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Lennon et Across the Universe : le long combat d’une chanson céleste

Publié le 20 octobre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

John Lennon a mis des mois à finaliser Across the Universe, l’un de ses morceaux les plus intimes et contemplatifs. Né d’une nuit agitée, ce chef-d’œuvre fragile mêle mantra indien, poésie dépouillée et quête de justesse sonore. De la première version acoustique à l’orchestration de Phil Spector, la chanson témoigne d’un processus long, entre discipline et abandon. Lennon y révèle sa vulnérabilité créative, son entêtement poétique et sa capacité rare à laisser les mots s’écouler.


Créer une œuvre intemporelle ne tient jamais du miracle. Derrière les chansons qui semblent couler de source se cache souvent une somme de tâtonnements, de rejets, de reprises obstinées. John Lennon, réputé pour son instinct fulgurant et son sens de la formule, a connu toutes ces étapes avec « Across the Universe », l’un de ses textes les plus singuliers et les plus contemplatifs. L’histoire de ce morceau rappelle une évidence que l’on oublie volontiers : le travail et la persévérance sont parfois la part invisible du génie. Ici, Lennon a limé, recommencé, ralenti, accéléré, arrangé et réarrangé, au point de transformer une étincelle verbale en une méditation cosmique.

Sommaire

  • Une phrase qui s’impose, une nuit ordinaire
  • Le sens d’un mantra : « Jai guru deva om »
  • Des brouillons aux studios d’Abbey Road : un chemin tortueux
  • Deux versions officielles, deux philosophies sonores
  • Travailler « des mois » : le labeur derrière la lumière
  • La place de la chanson dans la trajectoire du groupe
  • L’interprétation vocale : une fragilité tenue
  • Les couvertures et la longue postérité
  • Une chanson qui a littéralement voyagé « à travers l’univers »
  • Le regard des Beatles sur le morceau
  • Une écriture entre observation et abandon
  • L’éternel débat des mixages : dépouillement ou majesté
  • L’ombre et la lumière dans la même coupe
  • Une leçon de lenteur à l’ère du single
  • Le triomphe de Let It Be et la paradoxale discrétion d’« Across the Universe »
  • « J’étais irrité, et je réfléchissais » : une humeur créatrice
  • Pourquoi cette chanson nous parle encore
  • Épilogue : l’ouvrage humain derrière l’aura

Une phrase qui s’impose, une nuit ordinaire

Le récit de la genèse est devenu célèbre. Peu avant la fin de 1967, alors qu’il est encore marié à Cynthia Lennon, John se réveille au milieu de la nuit, l’esprit agité. Il dira plus tard : « J’étais allongé à côté de ma première femme, j’étais irrité, et je réfléchissais… Elle avait dû parler, puis s’endormir, et j’entendais ces mots revenir sans cesse, couler comme un flux sans fin. » Cette formule, transcrite telle quelle des souvenirs de Lennon, est la graine de « Across the Universe ». La musique ne vient pas encore ; ce sont d’abord les mots qui s’alignent, une cadence qui s’impose, presque un mantra.

Cette nuit-là, Lennon note ce qui deviendra l’ossature du texte. À l’époque, il accumule les ébauches. L’écrivain Hunter Davies, auteur de la seule biographie autorisée des Beatles dans les années 1960, se souvient de ces fragments qu’il entend chez John : des bouts de couplets, des débuts de refrains, des idées qui reviennent sans trouver leur forme définitive. Parmi ces esquisses, « Across the Universe » s’obstine. Lennon y revient pendant des mois, sans parvenir à la verrouiller.

Le sens d’un mantra : « Jai guru deva om »

Le refrain le plus marquant de la chanson n’est pas en anglais, mais sous la forme d’une invocation d’inspiration sanskrite : « Jai guru deva om ». Lennon, alors encore marqué par son passage auprès du Maharishi Mahesh Yogi, emprunte cette formule qu’on peut traduire sommairement par « salut au maître spirituel ». L’intention importe davantage que la grammaire : il s’agit de déposer la pensée bavarde, d’ouvrir l’esprit à ce qui circule au-delà des mots. C’est l’un des paradoxes de Lennon poète : lui qui excelle dans les jeux de langage, qui cisèle les punchlines de « A Hard Day’s Night » ou « Come Together », choisit ici la dilatation et l’abandon.

Dans le texte, les images demeurent extrêmement simples : mots qui « coulent comme une pluie sans fin », pools of sorrow et waves of joy qui dérivent à travers l’univers, le tout sous l’autorité d’un Nothing’s gonna change my world répété comme un souffle. L’écriture refuse le récit linéaire. Elle se déploie au rythme de l’esprit qui lâche prise, où le monde ne se modifie pas tant que l’on n’a pas renoncé à vouloir le contrôler.

Des brouillons aux studios d’Abbey Road : un chemin tortueux

Si l’illumination initiale est rapide, la mise en forme est laborieuse. Fin 1967 – début 1968, John Lennon trimballe sa chanson entre son salon et le studio, la chante à l’acoustique, la laisse reposer, y revient, la reprend encore. Lorsqu’il entre à EMI Studios pour l’enregistrer avec les Beatles en février 1968, l’ossature mélodique et les paroles sont là, mais l’arrangement résiste. Le groupe essaie différentes vitesses, modifie le tempo, déplace les accents. Lennon veut une atmosphère hypnotique, sans emphase, qui épouse la souplesse du texte. Rien d’évident : trop lent, le morceau s’enlise ; trop rapide, il perd sa gravité.

Dans ces séances, l’influence indienne brille encore en filigrane. Une tambura déploie un bourdon continu, comme un fil de soie sur lequel la voix de John peut glisser. La guitare acoustique tient la charpente ; des chœurs discrets et quelques touches de piano viennent colorer les contours. Rien de spectaculaire, mais chaque détail compte. Comme souvent à cette période, l’équilibre entre la simplicité recherchée par Lennon et la mise au point collective des Beatles se trouve au prix d’innombrables tentatives.

Deux versions officielles, deux philosophies sonores

L’histoire discographique de « Across the Universe » est presque une petite fable sur la production. La première version publiée sort en décembre 1969 sur l’album caritatif No One’s Gonna Change Our World, au profit du WWF. On y entend des bruits d’oiseaux et une réverbération qui enveloppe l’ensemble. Le mixage est relativement léger, le tempo plus vif qu’on ne s’en souvient parfois, et la voix de Lennon demeure frontale, presque fragile. Deux jeunes choristes, recrutées dans le public à l’extérieur du studio, prêtent leurs voix pour soutenir certaines lignes : une touche qui ajoute au caractère inédit de cette prise.

Lorsque paraît Let It Be au printemps 1970, c’est une autre présentation qui s’impose. Le producteur Phil Spector récupère la base de 1968, ralentit la bande et lui ajoute des cordes et un chœur plus ample. Le résultat, plus solennel, inscrit la chanson dans une gravité orchestrale. Selon les sensibilités, ce choix est perçu comme une sublimation ou une trahison. Lennon lui-même exprimera des sentiments ambivalents vis-à-vis de certaines interventions spectoriennes, mais reconnaîtra que « Across the Universe » y gagne une majesté funambule, suspendue entre le murmure et l’élévation.

Des décennies plus tard, d’autres mixages — notamment sur Let It Be… Naked — proposeront d’entendre la chanson sans les ajouts orchestraux, comme si l’on revenait au vœu initial de dépouillement. À chaque fois, la substance reste la même : une voix qui accueille les mots tels qu’ils viennent, et une musique qui refuse d’être autre chose qu’un écrin.

Travailler « des mois » : le labeur derrière la lumière

Pourquoi tant de mois pour une chanson si simple en apparence ? Parce que la simplicité n’est jamais donnée, elle se conquiert. Lennon, de son propre aveu, s’irrite, rumine, tourne autour de son idée. Hunter Davies le raconte : John a mille embryons de chansons, dont il se lasse vite ; mais « Across the Universe » persiste, comme un motif obsédant qui refuse de se laisser enfermer. Chaque retour au morceau est l’occasion d’un réglage : un mot déplacé, une note tenue un peu plus longtemps, un souffle différent sur une consonne. Le studio devient un atelier d’orfèvre où l’on polit la pierre jusqu’à ce qu’elle reflète exactement la lumière voulue.

Ce travail révèle aussi une facette moins commentée de Lennon : son patience. On le décrit volontiers comme l’improvisateur brillant, le satiriste instantané. Ici, il endosse le rôle du sculpteur méthodique. « J’étais irrité, et je réfléchissais », dit-il. Cette irritation n’est pas l’agacement stérile ; c’est l’énergie qui pousse à chercher la forme juste.

La place de la chanson dans la trajectoire du groupe

« Across the Universe » occupe une position paradoxale dans l’histoire des Beatles. Écrite avant la tourmente des sessions de Get Back/Let It Be, elle partage pourtant l’humeur d’incertitude qui saisit le groupe à l’orée de 1969. Lennon chante un monde immuable — « Nothing’s gonna change my world » — au moment où son propre monde personnel et celui du groupe sont en train de basculer. La phrase résonne moins comme une affirmation confiante que comme une autosuggestion, un point fixe qu’on se répète pour ne pas vaciller.

Sur Let It Be, la chanson n’est pas un tube. Elle ne cherche pas la radio. C’est un îlot de contemplation au milieu d’un disque où cohabitent la ferveur immédiate de « Get Back », la majesté de « The Long and Winding Road », la ferraille live de « I’ve Got a Feeling » ou le classicisme lumineux de « Let It Be ». Cette singularité explique la durée de son retentissement. Là où d’autres titres correspondent au registre d’un moment, « Across the Universe » semble hors du temps.

L’interprétation vocale : une fragilité tenue

La force du morceau tient pour beaucoup à la voix de Lennon. Il la pose sans emphase, à la limite du chuchotement, avec cette fragilité qui n’est ni affectée ni complaisante. À aucun moment il ne pousse ; il laisse la ligne se dérouler. Les mots s’enchaînent comme ils sont nés : « words are flowing out like endless rain into a paper cup ». On entend un chanteur qui retient la tentation du lyrisme pour souscrire à l’humilité d’un récit intérieur. Sur les versions orchestrées, la voix garde ce grain humain, un peu feutré, qui empêche la majesté des cordes de virer au pompeux.

Ce chant tenu est délicat à reproduire en concert, ce que les Beatles n’auront de toute façon plus l’occasion de faire, leur carrière scénique s’étant arrêtée depuis 1966. D’où, sans doute, la popularité de la chanson chez les interprètes extérieurs au groupe, qui y voient un exercice d’intimité plutôt qu’une démonstration.

Les couvertures et la longue postérité

La vie de « Across the Universe » ne s’arrête pas à 1970. Interprétée par d’innombrables artistes, elle traverse les décennies. On pense à la relecture soul chaloupée de David Bowie sur Young Americans au milieu des années 1970, où Lennon lui-même passe en studio pour un clin d’œil amical. On pense à la version d’une tendresse presque suspendue de Fiona Apple à la fin des années 1990, qui remet à nu la douceur anxieuse du texte. On pourrait citer encore les arrangements choraux qu’elle inspire, tant la chanson se prête aux harmonies planes et aux bourdons qui la structurent.

Si elle séduit autant, c’est qu’elle propose un cadre très clair — rythme lent, mélodie ondulante, mantra en refrain — et laisse pourtant un espace considérable à l’interprète. On peut y aller vers la lumière ou vers l’ombre, vers l’épure ou vers la somptuosité, sans jamais perdre le fil. Peu de chansons des Beatles accueillent autant de versions différentes sans que leur identité se dissolve.

Une chanson qui a littéralement voyagé « à travers l’univers »

La symbolique a rattrapé la métaphore. Des décennies après son enregistrement, « Across the Universe » a été transmise vers les étoiles lors d’un envoi symbolique en direction de la Polaris, comme pour confirmer dans le monde physique ce que la chanson célébrait au plan poétique. Le geste, autant culturel que technique, dit à quel point cette pièce incarne la dimension cosmique de la pop des années 1960 : croire qu’une chanson peut franchir les frontières visibles, s’adresser à plus grand que soi, et rester malgré tout une affaire de souffle et de silence.

Le regard des Beatles sur le morceau

Au sein du groupe, « Across the Universe » est souvent associée à la quête intérieure de Lennon. Paul McCartney y reconnaît la poésie du partenaire de plume, son goût pour les images plus que pour les anecdotes. George Harrison, sensible depuis longtemps aux sonorités indiennes et aux bourdons de tambura, perçoit la parenté spirituelle du morceau avec ses propres aspirations. Quant à Ringo Starr, il y reste discret : la chanson ne réclame pas de batterie spectaculaire, et la rythmique se trouve ailleurs, dans la pulsation de la guitare, dans la dérive des cordes, dans la respiration de la voix.

Cette réception interne explique peut-être que la chanson ait connu une vie segmentée en studio — enregistrée tôt, publiée tard, remaniée entre-temps. Elle n’appartient pas à une seule période, mais traverse la fin de l’ère Beatles en filigrane, comme un fil que l’on tire à plusieurs reprises pour vérifier s’il tient toujours. Et il tient.

Une écriture entre observation et abandon

Ce qui frappe, en relisant les paroles, c’est la façon dont Lennon articule deux gestes contradictoires : l’observation minutieuse de l’esprit et l’abandon à plus vaste que soi. Les images sont concrètes — pluie, coupe en papier, rivières d’émotion —, mais l’effet narratif est abstrait : le monde passe à travers moi, je n’oppose pas de résistance. La répétition du refrain, avec son Nothing’s gonna change my world, n’est ni défi ni prière ; c’est une constatation douce. Le monde, coûte que coûte, demeure. Et le chant constate cette permanence au lieu de la combattre.

C’est là, sans doute, que la chanson rejoint quelque chose de profond chez Lennon. Sous le rebelle, sous le satiriste, sous le mélodiste, il y a un poète qui cherche à faire taire un moment le bruit mental. « Across the Universe » est sa tentative la plus nette dans ce sens. Elle ne moralise pas, elle n’explique rien ; elle suspend.

L’éternel débat des mixages : dépouillement ou majesté

La coexistence de la version caritative et de la version Spector a nourri un débat sans fin entre auditeurs. Faut-il préférer la transparence de la première, où la guitare mène la danse, ou la gravité orchestrale de la seconde, plus conforme à l’aura quasi liturgique du texte ? La bonne nouvelle est qu’on n’a pas à choisir. Les deux lectures révèlent des visages différents de la même chanson. Dans la première, on entend Lennon au plus près, un artisan de mots et d’accords. Dans la seconde, on capte l’idée que se fait le monde de la chanson : une prière pop, une voûte de cordes où la voix brille comme un vitrail.

Les projets ultérieurs, en particulier Let It Be… Naked, ont ajouté une troisième voie : retirer ce qui pèse pour retrouver l’ébauche. L’attrait de ces multiples présentations dit beaucoup du statut de « Across the Universe » : plus qu’un simple titre de répertoire, c’est une forme ouverte, un prototype poétique qui supporte la variation.

L’ombre et la lumière dans la même coupe

Écouter « Across the Universe » en regard d’autres chansons contemporaines éclaire sa singularité. Le Lennon de 1968-1970 oscille entre des élans râpeux« Revolution », « I Want You (She’s So Heavy) » — et des dépouillements quasi minimalistes« Julia », « Because ». « Across the Universe » se situe au croisement. Sa tension interne n’est pas rythmique, mais spirituelle : l’esprit veut parler, puis s’apaise ; la voix se retient, mais ouvre des profondeurs. De là vient sans doute l’impression d’intemporalité qui s’en dégage. On ne sait jamais si l’on est dans la nuit ou dans l’aurore.

Une leçon de lenteur à l’ère du single

À l’époque, la culture du single impose des formats, des accroches, des refrains qui s’installent vite. « Across the Universe » prend le contre-pied. Elle mise sur la lenteur, la répétition non agressive, la plongée intérieure. Elle demande à l’auditeur de rester. C’est peut-être pour cela qu’elle est devenue, au fil des décennies, une chanson-refuge. On y revient pour éprouver une paix de quelques minutes, pour retrouver la sensation d’un monde qui continue de tourner sans exiger notre intervention.

Cette qualité explique aussi pourquoi elle vieillit si bien. Les tendances de production passent ; la vérité d’une voix qui accepte de ne pas convaincre n’a pas d’âge. Le mix peut changer, les cordes entrer ou sortir, la bande accélérer ou ralentir : le cœur du morceau demeure.

Le triomphe de Let It Be et la paradoxale discrétion d’« Across the Universe »

Lorsque Let It Be atteint la première place des classements d’albums, « Across the Universe » n’est pas mise en avant comme un argument commercial. Le disque porte la charge symbolique d’un dernier chapitre, et ses hymnes plus immédiatement mélo monopoliseront l’attention du grand public. Mais dans la mémoire collective, la chanson se glisse à une autre profondeur. Elle devient l’une de celles que l’on cite quand on veut parler du Lennon conteur introspectif, pas du Lennon pamphlétaire ou mordant.

Cette discrétion n’empêche pas la révérence. Chez les musiciens, « Across the Universe » figure au rang des exercices qu’on travaille pour apprendre à poser une voix, à tenir une ligne, à penser un arrangement qui laisse des trous. Elle a ce pouvoir rare : enseigner sans donner l’air de le faire.

« J’étais irrité, et je réfléchissais » : une humeur créatrice

Revenons à la phrase de Lennon. Elle décrit autant un état d’esprit qu’une méthode. L’irritation n’est pas ici un caprice ; c’est la conscience qu’un problème est en train de chercher sa solution en nous. La pensée qui s’ensuit — pas la réflexion pesante, mais la rumination active — est le terreau où les mots peuvent surgir. Lennon n’idéalise pas ce processus. Il sait combien il peut être ingrat. Mais il sait aussi que, parfois, il mène à ce type d’évidence qui n’a plus besoin de se justifier.

« Across the Universe » garde la trace de cette humeur. On entend, derrière la volupté du mantra, la mémoire d’une nuit agitée, d’un esprit qui tente de se taire et qui, n’y parvenant pas, écrit. Cette tension sied à Lennon, parce qu’elle révèle sa vulnérabilité. Le génie n’y est pas posé comme un fait ; il est cherché.

Pourquoi cette chanson nous parle encore

Si l’on voulait résumer l’attrait durable de « Across the Universe », on dirait qu’elle tient ensemble deux choses que l’on oppose trop souvent : la discipline et l’abandon. Discipline de l’écriture, du studio, de la prise où rien ne doit déborder. Abandon de la voix qui s’incline devant les images qui la traversent, des mots qui s’écoulent sans être forcés. Entre ces deux pôles, la chanson trouve une respiration. Elle rappelle que la création est rarement un miracle instantané. C’est une marche. Dans ce cas précis, une marche de mois, rythmée par l’entêtement d’une idée qui refuse d’être moins que ce qu’elle peut être.

C’est aussi pour cela que « Across the Universe » fonctionne comme un miroir pour l’auditeur. Chacun a connu ces nuits où les pensées tournent, où l’on répète mentalement des phrases sans savoir d’où elles viennent. La chanson capte cet état avec une justesse qui n’appartient pas à un genre ou à une époque. Elle dit : laisse-les passer. Et cette invitation, on l’entend aussi bien en 1970 qu’aujourd’hui.

Épilogue : l’ouvrage humain derrière l’aura

On aime raconter les Beatles comme s’ils avançaient d’un miracle à l’autre, portés par une inspiration qui ne se dément jamais. La vérité, plus simple et plus belle, ressemble à « Across the Universe » : une étincelle verbale saisie au vol ; des mois de travail où l’on doute, où l’on essaie ; un studio où l’on ajuste ; puis, un jour, une version qui tient. John Lennon n’obtient pas ici la grâce par passe-droit. Il la gagne à force d’obstination.

Ainsi va l’histoire de cette chanson qui, d’un lit conjugal à une bande magnétique, d’un album caritatif à la dernière publication d’un groupe en fin de parcours, de versions dépouillées en orchestrations amples, a trouvé sa place : un chant qui accepte de ne pas convaincre, une prière qui n’impose rien, une évidence qui a demandé un monde d’efforts. Rien ne devait changer son monde ; le nôtre, elle l’a changé pour de bon.


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