Le 5 août 1966, le monde découvrait Revolver, un album qui allait redéfinir les standards du rock et de la musique populaire. Parmi les quatorze morceaux qui le composent, un titre se distingue par son audace et sa radicalité : « Tomorrow Never Knows ». Dernière chanson de l’album, mais première enregistrée, elle symbolise la volonté des Beatles de repousser les limites de la création musicale.
Sommaire
- Une source d’inspiration mystique
- L’apport de la musique indienne
- Une révolution sonore en studio
- Une batterie métallique et puissante
- Les boucles de bande : une révolution signée McCartney
- La voix de Lennon : un chant d’outre-tombe
- Une vision inachevée selon Lennon
Une source d’inspiration mystique
Le texte de « Tomorrow Never Knows » tire son essence du livre The Psychedelic Experience: A Manual Based On The Tibetan Book Of The Dead, coécrit en 1964 par les psychologues américains Timothy Leary, Ralph Metzner et Richard Alpert. Cet ouvrage servait de guide à ceux cherchant à atteindre une illumination spirituelle à travers l’usage de drogues psychédéliques, notamment le LSD.
John Lennon découvre ce livre à la librairie Indica, cofondée par Barry Miles. Fasciné, il s’attarde sur une phrase qui deviendra la première ligne de la chanson : « Turn off your mind, relax and float downstream ». Paul McCartney, également témoin de cette découverte, expliquera plus tard dans Anthology :
« John avait mis la main sur l’adaptation de The Tibetan Book of the Dead par Timothy Leary, qui est un livre assez intéressant. »
Lennon voulait retranscrire en musique l’expérience hallucinatoire procurée par le LSD, donnant ainsi naissance à l’un des morceaux les plus avant-gardistes de leur carrière.
L’apport de la musique indienne
Un des aspects les plus marquants de « Tomorrow Never Knows » est son absence de modulation harmonique. Contrairement aux structures classiques du rock et de la pop, la chanson repose sur un seul accord, une idée directement inspirée de la musique indienne. Comme l’explique George Harrison :
« La musique indienne ne module pas ; elle reste dans une seule tonalité. Je pense que ‘Tomorrow Never Knows’ était la première chanson à vraiment suivre ce principe. »
Cet intérêt pour la musique indienne n’est pas nouveau chez les Beatles : ils l’avaient déjà esquissé avec « Norwegian Wood » en 1965, où Harrison introduisait le sitar. Sur « Tomorrow Never Knows », on retrouve également un tambura, un instrument à cordes produisant un bourdon hypnotique.
Une révolution sonore en studio
L’enregistrement de « Tomorrow Never Knows » a repoussé les limites techniques des studios d’Abbey Road. Le producteur George Martin et l’ingénieur du son Geoff Emerick ont mis au point des innovations audacieuses.
Une batterie métallique et puissante
L’un des éléments les plus emblématiques du morceau est la batterie de Ringo Starr, profonde et répétitive, obtenue grâce à une compression et une réverbe particulières. Comme l’explique Geoff Emerick :
« Nous avons rapproché le micro de la grosse caisse bien plus que d’habitude. Nous avons également utilisé un limiteur Fairchild 660. Les batteries n’avaient jamais été enregistrées comme cela auparavant. »
Les boucles de bande : une révolution signée McCartney
Si l’on attribue souvent l’aspect expérimental de la chanson à Lennon, c’est pourtant Paul McCartney qui introduit l’utilisation des boucles de bande magnétique. En modifiant son magnétophone domestique, il crée des sons abstraits qui seront insérés dans le mixage final. Il raconte dans Many Years From Now :
« On faisait tourner les boucles en jouant avec les faders en temps réel. L’un des effets que j’ai toujours trouvé fascinant, c’était ces bruits de mouettes, qui étaient en fait des cris humains accélérés. »
On dénombre six boucles distinctes dans la version finale, comprenant notamment des sons de Mellotron, de sitar, et d’un orchestre jouant un accord de Si bémol.
La voix de Lennon : un chant d’outre-tombe
John Lennon voulait que sa voix sonne comme un moine tibétain chantant du sommet d’une montagne. Ne pouvant concrétiser cette idée, George Martin et son équipe décident d’expérimenter avec un haut-parleur Leslie, créant cet effet flottant et hypnotique si caractéristique du morceau. Comme l’explique Geoff Emerick :
« Il a fallu ouvrir le haut-parleur Leslie et réarranger son circuit pour y brancher la voix de John. Lorsque nous avons entendu le résultat, nous avons été stupéfaits. »
Ce procédé deviendra un standard de la production musicale psychédélique.
Une vision inachevée selon Lennon
Malgré l’impact immense de « Tomorrow Never Knows », John Lennon est resté insatisfait du résultat final. Il confie dans The Beatles, Hunter Davies :
« J’avais imaginé quelque chose de bien plus grandiose, avec des milliers de moines chantant en fond. Nous aurions dû aller plus loin dans l’idée. »
Quoi qu’il en soit, « Tomorrow Never Knows » demeure une pierre angulaire du rock psychédélique, influençant des générations entrières d’artistes, de Pink Floyd à Radiohead. C’est un témoignage puissant de la volonté des Beatles d’explorer de nouveaux horizons, au-delà des conventions et des attentes de leur époque.
