« Check My Machine », face B du single « Waterfalls », est un exemple frappant de l’expérimentation sonore de Paul McCartney sur l’album McCartney II. Dans ce morceau, il manipule des boucles, des percussions et des voix issues de dessins animés, marquant une rupture avec ses précédentes productions. Cette chanson, peu connue du grand public, révèle l’esprit libre et aventureux de McCartney, qui s’éloigne des formats traditionnels pour créer une œuvre ludique, presque avant-gardiste.
La trajectoire de Paul McCartney après la fin des Beatles est jalonnée d’expérimentations, de retours aux sources et d’élans audacieux. Au début des années 1980, l’ancien bassiste et chanteur des Fab Four montre qu’il entend s’affranchir des recettes classiques de la pop en explorant des voies technologiques et des formes de composition plus libres. Dans ce contexte, l’albumMcCartney II(1980) occupe une place à part : il reflète un désir de solitude créative et de rupture assumée, tout en révélant une propension à tester les machines, les boucles, voire des idées encore inabouties. Au milieu de ces expérimentations figure « Check My Machine », un titre qui, en dépit de son statut de face B du single « Waterfalls », va fasciner un certain public et illustrer cette posture de « professeur fou » que McCartney revendique à demi-mot.
Lorsqu’on s’intéresse à l’histoire de la musique rock, on constate à quel point l’année 1980 est cruciale : l’explosion du post-punk, la généralisation des synthétiseurs, la popularité croissante des boîtes à rythmes, et l’apparition timide de l’échantillonnage. Les artistes qui ont dominé la décennie précédente se trouvent face à un choix : perpétuer la même formule ou emprunter de nouvelles voies. Paul McCartney, tout juste remis de l’aventure Wings, choisit de se recentrer sur lui-même, comme en 1970 avec l’albumMcCartney. Sauf que cette fois, il ne s’agit plus simplement de prouver son indépendance après la séparation des Beatles, mais de s’aventurer dans un univers électronique qui, jusque-là, lui avait été peu familier.
L’élan de solitude créative autour de McCartney II
L’albumMcCartney IIse conçoit durant l’été 1979. Son prédécesseur direct,Back to the Egg(1979), publié par Wings, n’a pas connu le succès escompté, et McCartney est désormais libre d’œuvrer sans les contraintes d’un groupe fixe. Cet état d’esprit de retrait, où Paul s’isole dans son studio personnel, fait écho à la démarche qui avait mené àMcCartneyen 1970. Il se retrouve seul maître à bord, décide de tout enregistrer lui-même et s’octroie la liberté de laisser courir son imagination.
Pendant ces sessions, McCartney explore de nouveaux instruments, notamment des claviers et des synthétiseurs qu’il met au service de l’expérimentation sonore. Il manipule les effets, joue avec la réverbération et la superposition de pistes, tout en conservant la spontanéité qui lui est propre.McCartney IIn’est pas pensé comme une suite de morceaux au format traditionnel : on y trouve des instrumentaux, des morceaux prolongés, et des embryons d’idées métamorphosés au gré de l’inspiration.
C’est dans ce contexte qu’il faut replacer « Check My Machine ». Le titre est souvent associé à l’émergence des premières pistes enregistrées pour l’album, bien que Paul lui-même ait précisé que « Front Parlour » était le véritable premier enregistrement de ce cycle. Toujours est-il que « Check My Machine » s’inscrit dans cette veine où McCartney manipule son studio comme un laboratoire, ajoutant pistes de percussion, lignes de basse, fragments vocaux, et échantillons empruntés à des sources inattendues.
La genèse et l’esprit ludique de « Check My Machine »
Derrière l’aspect apparemment improvisé de « Check My Machine », on décèle un esprit ludique caractéristique de Paul McCartney. Il s’agit d’explorer le potentiel des enregistrements multipistes, de jouer avec les boucles et de tester ses propres limites. Le titre est né de l’idée de « vérifier la machine » : autrement dit, vérifier le matériel d’enregistrement, s’assurer que tout fonctionne correctement. Or, chez McCartney, cette vérification prend la forme d’un morceau à part entière, où la voix se mêle à des percussions répétitives et à des effets électroniques.
Dans des interviews ultérieures, dont celles accordées àThe Quietusen 2011 et reprises dans le livreThe Lyrics: 1956 To The Present, McCartney se souvient de son état d’esprit : il insiste sur l’absence de boucles préenregistrées ou de « samples » au sens moderne. Il explique avoir joué la totalité des percussions en temps réel, tambourin et maracas compris, pendant la durée de la prise, là où un musicien actuel se contenterait d’enregistrer quelques mesures pour ensuite les dupliquer. Ce plaisir presque artisan permet de comprendre l’esthétique de « Check My Machine », qui, malgré sa coloration expérimentale, reste ancrée dans une démarche organique.
Le rôle de la voix et l’héritage du scat
Au fil des huit minutes originelles de « Check My Machine », le chant de McCartney n’a rien d’un texte ordinaire. Il emprunte parfois à des onomatopées et à des segments de phrases dont le sens importe peu. Il y a là un écho direct au scat, pratique vocale popularisée par des légendes du jazz comme Ella Fitzgerald, Louis Armstrong ou Fats Waller. McCartney, qui voue une grande admiration à ces géants, joue sur l’effet rythmique et mélodique des phonèmes, davantage que sur la signification précise des mots.
Dans diverses prises de parole, il a reconnu qu’il ne se souciait pas vraiment de la traduction ou de la transcription de son pseudo-texte, car l’important résidait dans l’énergie et l’ivresse du moment. Pourtant, un leitmotiv clair émerge : « Check my machine ». Ces trois mots constituent le cœur conceptuel du titre, comme une injonction ludique à vérifier l’instrument ou la technologie disponible. Cette formule martelée agit à la fois comme un refrain et comme un avertissement : dans ce monde sonore, Paul s’amuse, teste, évalue.
L’apport singulier des échantillons vocaux de Mel Blanc
L’une des particularités marquantes de « Check My Machine » est l’utilisation de samples provenant d’un dessin animé de la Warner Bros, doublé par le célèbre Mel Blanc. À l’orée du morceau, on entend « Hi George » / « Morning Terry », ainsi que la formule « Sticks and stones may break my bones but names will never hurt me ». Ce sont des extraits tirés de « Tweet Zoo », un court métrage de 1957 mettant en scène Titi et Sylvestre (Tweety & Sylvester).
Paul McCartney, grand amateur de dessins animés et de fantaisie en tout genre, s’approprie ces extraits pour créer une atmosphère étrange, quasi enfantine, au début de la chanson. Il montre ainsi qu’il scrute le potentiel d’insertion de voix extérieures dans ses propres compositions. S’il ne s’agit pas, à proprement parler, d’un sample musical, on pourrait y voir une préfiguration de la culture du collage qui s’épanouira dans la décennie suivante avec l’explosion du hip-hop.
Un contraste saisissant avec la ballade « Waterfalls »
« Check My Machine » sort en 1980 en face B du single « Waterfalls », extrait deMcCartney II. Entre la douceur mélancolique de « Waterfalls », qui est une ballade synthétique et minimaliste, et l’étrangeté rythmique de « Check My Machine », le contraste est pour le moins évident. Sur la face A, McCartney livre un texte plus traditionnel, parfois rapproché de l’esprit de « Yesterday » ou de « Let It Be » dans son dépouillement. Sur la face B, il se permet une incursion décomplexée dans une musique répétitive et quasi hypnotique.
Pour le public de l’époque, ce grand écart sert d’indicateur : Paul McCartney n’est pas seulement l’ancien Beatle rompu aux mélodies imparables, mais aussi un musicien avide de nouveautés, prêt à s’aventurer dans l’expérimentation. Cette dualité habite l’ensemble deMcCartney II. On y trouve d’ailleurs un autre titre dit expérimental, « Secret Friend », qui dépasse les dix minutes et mise lui aussi sur la répétition.
Les versions abrégée et intégrale de la chanson
À l’origine, « Check My Machine » dure près de neuf minutes (environ 8 minutes 59 secondes). Cependant, pour la sortie du 45-tours, la chanson est raccourcie à 5 minutes 51, afin de mieux cadrer avec les formats radio et de permettre une meilleure lisibilité sur vinyle. Cette coupure n’enlève rien à la saveur ludique du morceau, mais certains admirateurs regrettent de ne pas pouvoir savourer l’intégralité de la performance spontanée de McCartney dans la version commerciale de l’époque.
Il faudra attendre l’édition Archive Collection deMcCartney II, publiée en 2011, pour que le grand public puisse accéder à la version complète de « Check My Machine ». Dans la continuité d’un travail de réédition visant à restaurer l’ensemble du catalogue de McCartney, cette nouvelle parution inclut divers inédits, prises alternatives et morceaux inextirpables des bandes originales. Le long format de « Check My Machine » révèle le sens de la répétition, de la pulsation et de la scansion qui anime Paul, et permet aux passionnés de comprendre l’ampleur des expérimentations sonores menées dans son home studio.
Des échos de la « période Mad Professor »
Paul McCartney décrit parfois la période entourant la réalisation deMcCartney IIcomme sa « période du professeur fou » (« mad professor period »). Cette formule n’est pas à prendre à la légère : elle renvoie à l’image d’un créateur enfermé dans un laboratoire, manipulant les potentiomètres, les bandes magnétiques, les synthétiseurs, et se fiant à son intuition plus qu’à un plan préétabli.
Cette liberté découle aussi d’une absence de contrainte commerciale immédiate : en effet, McCartney n’est pas sûr, au départ, de la façon dont il diffusera ces enregistrements. Il les conserve pour lui-même, puis décide plus tard qu’ils méritent d’être publiés sous la forme d’un album complet. Dans ce cadre, « Check My Machine » fait figure d’exemple patent de ce qu’il peut produire lorsqu’il se libère des formats habituels de la chanson pop. C’est, en quelque sorte, un prolongement d’une démarche initiée surMcCartney(1970), où il jouait déjà seul la majorité des instruments.
La réception critique et l’accueil du public
En 1980, l’albumMcCartney IIdivise. Certains critiques saluent l’audace et la modernité d’un Paul McCartney qui s’essaie à l’électronique, au minimalisme et à l’expérimentation. D’autres, au contraire, jugent que le résultat manque de cohérence et se disperse dans des trouvailles sonores jugées anecdotiques. Les singles extraits de l’album, dont « Waterfalls », connaissent un succès mitigé. Au Royaume-Uni, « Waterfalls » grimpe toutefois jusqu’à la septième place des classements, tandis qu’aux États-Unis, il ne franchit pas la barre symbolique du Top 100, se contentant d’une position aux alentours de la 106e place.
Pour le public fanatique des Beatles, cette dualité est à la fois déroutante et fascinante. Les admirateurs de longue date, qui ont suivi la carrière de McCartney avec Wings, peuvent voir dansMcCartney IIle signe d’un essoufflement ou d’une prise de risque démesurée. À l’inverse, un autre pan de l’auditoire, plus ouvert aux sonorités électroniques et à la new wave naissante, loue la capacité de McCartney à se renouveler, à surprendre, et à ne pas se reposer sur des acquis.
« Check My Machine », de son côté, cultive l’aura d’un titre obscur, inconnu du grand public, mais chéri par ceux qui apprécient justement les faces B et les expérimentations. Au fil des années, à mesure que les rééditions s’enchaînent et que l’histoire de la pop se réécrit, la chanson acquiert un statut culte, souvent citée parmi les curiosités que McCartney a pu offrir en marge de ses tubes.
Un regard sur la technique d’enregistrement et la question du sample
Si Paul McCartney souligne qu’il n’a pas recouru à la technique du sample moderne pour concevoir « Check My Machine », il est vrai que la notion de sample se développe réellement dans les années 1980, grâce aux premiers samplers numériques comme le Fairlight CMI. Or, en 1979, lorsque McCartney s’enferme dans son studio, ces outils restent coûteux et peu accessibles. On est encore loin de la facilité de duplication offerte par l’informatique musicale plus tardive.
C’est d’ailleurs un point sur lequel Paul se montre taquin dans ses déclarations : il insiste sur le fait qu’à l’époque, on effectuait tout « à la main », en temps réel, sans boucler un court extrait pour en faire la base de la piste. Il en résulte un son particulier, où l’on perçoit la fatigue, la respiration et l’endurance du musicien à mesure qu’il tient la même ligne de percussion ou de chant. Il n’y a pas de « copier-coller » numérique, ce qui confère à « Check My Machine » une forme de groove naturel, un peu vacillant, mais profondément humain.
Quant à l’introduction tirée du dessin animéTweet Zoo, McCartney procède à une technique de collage analogique, récupérant le son sur un support physique et l’incluant dans la bande maîtresse. Ce genre d’emprunt, à l’époque, demeure encore rare dans la production grand public, même si les Beatles avaient déjà ouvert la voie à l’échantillonnage créatif dèsRevolver(1966) etSgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band(1967).
L’influence de la culture visuelle et du cinéma d’animation
La présence de Mel Blanc au début de « Check My Machine » n’est pas le fruit du hasard. Paul McCartney, depuis les Beatles, s’est toujours montré sensible à l’imagerie populaire : séries télévisées, films, dessins animés. Avec John Lennon, il partageait une fascination pour le nonsense et l’humour absurde, dont l’un des aboutissements fut le film d’animationYellow Submarine(1968). Des années plus tard, la découverte de nouveaux cartoons ou la redécouverte de classiques pouvait nourrir sa curiosité, susciter l’envie de piocher une réplique décalée et de l’intégrer à un morceau.
L’univers de la Warner Bros, avec Titi et Sylvestre, incarne une forme de folie enfantine, tout en restant familier du grand public. McCartney, par ce clin d’œil, ancre son titre dans une ambiance humoristique, presque onirique. Le spectateur qui connaît la voix de Mel Blanc ne peut s’empêcher de sourire en entendant ces bribes au démarrage d’un morceau censé vérifier la « machine ». On devine le rictus de Paul derrière la console, heureux de jouer avec ses trouvailles, et décidé à ne pas se prendre trop au sérieux.
La thématique de la nouveauté et de la transition vers les années 1980
Les Beatles ont souvent incarné l’innovation technologique en studio durant les années 1960. Dès lors, on attendait que McCartney poursuive, en solo, cette quête de nouveaux sons et de nouvelles techniques. DansMcCartney II, il semble effectivement naviguer sur la frontière entre la pop et des territoires plus expérimentaux. Les claviers analogiques, la réverbération prononcée, l’usage d’effets sur la voix, tout cela est cohérent avec l’air du temps. Des artistes comme Gary Numan, Devo ou Kraftwerk s’imposent alors sur la scène internationale, marquant l’essor de la synth-pop et de la new wave.
« Check My Machine », avec ses rythmes répétitifs, ses accents presque robotiques et son absence de structure couplet-refrain traditionnelle, se rapproche de ce courant. Néanmoins, on reconnaît la signature McCartney dans la ligne de basse et l’insouciance vocale. Contrairement à d’autres groupes plus radicalement ancrés dans la musique électronique, McCartney ne cherche pas à se départir de son héritage mélodique. Il bricole plutôt un univers personnel, où la voix, la basse et les clins d’œil farfelus se marient à des techniques nouvelles.
La hiérarchie des chansons et le statut de face B
Depuis l’époque des Beatles, la face B d’un single n’est pas nécessairement synonyme de moindre intérêt. Les Fab Four l’ont prouvé en publiant parfois des joyaux sur leurs 45-tours, tels que « Rain » (face B de « Paperback Writer ») ou « I Am The Walrus » (face B britannique de « Hello, Goodbye »). Pour McCartney, l’idée de glisser « Check My Machine » en face B de « Waterfalls » peut être vue comme une volonté de surprendre l’auditeur : celui qui prend la peine d’écouter la seconde face du disque découvre un univers totalement différent.
Cela traduit aussi une certaine modestie : McCartney pouvait penser que « Check My Machine » était trop atypique pour figurer sur la face A, où l’on retrouve généralement les morceaux potentiellement plus vendeurs. Il confine donc sa création expérimentale à l’arrière-plan, tout en restant conscient qu’elle trouvera, chez certains fans, un écho particulier. Cette stratégie est récurrente chez McCartney : il utilise souvent les faces B comme un laboratoire, un espace de liberté.
Les performances en direct et la postérité du morceau
Contrairement à d’autres chansons de Paul McCartney, « Check My Machine » n’a pas eu une longue carrière scénique. Sa nature même, très liée à l’expérimentation de studio, la rend difficile à transposer en concert. Dès les années 1980, McCartney recentre ses performances autour des grands succès des Beatles et des titres phares de sa carrière solo, notamment ceux de Wings. Les longs segments instrumentaux et les collages vocaux de « Check My Machine » n’entrent guère dans un format de spectacle grand public.
Pourtant, la chanson continue d’intéresser les archivistes et les passionnés. Au fil des ans, certaines sessions studio, certaines démos, et des interviews de Paul viennent éclairer la genèse de ce titre un peu mystique. Lorsque la réédition deMcCartney IIen version Archive Collection paraît en 2011, la version intégrale de « Check My Machine » suscite un petit regain d’intérêt. Les mélomanes peuvent alors découvrir l’intégrité du morceau, mesurer sa durée véritable et observer les subtilités d’arrangement qui ont été coupées pour le single.
Les manuscrits et la liberté d’écriture
Parmi les documents publiés dansThe Lyrics: 1956 To The Present, on trouve des notes manuscrites de Paul McCartney relatives à « Check My Machine ». Elles illustrent la spontanéité du processus créatif : peu de paroles réellement écrites, plutôt des indications sonores, des esquisses pour les nappes de synthés et la ligne de basse. Cette absence de texte formel, doublée d’un usage intensif de l’improvisation, s’explique par la fonction même du morceau. Comme l’explique Paul, le but n’est pas de véhiculer un message littéraire, mais de jouer avec les rythmes et de tester la « machine ».
Ce type de démarche s’inscrit dans une tradition héritée de la première moitié du XXe siècle, où des musiciens de jazz improvisaient des séquences entières de scat. McCartney ne cherche pas à rivaliser avec Ella Fitzgerald ou Louis Armstrong, mais s’inspire de leur liberté de phrasé et de l’absence de barrière sémantique. Il n’est pas rare, dans l’histoire du rock, de voir des artistes se livrer à ces formes d’improvisation vocale pour nourrir l’énergie d’un titre. Mais dans l’œuvre de McCartney, « Check My Machine » demeure l’un des exemples les plus aboutis d’un non-texte, assumé et voulu comme tel.
Un titre précurseur de la culture du remix et de l’électronique
Si « Check My Machine » reste un morceau marginal dans la discographie de McCartney, certains analystes pointent son côté précurseur. On y trouve un goût prononcé pour la répétition, la loop en temps réel, l’insertion de voix étrangères. Autant d’éléments qui, quelques années plus tard, allaient devenir des ingrédients-clés de la musique électronique et de la culture du remix.
Dans les années 1980, les DJ et producteurs commencent à manipuler les bandes sonores pour créer des versions longues, des maxis, des remixes de tubes pop. McCartney, avec ses boucles de maracas et ses bidouillages vocaux, anticipe en partie cette évolution, même si ses outils demeurent rudimentaires comparés aux futures possibilités offertes par les samplers. Par ailleurs, la thématique même de la « machine » s’avère prophétique, alors que la décennie 1980 voit se multiplier les claviers numériques et les boîtes à rythmes programmables.
La place de McCartney II dans la carrière globale de Paul
McCartney IIn’est pas l’album le plus vendu ni le plus salué de la discographie de Paul McCartney. Pourtant, il figure parmi les jalons importants de son parcours. Il fait suite à la période Wings, dont le succès planétaire a permis à l’ex-Beatle de demeurer au premier plan dans la décennie 1970. Il précède les collaborations plus pop des années 1980, notamment avec Stevie Wonder (« Ebony and Ivory » en 1982) ou Michael Jackson (« Say Say Say » en 1983).
Sur le plan artistique,McCartney IIse distingue comme un moment de respiration et d’expérimentation solitaire. Il rappelle, dans sa démarche, l’esprit deMcCartneydix ans plus tôt, à la différence notable que le contexte musical a évolué. Loin des ambiances folks ou acoustiques, Paul se tourne vers les synthés et les textures électroniques. « Check My Machine », « Temporary Secretary », « Darkroom », ou encore « Secret Friend » incarnent cette volonté d’explorer des contrées moins balisées.
Dès lors, on peut voir en « Check My Machine » un symbole de la prise de risque et d’une certaine indépendance d’esprit. Certes, il ne s’agit pas d’un morceau formaté pour les ondes, mais il témoigne d’une curiosité et d’une faculté de jouer avec les codes que McCartney ne perdra jamais, même lorsqu’il revient à des formes plus classiques.
Les résonances dans l’œuvre postérieure de McCartney
Il est intéressant de remarquer que, des années plus tard, McCartney renouera à maintes reprises avec l’expérimentation. On pense par exemple à son implication dans des projets électroniques sous le pseudonyme The Fireman, en collaboration avec Youth (producteur et membre de Killing Joke). Dans ces albums, commeStrawberries Oceans Ships Forest(1993) ouRushes(1998), Paul s’aventure dans un univers ambient et techno qui aurait été impensable à l’époque des Beatles.
« Check My Machine » s’inscrit donc dans une filiation qu’on pourrait qualifier de discrète mais cohérente. Il y a chez McCartney une soif de découverte, un plaisir du jeu sonore qui dépasse la question de la recherche du tube. Les amateurs avertis y voient la continuité d’une démarche amorcée dès les délires de bande inversée sur « Tomorrow Never Knows » (Beatles, 1966), et qui se poursuit jusqu’aux explorations plus récentes de la scène électro.
Un témoin vivant de la liberté artistique
À travers « Check My Machine », Paul McCartney nous rappelle que la musique pop peut aussi être un terrain de jeu, libéré des formats, des contraintes de paroles et de la nécessité de proposer un hit radiophonique. C’est un exercice de style où l’important est de s’amuser, de tordre les sons, de se laisser guider par l’inspiration du moment. Les grandes figures du rock des années 1970 et 1980 ne se sont pas toutes autorisées une telle liberté. Certaines, engluées dans des obligations de rentabilité ou des contrats stricts avec les maisons de disques, n’ont jamais franchi ce cap.
McCartney, lui, fort de son statut colossal acquis avec les Beatles, peut s’offrir ce luxe : enfermé dans son studio, il fabrique des boucles, trifouille des échantillons, improvise au micro, et glisse des références humoristiques à Titi et Sylvestre. Ce n’est pas un hasard si, en 1980, cette approche déroutante séduit les plus aventuriers et en déstabilise d’autres. L’œuvre de McCartney est ainsi faite de contradictions : l’homme qui a écrit « Yesterday » et « Maybe I’m Amazed » se lance ici dans une pièce quasi expérimentale, dénuée de couplets et de refrains classiques.
L’héritage de « Check My Machine » dans la culture populaire
Bien que « Check My Machine » n’ait pas eu de retentissement majeur sur les ondes, il a su intégrer la culture de niche des amateurs de faces B et de raretés. Certains DJ, lors de rééditions ou de sessions spéciales, s’amusent à remixer la piste, y voyant l’ébauche d’une forme de dance music avant l’heure. D’autres musiciens, adeptes de la synth-pop, citent parfoisMcCartney IIcomme une source d’inspiration, appréciant le minimalisme et la fraîcheur de ces enregistrements.
De manière plus large, le simple fait que Paul McCartney ait osé un tel titre nourrit la pluralité de son image. Il n’est pas seulement l’ex-Beatle romantique, compositeur de ballades intemporelles, mais aussi un bricoleur de sons, un touche-à-tout qui, au détour d’une session nocturne, peut donner naissance à une œuvre aussi surprenante que « Check My Machine ».
Un épisode révélateur de l’esprit d’initiative
Les historiens du rock qui se penchent sur la période post-Beatles de Paul McCartney mettent souvent l’accent sur son côté effervescent et sa capacité à se renouveler. L’histoire de « Check My Machine » est emblématique de cette démarche. Elle éclaire l’état d’esprit d’un musicien qui, malgré une reconnaissance universelle, se questionne encore, s’amuse à détourner ses outils et teste des prototypes. À ce titre, on comprend pourquoi McCartney a pu se décrire comme un « mad professor » : dans son laboratoire-studio, les règles habituelles n’ont plus cours, seule compte la recherche de sons inédits.
Cet épisode illustre aussi la continuité d’un Paul bricoleur, remontant aux premiers temps des Beatles, lorsque Lennon et lui jouaient avec des magnétophones à bandes pour inventer des astuces sonores. Les innovations se sont toujours situées au cœur de l’ADN du groupe, et McCartney n’a jamais rompu avec cette tradition.
Une curiosité devenue incontournable pour les collectionneurs
En vinyle, la face B de « Waterfalls » est depuis longtemps un objet de convoitise parmi les collectionneurs. Les premières éditions, notamment celles de Parlophone au Royaume-Uni et de Columbia aux États-Unis, conservent cette aura vintage. Les fans pointilleux scrutent les différences de pressages, la longueur du morceau, les variations de labels, tout en se régalant de l’anecdote entourant Mel Blanc et la mention aux cartoons de la Warner.
Avec le temps, la curiosité s’est étendue aux diverses rééditions CD, notamment celle de 2011, qui inclut la version longue. Le fait de pouvoir écouter ces près de neuf minutes dans leur intégralité permet de saisir pleinement l’immersion voulue par McCartney. Certains y discernent des schémas rythmiques anticipant la techno minimale, d’autres y voient simplement un délire sympathique. Dans tous les cas, la chanson a gagné un statut de petite pépite, méconnue du grand public mais largement appréciée par les mordus de raretés.
La parole de Paul McCartney sur la dimension artisanale
En déclarant que tout ce qu’on entend sur « Check My Machine » – percussion, chant, effets – est réalisé en direct et sans duplications numériques, Paul McCartney revient sur un point fondamental : la musique de 1979-1980, même lorsqu’elle flirte avec l’électronique, repose encore sur un artisanat. Il n’est pas rare qu’on doive jouer plusieurs prises d’affilée, qu’on use des bandes magnétiques, qu’on coupe et qu’on recolle, qu’on expérimente dans la sueur plutôt que devant un écran d’ordinateur.
Cette réalité confère un charme supplémentaire au morceau : on imagine aisément Paul penché sur ses claviers, puis courant jusqu’à la batterie, puis agrippant un tambourin, tout en gardant un œil sur la console d’enregistrement. Ce processus se situe à mi-chemin entre le monde ancien – celui des sessions live – et la modernité – celle de l’expérimentation en studio.
Les répercussions de la démarche expérimentale sur l’ensemble de la production
Une question se pose :McCartney IIaurait-il autant marqué les esprits sans l’attrait d’un titre comme « Check My Machine » ? Si l’on reconnaît à d’autres chansons de l’album un caractère novateur (on pense notamment à « Temporary Secretary » ou à « Darkroom »), il est clair que la présence de telles faces B contribue à façonner l’image de cette période comme une aventure totale, où Paul osait tout tenter.
D’autres musiciens, à la même époque, se tournaient vers la new wave, mais sans nécessairement prendre le risque de s’aliéner leur public. McCartney, pour sa part, adopte une posture plus radicale : il offre des chansons pop sur la face A, mais largue des petites bombes expérimentales dans les recoins de son œuvre, attendant de voir la réaction du public. Ce choix délibéré, potentiellement incompris à court terme, participe à l’aura singulière deMcCartney IIdans sa discographie.
Le destin de « Check My Machine » après des décennies
Aujourd’hui, plus de quarante ans après sa parution, « Check My Machine » demeure un objet de curiosité. Il n’a pas le rang d’un « Maybe I’m Amazed » ou d’un « Band on the Run » dans le panthéon de McCartney, mais il occupe une niche essentielle, celle des explorations sonores et des pièces rares qui suscitent l’intérêt des collectionneurs et des chercheurs en musicologie.
À l’heure où la technologie permet de produire des morceaux entiers en quelques clics, il est presque émouvant de se rappeler la volonté d’un artiste d’enregistrer de longues plages de percussions à la main, juste pour vérifier que « sa machine » fonctionne. Cette démarche artisanale, portée par un sens de l’humour et de la dérision, fait aussi partie de l’héritage des Beatles, pour qui chaque nouvel enregistrement était une occasion de repousser les limites.
Une fenêtre ouverte sur la personnalité artistique de McCartney
En définitive, « Check My Machine » offre un précieux témoignage sur la complexité de Paul McCartney. Figure tutélaire de la pop, auteur de certaines des plus grandes ballades du XXe siècle, il n’hésite pas à se lover dans des expérimentations quasi avant-gardistes. De la même façon qu’il peut signer des titres mainstream, il s’octroie la possibilité de créer des OVNI musicaux, que ce soit des collages sonores ou des instrumentaux prolongés.
La période deMcCartney IIrévèle ainsi un homme en quête, pas uniquement motivé par l’idée de vendre des disques ou de maintenir son aura. On découvre un Paul bricoleur, joueur, conscient de son héritage mais prêt à le bousculer. Au cœur de ce puzzle musical, « Check My Machine » agit comme un pivot : un morceau qui dit tout haut la liberté, la spontanéité et le second degré, tout en incarnant un certain modernisme pour l’époque.
Pour les amateurs de découvertes insolites, la chanson reste l’un des plus beaux exemples de la facette expérimentale de Paul McCartney. Elle nous rappelle qu’à chaque étape de sa carrière, l’ancien Beatle a su explorer, oser et s’amuser, quitte à laisser perplexes ceux qui n’attendaient de lui que des refrains immédiats. C’est cette audace, précisément, qui a forgé la longévité et la richesse de son parcours musical.
« Check My Machine », reléguée en face B de « Waterfalls », pourrait presque passer inaperçue dans la foule de titres composés par McCartney depuis la fin des Beatles. Pourtant, elle demeure un jalon important, le fruit d’une démarche inventive qui, à bien des égards, a mis en évidence la capacité de Paul à se réinventer. Au-delà de la simple anecdote des voix de Titi et Sylvestre, c’est un laboratoire où s’entremêlent rythmes répétitifs, lignes de basse et improvisations vocales, pour aboutir à un moment musical unique.
Les décennies ont passé, mais l’invitation lancée par Paul dans le refrain demeure valable :« Check my machine », vérifions cette fameuse machine à composer, à enregistrer, à surprendre. Entre nostalgie et modernité, la chanson a conservé cette fraîcheur, témoin d’une époque où, loin des projecteurs, McCartney laissait libre cours à sa fantaisie, traçant ainsi une diagonale inattendue dans son œuvre déjà foisonnante. Et c’est précisément dans ces discrets recoins de la discographie maccartienne que l’on mesure à quel point la créativité, chez lui, ne s’est jamais figée dans un moule, préférant osciller entre la tradition la plus raffinée et l’expérimentation la plus débridée.
