Maîtrisant à merveille l’art de la provocation, Raphaël Quenard propose un premier roman qui ne laisse personne indemne, ni ses personnages, ni ses lecteurs.
« Clamser à Tataouine » invite à suivre les pas d’un sociopathe assumé, bien décide à se venger d’une société qui l’a laissé sur le bord du chemin. Pour ce faire, le narrateur planifie de tuer une femme représentative de chaque classe sociale, non par misogynie, mais par une logique tordue où la misanthropie prend l’apparence de la misogynie. Alternant les cibles au fil des chapitres, Raphaël Quenard s’amuse à bousculer les sensibilités, au risque d’en choquer certains.
Ce qui frappe d’emblée dans « Clamser à Tataouine », c’est le style électrique, baroque de l’auteur, qui oscille entre argot cru et envolées poétiques. L’étoile montante du cinéma français manie la langue comme une arme blanche, tranchant dans le vif avec une verve inventive et corrosive. On entend presque l’acteur derrière chaque phrase, tant le rythme, la musicalité et la gouaille sont présents. Les dialogues claquent, les punchlines fusent et l’humour noir, délicieusement omniprésent, fait sourire là où il faudrait frémir.
La provocation est donc partout, que ce soit dans le choix du sujet, dans la banalisation du crime ou dans la façon de désamorcer la violence par le rire. Quenard ne cherche ni à expliquer ni à excuser son antihéros et prend visiblement grand plaisir à nous le livrer dans toute sa monstruosité, sans filtre ni morale. Cette absence d’analyse psychologique, ce refus de la justification, donnent au roman une force brute, mais aussi une froideur qui pourra dérouter.
La structure du livre, répétitive et volontairement mécanique, accentue le sentiment d’absurdité et de dérision. Chaque meurtre, expédié en quelques lignes, n’est qu’un prétexte à des digressions sociologiques, des réflexions acides sur la société et des jeux de langage jubilatoires. Les personnages secondaires, archétypes plus que figures incarnées, servent de miroir à la rage du narrateur.
On pourra certes reprocher à Quenard une certaine complaisance dans la provocation, un goût du verbe qui tourne parfois à la démonstration, ainsi qu’une intrigue qui s’effiloche au profit du style. Mais c’est justement ce style, ce mélange unique de brutalité et de poésie, qui fait la singularité du roman. On rit, on grimace, on s’interroge, mais on ne sort pas indemne de cette lecture.
« Clamser à Tataouine » est un objet littéraire non identifié, insolent, brillant, parfois insoutenable. Un roman coup-de-poing, qui refuse la tiédeur et assume jusqu’au bout son humour noir et sa provocation. À lire si vous aimez être bousculé, dérangé et si vous cherchez une plume qui ne ressemble à aucune autre. Raphaël Quenard, acteur et désormais écrivain sous le pseudonyme Pierrot Tchitch, signe ici une entrée fracassante en littérature. Osez l’expérience, vous n’en ressortirez pas indemne.
Clamser à Tataouine, Raphaël Quenard, Flammarion, 185 p., 22,00 €
