En décembre 1964, alors que les Beatles sont au sommet de leur popularité, sort Beatles for Sale, un album qui marque une transition musicale et émotionnelle pour le groupe. Si certains morceaux de cet opus sont devenus des classiques instantanés, d’autres, moins célébrés, témoignent néanmoins d’une période charnière dans leur évolution artistique. C’est le cas de What You’re Doing, une composition de Paul McCartney qui, bien que souvent qualifiée de « morceau de remplissage », recèle des éléments novateurs tant sur le plan de la composition que de la production.
Sommaire
- Une chanson née sur la route
- Une construction musicale novatrice
- Un enregistrement en trois sessions
- Une réception mitigée mais une influence sous-estimée
- Un aperçu des Beatles en mutation
Une chanson née sur la route
Paul McCartney a écrit What You’re Doing en août 1964, à Atlantic City, lors d’une pause entre deux concerts de la tournée américaine des Beatles. Ce n’est pas la ville elle-même qui l’a inspiré, mais simplement le fait d’avoir du temps libre pour composer, comme ce fut aussi le cas pour Every Little Thing. Le morceau s’inscrit dans un contexte émotionnel particulier pour McCartney, marqué par sa relation tumultueuse avec Jane Asher. Il y exprime une forme de frustration amoureuse, un thème récurrent dans ses compositions de l’époque.
Musicalement, la chanson est caractérisée par un riff de guitare atypique et une structure d’accords relativement simple. Cependant, son arrangement et son enregistrement démontrent la volonté du groupe d’expérimenter de nouvelles sonorités, notamment avec l’utilisation d’un effet de distorsion inhabituel à l’époque.
Une construction musicale novatrice
L’un des éléments les plus marquants de What You’re Doing réside dans son introduction. Contrairement aux habitudes du groupe, le morceau débute par un solo de batterie de Ringo Starr sur quatre mesures, une approche qui sera reprise plus tard dans des morceaux comme Ticket to Ride ou Tomorrow Never Knows. Cette ouverture singulière attire immédiatement l’attention de l’auditeur et donne un caractère percutant au titre.
Le riff de guitare principal, joué par George Harrison sur une Rickenbacker 12 cordes, apporte une texture sonore éclatante et cristalline. Ce son influencera directement le groupe américain The Byrds, qui, en retour, inspirera Harrison dans ses compositions ultérieures, notamment If I Needed Someone en 1965.
McCartney expérimente également avec le schéma de rimes à l’intérieur des vers : il associe des mots de deux syllabes avec des mots monosyllabiques (doing / blue and, running / fun in), une technique qu’il avait déjà utilisée dans She’s a Woman. Par ailleurs, les chœurs de John Lennon et George Harrison ajoutent une touche d’urgence au morceau, rappelant ceux de P.S. I Love You.
L’un des moments les plus singuliers de la chanson intervient juste avant la coda : une rupture instrumentale où le piano et la basse dominent, renforçant l’ambiance dramatique du titre. Cette séquence témoigne d’une approche de plus en plus sophistiquée en studio, prélude aux expérimentations qui marqueront les albums suivants.
Un enregistrement en trois sessions
L’enregistrement de What You’re Doing s’est déroulé sur trois sessions distinctes aux studios Abbey Road. Le 29 septembre 1964, les Beatles enregistrent sept prises de la piste rythmique, mais aucune n’est jugée satisfaisante. Le lendemain, cinq nouvelles tentatives sont réalisées, avec quelques modifications notables : l’instrumental break est alors joué une octave plus haut, et une pause de 1,5 seconde précède la coda finale.
Cependant, insatisfaits du résultat, les Beatles reprennent la chanson le 26 octobre, dernier jour des sessions d’enregistrement de Beatles for Sale. Ils enregistrent sept nouvelles prises, dont trois complètes. La version finale retenue est la prise 19, où tous les éléments sont enfin en place.
Une réception mitigée mais une influence sous-estimée
À sa sortie, What You’re Doing n’a pas particulièrement marqué les esprits. Si McCartney lui-même considère la chanson comme un « simple remplissage », il reconnaît néanmoins que son enregistrement est peut-être plus intéressant que la composition en elle-même. Le morceau ne fut jamais interprété en concert, ni par les Beatles ni par McCartney en solo.
Pourtant, avec le recul, cette chanson mérite d’être redécouverte. Elle préfigure certaines évolutions sonores qui prendront toute leur ampleur sur Rubber Soul et Revolver. Son riff de guitare influencera la scène folk-rock naissante, et ses expérimentations rythmiques démontrent une volonté d’explorer au-delà des schémas pop conventionnels.
En 2006, What You’re Doing refait surface sous une forme remixée sur l’album Love, dans un medley comprenant Drive My Car et The Word. Ce rapprochement avec Drive My Car est d’ailleurs pertinent, les deux chansons partageant une tonalité en ré majeur, une mesure en 4/4 et une progression harmonique similaire (alternance entre si mineur et sol majeur).
Un aperçu des Beatles en mutation
Si What You’re Doing n’est pas le morceau le plus emblématique de Beatles for Sale, il offre néanmoins un aperçu fascinant du groupe en pleine transformation. Alors que les tournées incessantes mettent leur créativité à rude épreuve, les Beatles continuent de chercher, d’innover et d’explorer de nouvelles directions musicales.
À travers son introduction percutante, son riff hypnotique et ses harmonies dynamiques, ce titre annonce les avancées artistiques qui caractériseront leurs albums suivants. Preuve que, même dans un morceau considéré comme mineur, l’ingéniosité des Beatles ne cesse jamais de briller.
