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Nous aussi, on va se tenir entre nous

Publié le 22 octobre 2025 par Lana

Je suis en train de poser des bombes 💣 dans ma vie, et dans celle des autres par la même occasion.

Souvent, on dit que le suicide, c’est une bombe, parce que la mort d’une personne touche bien plus de gens que ce que celle-ci aurait pu imaginer, l’onde de choc se répand très loin. Je dois composer avec des idées suicidaires en ce moment, parfois très présentes, parfois absentes.

Mais les bombes que je pose pour le moment, ce ne sont pas ce genre de bombes destructrices. Non, je dynamite

🧨
ma vie parce que je vivais sous un masque de neurotypique, anesthésiée par un traitement médicamenteux injustifié, étiquetée psychotique par des médecins qui ne se posaient pas trop de questions, et avec dans le cerveau des restes de la doxa d’une société patriarcale et individualiste.

Mon traitement, je l’ai arrêté il y a deux ans et depuis, j’ai de nouveau des émotions, je ne suis plus constamment d’humeur égale, coupée de moi-même. Alors, certes, ça a été un des facteurs qui a fait que j’ai explosé en vol, mais au moins je découvre enfin qui je suis, je comprends mes besoins, j’adapte ma vie, je me reconstruis vraiment et plus seulement de façon factice et robotique. J’ai fait tomber le masque, et bien sûr que cette reconnexion à celle que je suis se fait dans la douleur, mais elle est riche et porteuse de sens.

Et là, symptôme après symptôme, je suis en train de faire le diagnostic différentiel. Juste un exemple: quand je vais mal, je parle beaucoup toute seule. Dans l’imaginaire collectif, ce sont les fous (quoiqu’on veuille dire par là, d’ailleurs) qui parlent seuls. Je parlais seule pour préparer et rejouer mes conversations. Je faisais à haute voix ce que j’ai toujours fait et continue à faire dans ma tête. Ce que font les autistes. Il ne s’agit pas de répondre à des voix ou de parler avec quelqu’un qui ne serait pas là et dont on est persuadé qu’il est réel. Le psychologue maltraitant que j’avais à une époque voulait absolument me faire dire que ça me faisait souffrir. Alors que non. Jamais. J’ai souffert de beaucoup de choses, énormément, mais jamais du fait de parler toute seule. Et je ne comprends pas pourquoi il s’obstinait à vouloir me faire dire le contraire, puisque de toute façon, quand je lui parlais de ce qui me faisait souffrir, il restait muet et indifférent. Je pissais le sang devant lui sans qu’il bouge le petit doigt. Apparemment, c’est lui qui décidait de ce qui devait me faire souffrir ou pas, mais sans qu’il y apporte la moindre solution ni même un peu d’empathie. Chez les autistes, parler seul est un outil, c’est fonctionnel, ce n’est pas pathologique et c’est différent d’un symptôme psychotique. Voilà le genre de débunkage que je suis en train de mener, pour chaque symptôme soi-disant psychotique, juste parce que les psychiatres et psychologues n’ont pas fait preuve de nuances.

Et non seulement ils ne font pas preuve de nuances dans leurs diagnostics, mais ils en oublient que derrière une étiquette, il y a une personne avec une histoire et qui vit dans une société. Que cette histoire et cette société, elles influencent énormément qui on est et comment on navigue dans cette vie. On n’est pas juste une personne déviante, anormale, malade à qui il suffirait de donner des médicaments pour qu’elle rentre dans le rang.

Outre le fait que les personnes neuroatypiques sont bien trop souvent psychiatrisées à tort, que les médecins ne prennent pas en compte le fait que nous nous exprimons autrement, réagissons différemment aux traitements et exprimons la douleur d’une façon qui ne rentrent pas dans leurs grilles de lecture, ce qui est déjà un gros problème, il y a aussi le fait que beaucoup trop de gens reçoivent un diagnostic de TDA/H ou TSA et ça s’arrête là. On ne leur donne aucun outil pour s’en sortir dans un monde qui n’est pas fait pour eux. On doit la plupart du temps faire face à des soignants qui ne prennent pas cette information en compte.

A côté de ça, de manière plus générale, les personnes avec une maladie mentale sont réduites à leurs pathologies, à leurs symptômes. Et personne n’écoute leurs traumatismes, causés le plus souvent par cette société et le système psychiatrique.

Et ça, c’est quelque chose qui me met en rage. De voir tant de personnes qui ne s’en sortent pas, qui continuent à s’enfoncer, à souffrir et qui s’en veulent, qui se jugent, qui se trouvent nulles, qui remettent toute la faute sur leurs épaules. Parce qu’elles voient des psys, prennent des médicaments, se font même hospitaliser et pourtant ça ne va pas mieux. Mais comment ça pourrait aller mieux quand on ne leur donne pas les outils adaptés à leurs neuroatypies ou à leurs traumatismes? Quand on continue à leur faire croire qu’elles ont dû quand même un peu les chercher, leurs problèmes? Qu’il suffit de changer d’état d’esprit?

Et c’est là que je mets des bombes dans la vie des autres. En disant cela. En nommant les choses. En déculpabilisant les gens et en pointant des problèmes systémiques. Parce que ça change tout. Parce que c’est comme ça qu’on avance. On est face à un système maltraitant et le reconnaître, c’est la base si on veut avancer et se faire respecter. Je prends encore un exemple, tellement parlant. A l’âge de 20 ans, j’ai subi des viols conjugaux. Déjà, il m’a fallu au moins 20 ans pour les nommer. N’importe quel femme m’aurait décrit ce que j’ai vécu, j’aurais dit sans hésiter une seconde: ce sont des viols. Mais pour moi, c’était beaucoup plus difficile de le dire, car dans mon cerveau il y avait ce que la société patriarcale et cet homme y ont mis: à savoir Tu exagères, tu l’a un peu mérité, tu aurais dû mieux te défendre, dire non un peu plus clairement (c’est vrai que c’est difficile de comprendre qu’une femme n’a pas envie quand elle se retourne en pleurant, mais passons!). J’avais parlé du fait que ces évènements avaient dû me traumatiser à mon psychiatre environ trois ans après, car je tremblais quand on me touchait. Sa réponse: Oui, enfin tous les hommes ne sont pas comme ça. Il y a deux jours, quand j’ai fait mon historique de violence médicale à ma généraliste et que j’ai évoqué cette remarque (moment où elle a réagi en disant ironiquement « pas tous les hommes »), elle est revenue dessus après mon récit: Vous avez dit que vous avez subi viols conjugaux? J’ai répondu: Oui, mais ça n’a pas duré longtemps. Elle m’a dit: Mais ça, peu importe. Et elle a raison, bien sûr que je le sais, on s’en fiche de combien de temps ça a duré, un seul viol est déjà un viol de trop. Mais voilà, pour soi, on a tendance à minimiser la gravité des faits. La différence de réaction entre ces deux médecins est fondamentale et c’est pour ça qu’on a besoin les unes des autres pour nommer les choses, pour s’ouvrir les yeux mutuellement. Je l’ai fait le soir même avec une de mes amies, en lui disant, ça c’est un viol. Après cela, elle m’a envoyé un message en me demandant si les médecins étaient une sorte de corporation où ils se tenaient entre eux. J’ai dit Oui, pourquoi ?Et elle m’a répondu: Nous aussi, on va se tenir.

Et c’est la meilleure conclusion qui soit. Nous aussi, on va se tenir entre nous

❤️‍🔥
. Soutien entre pairs, déconstruction d’un système qui nous broie, comprendre qu’on vit dans une société et que tout ne repose pas sur une volonté individuelle, avec l’aide des soignants qui sont réellement des alliés. Je n’ai plus de psychiatre pour le moment. Ca devait être un entre-deux, terminer le suivi avec ma psychiatre pour en recommencer un avec une autre. Mais je ferai sans, je ne veux plus de la psychiatrie dans ma vie
🚮
. J’ai besoin de médecins et de soignants comme ma généraliste, qui reconnaissent la violence du système médical et patriarcal, et de psychologues qui connaissent l’autisme et les traumatismes psychologiques. J’ai besoin d’amis qui ont survécu à cela. J’ai besoin de gens qui m’aident à faire exploser mes bombes. C’est comme ça que je survivrai
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