentine reçoit un accueil chaleureux des inconditionnels, heureux d’entendre de nouvelles pièces du « golden age » de Mary Hopkin. La chanteuse explique dans le livret qu’elle a choisi ces chansons avec soin, guidée par l’affection qu’elle leur portait.
En 2008, Mary Hopkin poursuit sur sa lancée en sortant Recollections, un nouvel album d’archives. Celui-ci contient 11 titres enregistrés entre 1970 et 1986, dont certains proviennent de ses sessions avortées de la fin des années 70. Pour l’occasion, Mary inclut un CD bonus réunissant trois chants de Noël traditionnels – “Mary Had a Baby”, “Cherry Tree Carol” et “Snowed Under” – histoire de rendre disponibles sur support physique les chansons qu’elle avait jadis publiées de manière confidentielle. L’ensemble de ces publications en série dessine le portrait d’une artiste soucieuse de partager tout ce qu’elle a créé, comme pour boucler la boucle de sa carrière passée.
En mai 2009, Mary Hopkin livre ce qu’elle annonce comme son ultime plongée dans les archives avec l’album Now and Then. Ce disque compile 14 enregistrements s’échelonnant de 1970 à 1988, en grande partie des démos jamais entendues précédemment. Parmi elles, on trouve même des chansons en gallois ou des reprises surprenantes. Mary estime alors avoir vidé ses cartons d’archives et donné à son public fidèle de quoi combler l’attente.
Mais loin de se reposer sur ses lauriers, la chanteuse aborde une nouvelle phase créative : celle de la collaboration familiale. Sa fille Jessica Lee Morgan, devenue chanteuse et auteur-compositrice à son tour, sort son premier album en 2010 et Mary ne résiste pas au plaisir d’y participer. Mieux, Mary s’associe à son fils Morgan Visconti (désormais musicien et arrangeur) pour réaliser un album entier en duo mère-fils : You Look Familiar, publié en octobre 2010. Sur ce disque, Mary Hopkin écrit mélodies et paroles et chante, pendant que Morgan se charge des arrangements modernes empruntant à l’électro-pop. Le résultat, à la fois intimiste et actuel, met en lumière une Mary Hopkin toujours créative, s’essayant même à des sonorités contemporaines. La critique salue la démarche et souligne la belle alchimie familiale qui s’en dégage.
En 2013, à 63 ans, Mary Hopkin surprend encore en dévoilant Painting by Numbers, un album de chansons originales entièrement écrites par elle au fil des ans . C’est la première fois de sa carrière qu’un album entier est composé de morceaux dont elle est l’auteure (à deux exceptions près, co-écrites avec ses complices Brian Willoughby et Benny Gallagher). Painting by Numbers révèle enfin Mary Hopkin la songwriteuse, avec des titres folk-pop d’une grande délicatesse, empreints de ses expériences de vie. On est loin de “Those Were The Days” ou des airs traditionnels : Mary s’y montre introspective, abordant notamment le temps qui passe (“Love, Long Distance”) ou les petits bonheurs quotidiens (“Love Belongs Right Here”). Sorti sur son label, l’album remporte un franc succès d’estime auprès des amateurs de folk, heureux de voir Mary Hopkin revenir avec du neuf et du personnel.
À Noël 2014, Mary réalise un joli projet en famille : elle enregistre avec Jessica et Morgan un chant de Noël traditionnel gallois, “Iesu Faban” (signifiant « bébé Jésus ») qu’ils arrangent en harmonies vocales serrées. Publié en single numérique, ce morceau choral tout en douceur ravit les fans et témoigne de la transmission musicale entre Mary et ses enfants.
Enfin, le 30 août 2018, Mary Hopkin célèbre le 50^e anniversaire de “Those Were The Days” d’une manière émouvante. Elle sort un EP comprenant une nouvelle version acoustique de son tube fétiche, enregistrée simplement à la guitare, donnant à la chanson un éclairage plus intime et épuré. En complément, elle y adjoint un enregistrement live de “Those Were The Days” capté lors de son concert d’adieu en 1972, ainsi que les versions multilingues (en espagnol, italien, allemand, français) qu’elle avait réalisées à l’époque et “Goodbye” dans sa version de 1977 produite par Visconti. Cette sortie spéciale, accueillie avec nostalgie par le public, montre que cinquante ans plus tard Mary Hopkin n’a rien perdu de sa voix angélique et que la chanson qui l’a rendue célèbre n’a pas pris une ride. Mary confiera qu’elle tenait à remercier son public de l’avoir soutenue pendant un demi-siècle, et qu’elle considère Those Were The Days comme « le cadeau de Paul McCartney qui a changé [sa] vie » – un cadeau qu’elle chérit toujours.
Une artiste toujours active dans les années 2020 et un héritage durable
À plus de 70 ans, Mary Hopkin demeure active musicalement, bien qu’avec parcimonie. Pour son 73^e anniversaire le 3 mai 2023, elle se fait un merveilleux auto-cadeau : la sortie d’un nouvel album intitulé Two Hearts, enregistré en duo avec sa fille Jessica Lee Morgan. Cet album, publié sur leur label familial, propose un savoureux mélange de compositions originales et de reprises éclectiques – allant de chansons du groupe The Bangles à Dire Straits. Mary et Jessica y chantent à l’unisson ou en harmonie, leurs voix de deux générations se répondant avec tendresse. Two Hearts symbolise la transmission et l’amour de la musique qui unit la famille Visconti/Hopkin. À sa sortie, l’album reçoit un accueil attendri des médias britanniques, saluant la longévité artistique de Mary Hopkin et la relève assurée par sa fille.
Désormais âgée de 75 ans, Mary Hopkin mène une existence paisible loin du star-system, partagée entre le sud du pays de Galles et le Dorset en Angleterre. Elle donne très peu d’interviews et n’apparaît presque plus en public, préférant laisser sa musique parler pour elle. Son visage a vieilli, mais sa voix, disent ceux qui l’ont entendue récemment, conserve cette qualité pure et émouvante qui avait enchanté le monde en 1968. Mary n’a jamais cherché les honneurs ou les récompenses ; d’ailleurs, elle n’a remporté ni Brit Award ni autres prix majeurs au cours de sa carrière. Toutefois, son impact culturel est indéniable.
Plus d’un demi-siècle après ses débuts, l’héritage de Mary Hopkin se décline en plusieurs volets :
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Sur le plan musical, elle reste pour toujours associée à “Those Were The Days”, l’un des grands standards de la fin des années 60. Ce titre intemporel, régulièrement repris au cinéma, dans les publicités ou par d’autres artistes, perpétue le souvenir de sa voix. Beaucoup de gens connaissent la chanson sans parfois savoir qui la chante, preuve qu’elle a dépassé son interprète pour entrer dans la culture populaire. Mary Hopkin aura eu la chance d’enregistrer “Those Were The Days” à 18 ans, au bon moment, avec la bonne équipe – et ce morceau lui a assuré une forme d’immortalité musicale.
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Mary Hopkin est également un symbole de l’utopie Apple Records. Son succès fulgurant a montré ce que la vision des Beatles pouvait accomplir : en faisant confiance à une inconnue galloise, Apple a prouvé qu’il existait des talents hors du commun en dehors du circuit traditionnel. Mary a souvent été appelée « la protégée des Beatles » dans les médias, et ce surnom résume bien l’aura qui l’entoure : elle est un peu l’enfant spirituelle du Flower Power britannique, découverte et lancée par les princes de la pop eux-mêmes. Cette proximité avec les Beatles est restée un aspect marquant de son image, pour le meilleur et pour le pire.
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Son choix de privilégier sa vie personnelle et son intégrité artistique, quitte à renoncer aux feux de la rampe, force le respect. À une époque (les années 70) où nombre d’artistes se brûlaient les ailes dans la célébrité, Mary Hopkin a eu la sagesse – et peut-être le courage – de se retirer pour vivre une vie plus normale. Cette décision lui a sans doute coûté une carrière plus grande encore, mais elle lui a permis de construire une existence équilibrée. Elle est parfois perçue comme une énigme dans l’histoire de la pop : comment une chanteuse aussi populaire a-t-elle pu presque disparaître ? La réponse tient à ses priorités et à son tempérament réservé. Aujourd’hui, beaucoup saluent ce parcours sans compromis, qui fait de Mary Hopkin une artiste à part, un peu culte.
Relations avec Apple et les Beatles : un tremplin déterminant
Impossible d’évoquer Mary Hopkin sans parler de son lien unique avec Apple Records et les Beatles. Sa carrière est indissociable de ces légendes de la musique qui l’ont découverte et propulsée sur le devant de la scène. En 1968, Mary devient en effet la première artiste signée sur Apple après les Beatles eux-mêmes. Ce tout jeune label, créé par le quatuor de Liverpool, se voulait un espace de liberté et de créativité pour eux et pour les talents qu’ils choisiraient de soutenir. À 18 ans, Mary Hopkin se retrouve ainsi au cœur de cette aventure : Paul McCartney prend fait et cause pour elle, la produisant en personne en studio, choisissant avec soin des chansons susceptibles de mettre en valeur sa voix. Il lui fait enregistrer “Those Were The Days”, pariant avec raison que ce titre au charme nostalgique touchera le public mondial. Le succès incroyable du single donnera raison à Paul : Mary Hopkin devient du jour au lendemain une star internationale, propulsée en tête des classements devant même les Beatles – “Those Were The Days” a brièvement détrôné “Hey Jude” en tête du Melody Maker, exploit symbolique de l’élève dépassant le maître. Les Beatles, généreux et sans ego mal placé, se réjouissent de ce triomphe. En interne, Mary est traitée comme la petite protégée de la maison : John, George et Ringo la côtoient dans les bureaux d’Apple à Savile Row et suivent ses progrès. Elle se souvient les avoir croisés lors du fameux Noël 1968 organisé chez Apple, où elle chante des cantiques en chœur avec eux lors de la fête de fin d’année – des photos d’époque la montrent tout sourire aux côtés de John Lennon en train de trinquer.
Paul McCartney restera le Beatle le plus impliqué dans la carrière de Mary. Outre la production de ses premiers disques, il lui écrit la chanson “Goodbye” en 1969 et l’accompagne à la guitare lors de sessions informelles. Mary décrit Paul comme un mentor exigeant mais bienveillant, presque paternel malgré la différence d’âge assez faible (il a 25 ans, elle 18). Il la surnomme « our Mary » (notre Mary) et la protège des excès de la célébrité. Mary apprécie également beaucoup George Harrison, qu’elle trouve doux et spirituel : George la convie d’ailleurs à participer aux chœurs d’un single caritatif produit par lui (“Govinda” du Radha Krishna Temple en 1970), montrant qu’il la considère partie intégrante de la famille Apple. Quant à Ringo Starr, il lui envoie un mot d’encouragement lorsqu’elle est sélectionnée pour l’Eurovision, et Mary croisera plus tard sa route sur un plateau télé dans les années 80 (à l’occasion d’un show spécial où ils étaient tous deux invités). John Lennon, plus distant, l’a toujours traitée avec gentillesse et humour, la taquinant sur son accent gallois. Mary racontera que John, lors de leur première rencontre, l’a accueillie d’un trait d’humour en la comparant à « Snow White » (Blanche-Neige), sans doute impressionné par son allure innocente au milieu du tumulte londonien.
Si Mary Hopkin a bénéficié d’un formidable tremplin grâce aux Beatles, cette relation aura aussi son revers. En 1969, alors que les Fab Four se désengagent progressivement d’Apple pour se concentrer sur leurs affaires personnelles, Mary perd un peu ses repères. Paul, accaparé par la fin mouvementée des Beatles, n’est plus en studio avec elle ; c’est la fin d’une époque dorée où elle pouvait compter sur la présence rassurante de son mentor. La gestion d’Apple est reprise en main par le manager Allen Klein, qui cherche à rentabiliser les investissements : Mary se voit imposer des choix plus commerciaux (d’où l’association avec Mickie Most). Ses aspirations artistiques passent au second plan, ce qui engendre son malaise et finit par la convaincre de quitter Apple. Elle dira plus tard qu’après le départ de McCartney, Apple Records n’était plus tout à fait le même havre créatif, et qu’il était logique pour elle de s’en aller en bons termes.
Au fil des décennies suivantes, Mary Hopkin restera liée aux Beatles dans l’imaginaire collectif. Chaque fois que l’on raconte l’histoire d’Apple Records, son nom revient aux côtés de ceux de James Taylor ou Badfinger comme exemple des talents découverts par les Beatles. Mary ne reniera jamais cette filiation : elle se dit fière d’avoir fait partie de la « famille Apple » et reconnaissante envers Paul et ses comparses de lui avoir offert cette chance unique. Même si elle a rapidement choisi une autre voie, elle sait que sans eux, sa destinée n’aurait pas été la même. Lors des quelques interviews qu’elle a accordées sur le tard, Mary rend hommage aux Beatles en les qualifiant de « gens bien, sincèrement préoccupés d’aider les artistes » – loin de l’image cynique que l’on prête parfois aux magnats de l’industrie musicale. En somme, les Beatles ont été pour Mary Hopkin des parrains bienveillants, qui lui ont ouvert la porte du succès tout en respectant son intégrité. Et Mary, en retour, a ajouté une belle page à la légende des Beatles : celle de cette jeune voix galloise qui, l’espace d’une chanson, a conquis le monde sous leur houlette.
L’itinéraire de Mary Hopkin est à nul autre pareil dans le paysage de la pop music. À 18 ans, elle touche les étoiles grâce à un conte de fées moderne orchestré par les Beatles, devenant l’emblème d’une époque insouciante avec “Those Were The Days”. Puis, au lieu de poursuivre une carrière sous les sunlights, elle choisit de s’en éloigner pour préserver l’authenticité de son art et mener une vie simple. Discrète, presque effacée, elle n’en a pas moins continué de chanter, de créer et d’influencer de manière sous-jacente la scène folk britannique. Son histoire interroge la notion de succès : Mary Hopkin a connu la gloire fulgurante, puis s’en est délibérément écartée, en quête d’un bonheur plus réel que celui qu’apporte la célébrité.
Aujourd’hui, lorsque l’on réécoute sa voix claire et mélodieuse, on est frappé par son intemporalité. Qu’elle chante une romance nostalgique en 1968 ou une berceuse galloise en 2014, Mary Hopkin touche au cœur par sa sincérité. Elle a inspiré de nombreuses chanteuses folk qui ont suivi, notamment au pays de Galles où elle demeure une figure respectée de la culture nationale aux côtés d’artistes comme Shirley Bassey ou Bonnie Tyler. Mais au-delà des honneurs, c’est dans le souvenir des gens que Mary Hopkin a laissé son empreinte la plus profonde : celui d’une jeune femme souriante chantant « Those were the days, my friend… », hymne universel à la nostalgie et à la beauté des souvenirs. Ces jours-là, Mary ne les a jamais vraiment quittés : ils vivent en elle et dans tous ceux qui écoutent sa musique, hier comme aujourd’hui. C’est là, sans doute, la plus belle réussite de Mary Hopkin : avoir su, en quelques chansons, capturer un peu de l’âme du temps et la restituer pour l’éternité.
