Magazine Culture

Mádé Kuti : afrobeat(s) en héritages

Publié le 21 octobre 2025 par Africultures @africultures

Petit-fils de Fela et fils de Femi, Mádé Kuti incarne la troisième génération d’une lignée musicale mythique. À la tête de son groupe The Movement, le jeune musicien réinvente l’afrobeat familial dans un souffle à la fois conscient et renouvelé, sans rien céder à la dimension politique. Live report du concert livré à la Maroquinerie le lundi 20 octobre 2025 par Farah Clémentine Dramani Issifou.

En ouverture, Nneka avait donné le ton : rage douce, ferveur soul, spiritualité brûlante. Puis Mádé Kuti est apparu, solaire, entouré d’un orchestre d’une dizaine de musiciens et de deux danseuses lumineuses, rappelant l’énergie de l’Africa Shrine de Lagos.

Multi-instrumentiste accompli (il joue du saxophone, de la trompette, de la guitare, de la basse et du piano), Mádé navigue entre les classiques de son grand-père, les hommages à son père et ses propres compositions, tirées de son album Chapter 1: Where Does Happiness Come From? L’enchaînement des morceaux tisse un lien sensible entre passé et présent. Là où Fela Anikulapo Kuti dénonçait la dictature militaire, la corruption et les effets du colonialisme sur les sociétés africaines, les titres Zombie et Sorrow, Tears and Blood résonnent encore comme des prophéties face aux mouvements contemporains de contestation, tels que #EndSARS, que Mádé évoque à son tour.

C’est à cette jeunesse qu’il rend hommage. Là où Fela chantait la rage d’un peuple sous dictature, Mádé chante la lucidité d’une génération née dans un Nigeria démocratique encore traversé par les mêmes blessures.

Entre afrobeat et afrobeats

Le contexte a changé : la révolte s’est déplacée.

Formé au Trinity Laban Conservatoire of Music and Dance de Londres, Mádé prolonge l'héritage de Fela, à l’instar de son père Femi et de son oncle Seun. Là où l’afrobeats contemporain, emmené par Burna Boy, Davido ou Wizkid, s’est imposé comme la bande-son d’une génération mondialisée et festive, Mádé choisit la fidélité à une lignée plus politique. Dans ses arrangements précis, sa direction de scène, il prolonge et affine ce que l’afrobeat a toujours été : un terrain d'invention, un espace où l’on joue et pense à la fois, où la virtuosité instrumentale n’est jamais dissociée du propos. « Music is a weapon », disait Fela...Près de trois décennies après la mort du « Black President », l'afrobeat reste un langage de résistance et de mémoire, sans cesse réactualisé par chaque génération.

Transmission

Hier soir, à La Maroquinerie, pour son unique concert parisien, j’étais venue avec mon fils de dix ans, jeune trompettiste. Il observait les cuivres, fasciné. À travers la scène, il découvrait une filiation en mouvement. C'était la sienne aussi un peu…car la musique, pour moi, est l’un des jalons de la transmission de mon africanité, une manière sensible d’habiter l’histoire, de la réinventer à travers le rythme, le souffle et la mémoire. En cela, elle rejoint la pensée de l’Atlantique noir, où la culture afro-diasporique se déploie comme un espace de circulation, de reconfiguration et de résistance.

L’avenir ne s’invente jamais à partir de rien : il naît de ce que l’on hérite, pour mieux le transformer.

C’est peut-être là, dans ce mouvement entre mémoire et invention, que se joue aujourd’hui les souffles de l'afrobeat.

Farah Clémentine Dramani-Issifou

Farah Clémentine Dramani-Issifou est chercheuse, commissaire d’exposition et autrice. Ses travaux portent sur les cinémas et pratiques curatoriales afro-diasporiques.

L’article Mádé Kuti : afrobeat(s) en héritages est apparu en premier sur Africultures.


Retour à La Une de Logo Paperblog